1966

1966 - Voix Ouvrière à la conférence du Comité International


RECONSTRUIRE LA IVème INTERNATIONALE

Voix Ouvrière

1966


En tant qu'organisation invitée à participer à la réunion convoquée par le Comité International, réunion qui se donne pour but de "définir les tâches de reconstruction de la IVème internationale", nous avons été amenés à participer à la diffusion de la résolution préparatoire du C.I. Bien entendu nous n'en faisons pas nôtre pour autant son contenu.

Au contraire la lecture de ce document nous amène à formuler certaines critiques et nous laisserons de côté toutes critiques qui ne concerneraient pas directement le problème de la reconstruction de la IVème Internationale.

Tout d'abord nous avons bien entendu des désaccords politiques. Nous ne les exposerons pas ici. Non pas que nous les considérions comme secondaires bien au contraire, mais nous pensons que ces problèmes pourraient être discutés et résolus au sein d'une Internationale digne de ce nom, c'est-à-dire capable d'aborder la théorie avec sérieux et capable de corriger éventuellement ses erreurs.

Cependant, et à propos d'un problème sur lequel nous sommes en désaccord nous regrettons que ce document que le C.I. soumet à la discussion internationale soit d'une légèreté certaine.

En effet nous pouvons tire à propos de la caractérisation des Etats des pays du glacis les lignes suivantes :

"La lutte de la classe ouvrière en Europe orientale peut seulement être comprise comme une lutte contre des régimes produits par un mouvement révolutionnaire qui a été doublement déformé.
l°) Elle est partie du soulèvement révolutionnaire qui a menacé l'existence même du capitalisme dans l'Europe toute entière, menace qui a été écartée par les actions complémentaires de l'impérialisme américain, de la bureaucratie soviétique et de ses agences, et de la social-démocratie européenne.
2°) La bureaucratie du Kremlin a usé de son pouvoir pour décapiter l'action de ces pays, se servant dans ce but du vieil appareil de l'Etat capitaliste."

Thèse 1, p. 7-8

Or, dans la même thèse nous voyons ces pays caractérisés comme des "Etats ouvriers déformés ou dégénérés." Nous avons eu beau chercher dans ce texte, nous nous n'y avons pas trouvé où, quand et comment avait eu lieu la transformation du "vieil appareil de l'Etat capitaliste" en "Etat ouvrier" même déformé ou dégénéré. Nous pourrions nous référer aux "Dix Thèses" de Germain, mais il ne nous paraît pas opportun d'introduire ce texte dans la discussion.

Encore une fois ce qui nous gène dans cette résolution ce n'est pas tant la position prise que l'absence de position nette sur ce problème fondamental (le pablisme était déjà inscrit dans cette surestimation du rôle "progressiste" de la bureaucratie russe en 1945). Le paragraphe que nous citons et qui est le seul effort de la résolution pour aborder ce problème est pour le moins incomplet, quelle que soit la position que l'on adopte à ce propos. Et s'il est vrai que "la lutte de la classe ouvrière en Europe orientale peut seulement être comprise" comme l'ont comprise les rédacteurs de la résolution il ne faut guère espérer voir ce problème s'éclaircir prochainement.

Mais ce problème n'est qu'un problème de méthodologie et nous ne l'avons cité que parce que nous souhaitons voir l'organisation internationale qui ne pourra manquer de surgir de la réunion du printemps 1966 aborder ces problèmes avec sérieux et méthode et non se contenter de recopier les analyses pablistes.

Ce qui dans le texte du C.I. nous gêne bien plus, c'est la référence constante aux années 1953-1956.

Page 3 :

"Une telle collaboration, pleinement développée dans la stratégie de coexistence pacifique et de compétition pacifique entre les deux systèmes mondiaux mise en avant par la bureaucratie depuis la mort de Staline, et particulièrement depuis 1956, prend aujourd'hui une signification supplémentaire du point de vue de la reconstruction de la IVème Internationale. Cette phase nouvelle et plus avancée du rôle contre-révolutionnaire du stalinisme est la réplique de la bureaucratie non seulement à la pression accrue de l'impérialisme mais aussi à l'irruption de la révolution politique en Europe orientale après 1953. En même temps, des mouvements comme la grève générale d'août 1953 en France, montrèrent que la politique des bureaucraties stalinienne et social-démocrate dans les pays capitalistes avancés entraient en contradiction avec le mouvement des masses. Le contrôle de la classe ouvrière dans les pays capitalistes où les staliniens avaient une influence de masse devint plus difficile et pleine de dangers. Chaque mobilisation partielle des forces de la classe ouvrière menaçait de se transformer rapidement en affrontement général de classe mettant en question le système capitaliste. Les directions bureaucratiques staliniennes du mouvement ouvrier se trouvèrent alors face à la nécessité de se transformer ouvertement en agents du maintien de l'ordre bourgeois, comme les sociaux-démocrates l'avaient fait avant eux. Sous une autre forme, la défaite historique de l'impérialisme français à Dien-Bien-Phu força l'appareil stalinien international à une collaboration directe avec l'impérialisme dans le but de prévenir l'extension de la révolution dans les pays coloniaux."

Page 5

"Ainsi parallèlement à son rapprochement politique avec l'impérialisme depuis 1953, la bureaucratie est rendue plus sensible au développement économique contradictoire du capitalisme international."

Page 6 :

"La période 1953-1956 marque un tournant dans la situation mondiale."

Page 14 :

"Le glissement général vers la droite de tous les partis sociaux-démocrates et staliniens depuis 1956 est leur réponse à la montée renouvelée de la lutte des classes internationales."

Page 23 :

"Depuis 1953 la bureaucratie stalinienne sévèrement secouée par la lutte de la classe ouvrière dans son propre secteur est entrée en collaboration étroite avec l'impérialisme."

Et nous en omettons certainement ! Ainsi, selon la résolution du Comité International la période 1953-1956 marquerait un tournant à droite de la bureaucratie russe et, qu'alors, les bureaucraties staliniennes du mouvement ouvrier se seraient transformées ouvertement en agents du maintien de l'ordre bourgeois tandis qu'à la même époque, la défaite "historique" (que peuvent bien ajouter de sérieux de tels qualificatifs ?) de l'impérialisme français à Dien-Bien-phu força l'appareil international du stalinisme à une collaboration directe avec l'impérialisme.

On croit rêver. Et en parlant de rêver il semble bien que les rédacteurs se soient réveillés avec dix ans de retard et qu'ils confondent la période 1953-1956 avec la période 1943-1945 qui, s'il faut absolument trouver une époque où la bureaucratie stalinienne évolua encore plus vers la droite que précédemment est nettement plus caractéristique. C'est en effet à ce moment que Staline dissout le Komintern, c'est à ce moment que les pactes de Yalta et Potsdam partagent le monde entre les grands, c'est à ce moment que Staline promet un appui contre les éventuels mouvements révolutionnaires en Europe et en Asie (en échange du débarquement à l'Ouest) et qu'il tiendra parole. Que ce soit en Europe, où l' on distingue immédiatement un changement par rapport à la guerre de Finlande en 1939 puisque, selon même le texte du C.I., l' Armée Rouge ne contribua pas à l' essor révolutionnaire en Europe de l'Est mais au contraire se servit de l'ancien appareil d'Etat bourgeois contre les masses en lutte. Quant au soutien ouvert des positions de l'impérialisme dans les pays coloniaux nous n'irons pas jusqu'à rappeler en détail l'attitude de Staline dans la guerre civile en Chine ou l'attitude du P.C.F. pour ne citer que lui face à la répression en Indochine (1945-46), en Algérie (Constantine, 1945) ou à Madagascar, sans compter le soutien politique qu'il ne marchandait pas au gouvernement français face aux revendications des peuples des colonies françaises d'Afrique.

Non, aucun militant sérieux ne peut croire à la démonstration d'un quelconque tournant à droite de la bureaucratie russe en 1953-1956. Le tournant s'il fut pris, le fut dix ans plus tôt et ce qui se passa, en 1953-1956 avec la fin de la guerre froide fut un retour à la période d'avant 1948, retour qui ne fit d'ailleurs pas parcourir beaucoup de chemin à la bureaucratie russe.

Et ce qui nous inquiète le plus dans cette question ce n'est pas tant l'erreur d'analyse en elle-même que ce qu'elle peut signifier.

En effet, il est visible (trop), que l'importance exagérée accordée à ce tournant va permettre de replacer la scission de 1953 de la IVème Internationale dans un contexte "historique". Et c'est ainsi que sous la pression des événements aurait en 1953 éclaté la malheureuse Internationale. Eh bien non ! D'abord nous l'avons vu il n'y eut point, en cette période de changement FONDAMENTAL de la politique de la bureaucratie, ou de l'impérialisme ou des deux réunis. Ensuite et nous le reverrons plus loin, l'explication n'est pas satisfaisante pour expliquer le phénomène de la dégénérescence de la IVème Internationale. Et puis qu'est-ce que cette Internationale qui éclate à la première crise dans le monde ? Elle aurait bien dû éclater en 1939-1940, puis en 1945, puis encore en 1948 ! A moins qu'on admette qu'elle l'ait fait, ce qui serait, tout compte fait une analyse plus sérieuse que celle qu'on nous propose.

Et puis l'importance exagérée attribuée à cette période est bien commode pour justifier la politique des organisations appartenant au C.I et qui participaient à la IVème Internationale avant 1953. S'il y a changement dans la situation mondiale en 1953 point n'est besoin de revoir les analyses, et la politique d'avant cette période. Ainsi la résolution du C.I pourra faire ce que ne pouvait pas faire le meunier de la fable : satisfaire, et tout le monde et son père !

A notre avis ce n'est pas là une façon correcte de procéder. Reconstruire la IVème Internationale est une tâche difficile. Des obstacles considérables sont à vaincre. Les militants qui se fixent un tel but doivent essayer d'être dignes de son fondateur. Ils se doivent d 'inspirer confiance aux générations qui se lèvent. Il leur faudra pour cela parler un autre langage, utiliser le raisonnement comme une arme comme un moyen de comprendre et de préparer l'avenir et non comme une justification a posteriori. Il faudra montrer qu'enfin il y a quelque chose de changé chez les trotskistes.

Mais ce n'est pas encore cela le plus grave dans cette résolution préparatoire. Le plus grave est l'analyse insuffisante des causes de la dégénérescence "pabliste". La résolution du Comité International comporte une longue critique de ce que nous aussi désignons pour plus de facilité par "pablisme", critique que nous approuvons entièrement à quelques réserves près que nous verrons plus loin.

Mais pourquoi et comment la IVème Internationale a non seulement donné naissance au "pablisme", ce qui pourrait n'être qu'un accident, mais pourquoi le "pablisme" a-t-il été l'idéologie dominante de la majorité de la IVème Internationale. Non seulement la direction, le Secrétariat International, mais la majorité des organisations se sont retrouvées défendre soit les positions du pablisme soit des politiques qui ne valaient guère mieux même si au hasard des scissions multiples elles se trouvaient coupées du S.I. (cas du S.W.P. par exemple).

Il serait pourtant indispensable de rechercher les causes de l'effondrement de la IVème Internationale si l'on veut vraiment entreprendre de la reconstruire. Nous sommes d'accord avec les camarades du Comité International sur le programme de fondation de la IVème Internationale, le programme de transition. Si le programme politique était juste et valable, c'est donc que l'échec de la lVème Internationale fut dû à un défaut organique. Bien entendu son échec fut dû fondamentalement aux circonstances historiques et sociales défavorables mais ce serait du fatalisme que de s'en tenir là. N'y avait-il rien à faire et la dégénérescence et l'échec étaient-ils obligatoires ?

Le pablisme justement qualifié par la résolution de tendance petite-bourgeoise n'est pourtant pas né de rien au sein de la IVème. Il a pu y germer, il y a trouvé un terrain favorable et il en était réellement l'expression, on l'a d'ailleurs vu par la suite dans le devenir des différents groupes.

Or que trouvons-nous dans la résolution du C.I. comme explication de la dégénérescence opportuniste de la IVème Internationale ? Nous citons :

"La situation objective - la liquidation physique de beaucoup de sections à la fin des années 1930 et pendant la Seconde Guerre Mondiale la force apparente du stalinisme dans le mouvement ouvrier de 1942 à 1953, les divisions et les pressions de la période de la guerre froide la répression maccarthyste aux U. S.A. tout cela fournit les conditions d'un déclin en particulier en séparant physiquement la lutte de classe en Europe orientale et en Russie de celle se déroulant dans les pays capitalistes. Mais l'importance donnée à la conscience révolutionnaire par le programme de transition doit être notre guide. La mort de Trotsky affaiblit la IVème Internationale d'une manière incalculable Il n'y avait pas eu encore assez de temps pour former un mouvement capable d' assimiler le vivant héritage théorique de Marx, Engels, Lénine et Trotsky, en particulier la leçon apprise par Trotsky lui-même dans le révolution d'Octobre, la nécessité d'un parti bolchevik centralisé fondé solidement sur la théorie marxiste répondant à chaque besoin de direction de la classe ouvrière en fonction d'une perspective internationaliste. Cette faiblesse théorique et politique traduite par une attitude dogmatique envers la théorie et le programme ne développant pas la théorie marxiste contre les idéologies hostiles mais essayant de le "préserver" fut la cause de l'incapacité de la IVème Internationale à développer le programme et à construire les partis dans la période d'après-guerre.
Au lieu de cela les cadres de l'Internationale s'adaptèrent facilement aux courants petits-bourgeois dominant à cette étape du développement politique, particulièrement aux staliniens. Un "centre international" faux et artificiel fut constitué, comptant sur la contemplation propagandiste et le commentaire à propos des développements "objectifs" dans la lutte des classes. Un tel centre ne discutait pas des expériences vivantes des sections dans le cours du développement du programme et de la théorie marxiste mais au lieu de cela il laissait les sections sans directives ou bien intervenait bureaucratiquement (sur la base des statuts organisationnels les plus bolchéviques ) pour imposer une ligne Internationale abstraite contre la volonté des sections. Un tel centre international isolé de la lutte réelle adaptant le programme à l'aspect superficiel de la politique et à certains cercles de l'intelligentsia de gauche dominé comme c'était le cas par les éléments petits-bourgeois qui peuplent les bureaucraties ouvrières, était inévitablement exposé aux pression de la guerre froide, du stalinisme international et de l'impérialisme. Sa théorie et son programme ne se développèrent pas en relation active avec la lutte vivante mais dans l'atmosphère raréfiée des secrétariats internationaux."
(page 16)

Voilà dans ce texte la seule tentative d'explication que nous avons pu trouver, si l'on excepte la phrase suivante extraite d'un paragraphe précédent (p. 9) :

"L'opportunisme petit-bourgeois sous la forme d'une tendance révisionniste cristallisée pénétrant toutes les sections du mouvement trotskyste a détruit la IVème Internationale comme organisation fondée sur le Programme de Transition..."

Ainsi la dégénérescence de la lVe Internationale serait entrièrement due à sa direction qui se serait isolée dans "l'atmosphère raréfiée des secrétariats internationaux" (?), qui se serait révélée incapable d'aider les sections, quand elle n'entravait pas bureaucratiquement leur activité. Cette direction internationale aurait permis à l'opportunisme petit-bourgeois drapeau en tête de pénétrer toutes les sections.

En deux mots comme en un : c'est la faute à Pablo !

Cette explication est plus qu'insuffisante. On ne peut remplacer l'analyse politique par le manichéisme.

La situation objective, la mort de Trotsky, et tout ce qu'on peut ajouter de semblable car il y a bien d'autres facteurs qui sont intervenus ont effectivement fourni les conditions du déclin.

Mais pourquoi les cadres de l'Internationale se sont-ils adaptés facilement aux courants petits-bourgeois ? Pourquoi les sections se révélèrent-elles incapables de rompre avec ces prétendus cadres et de les rejeter de l'Internationale ? Pourquoi se sont-elles révélées incapables de taire surgir de nouvelles directions de leur sein ? Qu'aurait-il fat lu faire qui n'a pas été fait ? A toutes ces questions il faudrait bien des réponses, pour être à même d'entreprendre la reconstruction souhaitée.

Et comment s'est manifestée la pénétration de l'opportunisme petit-bourgeois ? Qu'aurait-il fallu faire pour l'éviter ? Dire que c'était inévitable n'est pas une réponse de militant.

En fait nous ne trouvons pas, dans ce texte le désir de rechercher sérieusement les causes qui ont engendré au sein de la lVe Internationale le révisionnisme pabliste ni - et les deux phénomènes sont intimement liés - ce qui a amené l'effritement et la quasi-disparition de presque toutes les sections de l'Internationale y compris la section française pourtant à majorité non formellement pabliste.

Cela à notre avis est très grave, d'autant plus grave que l'échec de la IVe Internationale fut dû au refus de ses militants et de ses dirigeants au niveau des sections comme au niveau de la direction, car ce fut un phénomène global, de vouloir admettre que la composition sociale en majorité petite-bourgeoise intellectuelle des sections de l'Internationale nécessitait de strictes mesures politiques et organisationnelles pour écarter de leur sein les éléments corrompus et pour, autant que faire se pouvait, échapper à l'influence idéologique de la petite- bourgeoisie, en s'efforçant au maximum de recruter au sein de la classe ouvrière et en contraignant les éléments d'origine petite-bourgeoise à se lier au travail d'entreprise.

Ce type d'avertissement Léon Trotsky le donnait juste avant la guerre, à la section américaine. Il était valable pour toutes les sections de l'Internationale.

Le pablisme n'a été sous sa forme liquidationniste que l'expression politique achevée de cet opportunisme petit-bourgeois de toutes les sections de la IVème Internationale. Certaines, une seule au départ la française) ont refusé les conclusions liquidationnistes du pabliste mais toutes en avaient accepté bien des prémices et, surtout, toutes avaient fait la preuve, certaines dès 1939 ou 1940 qu'elles étaient susceptibles de bien d'autres déformations opportunistes, suivant les oscillations idéologiques des milieux petits-bourgeois auxquels elles étaient liées. Le pablisme n'a pas été la cause de l'échec et de la disparition de la IVème Internationale mais son produit.

C'est à une telle recherche que les organisations du C.I. devront se livrer si elles veulent sérieusement et avec quelques chances de succès entreprendre de reconstruire la IVème Internationale. La tâche est d'ailleurs très difficile, car connaître les causes n'est pas suffisant il faut encore rechercher les remèdes et surtout les appliquer.

Ces remèdes ne sont ni des potions qu'il s'agit d'avaler ni des formules qu'il suffit d'appliquer. Une recherche politique et une vigilance organisationnelle de tous les instants sont nécessaires. Les conditions de la période font que les idées du trotskysme gagnent plus facilement et plus vite les intellectuels que les ouvriers. Il est donc nécessaire d'adapter les formes d'activité et les formes d'organisation à cette situation, afin d'être à même de lutter contre la pénétration de l'idéologie petite- bourgeoise.

C'est très difficile, nous en savons quelque chose. Notre organisation est née justement de la nécessité de se séparer physiquement du milieu petit-bourgeois aux pratiques social-démocrates qu'étaient les organisations trotskistes en France au début de la guerre pour pouvoir recruter, éduquer et former des cadres susceptibles de mettre en pratique les conceptions organisationnelles léninistes et celles de Trotsky, et qui ne se contenteraient pas de verbiage "bolcheviste" recouvrant une pratique opportuniste. C'est parce que nous nous sommes heurtés à l'incompréhension et aux sarcasmes des militants de la IVème Internationale à propos de ces questions, que nous avons dû mener une activité séparée de la IVème Internationale bien que nous nous soyons toujours revendiqués de ses idées et de son programme. L'avenir de la IVème Internationale ne nous l'a d'ailleurs pas fait regretter.

Aujourd'hui encore il nous sera certainement difficile de convaincre les camarades des organisations appartenant au C.I. Si nous avons une chance de le faire, c'est justement parce que nous avons mené une expérience séparée que nous avons un capital politique et organisationnel indépendant de la IVème Internationale.

Mais, bien entendu notre seule action sera insuffisante. Il est nécessaire indispensable que cette conscience et cette préoccupation viennent du sein même de ces organisations. La première tâche pour tous les militants qui participeront à cette reconstruction est indiscutablement un retour sur le passé de la vive et sur les causes de sa dégénérescence. La recherche des mesures viendra tout naturellement ensuite : il ne faut pour cela que la ferme volonté d'oeuvrer à la révolution par le chemin le plus efficace même si en apparence, il n'est pas le plus court ou le plus commode.

Cette recherche est d'autant plus nécessaire que les organisations du Comité International proviennent de la IVème. Elles en ont partagé l'existence pendant de longues années. Les tares de la IVe Internationale, elles les portent en elles. Le fait d'avoir engagé la lutte contre le pablisme n'est pas une garantie car cela n'a rien à voir avec la lutte contre les causes du pablisme. Ces organisations sont imprégnées de la politique pabliste. Là aussi il leur faudrait un retour sur elles-mêmes et une révision sérieuse de toutes les analyses formulées par la IVème entre 1940 et 1953 et sur lesquelles les militants du C.I. se reposent bien souvent.

Parce que c'est évident, la nature petite-bourgeoise d'une organisation politique se révèle dans le peu de sérieux de ses analyses politiques. Nous en avons donné un exemple au début de ce texte (à propos des Démocraties Populaires).

Nous voudrions revenir sur la critique du "pablisme".

Nous partageons, avec les rédacteurs de la résolution l'opinion qu'il est nécessaire de mener une lutte résolue contre le "pablisme" en tant qu'idéologie :

"Les tendances centristes à l'intérieur du mouvement stalinien en Europe orientale en URSS et en Chine aussi bien que les différents partis communistes se basent sur un perspective de réforme de la bureaucratie stalinienne. Le révisionnisme et le liquidationnisme pabliste sont l'expression de ce révisionnisme de notre époque à l'intérieur du mouvement révolutionnaire lui-même. Les premiers pas de la lutte contre le stalinisme dans les pays dominés par la bureaucratie passent par des formes qui tendent à s'adapter au schéma révisionniste." (page 10).

Nous considérons même que cela a un caractère encore plus général et que le pablisme est en fait l'expression idéologique la plus "achevée" de nombreuses tendances de la petite-bourgeoisie "réformiste" tant des pays influencés par l'URSS que des pays sous-développés ou même des nations occidentales.

Mais, il n'est question que de l'idéologie pabliste de l'expression politique. La critique du pablisme contient la critique de toutes ces tendances et il est nécessaire de critiquer la doctrine la plus élaborée pour pouvoir dénoncer celles qui sont informes ou à peine énoncées. Mais il est faux de considérer que le pablisme a une importance par lui-même ou en tant que groupe organisé.

Et certaines affirmations de la résolution nous semblent de ce point de vue parfaitement ridicules :

"Aussi la prépondérance du révisionnisme pabliste dans la IVème Internationale entrava objectivement le développement de la révolution politique en 1953-1956". (Page 10)

"La construction réelle de partis révolutionnaires en Europe de l'Est et en URSS fut abandonnée et cela facilita l'isolement des ouvriers de ces pays de la classe ouvrière des pays capitalistes." (page 11)

"La théorie de Pablo selon laquelle le parti stalinien serait poussé "à gauche" et même contraint à prendre le pouvoir désarma l'avant-garde de la classe ouvrière française, lors de la grève générale de 1953 aussi profondément qu'elle désarma la IVème Internationale face à la révolution politique en Europe orientale." (page 12)

"Ces exemples cruciaux démontrent que la dégénérescence révisionniste au sein de la IVème Internationale est un phénomène de classe de caractère international, correspond aux besoins de l'impérialisme dans sa phase ultime de contradictions extrêmes et de dépendance, pour sa survie, de la bureaucratie stalinienne de la social-démocratie et des dirigeants nationalistes." (page 16)

Cette importance accordée au pablisme relève du bluff pur et simple et non de l'analyse sérieuse. Qui espère-t-on tromper ainsi ? Et c'est grave car cela concerne aussi les organisations du C.I. Si elles sont capables de s'illusionner de la sorte sur l'influence réelle du pablisme c'est qu'elles sont capables de s'illusionner sur leur importance propre. Ce type d'illusion est mortel. Et lorsque c'est du bluff à propos de soi-même c'est d'un des symptômes plus graves du caractère petit-bourgeois, sans principe, d'une organisation.

A ce propos nous aurions souhaité voir dans ce texte puisqu'il y figure une critique -juste- de l'attitude des organisations pablistes envers le F.L.N., ne serait- ce qu'une allusion à la politique de l'organisation française envers le M.N.A. Cela aussi n'est pas une preuve de sérieux.

Nous terminerons en précisant de nouveau que nous ne faisons pas ces critiques dans un but polémique. Nous ne sommes pas non plus des censeurs. Les organisations du C.I. ont fait un pas en avant sérieux et ont entrepris une tache considérable. Nous souhaitons les aider de notre mieux. Si nous essayons d'attirer leur attention sur le fait principal que nous soulevons, c'est parce que nous souhaitons sincèrement et honnêtement que la IVème Internationale renaisse.

Nous savons d'ailleurs que nos critiques ne suffiront pas sans une prise de conscience de la majorité des militants engagés dans cette reconstruction. Nous sommes persuadés que cette prise de conscience aura lieu.

Cependant, si cela ne devait pas être, cela signifierait que la route est encore un peu plus longue que prévu, et qu'il faudrait alors non reconstruire la IVème Internationale mais construire la Vème car ce serait la preuve que toute une génération est faillie.

De toutes façons, et nous sommes pleinement conscients de ce que nous affirmons, la prochaine période verra la naissance d'une Internationale révolutionnaire.

Voix Ouvrière

 


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