1935

Bulletin de l’Opposition n° 45 septembre 1935.


L'Opposition communiste en U.R.S.S.

A. Tarov

Appel personnel au prolétariat mondial


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Réponse de Trotsky

Des centaines et des milliers de bolchéviks-léninistes languissent dans les prisons staliniennes, Hier encore, j'étais avec eux, et ensemble nous partagions toutes sortes de tourments que nous infligeaient les gardes-chiourmes staliniens. Aujourd'hui je me trouve dans un pays semi-capitaliste, en "liberté". Hélas, il me semble que pour un révolutionnaire, il n'y a pas de place libre sur notre planète. En tout cas, aujourd'hui j'ai la possibilité de prononcer publiquement une parole de protestation contre les usurpateurs staliniens. Le devoir révolutionnaire m'oblige à faire appel au prolétariat mondial, en lui demandant son aide pour libérer des prisons staliniennes les révolutionnaires dévoués, les martyrs - les bolchéviks-léninistes. Que le prolétariat mondial sache que le pays des Soviets, comme tel, est en train de périr imperceptiblement, car le pouvoir soviétique sans communistes actifs et indépendants est impossible. C'est pourquoi la lutte pour un véritable parti communiste, la lutte contre les usurpateurs et contre le régime plébiscitaire, est la lutte pour la libération du système soviétique de sa dégénérescence tragique.

Pour faire connaître au prolétariat la situation des bolchéviks-léninistes en U.R.S.S. sous le régime stalinien, j'écrirai purement et simplement quelques mots de ma propre expérience. Le 30 juin 1934, je me suis enfui de ma déportation en Andijan, en me fixant comme tâche d'aller à Moscou, et de me présenter personnellement au C.C. pour parler de mon cas avec les gens qualifiés. Encore en mars 1934 j'ai fait connaître par télé­gramme au C.C. qu'étant oppositionnel, partisan de Trotsky, je cessais mon travail idéologique et organisationnel contre la direction du parti, et que j'étais prêt à remplir avec dévouement toutes les tâches du parti dans sa lutte pour la défense des conquêtes d'Octobre et la construction socia­liste, en soulignant en même temps la nécessité de l'action commune de tous les communistes contre l'offensive de la réaction fasciste. Ayant envoyé cette dépêche au C.C. j'attendis une réponse annulant l'application à mon cas du paragraphe 58 [1] et me restituant mes droits de membre du parti. Juridiquement, évidemment, aucun juge ne m'a condamné selon ce paragraphe. Mais en fait j'ai été condamné à la prison et à la déportation perpétuelles. J'ai été quatre ans en prison et trois ans en déportation. Pendant tout ce temps je n'ai vu personne sauf le juge d'instruction du G.P.Ou. et le garde-chiourme. D'habitude le juge d'instruction m'interrogeait pour la forme et le garde-chiourme ouvrait et fermait la porte de ma cellule, quand c'était nécessaire. J'étais condamné à ce sévère isolement sans qu'il y ait une preuve matérielle quelconque contre moi. Trois fois on a perquisitionné chez moi, on n'a trouvé absolument rien. Mais on m'a arrêté quand-même et emprisonné. Si tu es trotskyste, tu dois être en prison ou en déportation… Si tu renonces à l'opposition, tu reçois le "minus" [2]. Ça sera jusqu'à un certain point une peine moins grave. Par exemple on peut te transporter de la Sibérie du Nord dans la Sibérie du Sud… Les simples oppositionnels, on les torture sans pitié, en leur proposant de renoncer à leurs opinions. Après l'interrogatoire, le juge d'instruction, avant de lire le verdict, te propose de renoncer à tes opinions et s'il reçoit comme réponse un refus catégorique, tu entends dans le verdict les paroles les plus effrayantes : "pour un travail anti-soviétique, anti-communiste, contre-révolutionnaire," etc... Ma dernière condamnation - trois ans d'incarcération dans les pri­sons centrales du G.P.Ou.-, je l'ai terminée le 22 janvier 1934; mais quand même je n'ai été "libéré" qu'après 14 jours de grève de la faim, c’est-à-dire que j'ai été déporté...

Les oppositionnels emprisonnés dans l'isolateur de Verchne-Ouralsk, au nombre de 150 (nous y étions 485, mais on transporta beaucoup d'entre nous dans les autres prisons après quoi nous sommes restés 150) ont déclaré la grève de la faim contre la prolongation des peines, car avant la grève, en été 1932, une commission quelconque avec une certaine Andréïéva en tête, était arrivée de Moscou à Verchne-Ouralsk pour adoucir "la situation matérielle" des communistes emprisonnés. Elle prolongea leur peine à tous ceux qui l'avaient terminée dans l'isolation. 103 camarades reçurent de nouvelles peines de deux ans. C'est la seule chose que fît cette commission pour adoucir "la situation matérielle" des bolchéviks-léninistes emprisonnés dans l'isolateur de Verchne-Ouralsk. Jusqu'alors aucune commission n'était jamais venue. Cette commission, nous l'avions exigée nous-mêmes contre le traitement bestial de l'administration de la prison. On nous frappait souvent, on nous guettait, la garde tirait dans les fenêtres, à la suite de quoi un de nos camarades, Iesaïan, fut blessé à la poitrine. Nous demandâmes la commission, mais selon l'habitude on nous la refusa. Alors 485 communistes emprisonnés déclarèrent la grève de la faim qui dura 18 jours. La commission arriva, dispersa les "emprisonnés actifs" dans les autres isolateurs, et le blessé Iésaïan fut envoyé en Sibérie. C'est ainsi qu'elle "adoucit" notre situation. Et voilà que l'année suivante une nouvelle commission arrive et prolonge nos peines. C'est pourquoi en 1933 nous fûmes obligés de déclarer la grève de la faim de tous les communistes emprisonnés dans l'isolateur de Verchne-Ouralsk contre cette injustice inouïe. Nous commençâmes la grève le 11 décembre 1933. Le 20 décembre on transporta sur les bras les grévistes d'une cellule dans l'autre. Cela, pour perquisitionner dans les cellules. Puis on commença à nous alimenter par la force. Ce fut un spectacle inoubliable; des vraies batailles eurent lieu entre les grévistes et les gardes-chiourmes. Naturellement les premiers furent battus. Épuisés, nous fûmes alimentés par la gorge avec des pompes appropriée. Les tourments furent inouïs, on nous introduisit dans la gorge de gros tuyaux en caoutchouc, on traîna les grévistes comme les chiens crevés dans la "cellule d'alimentation", personne ne capitula séparément. Le 15° jour de la grève notre comité de grève décida de la terminer à midi car beaucoup de grévistes avaient essayé de se suicider. Un des collaborateurs du G.P.Ou. vint chez nous dans l'isolateur du district d'Ouralsk et commença à menacer les grévistes de les envoyer dans les "solovki". Nos camarades le chassèrent naturellement de leurs cellules. La décision du comité de grève fut acceptée par tous les grévistes à l'unanimité. le représentant du G.P.Ou. dût verbalement (il ne voulait pas pour des raisons inconnues le faire par écrit) promettre de libérer ceux qui avaient terminé leur peine. C'est ainsi que le 22 janvier 1934, ma peine se terminant, on me transporta dans la cellule des "libérables".

Le 22 janvier je fus par conséquent "libéré". Sous une garde sévère on m'envoya en Asie Centrale, Nous arrivâmes à Tachkent, nous étions deux, moi et le camarade Jantniev. A Tachkent on nous mit sous les verrous. Le deuxième jour après de nombreuses protestations, on nous envoya sans jugement : Jantniev à Frounzé, moi à Andijan. Et voilà qu'en mars j'envoie le télégramme au C.C. exprimant mon abandon de l'activité oppositionnelle. Deux mois passent sans aucune réponse. J’envoie une lettre spéciale au C.C. Encore deux mois sans réponse. Dans le télégramme comme dans la lettre je ne disais rien de mes opinions. Mes opinions et ma position, je ne les considérais pas comme "contre-révolutionnaires", mais je soulignais ma renonciation à la lutte idéologique et organisationnelle contre la direction. En un mot, d'après mes lettres au C.C. et à la G.P.Ou., on pouvait conclure que la direction sous la pression de l'opposition n'avait pas trahi la révolution et même dans certains cas avait réparé ses fautes. Et maintenant, l'important c'était de nettoyer l'appareil du parti du bureaucratisme et avec les forces unies de tous les communistes et les forces révolutionnaires de l'U.R.S.S. et du monde entier, lutter contre l'offensive du fascisme. Il était certainement malaisé pour la Direction bureaucratique de répondre à cette lettre. Aucune réponse de Moscou. Le G.P.Ou. local pendant ce temps m'envoya ses gens qui me posèrent les questions suivantes : "Dites-nous, s'il-vous-plait, considérez-vous vos opinions comme contre-révolutionnai­res ou non ? L'opposition et son activité, les estimez-vous contre-révolu­tionnaires ou non ? Considérez-vous par exemple Trotsky comme le chef de l'avant-garde de la bourgeoisie contre-révolutionnaire ou non ? " En réponse, j'ai développé ma conception de l'opposition ayant à sa tête Trotsky et à mon tour j'ai posé les questions suivantes : "Et vous, cher camarade, selon vous, ces opinions sont contre-révolutionnaires ? Notre travail oppositionnel de 1923 jusqu'en 1930 contre le courant droitier-opportuniste dans le parti, vous le trouvez contre-révolutionnaire ? Pourtant en 1930 le centrisme lui aussi a commencé à lutter contre les droitiers. Alors cette lutte aussi on peut la considérer comme contre-révolutionnaire ? Et en ce qui concerne Trotsky je le considère comme un révolutionnaire intransigeant, le plus dévoué à la cause du prolétariat mondial. Je le considère comme mon ami idéologique et comme mon camarade. Je ne veux pas tromper le parti, je ne peux pas considérer les opinions révolutionnaires de l'opposition comme des opinions contre-révolutionnaires." Mon interlocuteur se tût, la tête penchée. C'était d'ailleurs un bon garçon, qui comprenait. Mais, visiblement, il avait peu entendu les oppositionnels, au contraire, il avait entendu beau­coup de choses sur eux, des sources officielles. La même conversation eut lieu entre moi et un des représentants de la G.P.Ou. locale. J'ai remarqué à cette occasion : "Et que dites-vous sur cette injustice : Me voici depuis six mois en déportation sans aucun jugement après trois ans de prison. En réponse, le sous-chef de la G.P.Ou. sortit du tiroir de la table un papier et me lut un nouveau verdict comportant une peine de 3 ans de déportation. Mais pour une raison inconnue il me refusa de lire moi-même le verdict. C'était naturellement une combinaison habituelle des membres de l'appareil. Ils voulaient m'effrayer, probablement, par une nouvelle condamnation, pour que je commence à calomnier l'opposition. Là, je me suis définitivement convaincu que les misérables membres de l'appareil ont depuis bien longtemps cessé d'être des communistes, que c'est une bande de bureaucrates résolus qui n'arriveront jamais à comprendre la vérité d'une sincère parole révolutionnaire. Ils cherchent consciemment à vous faire mentir. Mais, quand même, je me suis décidé à partir pour Moscou et à parler personnellement avec le sommet de l'appareil pour savoir enfin ce qu'il représente; quelle espèce de gens sont ceux qui parlent de révolution, de socialisme, de communisme et m'obligent à considérer mes opinions purement communistes comme des opinions contre-révolutionnaires. Au mois de mai, j'envoyai un télé­gramme au C.C. demandant l'autorisation de venir à Moscou pour traiter personnellement mon affaire. Cette fois, j'expédiai un télégramme-réponse payée. Vainement - aucune réponse. Mes tentatives pour avoir l'autorisation d'aller à Moscou n'eurent pas de succès. Je décidai, alors, d'y aller sans autorisation. En cours de route, il devint clair qu'à Moscou personne ne m'écouterait et que j'y serais arrêté pour avoir fui de la déportation. Je n'avais aucune autre issue que de traverser la frontière.

Ma renonciation à la lutte oppositionnelle était honnête. Et encore aujourd'hui, j'ai le même point de vue. Depuis 1933, après la victoire du fascisme en Allemagne, j'avais le point de vue de l'union à tout prix de toutes les forces communistes et révolutionnaires du prolétariat mondial contre la réaction fasciste, sans prêter attention aux divergences inté­rieures des organisations prolétariennes, indépendamment de leur importance Ce point de vue, je le défendais aussi parmi mes camarades. Mais à aucun prix je ne voulais me solidariser avec la bureaucratie, comme je l'ai souligné dans ma lettre au C.C. d'avril 1934. Je suis resté toujours et je reste sur la position d'une lutte dure et sans merci contre la bureaucra­tie insolente, qui usurpa les droits de notre parti. Ma lettre sincère et le télégramme au C.C. et à la G.P.Ou. ont été considérés pourtant par la bureaucratie comme un premier pas vers une capitulation honteuse. Le misé­rable bureaucrate a pensé que, fatigué par de longues années de prison et de déportation, loin de mes parents, de ma femme et de mes enfants, je ne pouvais plus résister et que j'allais me mettre à genoux devant la G.P.Ou. en demandant pardon. Le misérable bureaucrate n'avait pas remarqué que dans ma lettre je ne demandais pas un pardon, mais que j'exigeais la restitution de mes droits de membre du parti, le misérable bureaucrate n'avait accordé, semble-t-il, aucune valeur à mes paroles quand je disais : "Je ne peux pas mentir au parti, je ne suis pas un individu quelconque, je suis un révolutionnaire, je ne peux pas servir passivement mon ventre. J'ai été un communiste actif, je le suis et je le serai; personne et rien au monde ne peut m'arracher mes véritables convictions communistes. Je considérais et je considère les opinions de Trotzki et de ses partisans comme des opinions vraiment communistes. Ces opinions sont une continuation directe des opinions de Marx et de Lénine.

Jamais dans ma vie je n'ai vu un fonctionnaire aussi astucieux et cynique que l'adjoint au commandant de la section locale de la G.P.Ou., Margolin, qui après avoir lu mon télégramme au C.C. et à la G.P.Ou. se tournait vers moi en disant : "Que pouvez-vous me raconter à propos de votre organisation ? Qui était le chef du mouvement oppositionnel en Caucase ? Où avez-­vous travaillé directement ? Il faut botter les fesses à ces trotskystes !" Le misérable fonctionnaire se sentit très embarrassé quand il entendit mon refus catégorique. Je disais : "Jusqu'à présent je luttais contre le C.C. et je luttais selon toutes les règles d'une lutte oppositionnelle et je prends mes responsabilités pour cette lutte. Je cesse la lutte oppositionnelle contre la direction non pas pour des causes purement personnelles et égoïstes, mais ayant en vue la nécessité d'une lutte unie de toutes les forces révolutionnaires du prolétariat contre l'offensive de la contre-révolution. Je cesse la lutte non pas parce que je suis d'accord avec les opinions opportunistes du sommet bureaucratique du parti, mais parce que j'espère que le parti saura encore recouvrer ses droits après avoir chassé les insolents usurpateurs."

Mais à qui parles-tu ? La bureaucratie de l'appareil a bien compris naturellement mes lettres et mes télégrammes. Et c'est pourquoi elle n'a pas voulu répondre à mon appel. Je suis resté en déportation sans une nouvelle condamnation. Il était quand-même difficile à l'Etat de condamner un de ses citoyens à une peine quelconque en l'absence d'arguments même faux. La tâche de la bureaucratie du parti consiste seulement dans l'isolation et dans la torture des oppositionnels jusqu'à ce qu'ils deviennent publiquement des chiffons, c'est-à-dire de malheureux sujets apolitiques. Justement le bureaucrate ne veut pas que tu sois un communiste véritable. Il n'a pas besoin de ça, Pour lui c'est nuisible et mortellement dangereux. Le bureaucrate ne veut pas de communistes indépendants, il veut de misérables serviteurs, des égoïstes et des citoyens du dernier ordre. De cela, il a besoin. Il ne veut pas de parti communiste, il ne veut que son nom, pour l'utiliser en vue de ses intentions usurpatrices. Hélas, très souvent la bureaucratie a réalisé ses buts. Beaucoup d'oppositionnels n'ont pas résisté à la sévère et interminable isolation, et ont capitulé. Mais pour moi la bureaucratie s'est trompée. Et dans les prisons, et en déportation et à l'étranger, je suis resté le même, je suis resté communiste. Je suis resté un défenseur dévoué du pouvoir soviétique et de la construction socialiste. Le pays des Soviets c'est mon pays dans le sens socialiste du mot. Sous un autre régime, sous un régime des ennemis du prolétariat, il est étranger pour moi. Je suis toujours prêt jusqu'à la dernière minute de ma vie à lutter pour le pays des Soviets. Serait-il possible que sous un véritable pouvoir prolétarien la lutte contre la bureaucratie, contre les voleurs et brigands qui s'approprient impudemment le bien soviétique et qui sont la cause de la perte de centaines de milliers d'hommes par le froid et par la famine; serait-il possible qu'une lutte ou une simple protestation contre ces misérables soit considérée comme un crime contre-révolutionnaire ? Je luttais pourtant pour une démocratie prolétarienne à l'intérieur du parti, je luttais pour un programme et un statut léninistes dans notre parti, je luttais et je lutterai contre l'autocratie des personnes et des cliques dans l'appareil du parti. Pourtant, selon les statuts de notre parti, les organismes élus du parti, des syndicats et des soviets doivent être changés chaque année de la base jusqu'au sommet. Qu'est-ce qu'on voit aujourd'hui ? Le poste du secrétaire du parti est devenu une espèce de métier. Un certain Kakhiïani par exemple étant pendant 8 ans secrétaire du C.C. géorgien, et le parti finissant par ne plus pouvoir le supporter non seulement comme secrétaire du C.C. de la Georgie, mais même comme membre du parti, - alors notre spécialiste dans le métier de secrétaire général abandonne Tiflis - naturellement sur le bon conseil de l'instance supérieure - et part pour Alma-Ata en qualité encore de secrétaire général du C.C. de Kazakstane. Et Mirzoïane, de même espèce que Kakhiïani, part de Bakou pour Ouralsk en qualité de secrétaire du comité du rayon. Et c'est justement à cause de ça que la direction du parti se considère comme absolument irresponsable devant la masse du parti qui l'a élu. Elle accepte seulement l'instance supérieure dans l'appareil du parti. D'où une servitude honteuse et des cliques impudentes dans les sommets bureaucratiques. Dans une situation pareille la masse du parti ne peut pas avoir confiance dans sa direction. Et en ce qui concerne la masse ouvrière non organisée, elle ne voit que l'appareil du parti et n'a pas confiance du tout dans le parti. D'où une pression administrative sur le parti et sur la classe ouvrière. C'est pourquoi toutes les prisons, les solovki et les lieux de déportations sont à présent remplis par les ouvriers organisés et inorganisés. Sans parler des paysans.

Je ne veux pas entrer dans les détails des divergences entre l'opposition et la direction, mais je trouve qu'il est nécessaire de dire quelques mots sur la question de la lutte contre le bureaucratisme sur laquelle la presse officielle écrit tant et sur laquelle les officiels font tant de bruit - comme s'ils étaient enclins à lutter contre la bureaucratisme. En réalité, essayer de montrer du doigt un bureaucrate - ce qui vous attend, c’est ou bien la prison ou bien la déportation, ou au moins le chômage. Et savez-vous ce que veut dire le chômage dans le régime actuel ? Ça veut dire la ruine complète de la famille du chômeur. Il va dans toutes les entreprises et partout on le refuse bien que partout il y ait du travail. On embauche tout le monde, même les escrocs et les vauriens. Mais un homme qui tient tête à la bureaucratie, on ne l'embauche pas.

Dans les réunions du parti et des ouvriers, une passivité absolue de la part des présents. C'est presque de force qu'on les amène aux réunions. Non seulement les inorganisés mais même les membres du parti vont aux réunions très mécontents. Dans les réunions ne peuvent parler "courageuse­ment" que les perroquets du parti et des syndicats. Ils peuvent courageusement, partout et à tout propos, faire l'éloge de la direction, en premier lieu de Staline et ensuite des autres selon les grades. Après on vote une résolution et on commence à effrayer les présents en appelant contre-révolutionnaires ceux qui oseraient voter contre même un seul point de la résolution. Evidemment, une telle situation fait discréditer l'autorité du pouvoir soviétique et de la révolution. La direction du parti a terrorisé despotiquement tout le parti. Il manque dans le parti cette discipline consciente qui était dans le temps la fierté de notre parti. Dans le parti règne l'esprit militaire, l'exécution mécanique des ordres. D'où on comprend pourquoi dans l'appareil du parti, des syndicats, des soviets tout coquin et tout charlatan et tous les divers individus obscurs - les voleurs du type "civilisé" - sont bien à leur aise et considèrent comme leur devoir patriotique de regarder le bien soviétique comme leur "propre" bien. Et qui les contrôlera ? Qui peut les punir pour le vol du bien du peuple ? Les communistes de la base ? Hélas, ces derniers sont effrayés par les prisons et par les solovki où les communistes et les inorganisés les plus courageux souffrent pendant de longues années sous les verrous et derrière les grilles de fer. Le prolétariat mondial peut-il se taire quand dans le pays des Soviets, lors des fêtes d'Octobre, les communistes emprisonnés étalent derrière les grilles des drapeaux rouges et les gardes-chiourmes les déchirent avec des râteaux ?

Malheureusement je n'ai pas la possibilité de décrire avec plus de détails toutes les saloperies qui ont lieu sous le régime des usurpateurs dans les prisons soviétiques. Je veux vous citer seulement un petit exemple dont j'étais témoin. Dans la prison de Pétropavlovsk, dans une petite cellule d'une surface de 25 m² sont enfermées 35 femmes dont 8 avec des nourrissons. L'air a accès dans la cellule par le judas. Oh, je n'oublierai jamais ces enfants, petits et maigres; je les ai vus par le judas de notre cellule. Ils ont fait la queue dans les bras de leurs mères devant le judas pour avoir une misérable ration d'air frais. Que le prolétariat mondial voie cette tache honteuse sur les figures des garde-chiourmes du régime plé­biscitaire. Serait-il possible qu'il n'y ait pas eu de communistes dans la ville ? Serait-il possible qu'ils ne se soient pas intéressés aux prisons de leur ville où languissaient dans le froid, dans la famine et dans la boue des milliers d'êtres humains ? Serait-il possible qu'il n'y ait pas eu là de procureur ? J'ai honte de prononcer même ce nom ! Si, ils étaient tous là. Dans le même temps a même passé dans cette ville le membre du C.C. , Mikoïane. Son portrait figurait en première page du journal local. Mais Mikoïane c'est un homme de passage, son arrivée peut être seulement la cause de nouvelles arrestations de femmes avec leurs nourrissons. De Mikoïane on peut même ne pas parler. Mais qu'ont fait les communistes locaux ? Rien ! Ils n'ont pas une voix indépendante. Ils n'ont pas le droit de penser. A-t-on arrêté, par exemple, un nourrisson dans les bras d'une ouvrière ou d'une paysanne, alors il est coupable et il doit rester dans une petite cellule avec 35 femmes et dans les bras de sa mère faire la queue devant le judas pour avoir de l'air pour respirer.

La bureaucratie impudente dira que ces paroles sont contre-révolutionnaires. Qu'elle les appelle comme elle le voudra, je dois dire la vérité et rien que la vérité, car la vérité c'est la meilleure arme dans les mains du prolétariat contre ses ennemis. Oh ! si toutes les organisations ouvrières disaient la vérité et rien que la vérité, la victoire du prolétariat mondial sur ses ennemis serait depuis longtemps assurée.

Le 4 août 1935


Notes

[1] L’article 58 du code pénal soviétique est celui qui permettait la répression pour activité "contre-révolutionnaire".

[2] C’est-à-dire le droit de vivre en U.R.S.S. moins ("minus") tous les points les plus importants du pays.


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