1948


Source : "Quatrième Internationale" n° de juin-juillet 1948, "La Révolution prolétarienne" n°740 (mars-avril 2003).

Téléchargement fichier winzip (compressé) : cliquer sur le format de contenu désiré

Format RTF (Microsoft word) Format PDF (Adobe Acrobat)

Thèses du groupe trotskyste palestinien

IV° Internationale

Janvier 1948


  1. La faiblesse de l'impérialisme britannique après la deuxième guerre mondiale, la consolidation de la bour­geoisie indigène dans quelques colonies importantes et le développement de la classe ouvrière ainsi que l'inten­sification de sa lutte sociale et anti-impérialiste ont obligé la Grande-Bretagne à évacuer ses troupes de certaines colonies et à prévoir un réajustement de la défense de l'Empire. D'autre part, la bourgeoisie indi­gène est devenue un agent de la domination impéria­liste indirect plus digne de confiance du fait de la peur grandissante devant la classe ouvrière organisée qui est sortie plus forte que jamais de cette guerre. Particulière­ment dans les colonies - et semi-colonies et dans les régions coloniales où l'impérialisme américain a pénétré comme principale puissance économique, l'impéria­lisme britannique essaie d'assigner une partie des tâches de la défense de l'Empire et de la préparation de la prochaine guerre mondiale à l'impérialisme améri­cain. D'autre part, la Grande-Bretagne cherche à main­tenir autant d'influence économique et d'autorité sur la bourgeoisie indigène qu'il est possible de le faire. C'est ce qui se passe à présent dans le Moyen-Orient. D'une part, l'impérialisme britannique évacue une partie de ses troupes de Palestine et de l'Irak et laisse à l'ONU, c'est-à-dire à l'impérialisme américain, le soin de déci­der le sort de la Palestine et, d'autre part; il incite à la “ guerre sainte ” en Palestine afin de gagner de l'in­fluence politique sur le monde arabe et il s'efforce de s'allier aux États arabes, comme par le traité prévu avec l'Irak qui donnerait à l'impérialisme britannique le maxi­mum de pouvoir possible dans les conditions de domi­nation indirecte. L'antagonisme entre les impérialismes américain et britannique dans cette région se manifeste particulièrement dans la question de savoir de quelle façon chacun d'eux peut obtenir le maximum d'influence directe sur l'économie et la politique indigène tout en y envoyant le plus petit nombre de troupes. La décision de diviser la Palestine appuyée par le États-Unis, appa­remment en opposition à la Grande-Bretagne, a créé la situation suivante dans l'Orient arabe : la Grande-Bre­tagne a obtenu la possibilité de retirer une partie de ses troupes tout en renforçant son prestige dans le monde arabe ; l'Amérique, dont les intérêts pétroliers n'ont pas souffert d'une certaine perte de prestige à cause de liens économiques qui lient la bourgeoisie indigène à l'impérialisme yankee, y a gagné un agent direct, la bourgeoisie sioniste, qui, de ce fait, est devenu complè­tement dépendante du capital américain et de la poli­tique américaine. De plus, l'impérialisme américain a maintenant une justification pour intervenir militairement dans le Moyen-Orient chaque fois que cela lui convien­dra. Tous les deux ont créé une situation de chauvi­nisme grandissant dans laquelle il est devenu possible d'écraser la classe ouvrière arabe et tous les mouve­ments de gauche dans tout l'Orient arabe, et ceci est également dû à cause de l'appui russe au plan impéria­liste de division de la Palestine.
  2. Les féodaux arabes et la bourgeoisie du Moyen-Orient, représentés par la Ligue Arabe, voient dans la bourgeoisie sioniste un concurrent non seulement sur le marché des moyens de consommation du Moyen-Orient (en ce qui concerne l'Égypte) mais également sur le marché des agents impérialistes dans l'Orient arabe. Par sa guerre raciale contre les Juifs de Palestine, la Ligue Arabe veut limiter la zone d'activité des industries juives et prouver à l'impérialisme qu'elle est un facteur qui peut encore mieux le servir que le sionisme. En même temps, elle favorise l'impérialisme dans ses plans sur une grande échelle au Moyen-Orient et elle n'est que trop intéressée à suivre ses ordres en vue d'utiliser cette guerre chauvine pour aviver les sentiments anti­-russes et pour écraser brutalement la classe ouvrière arabe et tous les groupes de gauche. Elle voit dans l'épouvantail sioniste et dans le problème palestinien en général une trop belle occasion pour détourner l'atten­tion des masses opprimées des pays arabes de leurs problèmes sociaux et de l'exploitation impérialiste et indigène et pour exacerber les haines raciales contre les minorités et pour recruter des chômeurs pour “ Gihad ” en Palestine. Dans ces circonstances, l'anta­gonisme traditionnel entre les deux cliques de la Ligue Arabe - la famille Hachémite britannique d'une part et le bloc américain du roi du pétrole de l'Arabie, de l'Égypte et du régime actuel en Syrie d'autre part - se manifeste dans leur compétition pour l'intervention la plus extrême et la plus active en Palestine afin d'être sur place, d'y créer un fait accompli et de rassembler le butin dès qu'il sera nécessaire de se conformer aux décisions finales de l'impérialisme.
  3. Les féodaux arabes de Palestine, sachant que dans une telle guerre raciale ils sont les dirigeants naturels, veulent reconquérir de cette façon leur autorité sur la population arabe de Palestine, autorité qui avait été affaiblie par le développement, durant la guerre, de la jeune bourgeoisie des villes du littoral et par la crois­sance et l'organisation de la classe ouvrière arabe de Palestine. L'appui direct que l'impérialisme britannique a accordé à des dirigeants féodaux, contre tout autre facteur arabe (rapatriement des Husseinis, reconnais­sance du Haut Comité arabe imposé par lui-même, etc.) - tout cela parce que l'impérialisme anglais était inté­ressé à voir la direction arabe la plus réactionnaire et chauvine - a permis à ces féodaux d'imprégner, dès le début, leur propre caractère aux événements actuels. Alors que la révolte de 1936 avait commencé par une grève générale et s'était concentrée au début dans les villes, cette fois-ci le principal aspect de l'activité a été dès le début une action militaire de bandes de guérillas rurales. Alors qu'en 1936-1939 une grande partie des “ combats ” a été menée contre les troupes britan­niques (même si le but principal était dirigé contre les Juifs), cette fois-ci ce sont principalement les Juifs qui sont attaqués tandis que les fonctionnaires de l'impéria­lisme britannique ainsi que les officiers et les soldats sont traités amicalement ou tout au plus accusés de ne pas tenir la “ neutralité ” promise. C'est ainsi qu'ils ont réussi à créer une atmosphère de chauvinisme extrême dans laquelle une provocation peut entraîner un mas­sacre massif des ouvriers juifs comme dans les raffine­ries de Haïfa de la part des sections arriérées de leurs compagnons ouvriers arabes (quelques-uns des ouvriers arabes les plus avancés ne participèrent pas à cette action et d'autres sauvèrent les Juifs), et où il n'y a plus de lutte gréviste commune entre ouvriers juifs et arabes pour les mêmes revendications, mais au contraire où ces luttes sont menées séparément pour l'introduction de mesures de sécurité contre des attaques éventuelles. La séparation entre ouvriers arabes et juifs et la séparation entre la classe ouvrière arabe des villes les plus avancées et de leur hinterland - les pauvres des campagnes - (l'un des principaux buts de la division) sont accomplies par la prétendue lutte des dirigeants féodaux arabes contre la division. La bourgeoisie arabe, dans la mesure où elle existe - en Palestine en tant que classe indépendante (proprié­taires de plantations de citrons et éléments urbains des villes du littoral - les adeptes de Muss el Alami) veut l'ordre et la sécurité dans l'intérêt des affaires, mais sa garde nationale, au cours des attaques chauvines de masse, est de moins en moins importante en compa­raison des guérillas à direction féodale.
  4. Le sionisme qui semble être au zénith de ses succès diplomatiques, a réussi à aider l'impérialisme à créer une situation dans laquelle les masses juives doivent apprendre ce que veut dire être le bouc émissaire de l'impérialisme. La guerre civile actuelle, qui exacerbe à l'extrême le chauvinisme dans les masses juives est elle-même en partie la conséquence du chauvinisme sioniste qui a accompagné l'établissement d'une écono­mie juive fermée. Si l'impérialisme a réussi à détourner de lui le mécontentement des masses arabes dans le Moyen-Orient et à le diriger contre la population juive de Palestine, la conséquence inévitable de cette guerre sera la dépendance totale du sionisme envers l'impéria­lisme américain.
  5. Dans ces circonstances, le recul de l'influence des organisations ouvrières arabes est évident. Après être parvenues à devenir un facteur important dans la vie politique arabe, elles sont aujourd'hui presque paraly­sées. Nous ne pouvons pas non plus nous attendre à ce qu'elles regagnent cette position dans le proche avenir, et ce pour les raisons suivantes :
    1. La vague d'écrasement des organisations de gauche et de la classe ouvrière dans l'orient arabe est survenue avant que celles-ci soient suffisamment fortes pour se défendre et pour maintenir leur position. Si cela a été le cas dans les centres de la classe ouvrière arabe, parti­culièrement en Égypte, il n'y aucun doute que cela influence la classe ouvrière plus arriérée de Palestine.
    2. Dans le proche avenir, il faut s'attendre à un déclin numérique de la classe ouvrière arabe en Palestine, premièrement à cause de la diminution du travail pour l'armée et deuxièmement à cause des arrêts de travail causés par les événements. Le chômage parmi les ouvriers arabes ne menacera pas seulement les conquêtes limitées des dernières années, mais créera un terrain fertile au chauvinisme et favorisera le recrute­ment des bandes à direction féodale.
    3. Les staliniens arabes ont perdu une partie de leur influence politique et organisationnelle parce que les masses les considéraient comme les représentants de la Russie qui a trahi les masses arabes en favorisant la division de l'État juif.
    4. Le chauvinisme grandissant des ouvriers juifs, l'appui ouvert du partage par les sionistes de “gauche” y compris les staliniens juifs, sont également reflétés parmi les ouvriers arabes et constituent un autre facteur qui les jette dans les bras de la réaction féodale. D'autre part la composition sociale de la classe ouvrière arabe est aujourd'hui beaucoup plus progressive qu'elle ne l'était au début de la révolte de 1936-1939. Alors qu'à cette époque les ouvriers agricoles, les employés de commerce, etc. constituaient plus de la moitié de la classe ouvrière arabe, aujourd'hui près des trois quarts des ouvriers arabes sont employés sur les chantiers gouvernementaux, dans les compagnies pétrolières et autres établissements industriels. Après la période de réaction et de recul, le point de départ sera à un niveau plus élevé qu'en 1939.
  6. Si, dans le passé, l'activité politique du parti révolu­tionnaire parmi les ouvriers juifs a été difficile à cause de la position privilégiée de ceux-ci dans l'économie fer­mée des Juifs, elle le sera d'autant plus aujourd'hui que cette position a été soutenue non seulement par l'impé­rialisme américain mais encore par la Russie. Le tour­nant des staliniens juifs devenus les adeptes les plus enthousiastes de la division de la Palestine et de la création de l'Etat juif, limite encore les points de contact qui auraient pu être utilisés par le parti révolutionnaire comme point de départ pour son activité parmi les ouvriers juifs. D'autre part, l'influence accrue de la réac­tion féodale arabe s'exprime par un chauvinisme accru du côté juif. Une certaine perspective de notre travail consiste dans la possibilité de gagner individuellement des staliniens qui sont demeurés fermement opposés à la division et qui peuvent par conséquent admettre la trahison de la Russie stalinienne.
  7. L'analyse précédente montre que dans le proche avenir (les prochains mois) on ne peut pas s'attendre à des actions sur une grande échelle de la part des ouvriers arabes, encore moins d'actions communes entre ouvriers arabes et juifs. Avant que ne se fasse sentir la lassitude provoquée par la détérioration de la situation économique et par l'effusion de sang et qui sera le point de départ d'une nouvelle montée révolu­tionnaire, il est très probable qu'il y aura un renforce­ment du chauvinisme et des massacres sur une grande échelle. Dans le proche avenir, notre travail sera limité essentiellement au maintien des liaisons entre les ca­marades arabes et juifs, à renforcer les cadres, particu­lièrement du côté arabe, comme base pour une activité révolutionnaire dans l'avenir. Nous devons expliquer patiemment aux couches les plus avancées du proléta­riat arabe et à l'intelligentsia que les actions militaires raciales ne font qu'agrandir le fossé entre les Juifs et les Arabes et conduisent ainsi pratiquement à la division politique ; que le facteur fondamental et que la cause principale de la division c'est l'impérialisme ; que les combats actuels ne font que renforcer i'impérialisme ; que grâce à la direction bourgeoise et féodale des pays arabes - qui est l'agent de l'impérialisme - nous avons été battus à une étape de la lutte anti-impérialiste et que nous devons nous préparer pour la victoire à une pro­chaine étape - c'est-à-dire pour l'unification de la Pales­tine et de l'Orient arabe en général - en créant la seule force qui puisse parvenir à ces buts : le parti prolétarien révolutionnaire unifié de l'Orient arabe. Notre succès dépendra en très grande partie de la consolidation, entre temps, des forces communistes révolutionnaires en Egypte.

Haïfa, janvier 1948


Archives IV° Internationale
Sommaire Début de page
Archive Trotsky