1943

LA LUTTE de CLASSES  – n° 19
Prolétaires de tous les pays, unissez-vous !
Organe du Groupe Communiste (IVème Internationale)


LA LUTTE de CLASSES  –  n° 19

Barta

07 novembre 1943


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Aucune mascarade stalinienne ne pourra faire oublier que l'URSS est née de la Révolution prolétarienne ! Vive le 26ème anniversaire de la Révolution d'octobre sous le signe de l'internationalisme ouvrier !


LA CONFERENCE DE MOSCOU

Quand il se noie, l'homme s'accroche même à une paille. Mais le pacte signé par les trois puissances à la conférence de Moscou et qui suscite tant d'espoirs chez les travailleurs, n'est qu'un piège dans lequel les ouvriers doivent bien se garder de tomber.

Sur la signification des pactes en général subsiste-t-il encore des illusions parmi les travailleurs ? Oui, car elles sont constamment semées par ceux-là mêmes qui se réclament du socialisme, du communisme, et de la défense des droits des travailleurs.

Cependant, que nous montre l'expérience la plus récente ? En 1935, la France signe le pacte franco-russe pour isoler l'Allemagne. En septembre 1938, à Munich, c'est la France et l'Allemagne, de compagnie avec l'Angleterre et l'Italie, qui signent le pacte à quatre contre l'URSS. Quelques semaines après Ribbentrop signe à Paris une convention de 25 ans de paix entre la France et l'Allemagne. Mais en septembre 1939, la guerre éclate entre la France et l'Allemagne. En juin 1941, la guerre éclate entre l'Allemagne et l'URSS, unies elles aussi par un pacte solennel ! Enfin, en juillet 1943, le peuple italien réclame la paix : le nouveau gouvernement capitaliste italien (Badoglio) signe un armistice... pour engager l'Italie dans la guerre contre l'Allemagne.

Il est donc clair que dans un monde capitaliste, tout pacte "durable" est plus fragile qu'un château de cartes et tout traité "de paix" n'est qu'un instrument de guerre aux mains des capitalistes qui l'ont signé. Le pacte ne crée rien en lui-même. Il ne fait que consacrer un "rapport de forces", un équilibre instable entre les puissances signataires. Mais les forces de celles-ci se modifient, l'équilibre se rompt, l'ancien pacte est violé. On en signe un nouveau, bientôt violé à son tour.

Cette instabilité politique est le reflet de l'anarchie capitaliste dans l'ordre économique, anarchie qui provoque de perpétuelles modifications dans les relations sociales, dans les relations entre les nations, dans le rapport de forces entre les puissances impérialistes. C'est ainsi que dans le monde capitaliste, l'ennemi d'hier est l'allié d'aujourd'hui et l'allié d'aujourd'hui, l'ennemi de demain.


L'histoire de la diplomatie n'est qu'une longue suite de mensonges et de trahisons ; à l'époque impérialiste, la diplomatie est aussi devenue un des plus puissants moyens de tromper les peuples, soit pour les rendre complices de leurs gouvernements, soit pour les maintenir, passifs et dupés, dans l'attente de "grands événements" qui changeraient leur situation en dehors de leur propre action.

Tel a été le but de la conférence de Moscou. Ces messieurs les diplomates se sont rencontrés pour une grandiose mise en scène destinée à susciter des mirages et à provoquer un nouvel élan en faveur de la cause "alliée" de la part de tous les exploités et opprimés écrasés par quatre années de conflit et désespérant de tout

La chose capitale pour tous les exploités et opprimés du monde entier c'est la fin de la guerre. Aussi les ministres réunis à Moscou affirment-ils avoir pris toutes les mesures aptes à raccourcir le conflit. Raccourcir la guerre, en Europe, c'est-à-dire vaincre militairement l'Allemagne par une intervention puissante de toutes les forces alliées, signifie, comme le montre l'exemple de l'Italie, la dévastation du continent : la guerre sera effectivement raccourcie, en Europe, dans la mesure où le continent sera ravagé.

Mais l'effondrement militaire de l'Allemagne signifie-t-il la paix, le retour à la "vie normale" (et cela, en régime capitaliste, avec une économie dévastée, comporte le chômage, les crises, les faillites, les troubles sociaux, la misère pour les grandes masses) ? Les peuples peuvent-ils espérer qu'au moins leur sang ne sera pas versé ?

Non ! Tout d'abord l'effondrement de l'Allemagne poserait la question, fondamentale pour les alliés, du régime de propriété en URSS. Pour ouvrir l'URSS à l'exploitation capitaliste et pour se partager la dépouille de l'Europe, Churchill et Roosevelt n'hésiteraient pas, dans des circonstances favorables, de régler son sort à l'Union Soviétique, actuellement victorieuse, mais qui saigne par tant de blessures !

Ensuite, en admettant même que l'équilibre envisagé à Moscou soit valable après la défaite de l'impérialisme allemand, la continuation du conflit en Extrême-Orient, lequel englobe, avec les Indes, plus d'un milliard d'hommes, changera obligatoirement le rapport de forces mondial entre les partenaires de Moscou et rendra de toute façon caduque leur entente d'aujourd'hui.

Dans ces conditions, l'effondrement de l'Allemagne dans un monde capitaliste déchiré par de terribles rivalités économiques et politiques, ne peut être qu'un épisode de paix conduisant à de nouvelles guerres.

En réalité, l'entente de Moscou, basée sur le rapport de forces actuel, sur les circonstances sociales et politiques actuelles, est appelée, dans un monde où les changements sociaux et politiques sont brusques, puissants et bouleversent tout, à jouer le même rôle misérable que tous les précédents accords entre gouvernements : franchir l'étape présente du conflit dans un sens déterminé avec des partenaires déterminés, et tromper ignominieusement les peuples.

Passons aux artifices de la tromperie. En entendant les solutions proposées par la Conférence de Moscou concernant "l'après-guerre", on se croirait en 1919 quand fut élaboré le traité de Versailles et non pas en 1943, après quatre ans du deuxième conflit mondial, que le traité de Versailles se proposait d'empêcher à tout jamais : "désarmement des puissances ennemies, démembrement de l'Allemagne (indépendance de l'Autriche), sécurité collective, limitation des armements" ! Mais la Société des Nations avait déjà essayé de réaliser la "sécurité collective" (impérialiste). Le traité de Versailles avait stipulé qu'après le désarmement de l'Allemagne il serait procédé à une réduction générale des armements (fardeau sous lequel ploient les peuples en temps de paix). Cette conférence se réunit en 1927 et après six ans de parlottes elle dut quitter le devant de la scène d'où elle avait amusé pendant si longtemps les peuples, et découvrir brutalement les fiévreux travaux de réarmement entrepris par tous les pays derrière les conférences, sous-conférences, discussions techniques et plans humanitaires. L'ère de la course aux armements était ouverte et elle mena au deuxième conflit impérialiste mondial.

D'autres mensonges, comme le "rétablissement de la démocratie en Italie" (par ceux-là même qui l'ont laissé assassiner en Espagne), la "coopération et l'égalité internationale de toutes les puissances amies des libertés" (sic), ne méritent même pas de commentaires dans un journal ouvrier. Si des balivernes pareilles devaient encore trouver crédit parmi les travailleurs conscients, il faudrait vraiment désespérer de l'avenir socialiste de l'humanité.


Mais c'est la participation de l'URSS à la conférence, nous dira un enthousiaste de la politique stalinienne, qui lui donne un sens spécial et qui est une garantie pour les peuples engagés dans le conflit.

Une garantie pour les peuples ? Mais toute la politique de Staline surtout depuis le pacte Laval-Staline (1935), est une garantie pour la bourgeoisie et non pas pour les exploités. Staline a payé le pacte franco-soviétique par la reconnaissance de la "défense nationale" française (soumission du prolétariat à la bourgeoisie pendant la guerre). Il a payé le pacte germano-russe de 1939 par l'agitation en faveur de la paix impérialiste avec Hitler (lettre des députés communistes à Herriot). L'actuelle rencontre de Moscou a été préparée par le désaveu public de l'Internationale (détruite en fait depuis longtemps). A l'intérieur, Staline a rétabli le corps des officiers, avec ses prérogatives de caste et le privilège de l'Eglise orthodoxe.

Qu'un gouvernement ouvrier soit obligé de s'entendre avec les capitalistes, cela peut arriver. Mais participer à leurs tromperies, tenir le même langage qu'eux, instaurer les mêmes procédés de diplomatie secrète et de bourrage de crâne, cela ne peut être que le fait d'une bureaucratie ouvrière pourrie et contre-révolutionnaire. Toute la politique de celle-ci vise à écarter le prolétariat de la vie politique, alors que ce n'est que le prolétariat qui peut sauver l'URSS par la Révolution socialiste, et la Révolution socialiste c'est justement l'irruption des masses sur la scène politique.

Les ouvriers conscients ne se font pas d'illusions sur la conférence de Moscou. Le sort de l'URSS et des ouvriers de tous les pays sera en définitive réglé non par des marchandages secrets (secrets pour les exploités), mais par les victoires de l'Armée Rouge et des prolétaires d'Europe sur leurs propres exploiteurs. Cette victoire sera proche le jour où les exploités, cessant de lier leur sort aux fronts capitalistes qui séparent les ouvriers de tous les pays, opposeront à la bourgeoisie le front mondial uni de tous les travailleurs.


PROPOS DE L'OUVRIER...

Depuis que la guerre a commencé, ça va de mal en pis pour la classe ouvrière. Nos souffrances n'ont fait que s'accroître et elles ne sont pas prêtes de finir. Les emprisonnements, les camps de concentration, la peine de mort sous Daladier et Reynaud, les bombardements, la faim, les déportations et les fusillades sous l'occupation, rien ne nous a été épargné.

Les patrons, eux, continuent de prospérer. De la "défense de la patrie" à la "défense de l'ordre nouveau", les bénéfices n'ont fait que s'accroître et leur source, la guerre, n'est pas prête de tarir. Et tandis que les marchands de canons, banquiers, industriels, grossistes et profiteurs occasionnels de guerre prospèrent au sommet, en bas, chez nous, la misère s'installe de plus en plus, les salaires sont très bas. La déportation a arraché de leurs foyers des centaines de milliers d'entre nous. Quoi d'étonnant que cela suscite une colère de plus en plus grande... Quoi d'étonnant que les agents du patronat payent de temps à autre de leur vie pour avoir exécuté la volonté criminelle des capitalistes.

Mais nous savons bien que les représailles exercées sur les chiens de garde du capital, tout en donnant à réfléchir à certains d'entre eux, ne sauraient changer en rien la situation sans précédent de la classe ouvrière. Nous savons, par une longue expérience ouvrière, que seule une transformation du rapport de forces entre le prolétariat et le patronat peut améliorer notre situation. Or, changer ce rapport de forces, ne peut le faire que l'activité organisée de la classe ouvrière, qui met en danger la domination même de la classe capitaliste, sa situation privilégiée dans la société. Les instruments de l'activité organisée de la classe ouvrière, ce sont ses syndicats, sa presse, ses comités, son parti. Et les patrons ont bien montré dans leurs attaques contre les ouvriers, dans leur "charte du travail", que c'est bien l'activité consciente et organisée qu'ils craignent le plus. L'organisation permet à la classe ouvrière d'avoir un plan concerté et d'agir en masse. Or nous savons tous que c'est l'action de masse, par la grève, qui contraint le patron à hausser les salaires ; c'est l'action de masse qui peut empêcher les déportations et organiser la solidarité. Et c'est encore l'action de masse, par l'armement du prolétariat, qui peut imposer aux bourgeois les droits ouvriers de réunion, de presse, de grève.

En tant que classe opprimée qui lutte pour son émancipation complète, les ouvriers ne peuvent pas non plus prendre la moindre responsabilité morale pour des actes qui s'accomplissent complètement en dehors de leur contrôle et dans lesquels tant d'éléments douteux, dont fourmille actuellement la société dirigée par les capitalistes, peuvent souvent trouver une occasion de vengeance ou de bénéfice personnel.

Au contraire, par la reprise de notre activité de masse, nous devons donner aux éléments courageux du prolétariat qui, consciemment ou non se sont écartés de l'action de classe pour s'engager dans l'action individuelle, la possibilité de reprendre dans nos rangs une lutte pour des tâches grandioses.

Il n'y a aucun espoir à attendre d'un autre côté : tôt ou tard il faudra reprendre la lutte. Plus tôt nous nous y mettrons, mieux ce sera.


Les nouvelles d'Alger sont bonnes, nous disent les agents de De Gaulle et Cie. Voilà que les syndicats ouvriers se reconstituent : c'est de là que doit venir la liberté tant désirée par les travailleurs.

Et ça ne manque pas son petit effet. Mais à la réflexion on en est moins enthousiaste.

Les syndicats sont appelés à défendre et à améliorer les conditions économiques des travailleurs. Pour qu'ils remplissent ce rôle, il faut donc qu'ils soient ouverts à tous les travailleurs, sans aucune distinction de couleur politique, de race ou de religion. Or, en Afrique du Nord, il y a des millions de travailleurs (indigènes) et seule une petite minorité privilégiée de travailleurs blancs participe à la vie syndicale. D'autre part, les syndicats autorisés en Afrique du Nord doivent appuyer la politique guerrière de De Gaulle, tout comme les syndicats de 1939-1940 devaient appuyer Daladier. Nous savons que dans ces conditions, le syndicat est beaucoup plus un instrument entre les mains de la bourgeoisie, qu'un moyen de défense économique aux mains du prolétariat.

Les alliés promettent de restaurer les libertés dans les pays asservis par l'impérialisme allemand. Mais aux Etats-Unis, une législation scélérate a enlevé aux syndicats tout moyen légal de déclencher une grève, et ces jours-ci encore 530.000 grévistes mineurs ont reçu l'ordre de reprendre le travail, sous peine de l'intervention de l'armée.


En Amérique, 530.000 mineurs se sont mis en grève pour une augmentation des salaires et des congés. Avec l'appareil de production le plus puissant du monde et sans subir de bombardements, la bourgeoisie américaine n'est pas capable d'assurer une vie normale, sans conflits, à ses propres travailleurs. Bien au contraire, on dresse dès maintenant les statistiques des ouvriers que le chômage attend après la cessation du conflit impérialiste. Les Etats-Unis, qui comptaient 13.000.000 de chômeurs avant le présent conflit, ne pensent pas pouvoir réduire ce nombre à moins de 10.000.000 après la victoire (c'est-à-dire, malgré les souffrances infligées aux autres peuples).

En même temps, aux Indes, des millions d'hommes meurent de faim : la radio de Londres est obligée d'en faire l'aveu...

Et ce sont ces capitalistes, enrichis sur le dos des peuples, qui doivent ramener la prospérité sur le continent européen dévasté ? Si les méthodes capitalistes sont les plus excellentes pour le pillage, elles sont impuissantes contre la misère. Il est grand temps que le prolétariat lève son poing de fer et abatte la domination de la bourgeoisie, pour reconstruire l'économie européenne selon les méthodes de l'économie planifiée, dont l'URSS nous a prouvé la valeur.


2 Novembre. Morts pour la France ? Morts pour l'Allemagne ? Morts pour l'Angleterre ? Morts pour l'Italie ? Morts pour les "patries" ? NON. MORTS POUR LES CAPITALISTES !


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