1944

LA LUTTE de CLASSES  – n° 32
Prolétaires de tous les pays, unissez-vous !
Organe du Groupe Communiste (IVème Internationale)


LA LUTTE de CLASSES  – n° 32

Barta

8 juillet 1944


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NOTRE DRAPEAU

Depuis des mois, la principale préoccupation de Vichy est de prêcher : "N'ajoutez pas aux horreurs de la guerre étrangère les horreurs encore plus terribles de la guerre civile"...

En quoi les horreurs de la guerre civile peuvent-elles être plus terribles que celles de la guerre impérialiste ; pourquoi la bourgeoisie s'exprime-t-elle avec tant d'horreur à son égard ? C'est que la guerre impérialiste ("étrangère" !) est la guerre de la bourgeoisie qui la mène avec la peau des travailleurs ; c'est une guerre qui lui rapporte, tandis que la guerre civile est la guerre menée par les masses exploitées contre la bourgeoisie : voilà le "mystère" de l'eau bénite de l'entente civile répandue par les bourreaux et les assassins de Vichy, qui tous les jours emprisonnent et tuent avec une sauvagerie inouïe des dizaines de militants ouvriers.

Comme ces prêches d'assassins ne trompent personne, Vichy sème habilement la confusion au sujet de la guerre civile en la présentant comme une série de coups de main et d'assassinats opérés par des bandes spécialisées. C'est ainsi que Laval, la Milice et les bandes fascistes ont saisi l'occasion de l'assassinat de Philippe Henriot pour renforcer leur propagande en proclamant : "on reconnaît là la méthode de la guerre civile".

Mais ce n'est là qu'un grossier piège vichyssois : l'assassinat de Philippe Henriot au profit des Henriot d'Alger et de Londres n'a rien de commun avec la guerre civile ; c'est la suppression d'un bourreur de crânes, valet d'un camp impérialiste, au profit des valets du camp impérialiste adverse ; c'est un épisode de la lutte entre deux clans politiques rivaux, lutte qui est une conséquence de la guerre impérialiste.

La guerre civile de la classe ouvrière contre la guerre impérialiste a pour but non pas la suppression de "personnalités" bourgeoises, mais la suppression de la domination politique et économique de la classe bourgeoise. Et il est évident qu'un tel but ne peut être atteint que par un seul moyen, par une seule méthode, celle de la lutte armée des masses ORGANISEES, soudées par la claire compréhension de leur tâche historique, l'édification de la société socialiste.

Mais si Vichy s'acharne à semer la confusion en présentant cette lutte entre cliques bourgeoises comme la "guerre civile", c'est aussi pour d'autres raisons. Il s'agit d'une part d'effrayer certaines couches moyennes en présentant la décomposition actuelle de la société comme provoquée par l'"anarchie", et d'autre part de prendre prétexte de cette "guerre civile" pour justifier SON PROPRE TERRORISME contre les masses ; car n'oublions pas que pour chaque canaille de Vichy qui tombe, une répression terrible s'abat sur les militants ouvriers pris comme otages.

Mais l'anarchie est le propre de l'économie bourgeoise en décadence et c'est cette anarchie économique qui engendre précisément dans les relations politiques le règne des complots et des assassinats destinés, non pas à changer le régime, mais à permettre à tel ou tel groupe capitaliste de se maintenir au détriment de l'autre. Au contraire, la guerre civile de la classe ouvrière contre la bourgeoisie met fin à l'anarchie et à la décomposition de la société capitaliste et, par la dictature du prolétariat (gouvernement des travailleurs en armes) ELLE INSTAURE UNE ORGANISATION SOCIALE NOUVELLE ET HARMONIEUSE.

La crise actuelle est précisément due à l'absence de la guerre civile : c'est parce que les masses restent passives et impuissantes que les gangsters politiques de la bourgeoisie peuvent occuper le devant de la scène et entraîner la société entière dans l'impasse de la guerre impérialiste, du meurtre et de l'infamie.


C'est seulement quand des millions et des millions d'opprimés feront irruption dans l'arène politique où se décide leur sort, quand commencera la véritable guerre civile des travailleurs que seront balayés les organes politiques pourris de la bourgeoisie qui ont gangrené la France ; c'est seulement LE JOUR OU NOUS LEVERONS LE DRAPEAU ROUGE DE LA LUTTE PROLETARIENNE que le spectacle rude mais grandiose de la lutte des travailleurs pour le socialisme régénérera entièrement la société en la conduisant hors du régime capitaliste.

La classe ouvrière française, qui assiste avec un dégoût toujours croissant au spectacle que lui impose la bourgeoisie pourrie, prend de plus en plus conscience du rôle historique sans précédent qui lui incombe : sauver, en alliance avec les travailleurs des autres pays, la civilisation humaine qui sombre.

Et le jour n'est pas éloigné où elle lèvera contre la bourgeoisie LE DRAPEAU DE LA GUERRE CIVILE !


SUBIRONS-NOUS LA FAMINE ?

Depuis le débarquement en France, la situation des populations laborieuses et pauvres a brusquement empiré dans une mesure extraordinaire.

Quand depuis des mois et des mois nous subissions des restrictions, le gouvernement nous expliquait qu'on constituait des stocks et des réserves pour les temps plus difficiles. Ces temps sont arrivés, mais les dirigeants avouent que nous sommes menacés de famine. Et de tout ce qui arrive encore en fait de ravitaillement dans un centre urbain comme Paris, rien ne parvient au consommateur pauvre. La nuée des répartiteurs, des spéculateurs, des trafiquants est là pour empêcher que ce qui reste encore après les réquisitions arrive jusqu'au consommateur travailleur. Contre cet état de choses les dirigeants sont impuissants, car les spéculateurs, les répartiteurs, les trafiquants CE SONT EUX. Et c'est pour la même raison qu'ils sont impuissants devant les effets des bombardements, des dévastations, des exodes. Depuis quatre semaines que dure la dévastation de la Normandie, ils en sont encore à faire des conférences sur la manière de soulager les "malheureuses populations". Ils ne veulent pas recourir à des mesures radicales, réquisitionner tous les stocks existants, qu'eux et leurs semblables dilapident, pour les répartir à la population pauvre ; de même qu'ils en sont toujours au recensement des locaux publics ou vides, qui ne seront mis à la disposition des sinistrés que le jour où ils s'y installeront d'eux-mêmes.

Au-dessus de tous les soucis concernant les souffrances des masses, les dirigeants ont leurs propres soucis, celui de se maintenir en place, celui de maintenir "l'ordre", d'exercer la répression et de sauver leurs privilèges.

Quant aux alliés dont l'arrivée devait nous sauver par LEURS stocks, ils sont maintenant les premiers à faire appel A NOS PAYSANS (Radio-Londres) pour nous éviter la famine, et ont eux-mêmes besoin de pratiquer la réquisition – directe et indirecte (monnaie militaire) – tout comme l'armée allemande. Mais si on en vient toujours aux paysans, donc aux ressources propres DU PAYS, il est inévitable que le même système (réquisitions, inflations, taxes, "répartiteurs", intermédiaires) donne, dans un pays appauvri, le même résultat, c'est-à-dire LA FAMINE.

Actuellement, devant la misère qui nous étreint, on nous demande d'avoir de la patience, c'est-à-dire de nous laisser exterminer, ou de nous réfugier à la campagne, ce qui n'est possible qu'à une petite minorité. Mais la classe ouvrière pour se défendre doit employer d'autres méthodes plus intelligentes, plus énergiques, plus efficaces pour se sauver et pour obliger les dirigeants à cesser leur trafic sur la famine des masses.

Nous devons, pour commencer, agir COLLECTIVEMENT. En pratiquant la solidarité, en organisant des départs EN GROUPE à la campagne, il est plus facile d'exiger des moyens de transport pour le ravitaillement (moyens appartenant à des cantines ou coopératives), d'établir des contacts directs avec les paysans et d'obtenir des résultats. Devant la situation désastreuse, les patrons eux-mêmes envisagent la création de commissions inter-usines pour la mise en commun des ressources de ravitaillement. Commissions formées par qui ? Par ceux qui, à la solde du patron, et non contrôlés par les ouvriers, s'en sont occupés jusqu'à présent ? Les ouvriers doivent se mêler de cette affaire, se grouper pour exiger LEUR contrôle sur ces commissions, ainsi que le contrôle des cantines et des coopératives. Pour rendre l'action efficace, il faut obtenir l'admission de tous les ouvriers, même de ceux momentanément mis à pied ou sur des chantiers, à la coopérative de l'usine. Sur le plan de l'usine et sur le plan du quartier il faut se grouper pour exiger la distribution des stocks de vivres, le contrôle sur le ravitaillement qui passe par les trafiquants et les "répartiteurs".

Dans tous les domaines, la solidarité et l'organisation de la classe ouvrière doivent servir d'exemple et entraîner toutes les couches pauvres dans la seule voie qui peut nous éviter la famine : LA LIAISON ENTRE LA VILLE ET LA CAMPAGNE ET LE CONTROLE DU RAVITAILLEMENT par les COMITES D'OUVRIERS ET DE MENAGERES.


14 JUILLET

14 juillet, anniversaire de la prise de la Bastille. La féodalité pourrie jusqu'à la moëlle des os n'est plus capable d'assurer la continuité historique de la société. La bourgeoisie, jeune classe issue de la féodalité, la renverse et en s'émancipant conduit la société à un stade plus avancé de la civilisation (essor économique et culturel grandiose).

Cependant, aujourd'hui la bourgeoisie est également pourrie, elle n'est plus un facteur de développement de la société mais est au contraire devenue un frein à ce développement et, par ses contradictions sans cesse accrues, mène la société à sa ruine. Mais de même que la féodalité avait enfanté la bourgeoisie, la bourgeoisie a produit une nouvelle classe : le prolétariat qui, lui, doit prendre en mains les destinées de la société pour lui assurer un nouveau et définitif essor économique et culturel. Depuis longtemps les conditions économiques sont mûres pour la prise du pouvoir par le prolétariat. La tâche du prolétariat est de renverser les bastilles de la bourgeoisie.

Les travailleurs ne fêtent pas le 14 juillet, symbole de la domination bourgeoise. Ils luttent pour préparer l'Octobre rouge des travailleurs de France.


GREVE GENERALE A COPENHAGUE

Une grève générale vient d'avoir lieu à Copenhague (au Danemark), et les autorités d'occupation ont dû reculer dans leurs plans de main-mise et d'oppression accrue sur la vie politique et publique du pays.

Ainsi, une grève générale ouvrière bien conduite et répondant strictement aux intérêts de toutes les masses travailleuses (et non pas en vue de participer à la guerre dans le camp impérialiste adverse) met l'Etat-major de l'armée d'occupation dans la nécessité de reculer, de revenir sur les mesures envisagées et de faire des concessions.

Quelle leçon pour nous, travailleurs. Quel démenti infligé à ceux qui disent : "il n'y a rien à faire" (autrement dit, laissons la guerre finir d'elle-même et nous massacrer tous) et à ceux qui veulent nous convaincre que seule la lutte de francs-tireurs peut nous "libérer". Chaque travailleur se convaincra de plus en plus que seule l'action ouvrière pour des buts prolétariens est efficace, quels que soient les sacrifices qu'elle impose, car ces sacrifices sont les seuls à être fructueux pour les masses laborieuses.


L'ARMEE PERMANENTE ET L'ARMEE POPULAIRE

Parce que le maquis est composé en grande partie d'ouvriers et de paysans qui n'ont pas voulu partir en Allemagne, et parce qu'il est en lutte contre Vichy et l'armée allemande, on voudrait nous le présenter comme une armée véritablement démocratique, comme une "armée du peuple".

Mais pour savoir si une armée est véritablement une armée du peuple, il ne suffit pas qu'elle soit composée d'ouvriers et de paysans. En effet, toutes les armées modernes, quelles qu'elles soient, sont des armées populaires si on les envisage à ce point de vue. Car le perfectionnement des armements a depuis longtemps obligé la bourgeoisie à mobiliser tout "son" peuple pour mener les guerres.

Il faut examiner à quoi a abouti le maquis, quelle est sa base de classe. Or, s'il est possible qu'au début les travailleurs du maquis, guidés par leur méfiance instinctive, aient tenté de s'organiser sur une base de classe et aient manifesté leur hostilité à l'égard du vieux corps des officiers cagoulards, depuis, sous le commandement des De Gaulle, Giraud, Catroux et Koenig – qui vient d'être nommé commandant des Forces Françaises de l'Intérieur – c'est le vieux corps des officiers de Daladier qui s'est imposé au maquis : c'est l'ancienne armée impérialiste française qui s'est reconstituée. Ce qu'on voudrait nous présenter comme une armée du peuple, n'est qu'une nouvelle ARMEE PERMANENTE.


L'armée permanente enlève tous les ans des centaines de milliers de jeunes gens à leurs familles et à leur production, pour les enfermer pendant des années dans des casernes sous prétexte de formation militaire. Mais la formation militaire d'un soldat n'exige pas des années puisqu'en temps de guerre la bourgeoisie envoie au front des jeunes de 18 ans après quatre ou six mois d'instruction. Le service militaire consiste principalement à soumettre les hommes à qui l'on enseigne le maniement des armes à la pression exclusive de la discipline militaire représentée par le corps des officiers et sous-officiers de carrière liés à la bourgeoisie, et qui n'ont aucune fonction productive dans la société : comme les prêtres, ils sont spécialisés dans le "dressage" de "la troupe", leurs méthodes – les brimades dégradantes et l'abrutissement systématique – ont pour but de façonner une nouvelle mentalité à leurs hommes, de séparer les fils d'ouvriers et de paysans de leur classe et d'en faire des instruments dociles pour la répression.

Et ce sont les masses laborieuses qui, sous forme d'impôts écrasants, supportent la charge de cette armée d'hommes que l'on a retirés de la production, et payent la construction et l'entretien des casernes et la solde des généraux et officiers de carrière grassement appointés.

C'est ainsi qu'en cas de guerre la bourgeoisie peut rapidement, par la mobilisation générale, mettre en ligne des millions d'hommes sachant manier les armes, et sur lesquels les officiers n'ont aucun mal à reprendre leur emprise une fois qu'ils ont été happés par l'engrenage de l'armée permanente aidée de la gendarmerie et de la police.

On le voit donc, une telle armée, fondée sur l'exploitation du peuple et sur son utilisation comme chair à canon n'a rien de populaire. Elle est au contraire l'instrument principal de la bourgeoisie contre le peuple.

La classe ouvrière ne peut pas s'émanciper sans briser l'armée permanente. Le principal moyen d'y arriver, c'est qu'elle organise tout d'abord ses propres milices ouvrières. En soutenant la lutte des travailleurs-soldats contre la conscription, le service militaire prolongé, les Cours martiales et le régime des casernes, et en s'armant elle-même, la classe ouvrière facilite aux soldats leur émancipation de l'armée permanente et les lie à la cause des exploités.

La milice ouvrière est l'organisation des travailleurs en armes pour la défense sur place de l'usine, du chantier, de la mine ou du village contre la bourgeoisie.

Le peuple en armes n'a besoin ni de casernes, ni d'officiers de métier ; il ne retire pas de la production toute une partie de la population : l'entraînement militaire se fait en dehors des heures de travail et les chefs sont élus par les combattants parmi les plus dévoués et les plus qualifiés.

La victoire ouvrière et la chute de la bourgeoisie supprimeront pour la classe ouvrière la nécessité d'être en armes ; c'est donc seulement en s'organisant en milice ouvrière que les masses parviendront à briser les armées permanentes, que la bourgeoisie entretient constamment pour la défense de ses intérêts impérialistes, contre les masses et sur leur dos.

Tandis que l'armée permanente est un chancre qui ronge toute la société, et l'instrument de l'asservissement du peuple par la bourgeoisie, la MILICE OUVRIERE, organisation des travailleurs en armes, est l'instrument de leur émancipation.


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