1946

L'EMANCIPATION DES TRAVAILLEURS SERA L'ŒUVRE DES TRAVAILLEURS EUX-MÊMES (Marx)
Nº 8 – Bulletin inter-usines de l'opposition syndicale
BULLETIN INTERIEUR – Prix : 2 frs.


La Voix des Travailleurs

Barta

4 mars 1946


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DES AVIONS, DES CANONS pour l'Espagne ouvrière !

Le 20 février, la C.G.T., le P.C.F. et le P.S. organisaient un meeting au Vel d'Hiv pour protester contre les exécutions de Républicains espagnols. Malgré leur fatigue et leur désaffection pour les meetings, les travailleurs sont venus nombreux pour manifester leur haine du bourreau de la Révolution espagnole.

Mais que résulte-t-il de ce meeting ? Après avoir bien applaudi, hué le M.R.P. (avec qui le P.S. et le P.C.F. collaborent au gouvernement) chacun rentre chez soi.

De Saillant , Duclos et Hénaff à Verdier du P.S. et au délégué radical, tous ces farouches "combattants" antifranquistes sont d'accord pour faire appel à l'énergie des masses... pour demander aux gouvernements "démocratiques", c'est-à-dire Truman et Attlee , de faire quelque chose en faveur des Républicains.

Mais ces gouvernements-là sont-ils vraiment démocratiques, sous le contrôle des ouvriers ? Ils montrent tous les jours par leurs actes que si chez eux ils doivent cacher leur véritable visage derrière un Parlement, dans les autres pays ils apparaissent comme des véritables exploiteurs et ennemis des peuples. Tous les jours L'Humanité dénonce comment ces gens-là préparent la guerre contre l'U.R.S.S. et mènent en fait une offensive générale contre les travailleurs. Alors, qu'est-ce que ça signifie de s'adresser à eux pour abattre Franco ?

Monsieur Giral, chef d'un gouvernement bourgeois formé par les Alliés pour remplacer Franco, déclare : "Nous espérons que le sang de Garcia et de ses compagnons, uni à celui des millions de martyrs de la liberté, réussira au moins à ouvrir les yeux du monde..."

Est-ce que le monde ouvrier a attendu les récentes exécutions pour "ouvrir les yeux" ? C'est aux MAITRES du monde, les capitalistes américains et anglais, que s'adresse M. Giral ! Or, depuis de longs mois qu'on trompe les travailleurs sur la chute de Franco, grâce aux chefs des "Nations Unies", en fait celui-ci a reçu de leur part une aide matérielle et politique décisive.

Comment ces gens-là pourraient-ils appuyer réellement la lutte contre Franco, le sauveur du capitalisme en Espagne ?

Pourtant le gouvernement français vient de fermer la frontière. Les gouvernements "Alliés" annoncent une "note" commune.

Est-ce que les vertueuses indignations et les appels de nos chefs porteraient enfin leurs fruits ? Pas du tout !

Si les gouvernements "démocratiques" se sont enfin décidés à agir, c'est que depuis plusieurs semaines Franco se trouve en présence d'une poussée DU MOUVEMENT OUVRIER ESPAGNOL, que ni les exécutions, ni les illusions d'une action alliée ne peut plus empêcher. Provoquées au début par la disette, les grèves s'ETENDENT et la lutte des travailleurs contre Franco peut prendre un caractère menaçant pour tout le régime social, basé sur l'exploitation capitaliste.

C'est pour sauvegarder cette base que Washington et Londres s'apprêtent à lâcher Franco et à soutenir M. Giral, qui se baptise lui-même républicain-démocrate, mais qui ne déclare une lutte à mort, NI A LA MONARCHIE, NI A LA GRANDE PROPRIETE FONCIERE, NI AUX CLIQUES MILITARISTES, NI A L'EGLISE FEODALE, dont il cherche au contraire LE SOUTIEN ! "La chance des Républicains est de montrer qu'ils sont le régime de l'ordre, et que seul leur retour fera à l'Espagne l'économie d'une révolution", avoue Combat (26/02).

Les agents de la bourgeoisie au sein du mouvement ouvrier cachent ces choses pour duper les travailleurs. Les travailleurs conscients doivent les dévoiler. Et ils doivent surtout organiser L'AIDE PRATIQUE aux travailleurs espagnols, qui n'ont d'autres amis que les OUVRIERS des autres pays. Il faut renouer avec la lutte de 1936 à 1939 : DES AVIONS, DES CANONS POUR L'ESPAGNE OUVRIERE !

Sans cette aide, le mouvement ouvrier espagnol continuerait à être réprimé par un régime franquiste même sans Franco, comme nous mêmes continuons à être affamés et opprimés par un Etat "pétainiste sans Pétain".

LUCIEN


Par qui, le contrôle du ravitaillement ?

Depuis des années, les masses populaires subissent la sous-alimentation. La guerre a obligé tous les Etats à introduire le rationnement et à régler la consommation. Mais, tandis que les rations s'amenuisaient de plus en plus, grandissait un marché inaccessible aux travailleurs, où l'on trouve de tout en abondance.

L'on a d'abord justifié cet état de choses par l'occupation et la guerre. Maintenant par le manque d'importations. Mais personne n'explique pourtant pourquoi le travail et les ressources du pays n'arrivent pas à relever tant soit peu le niveau de la consommation. Les ministres se suivent et le ravitaillement empire.

Au moment du rétablissement de la carte de pain, on s'est aperçu que des meules de blé pourrissaient dans les campagnes. Le mécontentement de la population a fait parler les journaux de la nécessité d'une enquête pour établir les "responsabilités".

Cette enquête ne fut pas menée. Mais voici ce qu'a déclaré l'ancien ministre Pineau devant l'Assemblée Constituante, le 21 février :

"Les grands propriétaires ne sont pas pressés d'effectuer les battages, pour pouvoir vendre leur blé plus cher [par suite de la dévaluation]. En ce qui concerne la viande, la Région parisienne a connu des difficultés parce que beaucoup de producteurs ont attendu la hausse des prix. En ce qui concerne le sucre, 13 000 tonnes manquent dans la comptabilité de la société Lebaudy et Sommier [c'est-à-dire qu'elles sont passées au marché noir]. Un peu plus d'un million de quintaux de farine ont disparu des Grands Moulins. - Avez-vous prévu des sanctions ?, lui demande-t-on. -Je pense que l'on en prendra, répond Pineau, qui ajoute que les préfets n'obéissent pas aux directives gouvernementales, et que les tribunaux n'osent pas condamner les trafiquants..."

Ce sont donc les gros producteurs et leurs hommes dans l'administration qui organisent la sous-alimentation pour les uns et le marché noir pour les autres. Les ministres sont impuissants parce que les principaux trafiquants, ce sont les grossistes, les "répartiteurs", les hauts fonctionnaires eux-mêmes. Aucun "homme à poigne" ne pourrait à lui seul surmonter l'anarchie d'un tel système.

Dans la pénurie actuelle, le partage véritablement égal parmi la population de la totalité effective des produits de consommation soulagerait la situation des travailleurs car cela empêcherait le gaspillage et la consommation absolument exagérée des catégories riches. Mais on ne pourrait le réaliser que si on tendait aux spéculateurs un vaste filet dans lequel tous leurs stocks et tout ce qu'ils soustraient à la consommation de la population serait pris. Or, pour cela, il faut que le contrôle soit exercé par des millions de consommateurs eux-mêmes, organisés dans des groupements à cet effet sur tout ce qui dépend du ravitaillement. Recenser les stocks et les dépôts de chacun des capitalistes qui les détiennent, réquisitionner les moyens de transport souvent gaspillés, établir un échange direct entre la ville et la campagne sans spéculateurs, voilà ce que pourrait réaliser le contrôle par les groupements de consommateurs sur le ravitaillement.

Pour réussir dans cette voie, les travailleurs organisés doivent donner l'exemple : à commencer par les cantines d'usines où la plupart du temps le patron organise ou tolère le trafic avec les denrées allouées, trafic qui est devenu un scandale public. Les ouvriers doivent imposer un contrôle rigoureux sur les cantines et coopératives et s'y intéresser activement, contrôler les organismes qu'ils auront élus à cet effet, poser inlassablement cette question dans les assemblées syndicales.

Ce n'est pas par une attente stérile que les travail-leurs sauveront les leurs de la déchéance et de la famine.

IRENE


DEFENSE DES 40 HEURES

Ambroise Croizat vient de faire adopter un texte de loi sur la rémunération des heures supplémentaires. Le principe des 40 heures est reconnu par la C.G.T. En 1936, les ouvriers avaient obtenu la majoration d'heures supplémentaires (33% pour les deux premières heures, 50% pour les deux suivantes, 100% au delà) afin d'obliger les patrons à respecter la semaines des 40 heures.

En présentant la loi sur l'augmentation des heures supplémentaires, Ambroise Croizat s'est-il soucié de faire aboutir le retour aux 40 heures ? Non. Son but est d'encourager les ouvriers à violer eux-mêmes une conquête si durement acquise.

Que ce soit par l'emploi du travail aux pièces ou au boni, que ce soit par l'augmentation de la journée de travail, le but recherché par la patronat est toujours d'accroître, par ces moyens, son profit. Cependant, le patronat, qui s'est habitué à ce que les ouvriers, poussés par les organisations syndicales, fassent des heures supplémentaires sans majoration, entend continuer à exploiter gratuitement les ouvriers. C'est pourquoi Henri Raynaud s'indigne dans L'Humanité de ce que certains patrons, pour ne pas payer les heures supplémentaires, sabotent la production en limitant la semaine de travail à 40 heures. Il nous dit : "Envers et contre tous, les ouvriers entendent continuer leur rythme de production, n'accepter aucune réduction du temps de travail habituel."

Mais alors, pourquoi faut-il que le chômage sévisse alors que l'on impose aux ouvriers des heures supplémentaires ? A Houilles-sur-Carrières, dans un chantier de 380 ouvriers, on en a débauché 320. Le texte d'Ambroise Croizat se réfère pour l'autorisation d'effectuer des heures supplémentaires non aux organisations syndicales, mais à l'Inspecteur du travail. "Celui-ci pourra interdire l'utilisation d'heures supplémentaires en cas de chômage, en vue de permettre l'embauchage de travailleurs sans emploi." Un ouvrier qui se présente à l'embauche chez Renault est obligé de revenir chaque jour pendant plus d'une semaine pour être enfin embauché, alors que de nombreux ouvriers se voient refuser l'embauche et alors que les ouvriers font 45 heures par semaine. Qu'attend l'Inspecteur du travail pour appliquer la loi ? A la S.C.T. (Société des Transports), 16 chauffeurs sur 102 ont été licenciés pour manque de travail. Les ouvriers avaient proposé, à l'unanimité, au patron de travailler tous à raison de 4 semaines sur 6 afin d'éviter la mise au chômage de leurs camarades. L'Inspecteur du travail a transigé dans le sens du patron, c'est-à-dire par un licenciement. Et c'est à l'Inspecteur du travail que Croizat se réfère pour répartir la main-d'œuvre !

Les ouvriers veulent le retour aux 40 heures avec une paye leur permettant de vivre. La bourgeoisie prétend qu'il faut travailler pour remettre sur pied l'économie ? Très bien. Les ouvriers revendiquent l'échelle mobile des heures de travail pour établir une répartition équitable du travail entre les bras disponibles. Aucune heure supplémentaire tant qu'il y aura un seul chômeur ! Et, si après l'emploi de toute la main-d'œuvre des heures supplémentaires sont nécessaires, elles devront être réparties parmi tous les ouvriers. Mais les ouvriers ne font pas confiance à l'Inspecteur du travail. Ils réclament le contrôle syndical sur l'embauche pour éviter que des ouvriers soient laissés sur le pavé et le contrôle sur la production pour déterminer dans quelle mesure les heures supplémentaires sont nécessaires. Ils revendiquent les majorations d'heures supplémentaires définies par la convention de 1936 et non les insuffisantes majorations de "stimulation" de M. Croizat.

VAUQUELIN


LE MOUVEMENT SYNDICAL EN ALLEMAGNE

Dès avant la capitulation totale de l'Allemagne, la première association libre des syndicats allemands se fonda à Aix-la-Chapelle en avril 1945 avec l'autorisation d'Eisenhower. Ce syndicat unique local devient la première ébauche de la renaissance de la vie syndicale allemande.

Les Russes à leur tour, autorisèrent peu après l'occupation de Berlin, l'organisation d'un syndicat unique : Der Freie Deutsche Gewerkschaftsbund. 18 unions professionnelles furent constituées.

Depuis août 45, la Commission de contrôle interalliée autorise les syndicats uniques libres pour toutes les zones, tout en interdisant leur centralisation, ce qui rend très difficile l'organisation de la résistance contre les capitalistes. Surtout dans les directives pour la formation des syndicats, il est expressément stipulé que ceux-ci doivent rester en dehors de toute activité politique et qu'ils n'ont pas non plus le droit de s'occuper ni de la question des salaires, ni des heures de travail.

Quel peut-être alors le rôle et l'efficacité de pareils syndicats pour les ouvriers ?


A quoi servent les Socialistes

"... M. Van Acker ne réussit [sa conduite des affaires] qu'en procédant à des mesures rigoureuses de blocage des salaires et des prix, en allant jusqu'à suspendre le droit de grève pour empêcher les mouvements revendicateurs. Ceux-ci auraient pourtant pu trouver leur légitimation dans la différence entre l'augmentation des salaires et celle des prix par rapport à 1938... Le standard de vie est manifestement inférieur de moitié à celui d'avant-guerre.

On peut se demander... si la classe ouvrière consentira à cet état de choses dans le cas où un autre parti que le socialiste le lui demanderait."

(La Tribune Economique, 22-2-46)


LA REDUCTION DU BUDGET DE GUERRE SUR LE COMPTE DES OUVRIERS

Pour une action "efficace" dans l'armée, pour empêcher que soient dilapidées les finances, a été instituée une commission dite de la Hache. Et la sous-commission de la commission de la Hache pour lutter contre la gabegie, ne trouve rien de mieux que de venir le 19 à Houilles-sur-Carrières et, le 28, les 330 travailleurs de l'entreprise Ossude et Blanc étaient débauchés.

Comme de juste, la commission de la Hache est confiée à des militaires et avez-vous déjà vu une seule fois dans l'existence que l'on s'amputait soi-même. Des gradés ne peuvent trouver des réductions que contre des ouvriers et non contre des militaires.

L'annonce du débauchage a été faite le mercredi 20. La section du bâtiment de Houilles conviait les ouvriers à une assemblée générale pour leur confirmer leur débauchage et l'insuccès des démarches faites entre temps. Après avoir été de bureaux en bureaux pour savoir qui avait pris la responsabilité de faire fermer le chantier, d'après le rapport de la sous-commission de la commission de la Hache, les délégués syndicaux devaient s'avouer vaincus, et c'est seulement le mercredi 27 que les ouvriers surent que l'ordre avait été signé par un chef de cabinet Ministère de la Marine.

Voilà l'histoire, ayant à notre tête un gouvernement de collaboration de classe incapable de frapper les véritables inutiles du pays, incapable d'en appeler au peuple pour appuyer des actions d'envergure contre la gabegie actuelle, incapable d'une action autre que des bavardages stériles, la réduction des crédits militaires se retourne contre la classe ouvrière, contre les lampistes.

Au moment où dans ce pays tout manque dans la bâtiment, l'on débauche des ouvriers et, parallèlement à ces débauchages, le gouvernement, en accord avec la C.G.T., fait venir des travailleurs étrangers.

Un gars du bâtiment n'est pas tellement ému d'être débauché, mais dans quelles conditions le réembauchage va-t-il se faire ? Quelles sont les conditions de déplacement et de travail à travers les zones en France, et là, il faut tirer la leçon. L'on s'aperçoit que les conventions et les contrats signés par l'organisation syndicale, au moment de leur application se retournent souvent contre nous, ou sont sujets à discussion. Et malgré la puissance numérique de l'U.S.B. nous sommes désarmés. Pourquoi ?

Nous sommes trop repliés sur nous-mêmes, nous ne contrôlons pas assez nos responsables, nous ne surveillons pas ce que l'on signe en notre nom. Groupons-nous en opposition syndicale, créons l'unité des ouvriers conscients sur le terrain du travail, écrivons et renseignons les journaux qui nous défendent, et c'est seulement ainsi que nous serons prêts à faire face à toutes les provocations, et à suppléer à la carence des responsables syndicaux.

DIXIE

P.S. - Il nous est confirmé par des camarades, depuis la rédaction de cet article, que la réduction du budget de guerre frappe principalement les ouvriers au lieu de frapper les cliques militaires. Sur tous les chantiers militaires, les terrains d'aviation, le débauchage sévit. Des centaines d'ouvriers du Bourget, Orly, etc... ont été débauchés fin février.


DANS LES ASSEMBLEES SYNDICALES


Citroën-Félix Faure

A la dernière Assemblée générale, la section syndicale déclare qu'ayant réclamé une augmentation de 4 fr pour les manœuvres payés à 25 fr 80, elle lui a été refusée par la direction sous le prétexte du blocage des salaires ordonné par le Ministre du Travail. Ainsi, par le blocage des salaires, non seulement il ne nous est plus possible de gagner de quoi vivre, mais encore les ouvriers de chez Citroën sont maintenus à un taux inférieur à celui des autres usines.

Rousseau, syndicaliste et même "communiste", appelle les ouvriers à pousser à la production. "Il faut crever le plafond". Dans son bulletin Inter-Usines, la direction Citroën invite aussi les ouvriers à produire. Cela se comprend. Mais ce n'est pas en sortant des voitures pour l'armée ou des touristes à 140 000 francs que cela améliorera le ravitaillement.

Pour augmenter le salaire des femmes, la section syndicale demande leur classification dans la catégorie O.S.2, ce à quoi la direction s'oppose, prétextant qu'on ne peut déplacer toutes les ouvrières dans la catégorie supérieure et que seules celles qui ont des aptitudes supérieures pourront y être acceptées. Cette augmentation est donc laissée au bon vouloir de la maîtrise et de la direction.


Citroën-Levallois

La section syndicale a demandé à la direction une augmentation générale. La direction a refusé sous prétexte que "les ouvriers sont au tarif et gagnent largement leur vie". 25 fr 40 de l'heure, soit 4 000 francs par mois, c'est ce que la direction appelle "gagner largement sa vie" !

De plus la direction refuse la carte de travailleur de force aux ouvriers. Puisqu'ils "gagnent largement leur vie", ils peuvent sans doute se ravitailler au noir. Mais aux réclamations des ouvriers, la section syndicale ne sait que répondre "produire". "Pour produire, il faut manger", répond un ouvrier. Et il ajoute : "On se fait embourber. Les ouvriers quittent le syndicat. La direction en profite pour attaquer. Si Croizat ne veut pas nous appuyer, nous n'avons qu'un seul moyen, la grève".


Chez Rosengart, à Champerret

A la dernière Assemblée, un délégué remarquait avec amertume que seuls les cadres et les techniciens étaient présents. Il manquait les ouvriers.

Faut-il s'en étonner ? A un jeune ouvrier qui demandait au secrétaire syndical si les séances de sport promises pendant les heures de travail allaient être réalisées, ce dernier a répondu en se frottant les mains : "Ca va venir, mais en attendant, vous allez faire des heures". Quand à toutes les questions des ouvriers, on leur répond "produire", doit-on se plaindre ensuite de leur absence aux Assemblées ?


Chez Carnaud et Forges

Dans la dernière Assemblée, le permanent a fait un beau discours. Mais les ouvrières, ne voulant pas se laisser entraîner sur un sujet hors de l'usine, l'interrompent pour lui demander pourquoi il existe tant de catégories parmi elles, les salaires s'échelonnant entre 22, 23, 24, 25, 26 et 27 fr. de l'heure. A la réponse "C'est parce que vous n'êtes pas unis que nous ne pouvons pas vous défendre", un vieil ouvrier rétorque : "Sois sans crainte, si tu montes à la direction pour nos salaires, tu nous trouveras tous unis derrière toi".


Manœuvres patronales


Chez Carnaud et Forges à Billancourt

La direction embauche tout son personnel comme manœuvres qu'elle paye à 22 francs de l'heure. Après une période d'essai qui, en principe, doit être de 15 jours, elle les spécialise. Seulement, au bout de deux mois, la plupart des ouvrières n'ont pas encore leur contrat. Mais les temps sont trop courts, les ouvrières aux pièces ne réalisent pas un boni suffisant leur assurant un salaire vital. La grande majorité prennent leur compte avant d'avoir leur contrat et la direction réalise ainsi un bénéfice supplémentaire. De plus, le personnel étant sans cesse renouvelé, il est difficile aux nouveaux ouvriers de s'organiser pour se défendre. Dernièrement, une ouvrière congédiée avant la fin de sa période d'essai, s'étant adressée au syndicat, s'est entendu répondre : "Nous ne pouvons rien faire, vous n'avez pas fait vos 15 jours".

Toutes les manœuvres sont bonnes dans cette boîte pour accroître les profits. C'est ainsi qu'une ouvrière étant malade, le contremaître ne trouva rien de mieux que de proposer à sa coéquipière de travailler sur les deux machines, soit de doubler son rendement déjà porté à son maximum. Devant le refus de cette dernière, il retire sa proposition et met une remplaçante sur la machine. Si l'ouvrière avait accepté, il est certain qu'une cadence plus forte aurait été imposée le lendemain à toutes les ouvrières faisant le même travail.

Au Sertissage, les ouvrières qui n'ont pas l'habitude de faire le travail sont aidées par des manœuvres, "les poseuses de fond", afin de pouvoir suivre la cadence extrêmement poussée dans ce coin-là. Mais que la cadence soit ou ne soit pas tenue, en aucun cas ces ouvrières et leurs "poseuses de fond" ne touchent leur boni, qui passe au complet dans les caisses du patron.

Camarades de chez Carnaud, pour lutter contre une direction qui nous surexploite, il faut nous grouper et pousser nos délégués à agir.


Citroën-Clichy

Les ouvriers ayant travaillé de nuit le dimanche n'ont pas perçu le supplément de 50%. S'étant adressés au délégué, ils se sont entendu répondre : "La loi prévoit les 50% pour le jour mais pas question pour la nuit". "Pas question, ont répondu les ouvriers, mais maintenant, pour les heures supplémentaires, pas question non plus pour nous".


DEBRAYAGES


Chez Bendix, à Clichy

Il y a trois semaines, les délégués étaient montés à la direction pour obtenir une augmentation générale. Seuls, les professionnels avaient obtenu satisfaction. Devant cette manœuvre de division, le vendredi 15 février, les ouvriers des crikeley, particulièrement mal payés pour leur travail ont débrayé. Le reste de l'usine s'est joint au mouvement. Les délégués, après avoir invité les ouvriers à reprendre le travail, sont montés à la direction, qui a refusé de leur donner satisfaction. Devant cette situation, à une heure, les ouvriers se sont remis en grève. Le patron est descendu dans la cour où un camion attendait pour être chargé. Malgré ses injonctions, les ouvriers ont refusé de le faire partir. A nouveau les délégués ont discuté, cette fois forts du débrayage des ouvriers. A 17 H 30, la direction a capitulé : augmentation générale de 2 francs de l'heure, prime aux ouvriers des crikeley, et pour les femmes des presses, ferrodos, plateaux et segments, le salaire égal à celui des hommes pour un travail égal.


Chez Rosengart, à Champerret

Dernièrement, les tourneurs ont débrayé afin d'obtenir une augmentation. Le patron a répondu, fort de l'attitude du gouvernement : "Les prix et les salaires sont bloqués. Il faut produire. Si vous voulez gagner plus, faites des heures supplémentaires".

Camarades, les heures supplémentaires ne sont pas des augmentations. Elles crèvent davantage l'ouvrier. A l'exemple de nos camarades de chez Bendix, sachons persister dans notre volonté de lutte. Pas de lutte isolée ! Unité de combat !


Dans les cantines


A Citroën-Clichy

Cantine de jour. - Un ouvrier, monté sur une table, a appelé ses camarades à protester contre la nourriture dégoûtante et à refuser de la payer. Convoqué à la direction, il fut mis à pied, mais, devant l'indignation des ouvriers, le délégué a pris sa défense et la sanction fut levée.


Cantine de nuit. -Depuis la suppression du travail de nuit dans l'atelier des forges, la direction ne fait plus assurer de service de nuit pour la cantine. Ce sont les restes de midi qui sont servis. Cette nourriture, tournée la plupart du temps, est complètement immangeable. Après plusieurs protestations des ouvriers auprès de leurs chefs, qui assurent eux-même le service, ces derniers leur ont répondu qu'ils n'y pouvaient rien. En signe d'avertissement, plusieurs ouvriers ont manqué leur travail le lendemain, avertissant leurs chefs qu'ils étaient bien décidés à ne plus assurer de service de nuit s'il n'y avait pas d'amélioration.


Chez Carnaud et Forges

Pour 18 francs, on a droit à une soupe, un plat de légumes (la plupart du temps immangeable) et tous les jours la même compote. Sachant que cette nourriture est insuffisante, la direction a institué un système de suppléments : 20 fr. une choucroute, 12 fr. le plat de poisson, 5 fr. une cuillerée de confiture, 5 fr. le quart de vin. En somme, ce sont ces suppléments qui constituent le repas, mais les ouvriers qui refusent de dépenser d'abord 18 fr. inutilement, n'ont pas le droit de prendre des "suppléments". Résultat : seuls ceux qui acceptent de dépenser 45 francs ont le droit de manger à la cantine.

Seul le contrôle ouvrier sur la gestion des cantines nous permettra de manger une nourriture saine pour un prix honnête.


...ECHOS...


Gnome et Rhone (S.N.E.C.M.A.)

- Un ouvrier, que les Staliniens savent être sympathisant anarchiste, ayant voulu prendre la parole dans une récente réunion syndicale, s'est vu refuser ce droit par le bureau, appuyé en ce sens par les ouvriers présents du P.C.F. (il n'y a presque plus qu'eux dans les réunions, les autres ouvriers étant écœurés ; ils sont ainsi sûrs d'avoir la majorité). Camarades, il ne faut pas déserter les réunions, cela permet à une minorité dans chaque usine de parler au nom de la majorité. La C.G.T. est l'œuvre de la classe ouvrière entière à travers des dizaines d'années, c'est le bien de toute notre classe et si nous ne voulons pas que des inconscients nous mènent à la ruine, il nous faut lutter.

Prochainement, il doit y avoir chez Gnome, des élections pour la section syndicale. Nous devons tous y participer et ne pas avoir peur de prendre des responsabilités ; qu'est-ce que nous risquons à rénover des responsables syndicaux, là où il y a eu carence ? Nos sections syndicales seront ce que, nous, la classe ouvrière, voudrons qu'elles soient. Si elles sont défaillantes et suivistes, c'est parce que nous mêmes, la plupart du temps, croyons notre tâche finie, après avoir pris un timbre.

LEBLOND


- Des manœuvres gagnant 25 francs avaient la promesse de la direction d'un certain pourcentage d'augmentation. Attendant toujours, ils ont demandé à la section syndicale de voir la direction. Que de requêtes, que de demandes pour accorder à des ouvriers quelques sous de plus, c'est tout juste si l'on n'exige pas qu'ils montent à genoux trouver les patrons. Espérer intéresser les exploiteurs à notre sort, de notre part, c'est se condamner à mourir.


- Le K. nouveau, journal syndical de la S.N.E.C.M.A. (Gnome-Rhône) du mois d'octobre, nous disait que les actionnaires de l'usine nationalisée "voulaient faire passer leurs actions, cotées 1 200 francs au moment de la parution du décret, à 4 000 et 5 000 francs".

Le Monde du 26 février communique : "Gnome et Rhône. Le montant d'indemnisation aux actionnaires a été évalué à 2 100 francs pour les actions de capital par la Commission désignée à cet effet. Cette évaluation, approuvée par le ministre de l'Armement, est actuellement soumise au ministère des Finances."

Les actionnaires de chez Gnome et Rhône n'ont pas obtenu entièrement satisfaction, mais tout de même ! 2 100 fr. au lieu de 1 200 fr., cela fait une bonne augmentation.

M. Tillon applique l'échelle mobile aux actionnaires de chez Gnome.


Caudron-Renault

La direction a apposé une affiche félicitant l'initiative d'une équipe dans laquelle les ouvriers, d'eux-mêmes, ont réduit leur "temps". Mais devant le mécontentement de l'ensemble des ouvriers, la direction n'a pas pu généraliser cette mesure. Les ouvriers ne veulent pas que l'excès de zèle de quelques inconscients puisse leur nuire en les obligeant à travailler plus pour le même prix. Si la direction "félicite" les pionniers (sic) de la production, c'est elle qui empoche les bénéfices de cette surexploitation. Suivant aveuglément les mots d'ordre "d'en haut", ces quelques ouvriers se sont attiré les félicitation de la direction, mais la méfiance de leurs camarades.


De nombreux ouvriers se posent la question : "A quoi servent les avions que nous produisons ?"

Un délégué affirme que ce n'est pas pour la guerre.

Les ouvriers, en posant une telle question, montrent leur souci de s'intéresser au problème de la production. Mais ils ne doivent pas se contenter des affirmations gratuites. Il faut exiger un contrôle ouvrier sur la production, afin de pouvoir déterminer exactement à quoi on utilise nos efforts : pour élever le standard de vie des masses, ou pour la guerre ?


Renault

A l'atelier 219, les ouvriers travaillant à la peinture au pistolet, étant donné le caractère très sale de leur travail, avaient l'habitude de quitter à 6 h. moins le quart, au lieu de 6 h. pour aller aux douches. La direction a posé une affiche interdisant aux ouvriers de quitter le travail avant l'heure, à la suite de quoi ceux-ci sont montés protester au bureau et ont obtenu d'être payés un quart d'heure après 6 heures pour se laver.

Par leur pression les ouvriers ont contraint la direction à reconnaître qu'ils doivent se laver sur le compte du patron. Mais la direction s'est défendue en imposant aux ouvriers un quart d'heure supplémentaire. Il faut dès maintenant envisager la bagarre pour la suppression de ce quart d'heure de rabiot.


- Des ouvriers, travaillant aux pièces ou au boni, nous signalent que lorsqu'ils doivent se rendre à l'infirmerie, le temps qu'ils passent à se faire soigner n'est pas déduit. Il faut que chaque ouvrier qui s'absente de son travail pour une cause quelconque (appel au bureau, infirmerie, etc.) demande un bon de crédit pour les heures qu'il passe en dehors de la production, car s'ils ne rattrapent pas leur temps, ils seront "coulés", ce qui, pour eux, représente une perte d'argent : ou, s'ils rattrapent leur "temps", premièrement ils se crèvent et, deuxièmement, ils créent un précédent.

En effet, pour peu que la situation se présente deux ou trois fois, la direction dira : "Quand cet ouvrier passe une heure à l'infirmerie, il y arrive quand même, c'est donc qu'il peut aller plus vite, c'est donc qu'il a du "bon temps", et aussitôt elle fera descendre les chronos.

Camarades, de la vigilance, car la direction est à l'affût de nos moindres erreurs pour nous "enfoncer".


Un ouvrier qui pointe deux minutes en retard a une demi-heure "en bas", alors que dans beaucoup d'usines, comme chez Citroën qui est pourtant un bagne, on ne retient qu'un quart d'heure.

Comme dans toutes les usines, les ouvriers ont une minute de "tolérance", mais spécialement chez Renault, un ouvrier qui a pointé trois fois à 8 h. 01 se voit retenir trois quarts d'heure. Une minute en retard le matin, aller aux W.-C. fumer une cigarette, se rendre à l'infirmerie, tout cela, c'est du temps "perdu" pour la direction qui veille à ce qu'il ne soit pas payé.

A un ouvrier qui s'étonnait d'un règlement aussi sévère, un délégué a répondu : "Il faut bien une discipline".

Mais le rôle du syndicat est de combattre cette discipline patronale d'exploitation et de veiller à la discipline ouvrière qui consiste à unir les travailleurs dans leur lutte anti-patronale.


Aréna (Montreuil)

L'exploiteur paternaliste Halftermayer continue ses manœuvres de division, les O.S. bricoleuses sont à quatre taux différents et cela pour le même travail : le prétexte est que certaines sont "meilleures". A l'atelier de découpage, un O.S. cisailleur a 21 fr. alors que son prédécesseur avait de 24 à 26 fr. ; malgré plusieurs réclamations de sa part, toujours pas de résultat. Les vestiaires, malgré les réclamations ouvrières, sont mixtes. La cantine est sous "droit divin" d'Halftermayer qui, il y a quelques mois, devant les réclamations ouvrières, a menacé d'abandonner la cantine à son sort. De plus, comme cela existe la plupart du temps dans les moyennes boîtes (de 200 à 300 ouvriers), il n'y avait pas jusqu'à présent un mouvement syndical suffisamment fort : les ouvriers voyant les non-syndiqués ou les syndiqués chrétiens avantagés de préférence par l'exploiteur et ses cadres.

Mais sous l'impulsion de quelques ouvriers plus conscients, il y a maintenant une centaine de syndiqués.

Camarades de chez Aréna, pour avoir des résultats de vos délégations, agissez avec ensemble dans le sens de votre classe. Ecrivez à La Voix vos revendications, nous les ferons paraître et ensemble nous forgerons l'unité ouvrière qui seule vous permettra des résultats.

Les salaires chez Aréna :

Régleurs

39 frs. et 35 frs.

O.S. (aides-régleurs)

26, 27, 28, 29 francs

O.S. (bricoleuses)

24, 25, 26, 27 frs.



Chez les typographes

A la suite de l'Assemblée générale des typographes de la Presse et du Labeur, réunis à la Bourse du travail le 23 février : "Les typographes se sont prononcés, à une forte majorité, pour le blocage effectif des prix, le déblocage des salaires et l'application de l'échelle mobile. Ils ont protesté contre l'attitude observée par la C.G.T. lors de la grève des rotativistes et la désignation arbitraire par l'Union des Syndicats de la R.P. d'un représentant de la chambre typographique en qualité de candidat à sa commission exécutive.


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