1947

Prolétaires de tous les pays, unissez-vous ! – LA LUTTE de CLASSES – Organe de l'Union Communiste (Trotskyste) n° 83 – 5ème année – bimensuel (B.I.) le n° 3 francs


LA LUTTE DE CLASSES nº 83

Barta

1er février 1947


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Les "Démocrates conséquents" et la réaction

Le 29 janvier, L'Humanité annonçait par un grand titre en première page qu'à la tribune de l'Assemblée, "Jacques Duclos, dans un brillant discours, a fustigé la réaction". Mais en apprenant aussitôt après dans l'article que cette "fustigation" visait exactement douze députés "opposants", on ne pouvait s'empêcher de penser à Don Quichotte prenant d'assaut des outres remplies de vin en guise de géants.

Comment ? Cette réaction qui, soutenue par la bourgeoisie, domine actuellement dans toutes les sphères économiques, sociales, administratives, etc., cette réaction qui hier encore, aux élections, groupait LA MAJORITE DES PARTIS dans une majorité parlementaire "anti-marxiste", cette réaction qui, il y a un mois, d'après les leaders du P.C.F., empêchait la formation d'un gouvernement les comprenant, cette réaction ne compterait plus que douze députés dans une Assemblée de six cents ? Pas même tout le P.R.L. ? Cette Assemblée, issue d'élections ayant donné une majorité aux partis "anti-marxistes", se serait-elle transformée, par l'effet de quelque enchanteur, en la plus démocratique du monde ? Où s'est fourrée la majorité anti-marxiste du Parlement pour que le "démocrate-conséquent" Duclos ne puisse plus la voir ?

Les représentants des partis réactionnaires de l'Assemblée sont tout simplement au gouvernement, et forment avec M. Thorez une coalition, que Jacques Duclos appelle "de concentration démocratique". Voilà l'explication de tout le mystère ! Ce ne sont pas les réactionnaires qui ont disparu, comme par enchantement, de l'Assemblée, ce sont les Duclos qui sont à tel point "enchantés" de collaborer avec ces mes-sieurs (qu'ils "valent pleinement") que toute l'ombre grise de la réaction parlementaire se teint à leurs yeux du rose de l'aurore démocratique !

En la personne de Jacques Duclos, l'élan chevaleresque du Don Quichotte communiste prenant d'assaut les moulins à vent du capitalisme, a fait place au prosaïque Sancho Pança, dont le "gros bon sens" ne rêvait qu'à un poste de "gouverneur" au service des puissants de son monde. "BARRER LA ROUTE A LA REACTION", c'est, pour les Duclos, partager avec elle des sinécures et des portefeuilles ministériels, être reconnu pour des hommes de confiance des banquiers, ces "tout-puissants" du monde capitaliste...

Car de quoi s'agissait-il dans cette "fustigation de la réaction" ? S'agissait-il de la politique gouvernementale, qui continue celle des gouvernements précédents contre le peuple en faveur des riches ? Nullement. En matière de "programme", tout le monde est parfaitement d'accord. BLUM AVAIT LUI-MEME RECONNU QUE LA POLITIQUE QU'IL FAISAIT, TOUT GOUVERNEMENT, QUEL QU'IL SOIT, LA FERAIT : la sienne, du reste, avait été celle de Schuman, membre du parti cléricalo-réactionnaire, le M.R.P. C'EST AINSI QUE LES GOUVERNEMENTS SE SUCCEDENT, MAIS LA POLITIQUE REACTIONNAIRE RESTE.

L'objet de la discussion entre M. Duclos et les douze "mécontents" c'était de savoir si les dirigeants du Parti communiste pouvaient être considérés comme d'aussi bons Français que ceux du M.R.P. ou du P.R.L. A l'unanimité contre douze (et quelques abstentions), les députés, des Socialistes au P.R.L., les ont reconnus pour des leurs, en récompense des services que les chefs staliniens rendent depuis des années à la bourgeoisie. On comprend donc pourquoi, d'après L'Humanité, il a suffi à Duclos d'"une chiquenaude par ci, une chiquenaude par là", pour réduire à néant l'argumentation des douze antagonistes de Billoux, ministre stalinien de la Défense Nationale. ILS SE VALENT, EN EFFET.

Voilà ce que sont réellement les chefs staliniens. Ils sont des "démocrates-conséquents" non pas en défendant pas à pas les droits des travailleurs, en leur apprenant à lutter eux-mêmes pour ces droits, en les éclairant sur les combinaisons pourries des politiciens ; ils sont des "démocrates-conséquents" dans les combines avec les autres partis pour le partage des bonnes places, ils sont des "démocrates-conséquents" vis-à-vis du mécanisme parlementaire de la bourgeoisie, ce mécanisme parlementaire que les marxistes, depuis des dizaines d'années, et l'expérience propre des masses, montrent comme un organisme entièrement au service de la bourgeoisie, une machine à écraser le peuple, tout en l'empêchant de se révolter, sous couleur de démocratie.

C'est avec un mépris croissant que les tra-vailleurs regardent ce spectacle lamentable de soi-disant démocrates, s'escrimant contre la réaction... dans le vide, tandis que plus que jamais la réaction capitaliste étouffe les travailleurs.

Mais entre l'espoir qu'ils mettaient hier, au moment des élections, dans ces chefs pseudo-démocrates, et la lutte révolutionnaire de demain qu'il faudra mener pour ne pas succomber, le mépris pour ces chefs constitue aujourd'hui un anneau nécessaire. Contre la réaction capitaliste, pour conquérir le bien-être et la dignité humaine, les travailleurs rejoindront dans l'action les seuls démocrates-conséquents, LES REVOLUTIONNAIRES PROLETARIENS, qui en combattant le lourd héritage des forces léguées par le passé, préparent un avenir meilleur pour les masses.


Les déclarations de D'Argenlieu

LA GUERRE D'INDOCHINE, UNE GUERRE IMPERIALISTE

Quand, il y a deux mois, l'Etat-Major de d'Argenlieu recommençait une politique de force pour remettre le Viêt-nam sous la coupe incontestée de la Banque d'Indochine, les consignes données à la presse étaient de présenter cette offensive comme "de simples opérations de police". Mais ce n'était là qu'un prétexte pour nous entraîner dans une véritable guerre, et pour masquer le caractère aventuriste de la politique du gouvernement français. (Voir Lutte de Classes n°81).

Aujourd'hui nous sommes en présence des faits. Cette guerre contre un peuple de plus de vingt millions d'hommes et de femmes, décidé tout entier à résister jusqu'au bout aux colonialistes, est en réalité une guerre d'extermination, pour laquelle il faut engager des effectifs et des sommes considérables, et qui condamne le peuple français aux mêmes consé-quences économiques et politiques qui durent déjà depuis 1939.

Des journaux ont calculé, et personne ne les a démentis, que pour réinstaurer "l'ordre" des banquiers français en Indochine, il faudrait y envoyer une armée de 500.000 hommes ! Et encore, dans ce cas, la guerre peut se poursuivre indéfiniment.

Voilà ce qui explique les appels, en apparence inattendus, que d'Argenlieu adresse en ce moment aux "grandes puissances". "La solution du problème indochinois est retardée par le manque d'une politique commune des grandes nations...", vient-il de déclarer à des journaux anglais et américains. "La Grande-Bretagne, la France, les Pays-Bas, et si possible les Etats-Unis, doivent se concerter pour étudier la question et décider d'une politique commune à l'effet d'extirper les idées anti-démocratiques (sic) qui prévalent dans ces territoires" (en Asie).

Nous disons des "appels en apparence inattendus", car l'éventuelle intervention américaine, par exemple, ne nous avait été présentée jusqu'à maintenant que comme un argument de plus pour faire la guerre, afin d'empêcher que d'autres "ne prennent notre place". Cet argument colonialiste a été propagé notamment par L'Humanité, à l'usage des ouvriers auprès desquels on ne pouvait pas utiliser des arguments proprement chauvins.

Mais il n'y a rien d'inattendu dans ces appels de d'Argenlieu. Ils ne font que confirmer que la guerre que mène le peuple d'Indochine est une guerre émancipatrice, devant laquelle les manœuvres des impérialistes, pour s'évincer l'un l'autre, font place à leur solidarité face à un danger qui les menace tous pareillement. L'attitude des impérialistes nous prouve que la guerre du Viêt-nam pour son indé-pendance constitue un facteur de libération de tous les travailleurs et de toute l'humanité.

Cette solidarité des impérialistes ne fait qu'affirmer les intérêts communs, dans cette guerre, des travailleurs des métropoles et des colonies, solidarité d'intérêts dont malheureusement la majorité des travailleurs français n'ont pas conscience. Cependant l'action de d'Argenlieu contre le Viêt-nam s'accompagne de déclarations anti-communistes (qui ne visent pas le ministre de la Défense Nationale Billoux, ou le vice-président Thorez qui l'alimentent en armes et matériel humain), mais la classe ouvrière. La lutte contre les travailleurs d'Indochine est menée par lui en tant que lutte anti-ouvrière en général, et ce ne sont pas là des mots. Alors qu'en Indochine même, les premiers incidents contre le Viêt-nam étaient accompagnés par le sac d'un journal de tendance socialiste à Saïgon, dans la métropole, un deuxième meeting du seul Parti qui s'est effectivement solidarisé avec les travailleurs du Viêt-nam, le Parti Communiste Internationaliste (IVème Internationale), a été à nouveau dispersé à coups de matraques et de violences par les policiers des ministres soi-disant "communistes" et "socialistes".

A la solidarité impérialiste, qui unit les d'Argenlieu aux banquiers de Londres et de New-York et à leurs généraux, il faut opposer la solidarité prolétarienne qui unit les travailleurs de France aux travailleurs du Viêt-nam et à ceux du monde entier. Il faut une solidarité agissante. A bas la guerre de d'Argenlieu ! Vive l'Union libre des peuples métropolitains et coloniaux au sein des Etats-Unis socialistes soviétiques du monde !

GAUTHIER


DEMAGOGUES CONTRE DEMAGOGUES

Dans L'Humanité du 28 janvier 1947, Arrachard qualifie de démagogique la revendication de la C.F.T.C. pour un minimum vital de 9.000 francs par mois. Démagogique, non pas parce que la C.F.T.C. n'a pas l'intention, en réalité, de lutter pour l'obtenir, mais parce que 9.000 francs est un chiffre trop élevé...

Mais n'est-ce pas de l'impudence, de la part de la C.G.T., d'affirmer que 7.000 francs peuvent constituer un minimum vital, c'est-à-dire représenter en vivres et moyens de consommation ce qu'il faut à une personne (et souvent il s'agit d'entretenir une famille) pour ne pas tomber malade, pour ne pas avoir la sensation de la faim, du dénuement, pour se sentir homme ne fut-ce qu'un jour par semaine ?...

En réalité, le salaire minimum vital réclamé par la C.F.T.C., aussi bien que celui que réclame la C.G.T., est très inférieur au salaire minimum vital réellement nécessaire. La C.F.T.C. fait de la démagogie parce qu'elle n'est pas du tout décidée à lutter pour obtenir les 9.000 francs. Mais, en réalité, 9.000 francs ne sont même pas un salaire minimum vital. Nous avons montré dans La Lutte de Classes du 4-1-1947 que, suivant les calculs de la C.G.T., qui fixait à 23 francs le salaire horaire minimum du manœuvre, en mars 1945, un O.S. 2º catégorie devrait avoir en janvier 47 un salaire de base de 77 fr.11, alors qu'après les 25% il n'est que de 34 fr.30.

La vérité, c'est que les dirigeants de la C.G.T. veulent empêcher les ouvriers de lutter en leur faisant croire que 7.000 francs ce serait une conquête de leur part.

De toutes façons, ils pourront toujours présenter une augmentation obtenue, si minime soit-elle, comme une victoire, pour la simple raison que le patron refuse toujours, à priori, de l'accorder et la taxe inévitablement de démagogie.

Or, il s'agit du minimum vital et qui peut vivre actuellement avec 7.000 francs ? Comment prétendre qu'obtenir 7.000 francs serait un succès !

En réalité, l'attitude des dirigeants de la C.G.T. paralyse les ouvriers. De ce point de vue, il est facile pour la C.F.T.C. de faire de la démagogie, de présenter un chiffre plus élevé que celui de la C.G.T. sans lutte réelle, parce que la classe ouvrière, paralysée, ne se dresse pas elle-même de toute sa taille devant le patronat. Mais le jour où elle le fera (et il n'y aura pas d'autre voie), malgré le sabotage des dirigeants, elle imposera le véritable minimum vital, calculé par ses représentants élus, et l'ouverture des livres de compte des patrons où l'on pourra constater tous leurs vols, tous leurs gaspillages, toutes leurs tromperies... Et s'en sera fait de la démagogie des dirigeants cégétistes et autres.


QUI EST LE PLUS FORT

La diminution constante de notre pouvoir d'achat et l'accroissement continuel de la durée et de l'intensité du travail nous amènent à nous poser la question : comment en sortir ? Sur qui nous appuyer dans notre lutte pour la défense de nos revendications? Pouvons-nous compter sur nos organisations syndicales ? Chacun sait que les dirigeants sont pourris et jouent le rôle de larbins de la bourgeoisie. Ce sont eux qui, dans les usines, déploient plus de zèle que les contremaîtres à faire produire les ouvriers ; ce sont eux qui jouent le rôle de mouchards auprès de la direction patronale signalant ceux des ouvriers qui ont un travail "trop bien payé" (sic) en vue de faire réviser les chronométrages comme cela s'est produit aux "Tréfileries du Havre" ; ce sont eux qui dénoncent à la direction les ouvriers combatifs pour les faire mettre à la porte. Le cas s'est produit plusieurs fois chez Citroën et chez Renault. Dès qu'un mouvement se dessine, ce sont eux qui essaient de l'enrayer par tous les moyens, y compris la calomnie et la délation. Qu'un ouvrier un peu plus combatif que les autres élève la voix, aussitôt il est calomnié, c'est un traître, un hitléro-trotskyste et on met hypocritement les autres en garde contre "ce diviseur de la classe ouvrière". Ceux qui continuent à le fréquenter sont eux-mêmes suspectés et calomniés, tout ceci afin d'essayer de l'isoler le plus possible. Dans les assemblées syndicales, seuls ceux qui sont dans la "ligne" sont autorisés à s'exprimer ; la grande majorité des ouvriers qui sait ce qu'elle va entendre et qui sait à quoi s'en tenir sur la démocratie syndicale, n'assiste même pas aux réunions et rares sont les assemblées qui groupent 10% des ouvriers.

Si les ouvriers sont mécontents de leur sort, les bureaucrates, eux, sont très satisfaits. Qui ose prétendre qu'il n'y a rien de changé ? Si la situation matérielle est aussi mauvaise que pendant la guerre, Frachon et ses acolytes trouvent que ça va beaucoup mieux. Ne disaient-ils pas récemment à une Conférence aux Sociétés Savantes : "Les rapports entre les ouvriers et les patrons se sont beaucoup améliorés". En effet, ceux qui sont censés représenter les ouvriers, parmi lesquels les Frachon, ne s'assoient-ils pas aux mêmes tables que les patrons, n'ont-ils pas des salles de réunion, des micros, des voitures, des avions même à leur disposition... pour venir exhorter les ouvriers à produire 48, 54, et même 60 heures de travail pour un salaire de famine ?

Voilà qui explique le manque de démocratie, la démagogie et les procédés de nos "dirigeants" : ces procédés leur sont indispensables pour étouffer tout mouvement qui mettrait en danger LEUR situation privilégiée auprès des patrons. Il leur faut absolument disposer de la confiance aveugle des travailleurs pour pouvoir mieux les endormir. Car du jour où la libre discussion réveille la combativité des ouvriers et empêche les dirigeants syndicaux de jouer leur rôle de briseurs de grève, finies les "bonnes relations entre ouvriers et patrons" si chères à Frachon. Ce serait alors la lutte contre les patrons affameurs et leur police, et finis aussi les banquets, les voitures et les honneurs.

Voilà pourquoi les ouvriers ont contre eux non seulement les patrons et leur police, mais aussi les Frachon et Cie qui les paralysent.

Et cependant qui est le plus fort ?

Les camionneurs d'Angleterre et les dockers d'Anvers nous ont montré qu'on peut vaincre les patrons, malgré l'obstruction des bureaucrates syndicaux, quand les ouvriers sont décidés à passer outre.

En Angleterre, les ouvriers ont passé outre les dirigeants et, soutenus par la solidarité des dockers, ont imposé par la grève leurs revendications au patronat. En Belgique, les dockers luttèrent un mois alors que le gouvernement refusait toute allocation de chômage et employait la troupe au déchargement des bateaux, alors que les bureaucrates syndicaux, désapprouvant la grève, leur coupaient les vivres en refusant de leur donner l'allocation de grève à laquelle ils avaient droit. Mais "décidés à vendre leur dernière chaise plutôt qu'à céder", ils obtinrent satisfaction.

SEULE NOTRE ACTION PEUT FAIRE ABOUTIR NOS REVENDICATIONS.

Mais cette action, nous ne pouvons l'engager qu'à l'encontre de nos dirigeants. Dans cette lutte, nous n'avons à compter sur personne que sur nous-mêmes et sur notre solidarité.

Si nous manquons de réflexe de défense et si nous nous laissons entraîner là où veut nous pousser la bourgeoisie - vers l'apathie ou l'indifférence vis-à-vis des problèmes de classe - alors laissons faire les Frachon qui, parlant en notre nom, freineront toute notre action et nous empêcheront de faire aboutir nos revendications.

Mais si nous retrouvons notre énergie et renouons avec le passé de lutte de la classe ouvrière, où malgré les échecs, les victoires n'ont pas manqué, alors nous serons capables de briser tous les obstacles, quels qu'ils soient, qui se dressent devant nous.

VAUQUELIN


"UN MAL DE FORME INSIDIEUSE ET MALIGNE"

"Si les difficultés de l'Italie n'étaient faites que de sa pauvreté, de sa surpopulation relative, de la menace de chômage à laquelle il lui faut faire face, on aurait tort sans doute de trop s'en alarmer. Mais le mal n'est pas seulement d'ordre économique ; il a pris une forme plus insidieuse et plus maligne...

Une étonnante amoralité politique... une propension, à peine voilée de nombreux éléments de l'opinion publique à admettre le principe d'interventions spontanées, supraétatiques, dans la vie collective publique ou privée, accompagnée surtout de clandestinité, de gangstérisme, de toutes les formes de la violence, caractérisent étrangement l'Italie que nous avons vue". Telle est la déclaration du Monde du 20-12-46.

Ainsi, que le peuple italien, comme d'ailleurs le peuple de chaque nation européenne, soit dans la misère la plus noire, cela n'a aucune importance aux yeux de la bourgeoisie (et elle ne se gêne pas pour le dire). Ce qu'il ne faut surtout pas (et c'est là sa seule inquiétude), c'est qu'il ait le mauvais goût de s'insurger contre ces conditions de vie intolérables pour lui. Alors, dans ce cas, nous voyons la bourgeoisie brandir les grands mots d'amoralité, de gangstérisme contre "ces éléments de l'opinion publique" qui osent pratiquer "les interventions spontanées, supra-étatiques... et toutes les formes de la violence", et s'empresser de brouiller les cartes en présentant comme "un mal de forme insidieuse et maligne" ce qui est en réalité la plus légitime des revendications : le droit de vivre
pour ceux qui travaillent.

C'est cette même crainte des conséquences politiques, c'est-à-dire d'une insurrection populaire, que risquent d'entraîner la pauvreté et la famine extrêmes qui faisait dire à M. Bevin au sujet de l'Allemagne : "Nous devons éviter que se forme au milieu de l'Europe un amalgame malsain de main-d'œuvre à bon marché et sous-alimenté" (Le Monde 24-1246). "Amalgame malsain", "mal de forme insidieuse et maligne" : c'est sous cet aspect que la misère des masses apparaît aux yeux de la bourgeoisie lorsqu'elle devient une menace pour ses propres intérêts et privilèges.

Et l'un des porte-parole d'un puissant groupe de banquiers et industriels aux Etats-Unis, Cyrus E. Eaton, ne mettait même pas des formes pour exprimer ses inquiétudes au moment de la grève des mineurs américains : "Une interruption prolongée des envois de charbon risque de jeter la France, l'Italie et les nations européennes dans les bras du communisme", prévenait-il. D'autant plus que le prolétariat européen aurait été doublement stimulé : d'une part par l'aggravation de sa situation économique due au manque de charbon ; d'autre part, et surtout, par une victoire du prolétariat des Etats-Unis sur son propre impérialisme. "Ainsi, ce que Wall Street redoutait en réalité n'était pas tellement les conséquences économiques éventuelles que les répercussions immédiates, dans la politique internationale, de la combativité des mineurs américains" (The Militant, 14-12-46).

Ainsi la bourgeoisie internationale se soucie fort peu de l'économie, pourvu qu'elle puisse continuer à accumuler les bénéfices. Elle ne daigne baisser les yeux sur la misère du peuple que lorsqu'il commence à bouger et à menacer sa propre existence de privilégiée. C'est pourquoi les travailleurs n'ont rien à attendre des conférences, conseils et autres organisations de la bourgeoisie. Seule, la peur peut contraindre la bourgeoisie à améliorer partiellement leur sort. Seule, l'action directe peut assurer aux travailleurs de meilleures conditions de vie.

DAN


LES ORGANISATEURS DE LA FAMINE

Après la faillite de tous les ministres au ravitaillement, le nouveau gouvernement renonce à en nommer un. A sa place, il y aura un "haut commissaire". Personne ne s'imagine pourtant que là où "ministres" et "techniciens" ont échoué, un "haut commissaire" fera mieux. Du reste, personne au gouvernement ou dans la presse n'ose le promettre. Et comment le pourraient-ils après les multiples expériences qui ont clairement démontré que leurs diverses mesures "techniques" (contrôle, liberté, double secteur, etc...) aboutissaient toujours, immanquablement, depuis des années, au même résultat : gain de cause pour les spéculateurs, misère pour les masses.

"Contentons-nous donc d'un fonctionnaire chargé de surveiller l'impression et la distribution des titres d'alimentation", voilà comment M. Tardy, dans Le Monde (28-1), résume la décision du gouvernement, en exprimant sa satisfaction.

C'est à cela que se réduit toute leur science. Il vaut mieux laisser aller les choses comme elles vont, car elles ne peuvent aller mieux... Comment, en effet, se présente la situation pour M. Tardy et ses pareils, pour ceux qui discutent du "problème du ravitaillement" en sortant des banquets et des réceptions ?

"...Il y a maintenant assez en France pour que tout le monde puisse manger à sa faim... Seuls ont faim ceux qui n'ont ni argent, ni parents à la campagne, ni cantine, ni autre moyen de se moquer des lois". M. Tardy connaît, sans doute, les moyens de se moquer des lois quand on a de l'argent. Mais il méconnaît bien la situation de ceux qui se "moquent des lois"... en mangeant à la cantine ! On croit sans peine qu'il n'a jamais goûté au brouet servi dans les cantines aux travailleurs de chez Renault, Citroën et ailleurs, aux soupes claires, aux nouilles en colle de pâte, au poisson avarié, le tout arrosé d'un vin qui ressemble à du vinaigre. Parce que le patronat est bien obligé d'assurer un minimum aux ouvriers pour qu'ils puissent travailler, M. Tardy les classe probablement dans la catégorie des privilégiés ! Quant à leurs femmes et à leurs enfants, il les perd totalement de vue.

Il ne reste, à en croire M. Tardy, qu'une "minorité restreinte" d'"économiquement faibles" ("notamment des petits rentiers et des petits employés"). Or, "...alimenter quelques centaines de milliers, tout au plus quelques millions de personnes qui ont besoin d'être aidées... ce n'est là qu'un problème d'assistance, qui n'excède pas les forces des grandes municipalités". Ayant ainsi résolu le problème, il conclut : donc "la liberté est possible et souhaitable dès maintenant. Les prix se fixeront sans doute au-dessus du niveau officiel d'aujourd'hui", dit-il. Mais qu'importe, puisque les ouvriers "se moquent des lois" (en mangeant à la cantine), puisque M. Tardy et ses pareils ont l'argent nécessaire pour se moquer des prix, et qu'ainsi il ne reste plus qu'"une minorité restreinte" ("quelques millions tout au plus") pour mourir de faim...

Faut-il s'étonner que ce désintéressement existe dans les sphères dirigeantes à l'égard du problème du ravitaillement, quand pour eux le problème est résolu, et qu'à vrai dire il n'a jamais existé ? Faut-il encore se demander d'où vient leur incapacité à organiser le ravitaillement, quand il y a ce fossé entre leurs conditions d'existence et celles du peuple travailleur ?

Alors que pendant les années de pénurie, ils faisaient semblant de veiller à la juste répartition d'un ravitaillement insuffisant, le "problème du ravitaillement" consistait, en réalité, à servir d'abord leur classe largement et avec superflu ; leurs privilèges économiques leur permettaient de se moquer des lois. Les masses tra-vailleuses, les "quelques millions" qui attendaient leur pitance du ravitaillement officiel, ont dû souffrir les pires privations.

Maintenant qu'il y a "assez en France pour que tout le monde puisse manger à sa faim", – selon leur aveu même –, un sort malin accable les travailleurs qui voient se creuser, entre eux et le ravitaillement, le fossé des prix. Ils en sont réduits à manger à la cantine. Leurs femmes et leurs enfants sont mal nourris, mal logés, mal vêtus. Des centaines de milliers d'"économiquement faibles" meurent littéralement de faim. De quoi s'agit-il ?

Toute la science gouvernementale concernant les problèmes dont dépend la vie des masses se résume à ceci : "Il s'agit de déterminer à quel cran il convient de serrer la ceinture du Français" (Monde du 22-1 au sujet du logement).

Voilà le sens des appels aux "sacrifices", de tous les gouvernements qui se sont succédés de De Gaulle à Blum et Ramadier. Car le travailleur français doit, par les bas salaires, par les impôts et par l'inflation, financer la guerre d'Indochine, les troupes de répression et d'occupation, les dépenses improductives de l'armement et de l'exportation, dépenses dont le seul but est de maintenir et d'accroître le standard de profits des capitalistes, maîtres des leviers de commande.

...Alors les prix montent, et il ne s'agit plus, en fait de ravitaillement, que d'"organiser" la pauvreté et l'inanition pour les masses.

Un gouvernement au service de semblables intérêts doit forcément faire faillite sur toutes les questions qui concernent la vie du peuple travailleur ; dans la question de la liaison entre la ville et la campagne, dans la question de la reconstruction de logements pour les ouvriers, dans la question d'un travail et d'un salaire décent, dans la question de l'élimination des spéculateurs et des trafiquants.

Ainsi, quand Ramadier fait des discours à la radio pour promettre le dépistage des stocks dont beaucoup pourrissent plutôt que d'être livrés, à qui s'adresse-t-il pour exécuter cette tâche ? Aux préfets. Et qui sont les préfets ? Ce sont des hauts fonctionnaires complices des affameurs qui, installés dans leurs confortables bureaux, reçoivent les pots-de-vin et les ordres des margoulins.

Un gouvernement des riches ne peut certes pas s'adresser, pour le dépistage des stocks, aux ouvriers des villes et des campagnes ; ce serait pour eux "l'anarchie", la "révolution"... car ce serait la révélation de leurs complicités et la disparition de leurs propres privilèges.

Contre l'indifférence opposée à la misère du peuple par ceux qui sont en place, seules peuvent faire pression les manifestations des ménagères qui exigent le châtiment des spéculateurs, les protestations des ouvriers dans les usines contre le mauvais ravitaillement des cantines, l'action directe des travailleurs.

Mais les manifestations des ouvriers et des ménagères expriment aussi leur méfiance contre le régime bourgeois qui a rompu la liaison entre la ville et la campagne, qui condamne à l'inanition des classes entières. Ils manifestent leur volonté de se charger eux-mêmes de la solution des problèmes ; seuls les en détournent les dirigeants "ouvriers" au service de la bourgeoisie, qui transforment leurs manifestations en manifestations de parade.

Mais en face de la faillite répétée des ministres, "techniciens", etc..., les masses ouvrières ne se contenteront pas à l'infini de manifester platoniquement ; elles finiront par imposer leurs véritables solutions de classe, comme l'ont toujours fait les exploités quand ils s'étaient définitivement convaincus de la faillite et de la cupidité des classes exploiteuses.


...ECHOS...

LETTRE D'UN SOLDAT

Un camarade soldat nous écrit d'Alsace :

"Vu que notre nourriture est très insuffisante, beaucoup de soldats achètent du pain en ville et le ramènent à la caserne. Or, ce matin, au rapport, le lieutenant nous a ordonné de ne ramener du pain que dans nos musettes afin que le pain que nous achetons ne soit pas vu des civils qui passent dans la rue."

On le comprend, les formidables sommes dépensées pour le budget de guerre ne sont pas destinées à l'entretien convenable des soldats, mais à engraisser la caste des officiers et les éléments de répression, tels les gardes-mobiles volontaires pour l'Indochine à qui des avantages particuliers sont accordés. Les soldats, pour la bourgeoisie, ne sont que de la chair à canon.


LE LOGEMENT DE LA MAIN-D'ŒUVRE

Le sort misérable que les colons français font subir aux Nord-Africains dans leur propre pays, déverse sur le sol métropolitain des milliers de travailleurs, employés dans les grands bagnes des grandes villes.

Pour eux, le problème du logement est facilement "résolu" par leurs employeurs, avec l'appui de la C.G.T.

Chez Renault, par exemple, un centre d'accueil, rue d'Amiens, leur offre une couchette dans un dortoir commun pour la bagatelle de 600 francs par mois, et encore les places sont rares.

Ceux qui ne peuvent obtenir une de ces couchettes s'installent à trois ou quatre dans une chambre d'hôtel à 80 francs par nuit.

Et la femme et les enfants restés au pays vivent dans l'attente du mandat problématique qui n'arrive que rarement, et pour cause...


UN FOYER OUVRIER
COMME BEAUCOUP D'AUTRES

Le mari travaille chez Citroën et ramène des quinzaines de 4.000 francs ; la femme fait des ménages, 4 h. par jour à 30 fr. Ils ont deux enfants en bas-âge ; l'un est à charge chez les beaux-parents, l'autre est avec eux dans une étroite chambre d'hôtel à 400 fr. par mois. Ils sont obligés de coucher l'enfant au pied de leur lit. Le sol carrelé de la pièce est défoncé. Pour se chauffer et cuisiner, ils ont un fourneau. Pour ranger toutes leurs affaires (linge et garde-manger à la fois) ils ont une armoire sur laquelle ils doivent mettre le vélo qui, pour cette raison, doit être démonté tous les soirs.

Le froid rigoureux a vite fait de consommer la ration de charbon et notre ouvrier, père de famille, après sa dure journée d'usine (il manipule plus de 5 tonnes par jour par 50 kg en plusieurs opérations), est contraint d'aller voler du charbon pour le brûler d'abord et pour en vendre aussi en fin de quinzaine.

Voilà comment les capitalistes poussent dans leurs prisons les travailleurs et font du vol un vice alors que nous voyons ici sa cause première.

Un autre produit des conditions lamentables où se trouve la classe ouvrière est l'accroissement du lumpenprolétariat : un camarade d'enfance de cet ouvrier, jeune, marié, ayant des enfants, constatant, après avoir été d'usine en usine, qu'avec son travail, il lui fallait encore voler pour entretenir sa famille, décida que tant qu'à faire, puisqu'il était déjà exposé à la police, voler pour voler, il valait mieux ne plus travailler. Il se contente maintenant de vivre de petits larcins.
Seulement là n'est pas la solution. En volant, on finit par se faire prendre. La seule façon de réagir contre les mesures d'appauvrissement des capitalistes, c'est la création d'un front ouvrier contre la misère et la réponse aux actes par des actes en reprenant la formule des canuts lyonnais de 1848 :

"Vivre en travaillant, Ou mourir en combattant."

M. PETIT


IL NE SUFFIT PAS DE SE PLAINDRE

Un tract diffusé par des ouvriers des usines Renault, s'élevant contre la manœuvre des primes et réclamant le salaire minimum vital, appelle en conclusion les travailleurs à être actifs contre le sabotage de leurs luttes par les dirigeants syndicaux. Nous extrayons de ce tract, bien accueilli par la masse des ouvriers, les passages suivants :

Nous pensons tous qu'il faudrait faire quelque chose. Mais, que ce soit dans les Assemblées et dans les ateliers, lorsqu'un ouvrier se heurte à un représentant syndical, nous nous contentons d'écouter en spectateurs, comme si la discussion nous était étrangère. Dans un secteur où tous les ouvriers étaient mécontents de la prime, un ouvrier a proposé de protester auprès de la section syndicale par une liste de pétition. Mais craignant d'être "repérés" par les bonzes ils y ont renoncé. Où sont les belles prétentions de nos bureaucrates syndicaux à la liberté et à la démocratie, si les ouvriers n'osent faire le moindre geste de peur de vexations et de représailles ?

Dans un autre secteur, la direction syndicale ayant refusé la parole à un camarade, les ouvriers, tous en désapprouvant ces méthodes, n'ont pas protesté. La plupart se sont contentés de dire : "puisqu'ils ne veulent pas qu'on parle, je ne paierai plus mon timbre." Mais les syndicats devraient être NOS organisations, parce que c'est NOUS qui les avons imposées au patronat par nos luttes passées, et c'est nous qui les entretenons avec nos cotisations. S'il en est qui doivent les quitter, ce n'est pas nous, ce sont les dirigeants pourris.

Si on en est arrivé à ne plus oser signer une pétition ou ouvrir la bouche devant des responsables qui se comportent en valets du patronat, il ne faut pas s'étonner si le patronat a tant de force contre nous. Car c'est leur dire : ne vous gênez plus, nous ne réagirons pas.

Mais si on laisse se perpétuer cette situation, on ne s'en sortira plus. Il ne suffit pas de se plaindre du manque d'activité de nos "responsables" syndicaux, si en même temps nous n'essayons pas de faire nous-mêmes quelque chose pour imposer notre volonté, la volonté de l'écrasante majorité des ouvriers.

Le 27-1-47. Un groupe d'ouvriers de la RNUR


Dans un secteur de l'usine, les staliniens n'ayant pas réussi à faire mettre à la porte un ouvrier ayant participé à la diffusion de tracts du "Mouvement Français de l'Abondance", font circuler une liste de pétition parmi les ouvriers. Devant l'hostilité des ouvriers et la menace de démissionner, de nombreux membres du P.C.F. durent battre en retraite et retirer leur pétition de la circulation.


CHEZ CARNAUD

Mesures d'intimidation

Le mercredi 22 janvier, après décision du syndicat, les déléguées sont allées réclamer une augmentation de 5 francs par heure à la direction qui les leur a refusés. Elles ont aussitôt fait appel au secrétaire syndical. Mais lorsque celui-ci a voulu pénétrer dans l'usine, le jeudi matin, il s'est heurté à la police. Ce n'est qu'après force discussions qu'il est entré et a été reçu par la direction. Le soir même, une délégation d'ouvriers et ouvrières, environ au nombre de soixante, est venue revendiquer, en plus des 5 francs d'augmentation, un salaire unique pour tous les manœuvres et la prime sur un boni collectif. Après une heure de discussions entre les délégués ouvriers et les représentants du syndicat patronal, la plupart des ouvriers se sont retirés, laissant les déléguées CGTistes discuter avec le patron. Celui-ci n'a d'abord consenti qu'à une augmentation de 2 francs par heure. Les déléguées ont refusé.

Et le vendredi soir, une délégation d'ouvriers beaucoup plus nombreux a enfin obtenu 3 francs par heure. Les ouvriers ont dû accepter, car le patron les menaçait de fermer l'usine s'ils réclamaient davantage.

C'est ainsi que le patronat tend à généraliser le recours à la police et au lock-out, utilisés contre les rotativistes au début de janvier.


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"On croit se battre pour la patrie..." 6
Le programme transitoire 30
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