1947

PRIX : 3 francs – 15 OCTOBRE 1947
L'EMANCIPATION DES TRAVAILLEURS SERA L'ŒUVRE DES TRAVAILLEURS EUX-MÊMES
La Voix des Travailleurs – ORGANE DE LUTTE DE CLASSE


Voix des Travailleurs nº 23

Barta

15 octobre 1947


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QU'EST-CE QUE LE R.P.F. ?

Le "Rassemblement du peuple français" fondé par De Gaulle, est-il un parti FASCISTE ? Voilà ce que la majorité des ouvriers se refuse à croire, même quand elle reconnaît son caractère réactionnaire. Car le fascisme, c'est des bandes armées spécialisées dans le massacre des ouvriers conscients et qui s'emparent à cette fin de l'appareil de l'Etat. Or, De Gaulle a été pendant des années le porte-parole de tous les dirigeants officiels de partis actuels, qui l'ont présenté comme le libérateur du peuple français, et a ensuite gouverné la France avec eux, pendant deux ans ! "Par conséquent", disent de trop nombreux ouvriers, avec De Gaulle ça ne peut être pire que maintenant. L'accusation de fascisme lancée contre De Gaulle n'est qu'une arme électorale pour les besoins d'un parti : CELA NE NOUS REGARDE DONC PAS.

Peut-on blâmer ces ouvriers pour la faute qu'ils commettent en raisonnant ainsi ? Les dirigeants du P.C.F. ont beau crier aujourd'hui au fascisme en parlant de De Gaulle : ce sont eux les responsables de cette confusion, doublement responsables. Non seulement ils ne dénoncent De Gaulle que maintenant que celui-ci se dresse contre eux-mêmes, mais encore leur attitude antidémocratique au sein du mouvement ouvrier donne un cachet d'hypocrisie à leurs cris !

L'expérience que les travailleurs ont faite de De Gaulle ne leur permet en effet PAS ENCORE de savoir que c'est CONTRE EUX, avant tout, que De Gaulle mobilise ses troupes, qu'il mobilise des "bandes armées antiouvrières" ! Car la plus élémentaire prudence oblige celui-ci à ne pas recommencer les coups de main prématurés, comme le firent ses prédécesseurs du 6 février 1934, et risquer ainsi de mobiliser contre lui toute la population. Plus habile, il fait surtout des "discours", pour PREPARER à cette intervention les masses les plus révoltées contre le régime actuel ; c'est seulement après ce travail, en direction de millions d'hommes que, sous prétexte de restaurer l'ordre, en finir avec "l'anarchie communiste", etc., il passera à l'action.

De Gaulle attend pour dévoiler ses batteries, D'ETRE LE PLUS FORT, de prendre la classe ouvrière A L'IMPROVISTE. Voilà où réside le plus grand danger pour le mouvement ouvrier : LE R.P.F. EST UN PARTI FASCISTE, MAIS L'ATTITUDE PASSEE ET PRESENTE DES ORGANISATIONS OFFICIELLES DE LA CLASSE OUVRIERE, LA C.G.T. LE P.C. ET LE P.S., EMPECHE LA GRANDE MASSE DES TRAVAILLEURS DE LE REALISER !

Ceci doit devenir le sujet de réflexion le plus important pour les travailleurs qui SAVENT ce qu'est De Gaulle, mais continuent à s'imaginer que c'est leurs dirigeants actuels du P.C.F. ou du P.S. qui les défendent contre le fascisme.

Pour vaincre De Gaulle, qui est l'espoir du patronat, qui est protégé par l'appareil de l'Etat et qui est en train de trouver certains échos parmi les gens les plus égarés ou fatigués par le régime actuel, il faut que la majorité de la classe ouvrière soit et DISPOSEE et CAPABLE de mener une lutte DURE et ACHARNEE.

Or, par leurs méthodes anti-démocratiques, par leur collaboration avec le patronat et les ministres bourgeois, par leur politique du "produire" (pour les capitalistes), qui a plongé la classe ouvrière dans une misère indescriptible, les chefs du P.C.F. ont au contraire AFFAIBLI la capacité et la volonté de lutte de la classe ouvrière.

Et même maintenant, malgré leurs cris contre le fascisme, ils ne sont pas davantage disposés à la renforcer. Il faudrait pour cela, non seulement qu'ils rompent avec le ministérialisme bourgeois (ce qui peut arriver, mais pour des raisons diplomatiques), mais qu'ils soient réellement avec la classe ouvrière dans toutes ses luttes. Et le signe CERTAIN d'une attitude ouvrière, c'est le respect de la démocratie, c'est-à-dire, DE LA VOLONTE DE LA MAJORITE DES TRAVAILLEURS, même quand celle-ci se trompe. Car c'est seulement dans l'action et par la démocratie que les travailleurs peuvent apprendre à corriger leurs erreurs.

Il faudrait, avant que De Gaulle soit prêt, que les chefs du P.C.F. aident les travailleurs D'UNE MANIERE DECISIVE, à se relever des suites de leur attitude antiouvrière depuis trois ans, qu'ils luttent vraiment avec eux pour un salaire décent, pour une semaine de travail de 40 heures, pour le contrôle ouvrier sur le trafic capitaliste ! Mais cela, ils sont incapables de le faire. Les chefs du P.C.F., de la C.G.T. et du P.S.S. sont des PRIVILEGIES et ne peuvent plus redevenir des militants ouvriers ! Toutes les illusions à leur sujet de la part des travailleurs de base qui militent dans ces organisations sont aussi dangereuses que l'illusion des nombreux ouvriers qui ne croient pas au danger fasciste.

Il n'y a qu'un moyen pour les militants communistes, socialistes ou cégétistes de base (que le fascisme se destine comme ses premières victimes) de renverser la vapeur et EPROUVER leurs chefs : c'est qu'ils commencent eux, à la base, à agir démocratiquement, en liaison avec toutes les tendances du mouvement ouvrier, d'accomplir sur les lieux de travail ce que les chefs se refusent de réaliser : L'UNITE D'ACTION PROLETARIENNE POUR DES OBJECTIFS PROLETARIENS PAR DES METHODES PROLETARIENNES !

Il est minuit moins cinq pour rompre avec le passé "suiviste" afin d'éviter un avenir fasciste !

LA VOIX DES TRAVAILLEURS


VICTIMES DE LEUR NEGLIGENCE OU DE LA RAPACITE PATRONALE ?

Une affiche de la Sécurité sociale a été placardée chez Renault, donnant cette sinistre statistique : "Un accident par minute, un blessé grave tous les quarts d'heure, un mort toutes les heures".

Que de prestations à payer ! N'est-ce pas ruineux ? La Sécurité sociale, cette soi-disant conquête des ouvriers, risque de devenir un mauvais fromage pour les rats qui y prospèrent.

Aussi, quel cri d'angoisse : "Ouvriers, aidez-nous !". Ne vous faites pas prendre les mains dans les machines, ne vous laissez pas arracher les cheveux, cela nous revient trop cher !

A croire qu'il dépend des ouvriers de se blesser, ou de ne pas se blesser. Quel est l'homme qui, après un journée harassante de travail, après avoir été obligé de soutenir un rythme d'enfer des heures durant, peut se dire suffisamment maître de ses nerfs pour rester à l'abri d'un accident qui le guette, de la machine meurtrière qui, à la moindre défaillance, happe un morceau de sa chair ?

Des statistiques prouveraient que la plupart des accidents se produisent en fin de journée, et surtout en fin de semaine, quand l'ouvrier, exténué, cesse d'être maître de ses réflexes.

Et n'est pas pure hypocrisie que de s'adresser aux victimes ? Alors que les vrais responsables sont ceux qui forcent la cadence, qui entassent les ouvriers et leurs dangereuses machines dans des espaces si réduits qu'il leur est impossible de remuer sans se gêner mutuellement, qui négligent d'adapter à ces machines des dispositifs de sécurité suffisants, considèrent avec étonnement l'ouvrier qui ose réclamer des moyens de protection efficaces, et ne voient en lui qu'un rouspéteur ou un "agitateur à surveiller".

Si les dirigeants de la Sécurité sociale n'étaient pas des tartuffes, ils n'apposeraient pas des affiches demandant aux ouvriers leur aide (quelle aide ?), mais obligeraient les patrons à protéger un peu mieux la santé et la vie de ceux qui sont la source de leurs profits.

H. DURIEUX

Cet article était à peine terminé quand notre camarade Durieux a été lui-même victime d'un "accident du travail" : jeudi dernier, à 6 h. 30 du soir (en fin de journée et en fin de semaine !) une meule lui a ouvert le poignet droit, sectionnant l'artère et les tendons.

Nous demandons à tous les camarades du 88 qui, en son absence, ne pourront pas se procurer le timbre syndical sur place, de passer le chercher à la permanence, ainsi que La Voix, et de veiller à ce que la vente en soit assurée dans le département, en passant le journal à ceux qui ne l'auront pas eu.

La Rédaction


VIVE LA GREVE GENERALE !

A l'heure où nous écrivons, la solidarité qui se manifeste parmi les ouvriers à l'égard des grévistes du métro, montre que toute la classe ouvrière est prête à livrer à nouveau une grande bataille.

Après des mois de luttes partielles, les conflits qui ont éclaté ou qui menaçaient d'éclater chez les ouvriers du gaz et de l'électricité, des chemins de fer, des mines, couronnés maintenant par la grève générale du métro, montrent que la classe ouvrière est résolue à entamer un mouvement général pour mettre fin à une politique qui a réduit des millions d'hommes au désespoir.

Aux revendications des grévistes du métro, le gouvernement répond aujourd'hui par des menaces et en employant la force policière – honteuse atteinte au droit de grève ! Plus la situation est intenable pour les ouvriers, et plus le gouvernement aux ordres des capitalistes se montre dur. Ramadier ne veut pas délibérer "sous la menace de la grève". Il ne sait délibérer qu'à la solde des capitalistes : il y a quelques jours à peine dans un discours sur les nouvelles mesures financières, il n'était question que d'un nouveau tour de vis pour les masses travailleuses et les petites gens de la ville et de la campagne ; il n'y avait pas un mot qui envisage même de loin un impôt sur le grand capital.

Mais il serait impossible au gouvernement d'opposer la force à l'action unifiée de tous les travailleurs dans une grève générale "tout de suite et dans toute la France".

C'EST LE MOMENT DE FAIRE CAPITULER LE GOUVERNEMENT !

Tous les travailleurs ont, à l'heure actuelle, les mêmes revendications. S'ils mènent simultanément la lutte, ils imposeront les solutions qui seules peuvent nous sortir de la situation actuelle :

Le contrôle ouvrier sur l'établissement des prix.

Un salaire minimum vital garanti contre la hausse du coût de la vie, par l'échelle mobile.

Application des 40 heures.

Faire payer les impôts aux riches.

Dans toutes les usines, l'action des ouvriers doit s'organiser. Les événements de Verdun, la grève du métro, montrent que le gouvernement est prêt aujourd'hui à verser le sang ouvrier pour défendre les privilèges des capitalistes. Il faut faire face aux attaques de la police et des bandes fascistes que le gouvernement est disposé à laisser agir contre les travailleurs. Les ouvriers doivent rester maîtres des usines en grève, en occupant les lieux, en élisant démocratiquement des comités de grève et des piquets qui doivent organiser et chercher les moyens matériels pour être capables de résister à toute attaque.

VIVE LA GREVE GENERALE !


"CE QUE LA CLASSE OUVRIERE VEUT, ELLE LE PEUT"

Déclenchée par le "Syndicat autonome de traction" et le "Syndical général autonome", la grève du métro était, le premier jour, pour les dirigeants de la C.G.T. une nouvelle occasion de déverser les calomnies habituelles sur les grévistes et leurs organisations.

Le troisième jour cependant, changement complet dans l'attitude de ces mêmes dirigeants. L'Humanité publie un ordre du jour dans lequel les grévistes décident une procédure entièrement démocratique pour l'élection d'un comité central de grève, et consacre l'unité d'action de toutes les organisations syndicales, C.G.T. et syndicats autonomes.

Voilà la deuxième grande victoire ouvrière depuis juin 1936, décisive s'il en fut, car c'est à cette seule condition que le mouvement ouvrier peut non seulement battre les capitalistes, mais simplement exister !

Le début de la grève du métro (voir compte rendu 5° colonne) prouve jusqu'à l'évidence que la nouvelle attitude des dirigeants cégétistes n'est pas due à une conversion miraculeuse à la démocratie, qu'ils ont toujours bafouée, mais à la volonté des ouvriers de ne pas se laisser mener aveuglément et de décider eux-mêmes de leur propre sort.

Mais ceux qui ont pris l'habitude, pendant de trop longues années, de bafouer la volonté ouvrière ne manqueront pas de la bafouer à nouveau, si la vigilance des travailleurs à leur égard se relâchait, ne fût-ce qu'un instant.

Ne pas se laisser griser par la victoire, c'est donc la première condition pour en cueillir les fruits. Pas un instant il ne faut faire confiance à ces loups déguisés en bergers !

Si les dirigeants cégétistes sont sincèrement avec les grévistes du métro et pour l'aboutissement de ses revendications, ils ne peuvent être que pour la solidarité de toute la classe ouvrière avec ces travailleurs. Or les dirigeants cégétistes restent des briseurs de grève. Aujourd'hui, mardi, ils se sont opposés par tous les moyens en leur pouvoir à la grève de solidarité déclenchée par les ouvriers du secteur Collas, pour l'empêcher de s'étendre aux trente mille ouvriers de l'usine Renault.

"Ce que la classe ouvrière veut, elle le peut !", écrivait La Voix, il y a quelques semaines. Elle a pu déclencher ses luttes revendicatives contre la volonté des dirigeants officiels de la C.G.T. passés au service de la bourgeoisie, elle a pu aujourd'hui leur imposer la démocratie. Elle pourra tout, si elle le veut vraiment.

Et ce qu'il lui faut vouloir aujourd'hui, c'est s'organiser tout entière pour la bataille, fraternellement unie, en rangs serrés et disciplinés – une discipline librement déterminée et librement consentie !

Pierre BOIS


VIGILANCE !

La grève du métro est générale. La C.G.T., après avoir désavoué le mouvement déclenché à son encontre, vient de s'y joindre.

Cette grève, dont l'importance est comparable, par ses répercussions, à celle des cheminots, intéresse tous les ouvriers et trouve leur sympathie.

Devant les légitimes revendications des travailleurs du métro, le gouvernement prend l'attitude "forte". La radio et la presse de service déversent leurs mensonges, tandis que Ramadier fait appel à la police pour expulser les piquets de grève et les ouvriers qui occupent les locaux. Les événements de Verdun, de Nancy et d'ailleurs nous ont déjà montré de quoi un gouvernement, qui ne touche pas un cheveu des trafiquants et des milliardaires, est capable contre les masses travailleuses dans la misère.

La lutte engagée doit être menée à bien. Pour cela elle a besoin non seulement de la ferme résolution des travailleurs du métro, mais de l'appui actif et éclairé de toute la classe ouvrière.

Il faut que les ouvriers sachent d'abord comment a été déclenchée la grève du métro.

C'est le syndicat autonome des conducteurs (groupant la majorité des travailleurs de cette catégorie : environ 1.250 sur 1.700 à 1.800) qui, par vote secret, en assemblée générale, le vendredi 10, décide de déclencher la grève pour l'aboutissement de ses revendications.

Le lendemain, à 10 h. 30, le Syndicat général autonome du métro, après s'être mis d'accord avec le Syndicat des conducteurs sur le cahier de revendications, décide à son tour la grève. Ainsi, dès le matin du 11 octobre, la grève du souterrain paralyse le trafic du métro, mais en partie seulement. Car la C.G.T. (de même que la C.F.T.C.) désavoue le mouvement. Elle donne l'ordre à ses adhérents de travailler et, qui plus est, de renforcer leur service sur les lignes dissidentes. Comme dans la grève Renault, elle essaie de briser le mouvement, non seulement en faisant faire à ses membres un travail de jaunes, mais en le discréditant par la calomnie et les falsifications. L'Humanité du 11 octobre écrit que c'est une minorité qui a déclenché la grève et s'insurge contre le fait que l'action de cinq cent trente-cinq employés paralyse l'activité d'une corporation de trente-quatre mille agents. Après ce petit calcul, au moyen d'une arithmétique de son cru, elle assimile aux gens de L'Epoque  les grévistes qui auraient, d'après elle, mis en avant la réintégration des collaborateurs, alors que rien de pareil ne figure dans leur cahier de revendications. La section du P.C.F. de Billancourt publie un tract ronéotypé où elle accuse le syndicat autonome d'être lié avec le gouvernement pour provoquer des troubles que celui-ci réprimera par les gaz lacrymogènes...

Cependant, comme chez Renault, "cette minorité qui paralyse" est en réalité la majorité, non seulement chez les conducteurs, mais dans le métro en général. Les ouvriers en grève dès le matin du 11, et dont le nombre dépasse trois mille, représentent la volonté de tous leurs camarades pour les mêmes revendications. Dès le 11, certaines lignes d'autobus voient leur trafic ralenti, surtout celles qui dépendent du Point-du-Jour.

Parmi les employés adhérant à la C.G.T., l'indignation grandit contre cette organisation qui leur fait faire des heures supplémentaires pour remplacer les grévistes, en échange d'un litre de vin offert par le gouvernement. Au dépôt du Point-du-Jour par exemple, le responsable cégétiste déclare publiquement, dans une réunion du syndicat autonome, qu'il est d'accord avec les revendications de celui-ci et prend l'engagement de défendre la position en faveur de la grève à la réunion de la C.G.T., qui doit avoir lieu le soir même à la Bourse du Travail.

A la réunion de la Bourse du travail, convoquée par la C.G.T. le 11 au soir, de nombreux délégués se prononcent en faveur de la grève et déplorent que la C.G.T. ait attendu que le syndicat autonome déclenche le mouvement. Les bonzes essaient de remettre de l'ordre en accusant le syndicat autonome d'être à la solde de Truman ! Mais l'assemblée ne se sépare qu'après avoir dû voter une résolution par laquelle la C.G.T. s'engage à donner le mot d'ordre de grève que si satisfaction n'est pas accordée aux revendications avant lundi midi.

Le lendemain, 12 octobre, L'Humanité écrit : "Durant la journée d'hier, l'esprit de lutte des travailleurs du métro et des autobus s'est manifesté avec force." (Beau travail d'une minorité !) Par un grand titre, elle annonce l'éventualité de la grève générale. La C.G.T. cherche à reprendre la grève à son compte. Après avoir désavoué le mouvement, la C.G.T. se déclare prête à l'envisager et déplore seulement la division ! Mais, tout en déplorant la division, elle continue à faire faire à ses adhérents, pendant la journée du dimanche et du lundi, le travail de briseurs de grève.

Comme au moment de la grève Renault, la C.G.T. se déclare aussi d'accord avec les revendications des travailleurs en lutte et entame, en leur nom, des négociations avec le gouvernement. En fait, elle essaie de limiter les objectifs de la grève. C'est ainsi que la C.G.T. ne fait figurer, dans ses revendications, ni l'application effective des quarante heures, ni la revalorisation des salaires, garantie par l'échelle mobile, qui figurent dans le cahier de revendications du syndicat général autonome et qui, seules, permettraient au mouvement d'obtenir des résultats durables.

Il est important, pour les ouvriers, de connaître comment ont agi les dirigeants de la C.G.T. pour savoir à quoi s'attendre, non seulement de la part d'ennemis déclarés de la classe ouvrière, mais aussi de la part des "amis de la dernière heure".


ECHOS – CHEZ RENAULT...


LA C.G.T. EN BAISSE

Nous avons déjà relaté que les effectifs de la C.G.T. étaient en baisse, notamment dans des secteurs où son influence s'était le plus manifestée, tels qu'aux roulements à billes et dans l'île.

D'après des renseignements fournis par des délégués cégétistes, l'effectif actuel serait de 5.000 syndiqués pour toute l'usine (30.000 personnes).

De plus en plus, les ouvriers abandonnent les bureaucrates, mais il ne faut pas que ce soit une raison pour abandonner toute activité syndicale, car c'est de la passivité des ouvriers que se nourrit la politique des bureaucrates.

Il faut que les ouvriers se regroupent s'ils ne veulent pas être une proie facile pour le patronat.

Laisser tomber les bonzes, c'est bien.

S'organiser sans eux, c'est mieux.


PARUTION DE BULLETINS LOCAUX

Les camarades des départements 49 et 88 ainsi que ceux de l'usine O viennent de publier des bulletins locaux du S.D.R. pour tenir les ouvriers au courant de la situation dans ces départements, et défendre leurs revendications particulières.

Le bulletin des départements 49 et 88 signale, pour ce dernier, l'anarchie intolérable dans le système de paye qui aboutit à léser directement les ouvriers sur le montant du salaire.


TOUJOURS LES CHRONOMETRAGES

Les temps nouvellement chronométrés sont mis en application.

La direction prétend que les temps sont augmentés parce que les anciens figurant sur les onglets ont été quelque peu majorés. Mais, par rapport aux temps effectivement payés jusqu'à maintenant, c'est-à-dire majorés des suppléments par "bons chamois", ils sont considérablement diminués. Il y a environ dix-huit mois avec ces temps, majorés des suppléments, les ouvriers réalisaient 68' à 70' dans l'heure. 70 minutes étaient le plafond et les ouvriers allaient rarement jusqu'à 72' de crainte de voir descendre le chrono. Mais la loi Croizat supprimant le plafond est intervenue. Cette loi précisait qu'en aucun cas il ne pourrait être effectué de diminution de temps. Depuis dix-huit mois la vie a augmenté dans de telles proportions que, bon gré mal gré, les ouvriers ont été contraints d'augmenter leur cadence.

Aujourd'hui ils sont arrivés au minimum à 80' dans l'heure, nombreux sont ceux qui livrent à 85' et certains dépassent même les 90'.

La direction respecte la loi Croizat, elle ne diminue pas les temps, seulement, prétextant que les ouvriers, avec les suppléments (qui étaient inclus dans les temps effectivement payés avant la loi Croizat), montent à une cadence supérieure à 80' dans l'heure (ce qu'ils ne font qu'au détriment de leur santé) en profite pour supprimer les suppléments.

Evidemment la direction a toujours des arguments en réserve. Elle est toujours prête à analyser (sic) tous les cas qui ne donnent pas satisfaction aux ouvriers.

Si elle se permet cette "libéralité", c'est qu'elle sait que la plupart des ouvriers, sachant quel combat ils auront à soutenir s'ils revendiquent leurs droits, préféreront se laisser exploiter plutôt que d'engager la bataille.

La direction donnera satisfaction, après bien des démarches, aux ouvriers les plus récalcitrants.

Quant aux autres, ils n'ont qu'à travailler ferme.

Voilà comment la direction d'une usine étatisée interprète à son profit une loi du ministre "ouvrier" Croizat avec la protection légale du ministre "ouvrier" Daniel Mayer.


CHEZ HISPANO (Colombes)

D'après les échos de La Voix des travailleurs n° 22 (concernant Renault, Citroën-Clichy, Le matériel téléphonique), nous avons pu établir beaucoup de rapprochements avec notre situation chez Hispano-Suiza (Colombes), en particulier pour les salaires, les conditions de travail et l'attitude de la C.G.T.

Actuellement un O.S. arrive à se faire 60 à 62 francs de l'heure. Mais si nos salaires ont été augmentés de 11%, le prix de la cantine est passé de 26 francs, en août, à 45 francs fin septembre, c'est-à-dire qu'il a augmenté de presque 50%, comme tout le reste d'ailleurs. Si nous arrivons à joindre à peine les deux bouts, nous faisons pourtant nos quarante-huit heures de travail par semaine, c'est-à-dire :

– Pour les O.S. : quatre journées de douze heures.

– Pour les ouvriers de l'entretien : quatre journées de dix heures et une de huit heures.

En plus de cela, toute la journée, on a sur le dos les contremaîtres, qui sont un vrai régiment dans l'usine.

Par contre, la C.G.T. ne se montre guère. Depuis que le comité d'entreprise (C.G.T.) il y a six mois environ, s'est opposé à la fabrication du moteur Hercules et que, par suite, dix huit cents ouvriers ont été licenciés (nous sommes actuellement de trois mille à quatre mille ouvriers à Hispano-Colombes), sans que la C.G.T. s'occupât d'eux, la plus grande partie des ouvriers ne prennent plus leur timbre. Les collecteurs ne passent pas, la plupart du temps. Et les cégétistes ne vendent même plus la "V.O."

Toute l'activité de la section syndicale se borne, en temps ordinaire, à procurer des bleus de travail aux "petits amis". Aux mois de mai-juin, quand presque tous les ouvriers de la région parisienne sont entrés en lutte, à ce moment-là, la C.G.T. s'est démenée, dans toute notre usine, pour empêcher les ouvriers de faire grève, et on était pourtant en majorité pour la grève !... Ces jours derniers, la section syndicale nous a annoncé que le comité d'entreprise venait d'acheter un château de 3 millions pour l'aménager en maison de repos pour les ouvriers. En réalité, à l'heure actuelle, malade ou pas malade, l'ouvrier est obligé de travailler. Car ce n'est pas avec ce que donnent les Assurances sociales que peut vivre sa famille pendant que l'ouvrier se soigne.

De nombreux ouvriers, dans l'usine, surtout des jeunes, sont prêts à lutter. Ils n'attendent rien de la C.G.T., pas plus que des prochaines élections ou de De Gaulle, dont le caractère réactionnaire et antiouvrier est reconnu par la majorité des ouvriers de notre usine. Ils sentent bien qu'ils ne doivent compter que sur eux-mêmes. Ce qui leur manque pour pouvoir mener à bien la lutte pour améliorer leur condition, c'est l'organisation sur le plan de l'usine. Mais la base de cette organisation existe déjà, grâce à l'exemple d'ailleurs et à la combativité de ces ouvriers.

Un ouvrier de l'entretien
(Hispano-Colombes)


CHEZ CITROEN-CLICHY

Il y a un mois, les ouvriers de chez Citroën ont touché les 11%. En fait, la direction a profité de l'occasion pour leur retenir la prime horaire de 3 francs accordée en mai. Ce qui fait que, grâce à l'interprétation "savante" des accords C.G.T.-C.N.P.F. par la direction, l'application des 11% se traduit, pour les ouvriers, par une augmentation de 2 francs de l'heure ! Comme dans toutes les entreprises où aucune action syndicale ne s'est manifestée, le résultat des accords C.G.T.-C.N.P.F. n'a été que la reconnaissance des quelques augmentations arrachées au patronat à la suite des mouvements qui ont suivi la grève Renault.

Mais, chez Citroën, la direction ne s'est pas contentée de récupérer la prime de 3 francs. Elle est allée jusqu'à retenir les 1.000 francs d'acompte provisionnel avancés en juin. Les ouvriers ont été contraints de rembourser les 1.000 francs en trois fois : une première fois 700 francs (ce qui a fait un sérieux trou dans le budget), une seconde fois 200 francs et la troisième, 100 francs. Contre ce vol commis par M. Boulanger sur le salaire de famine qu'il donne à ses ouvriers, la section syndicale (C.G.T.) n'a pas réagi ! Toutes les occasions sont bonnes au patronat pour voler les ouvriers. Mais, d'après ce qu'on a pu lire dans La Voix, au sujet de l'application des 11% chez Renault, là-bas aussi, la direction a essayé de reprendre les 1.000 francs. Seulement elle s'est heurtée du côté des ouvriers à une résistance organisée, notamment à celle du Syndicat démocratique. C'est ce qui l'a obligée de revenir sur sa décision. Il est certain que s'il n'y avait eu, chez Renault, comme chez Citroën, que la section syndicale cégétiste, la direction de la Régie aurait réussi à faire ce qu'a fait M. Boulanger.

A quoi rime l'accusation de "diviseurs" que lancent à toute occasion les cégétistes contre les ouvriers de chez Renault qui ont formé le Syndicat démocratique alors que, chez Citroën, où elle n'a pas de "concurrent", la C.G.T. est incapable de mener la moindre action pour défendre les ouvriers ?

UN OUVRIER DE CITROËN-CLICHY


AU MATERIEL TELEPHONIQUE

Au Matériel téléphonique, le prix de la cantine, passé en août de 32 fr. 50 à 48 fr., vient d'être fixé, ces jours-ci, à 70 francs. Sous prétexte de l'augmentation du prix des denrées, le Comité d'entreprise a augmenté le prix du repas pour l'ouvrier, mais le patron, lui, continue toujours à verser la même subvention depuis 1944 ! En réalité, le patron doit aux ouvriers la subvention à la cantine comme appoint à leur salaire payé en dessous de son prix de revient (ce qui lui permet de faire des superbénéfices).

Mais les ouvriers ne peuvent admettre que le patron les vole à tous les coups : sur le salaire et sur la     cantine. Tant qu'il paie aux ouvriers un sous-salaire, c'est au patron à supporter intégralement les subventions à la cantine.


CHEZ ALSTHOM-LECOURBE

Les ouvriers se regroupent

A la suite d'une réunion syndicale commune, le mardi 7 octobre, la section syndicale C.G.T. de l'Alsthom (Lecourbe), qui a aidé pécuniairement le Comité de grève Renault, a décidé d'établir une liaison permanente avec le S.D.R.

Bien que la section syndicale Alsthom soit affiliée à la C.G.T., cette affiliation ne l'empêche pas d'établir un contact avec le S.D.R. Les organisations syndicales de base tireront les conclusions quant aux meilleures formes d'organisation selon leur propre expérience. Mais d'ores et déjà, ce qui importe, c'est qu'un contact direct soit établi à la base entre tous les ouvriers et entre toutes les usines.


TOUJOURS AU NOM DE LA LEGALITE

La reconnaissance de leurs syndicats autonomes comme organisations légalement représentatives, le droit d'avoir des délégués librement choisis, font partie des revendications des travailleurs du métro, en grève.

La pression de l'action gréviste a déterminé le ministre des Travaux publics à "suggérer un système de désignation des délégués du personnel plus souple que le système en vigueur".

En effet, en fait de souplesse, la législation mise en vigueur par Croizat, avec l'appui du gouvernement, au sujet de l'élection des délégués, a donné en réalité à la C.G.T. le monopole de la représentativité.

Ainsi, chez Renault, où dans certains départements, l'écrasante majorité des ouvriers avait voté contre les délégués cégétistes, ce sont quand même eux qui font fonction de délégués du personnel auprès de la direction.

Dans un des départements où cette contradiction est flagrante, le S.D.R. a récemment demandé par lettre à la direction de procéder à des élections partielles, deux des délégués sur les quatre auxquels les ouvriers ont droit n'étant pas en fonction. Mais la direction ne se montre pas empressée de répondre. La loi ne l'oblige pas à procéder à une élection partielle et peu lui importe que les ouvriers soient privés du droit d'élire des délégués de leur choix ou même se trouvent sans délégués du tout. Au contraire, cela ne peut qu'arranger ses affaires, c'est se servant de cette législation qu'elle a refusé récemment de discuter avec le S.D.R. la question des salaires, que celui-ci avait posé sur un plan favorable aux ouvriers, sous prétexte qu'il n'était pas "représentatif".

Dans le Métro, les ouvriers qui ont exigé par l'action la représentativité des délégués de leur choix, ont obligé le ministre à envisager un changement dans le système d'élection des délégués. Cet exemple vient de nous montrer que la volonté des ouvriers fait plier la loi.


PAS DE LOCAUX OUVRIERS, PAS DE VOIX OUVRIERES !

En tant que syndicat ouvrier légalement reconnu, le "Syndicat démocratique Renault" avait demandé, il y a deux mois, à la mairie de Boulogne, un local afin d'y établir son siège. La mairie a donné une réponse négative, en la justifiant par le fait que la ville de Boulogne n'a plus de maison des syndicats.

Celle qui existait avant la guerre a été détruite par les bombardements. La C.G.T. et la C.F.T.C. se sont installés dans les locaux de l'ancien hôpital Ambroise-Paré, rue Yves-Kermen. Ces locaux appartiennent à l'Assistance publique et non à la ville de Boulogne. Ils sont donc à la merci d'une expulsion à une plus ou moins brève échéance. La Régie Renault a d'ailleurs des visées sur les terrains pour agrandir ses usines. Quant aux syndicats qui se constituent, ils n'ont qu'à loger dehors, car il n'existe encore aucun projet de construction d'une maison des syndicats.

Ainsi, théoriquement, les travailleurs ont le droit de réunion, mais pratiquement ils n'ont pas le moyen de s'assembler ; ils ont le droit syndical, mais dans une ville où il n'y a presque que des usines, ils n'ont même pas une maison des syndicats à leur disposition. Or ce n'est pas seulement une ville à population ouvrière, mais aussi à municipalité socialiste ! Une municipalité socialiste ne peut pas fournir à un syndicat ouvrier une chambre pour lui servir de local, tandis que les bourgeois possèdent partout salles et locaux et ont à leur disposition, pour comploter contre les ouvriers, non seulement leurs salons, mais les ministères et les bâtiments publics !

Cela n'empêche pas les gens qui sont à la tête de cette municipalité à étiquette socialiste de solliciter les voix ouvrières pour les nouvelles élections municipales. Mais si une municipalité socialiste n'est même pas capable d'offrir aux travailleurs une maison des syndicats, les ouvriers ne voient pas pourquoi ils voteraient plus pour eux que pour de simples bourgeois qui en feraient tout autant. D'autant plus que cette municipalité soi-disant socialiste, ne nous a en rien aidé pendant la grève !

"Votez pour avoir des municipalités ouvrières !..." Mais ce qui intéresse les ouvriers, ce ne sont pas les étiquettes. Si la municipalité de Boulogne se dit socialiste et ouvrière, qu'elle se comporte d'abord comme telle. Pas de locaux pour les syndicats ouvriers, pas de voix ouvrières.


A PROPOS DE BLE

La "Tribune économique" se donne la peine de faire un tableau pour expliquer que nous avons besoin de 43 millions de quintaux de blé ; que la collecte escomptée est de 22 millions de quintaux – qu'il y a donc un déficit de 21 millions de quintaux qu'il faudra importer – mais si ce déficit existe, outre l'anarchie capitaliste dans la production, il est dû au fait que le blé est exporté : "3.500 quintaux de blé fournis à la principauté d'Andorre en vertu des "obligations traditionnelles de la France" glisse Le Monde du 2 octobre.

A Montgé (Seine-et-Oise), pays de grosses cultures de blé et de betteraves sucrières, la population, qui ne peut trouver un kilo de farine, voit partir des trains plombés chargés de blé en direction de la Suisse. Et voilà comment les richesses du sol partent à l'étranger pour se transformer en or pour les capitalistes, en famine pour la population.


La rédaction de La Voix invite les travailleurs qui habitent les 15ème, 19ème et 20ème arrondissements à voter pour la liste "d'Unité Révolutionnaire" présentée par les "Jeunesses socialistes" et le "Parti communiste internationaliste".

Il n'y a pas lieu ici de commenter en quoi nous sommes séparés, au point de vue tendance, de ces camarades. Ce qui importe, c'est que, dans la mesure de leurs forces, ces camarades ont aidé la grève Renault ; d'autre part, les "Jeunesses socialistes" viennent de rompre avec le parti socialiste (Ramadier !) qui voulait leur INTERDIRE d'aider les ouvriers. Le "Parti communiste internationaliste" a pour origine le même motif : la lutte indépendante des travailleurs contre le patronat.

Ces raisons sont plus que suffisantes pour que les travailleurs les préfèrent à toutes les autres listes actuellement présentées.

LA VOIX DES TRAVAILLEURS


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Un syndicaliste pur ......  100 frs.
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