1947

PRIX : 4 francs – 5 novembre 1947
L'EMANCIPATION DES TRAVAILLEURS SERA L'ŒUVRE DES TRAVAILLEURS EUX-MÊMES
La Voix des Travailleurs – ORGANE DE LUTTE DE CLASSE


La Voix des Travailleurs nº 25

Barta

5 novembre 1947


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NECESSITE N'EST PAS VERTU

Depuis de nombreuses années, le comité central du Parti communiste français a forgé de toutes pièces, à l'aide d'un immense appareil de propagande, le dogme de son infaillibilité et c'est par elle qu'il a justifié toute son action ; aujourd'hui, le "génial" Thorez lui-même déclare dans la réunion du comité central du 29 octobre : nous nous sommes trompés en nous alliant avec Daladier et Paul Faure dans le "Front Populaire", nous avons commis une "grave faute" en nous alliant au général De Gaulle.

Ces gens-là se trompent donc depuis DOUZE ANS ; s'ils l'avouent aujourd'hui, c'est qu'ils y sont CONTRAINTS. Car, aujourd'hui, après avoir, face à la montée révolutionnaire des ouvriers depuis 1934, utilisé les chefs du P.C.F.. pour canaliser l'offensive ouvrière, tous les partis bourgeois, y compris le "socialiste" jettent le citron pressé. Comme ils ne peuvent pas tout de suite (le temps presse) faire oublier aux membres de base communistes, aux sympathisants et aux travailleurs eux-mêmes, que c'est au nom de l'alliance avec tous ces gens-là qu'on a justifié la trahison du mouvement ouvrier révolutionnaire, les chefs staliniens recourent au subterfuge de confesser leurs erreurs !

Cependant, c'est au nom de cette alliance trompeuse pour les classes travailleuses avec les Daladier et les De Gaulle qu'ils ont persécuté, calomnié, et même assassiné (comme Léon Trotsky) ceux qui avertissaient la classe ouvrière des dangers qui la menaçaient du fait de cette alliance.

Votre confession, messieurs les bureaucrates, est-elle destinée à réparer le tort commis au mouvement ouvrier par vos crimes antérieurs ? Pas du tout. Vous ne visez une fois de plus qu'à tromper les ouvriers ; vous voulez en faisant preuve d'humilité, qu'on pardonne vos péchés !

Démocratie dans le mouvement ouvrier, dites-vous ? Elections par les ouvriers, de bas en haut, de tous les responsables syndicaux, préconisez-vous maintenant ? Mais avez-vous cessé de calomnier, de persécuter, de menacer les ouvriers qui mettent en doute, ne fût-ce que votre génialité ? La démocratie avec la suppression de l'opposition est un leurre à la Hitler, à la Mussolini, à la De Gaulle, et à la Staline, le véritable responsable de la politique misérable que vous avez menée. Vous faites de nécessité vertu, et de la démocratie un paravent.

En se détournant définitivement de vous, les travailleurs manifestent leur volonté de ne plus lâcher la proie pour l'ombre et de commencer à accomplir eux-mêmes ce que vous n'avez su ni voulu réaliser : la démocratie prolétarienne à la base dans les usines et les quartiers.

LA VOIX DES TRAVAILLEURS


LA LUTTE SE GAGNE TOUS LES JOURS

Une nouvelle hausse catastrophique des prix s'ajoute, au seuil de l'hiver, au lourd fardeau de misère qui pèse sur les classes laborieuses. Le gouvernement pourra-t-il la justifier ? Car il n'a même pas, cette fois, le prétexte illusoire d'une augmentation des salaires, même pour le métro, où une faible hausse des salaires est intervenue récemment, les capitalistes admettent que ce n'est pas celle-ci qui peut expliquer l'augmentation projetée de 50%. Ce sont les "dépenses d'exploitation", disent-ils (Le Monde). Quelles sont ces "dépenses d'exploitation" ? Les capitalistes et le gouvernement n'expliqueront jamais aux ouvriers d'où vient cette contradiction : alors qu'ils établissent, dans toutes les industries, tous leurs prix (se répercutant les uns sur les autres) à un taux toujours plus fort, le salaire de l'ouvrier et son pouvoir d'achat descendent à un niveau toujours plus bas.

En réalité, dans les "dépenses d'exploitation" du capitaliste, dans ses prix de revient, le salaire de l'ouvrier tient une place de plus en plus réduite.

C'est à cela que, depuis des mois, a visé le patronat, avec l'appui du gouvernement, pour ses intérêts de concurrence sur le marché international et d'augmentation des profits. C'est contre quoi ont essayé de se défendre les ouvriers par leurs luttes revendicatrices.

La C.G.T., qui pourrait, faits à l'appui, dénoncer tout le mécanisme de spoliation du peuple, y entre au contraire comme complice. Des faits comme celui que nous dénonçons par ailleurs (vente des voitures en devises, paiement du salaire en monnaie dévaluée - voir ci-contre "Bas salaires et prix forts") se reproduisent sous différentes formes dans toute l'économie. La C.G.T. se tait. Par contre, l'Union des syndicats appelle à la défense de l'industrie française, la main dans la main avec les capitalistes. C'est ainsi que la section syndicale Renault promet à la direction, en échange d'une augmentation dérisoire du salaire, de "veiller" (sic) elle-même à l'augmentation du prix des voitures.

C'est en ayant refusé de reconnaître que les intérêts capitalistes et les intérêts ouvriers ne se conciliaient pas que les dirigeants cégétistes ont consacré le niveau de vie bas des ouvriers.

La classe ouvrière, facteur essentiel de la production dont dépend la vie même de la société, ne se laissera pas mener à la ruine pour le profit d'une poignée d'exploiteurs. La classe ouvrière organisée dispose de tous les éléments nécessaires pour mettre fin à la course entre les prix et les salaires, à condition d'en avoir la volonté. La bourgeoisie n'atteindra pas son but de réduire les travailleurs de ce pays au niveau des exploités coloniaux. La lutte s'impose aux travailleurs comme une mesure de sauvetage, et ils auront le dessus si, reprenant confiance en leurs forces, ils la préparent et l'organisent dès maintenant dans la défense quotidienne et solidaire contre l'exploitation patronale.


à la R.N.U.R.


BAS SALAIRE ET PRIX FORTS

Chez Renault, les responsables cégétistes ont tenu une série de réunions dans lesquelles ils revendiquent l'augmentation des prix de vente des voitures afin de pouvoir augmenter les salaires des ouvriers.

Avec la direction patronale, ils affirment : "Nous perdons 20.000 francs par Juvaquatre que l'on exporte".

Le bulletin syndical du S.D.R. de Collas pose le problème autrement : ce qu'il faut, c'est augmenter les salaires en fonction du coût de la vie, sans augmentation des prix", et il ajoute : "Et cela est possible".

Nous n'avons pas de chiffres précis sur le prix de vente des Juvaquatre à l'exportation. Mais nous pouvons prouver, avec des données précises sur l'exemple de la 4 CV, que la direction de la R.N.U.R. peut payer les ouvriers sans augmenter ses prix.

Les 4 CV sont vendues à l'étranger 1.295 dollars. En France, le prix de la 4 CV vient d'être homologué à 172.000 francs.

Si l'on traduit en francs le prix de la 4 CV, vendue à l'étranger au prix officiel, nous avons le chiffre de 1.295 x 119 (prix officiel du dollar), soit 154.000 francs. La direction pourra donc avancer avec certitude qu'en vendant des 4 CV à l'étranger elle perd 172.000 moins 154.000, soit 18.000 francs.

Pourquoi donc recherche-t-elle des débouchés pour la vente des 4 CV à l'étranger si elle y perd 18.000 frs. par voiture ?

C'est que, en vendant ses voitures à l'étranger, la Régie est payée en dollars. Et si, officiellement le dollar est à 119 francs, officieusement et réellement il est à 300 francs. En réalité, quand elle vend une voiture 1.295 dollars, la Régie encaisse 1.295 x 300, soit 388.500 francs. Au lieu d'une perte de 18.000 francs, c'est 216.500 francs que la Régie et l'Etat se partagent comme bénéfice.

Si l'on transpose, sur le terrain de la paye d'un ouvrier, le raisonnement de la direction et de la section syndicale, nous avons le résultat suivant :

Un ouvrier touche 6.000 frs.[*] par quinzaine, soit 12.000 francs par mois. Si on compte le dollar à 120 francs (119 exactement), l'ouvrier devrait donc recevoir une paye de 12.000 : 120, soit 100 dollars.

Mais on se garde bien de payer les ouvriers avec des dollars, car, avec 100 dollars, un ouvrier aurait un pouvoir d'achat bien supérieur à ce que lui donne droit 12.000 francs. Car si, officiellement, 12.000 francs et 100 dollars sont équivalents, officieusement et réellement 100 dollars valent 30.000 francs.

L'astuce de la bourgeoisie, où elle puise la source de ses profits, c'est de vendre ses produits dans une monnaie forte et de payer ses ouvriers avec de la monnaie de singe. La direction et le gouvernement peuvent augmenter les salaires des ouvriers sans augmenter les prix.

Car si, officiellement, ils perdent 18.000 francs par 4 CV, officieusement et réellement ils gagnent 216.500 francs par 4 CV.

_______________

[*] 6.000 frs. ont été pris pour faciliter les calculs, car nombreux sont les ouvriers qui ne touchent pas cette somme.


CE QUI EST PERMIS AUX DIEUX NE L'EST PAS AUX TRUANDS !

Pour justifier son refus de payer les heures de grève, M. Daniel Mayer, ministre du Travail, s'est cru obligé d'expliquer aux grévistes des transports que la grève était un sacrifice, un geste noble, dont les travailleurs doivent accepter tous les risques : exiger le paiement des heures de grève serait la ravaler au rang de "congé payé". Fi donc !

M. Daniel Mayer, qui touche les appointements combinés de député, de ministre et probablement de "lumière du parti socialiste" - ne parlons pas de ses autres revenus - est on ne peut plus qualifié pour parler de désintéressement.

Pendant que son compère Depreux nous démontrait, en faisant donner la flicaille, ce qu'ils entendent réellement tous deux, par droit de grève, Daniel Mayer, le bon apôtre s'est chargé de tromper les travailleurs par des moyens "idéologiques".

Avez-vous jamais vu, monsieur Mayer, des ouvriers se mettre en grève de gaieté de coeur ? Quand ils le font, c'est la rapacité de vos maîtres qui les y contraint. Mais alors que les patrons disposent de fonds suffisants pour tenir le coup en cas de conflit, les ouvriers, eux, n'ont rien : quand ils entrent en lutte, c'est qu'ils ne peuvent plus vivre de leur travail.

M. Mayer voudrait faire croire aux travailleurs qu'on peut se défendre le ventre vide. Et que ce serait bien beau...

Les ouvriers de chez Renault, et surtout ceux de chez Citroën, qui durent tenir un mois sans autre secours que les quêtes de leurs camarades, pourraient lui répondre à ce sujet. Avant guerre, le standard de vie de la classe ouvrière permettait à beaucoup d'avoir une petite somme de côté en vue des mauvais jours. De plus, sur les cotisations syndicales, un part était réservée pour la constitution d'un fonds de grève. Mais les temps ont changé...

Aujourd'hui, ne pas admettre le paiement des heures de grève, c'est en fait ne pas reconnaître le droit de grève. Les ouvriers, même en travaillant, n'arrivent pas, en effet, à joindre les deux bouts. Or, les avantages retirés par eux d'une grève, même complètement victorieuse, ne peuvent en aucun cas, en ces temps d'inflation et de spéculation capitaliste effrénée, être à même de combler le trou provoqué dans leur gagne-pain par la grève elle-même. Donc, quand le patron, par mille vexations et spoliations successives, a contraint les ouvriers à la grève, renoncer à exiger le paiement de leur salaire pendant tout ce temps où ils ne travaillent pas, par la faute du patron, c'est agir contre les ouvriers, soutenir ce dernier, être son complice, ou plutôt son laquais !

S'élever contre le paiement des heures de grève, c'est nier le droit de grève, car le droit sans la possibilité matérielle de l'exercer est inexistant. Que vaut pour les ouvriers le droit de propriété, par exemple, puisqu'ils sont pratiquement dans l'impossibilité de l'exercer ? C'est avec raison que le comité de grève Collas affirmait dans un tract réclamant le paiement des heures de grève : "Sans paiement des heures de grève, le droit légalement reconnu à la grève ne serait, en effet, que le droit de se laisser mourir de faim".

Daniel Mayer prêcherait dans le désert, et nous serions dispensés de nous occuper de sa triste personne, si malheureusement il ne se trouvait de prétendus syndicalistes pour reprendre à leur compte ces balivernes et les répandre complaisamment dans le mouvement ouvrier. Ainsi les dirigeants des syndicats autonomes du métro prétendent, eux aussi, que "la grève n'est pas un congé payé" et se vantent de ne s'être "jamais abaissés à demander à ce que l'on paye les journées de grève".

Eux aussi, comme M. Mayer, sont des admirateurs de "l'action révolutionnaire désintéressée"... quand il s'agit du paiement des heures de grève des ouvriers ; car pour ce qui est du paiement des heures des permanents syndicaux, là, évidemment, ils sont d'un avis tout contraire. Cependant on ne voit pas du tout pourquoi. Car si la grève, d'après eux, est un acte révolutionnaire désintéressé pour lequel les ouvriers ne doivent pas s'abaisser à réclamer de l'argent, l'activité de tous les jours des responsables syndicaux l'est encore bien davantage. Cela ne leur est même pas venu à l'esprit !

La classe ouvrière ne saurait organiser des combats et remporter des victoires, si ceux qui prétendent la diriger reprennent à leur compte, pour s'en faire une ligne de conduite, les tromperies de ministres bourgeois.

Henri DURIEUX


SAUVONS-NOUS NOUS-MEMES

Le printemps et l'été derniers, par sa lutte gréviste contre le patronat et le gouvernement, la classe ouvrière témoignait de sa confiance en ses propres forces. Après la trahison de cet effort par la C.G.T. et le succès du R.P.F. aux élections municipales, l'état d'esprit, dans les rangs ouvriers, témoigne d'un désarroi que tous leurs ennemis s'évertuent à entretenir. Les raisons n'en sont pas difficiles à voir.

Pendant des mois, l'agent direct de l'oppression patronale sur les ouvriers étaient leurs propres organisations syndicales. Pendant des mois, ils ont subi les brimades et les méthodes dictatoriales de ceux qui se disaient leurs représentants. Ce sont ceux-ci qui étaient les premiers gardes-chiourme pour surveiller la cadence et jouer le rôle de dénonciateurs auprès du patron. Ce sont eux qui, s'érigeant en guides infaillibles, avaient supprimé toute liberté d'expression au sein du mouvement ouvrier et traitaient comme des malfaiteurs les ouvriers qui diffusaient ou même lisaient un tract défendant une autre opinion que la leur. Depuis des mois, les travailleurs, ayant fait l'expérience des méthodes et de la trahison des dirigeants cégétistes, éprouvaient le besoin de se débarrasser d'eux.

Le R.P.F. se présente, tant qu'il n'est encore qu'au stade de la propagande, non pas comme l'ennemi des ouvriers, mais comme l'ennemi du P.C.F., de Thorez ou de Frachon. Aussi, beaucoup regardent-ils avec indifférence la montée fasciste. Certains envisagent même avec plaisir de voir le R.P.F. chasser les "communistes".

Ceux qui, hier encore, collaboraient avec le P.C.F. au gouvernement et s'entendaient avec lui en faveur du patronat contre les ouvriers : les "socialistes" à la Belin, Jouhaux ou Mayer, sont vraiment peu qualifiés pour se poser en candidats à l'épuration du mouvement ouvrier. A la place d'un programme réel de lutte ouvrière, ils n'en ont d'autre que de crier à la trahison des politiciens du P.C.F., alors qu'eux-mêmes, qu'ils aient l'étiquette syndicaliste pure, corporatiste ou autre, sont, pour la plupart, affiliés à un groupe politique, P.S., R.P.F., etc. Dire que les dirigeants du P.C.F. sont des traîtres ce n'est pas cela qui les désigne, eux, comme les véritables défenseurs de la classe ouvrière ; en tout cas, ils n'ont jusqu'à maintenant nulle part montré qu'ils l'étaient. Leur propagande n'est qu'une manoeuvre qui utilise le mécontentement des ouvriers pour les embrigader dans le camp américain et domestiquer les syndicats à la manière de 1939.

Le mouvement ouvrier a besoin d'être épuré. C'est certain. Mais les travailleurs sont assez grands pour chasser eux-mêmes ceux qui les ont trahis et rebâtir leurs propres organisations, sans recourir aux représentants de la bourgeoisie pour les débarrasser de leurs traîtres. Car, derrière la propagande anticommuniste du R.P.F., il y a les syndicats corporatifs, la charte du travail de Vichy, le travail à outrance et les bas salaires pour "relever la France", et la suppression de toute liberté de parole et d'action ouvrières, pour assurer "l'ordre et l'efficience".

Le mouvement ouvrier ne se débarrassera pas d'agents du patronat qu'il exècre, à l'aide d'autres agents. On ne chasse pas le vent par la tempête.

Leur expérience de ces derniers mois montre, au contraire, aux ouvriers que leur propre action a effectivement commencé à les débarrasser des agents du patronat.

Voici, par exemple, un secteur de la classe ouvrière, qui n'est ni meilleur ni pire qu'un autre, et où il y a quelque chose de changé : les ouvriers de Renault (secteur Collas), en se regroupant à la base, ont conquis la liberté de s'exprimer, le respect des opinions et des personnes sans lesquels la lutte antipatronale elle-même est impossible. Cette conquête de la liberté n'est pas due à l'étiquette démocratique de leurs dirigeants, mais au fait que les ouvriers ont réalisé la démocratie, non seulement entre eux, mais contre le patronat, en lui imposant le respect d'une certaine liberté dans l'usine, qui n'existait pas auparavant. Ainsi le S.D.R., qui englobe des ouvriers de toutes tendances, conçoit la démocratie, non pas dans le défense exclusive de ses syndiqués, mais dans la lutte pour imposer au patronat des droits en faveur de tous les ouvriers.

Le jour où les ouvriers réaliseront dans chaque usine une organisation à la base, sans distinction de tendances et d'étiquettes, n'auront d'emprise sur eux ni service secret américain, ni Guépéou russe, ni police : ce seront la démocratie et la discipline ouvrières.

En dépit des apparences d'apathie et de découragement, en réalité, à côté de minorités qui penchent les unes du côté de la C.G.T., les autres du côté des manoeuvres anticégétistes, le gros de la classe ouvrière aspire à ce regroupement pour l'action indépendante de classe.

Car ce sont les conditions de vie que nous impose le régime capitaliste qui nous obligent aussi à lutter, quelles qu'en soient les difficultés ou les déceptions. Si les ouvriers peuvent parfois être las de lutter, ils n'ont pas la possibilité d'être las de travailler pour le patron. C'est dans ce fait qu'ils puiseront la volonté de rebâtir leurs organisations de classe pour battre en brèche les attaques de la bourgeoisie.

Pierre BOIS


LE LOYER EN HOTEL

Si les loyers sont encore aujourd'hui réglementés, tout le monde connaît, par contre, les prix exorbitants exigés par les tenanciers d'hôtels meublés. Le plus infâme réduit, pourvu qu'il y ait place pour un lit, est matière à location au prix fort. Le confort est la chose qui intéresse le moins le logeur.

Que l'eau soit sur le palier, les W.-C.. dans la cour, cela n'empêche pas votre chambre d'être classée comme "confortable". Et votre logeur se pose en philanthrope, dans une société où sans lui vous coucheriez dehors.

La part que tout travailleur est obligé de prendre sur son salaire pour se loger est de plus en plus importante. Cependant, il y a loin du loyer d'un logement au prix d'une chambre d'hôtel à 600 fr. à 700 fr. par semaine : 35.000 fr. par an. Cela représente le montant du loyer d'un appartement bourgeois dans le quartier Saint-Germain.

Un récent décret, autorisant une nouvelle augmentation officielle de 25%, va fournir aux logeurs le prétexte à aggraver encore leurs exigences.

Et qui sont ceux que le gouvernement autorise à rançonner de la sorte ?

La masse des sans foyers, qui s'accroît de jour en jour. Aux sinistrés, évacués, prisonniers, qui possédaient un foyer et s'en sont vus chassés par la guerre, viennent s'ajouter les jeunes mariés, qui, pour la plupart, ont déjà un enfant (car bien souvent c'est la perspective d'une naissance qui oblige les jeunes à se résigner à l'hôtel), les travailleurs nord-africains, indochinois, toute la main-d'oeuvre transplantée des colonies ou de l'étranger, à qui on a fait miroiter de mirifiques contrats de travail.

Pourquoi des égards pour les locataires "installés", et tant de désinvolture pour les déshérités qui logent en garnis ?

Si l'Etat lâchait la bride aux propriétaires, les loyers ne tarderaient pas à s'aligner sur les autres prix. Or, nos gouvernants savent bien que la classe ouvrière ne se laisserait pas imposer cette nouvelle atteinte à son standard de vie.

De même qu'à l'usine, les travailleurs peuvent se grouper et se concerter pour organiser collectivement leurs revendications, de même, chez eux, ils ont la possibilité d'agir en commun. Beaucoup sont groupés en syndicat de locataires. Tous ont des intérêts identiques. Ils sont habitués à se défendre collectivement (hygiène de l'immeuble, colonnes montantes, etc.). C'est dans les moeurs.

Il n'en est pas de même pour les locataires d'hôtels qui, pour la plupart, sont venus là en désespoir de cause. Ils vivent là en attendant mieux (un mieux qui ne viendra pas de sitôt). Entre eux ne s'est pas établie cette cohésion qui existe entre locataires voisinant depuis des années, dont le foyer est définitivement installé là où ils demeurent. Parce qu'ils sont isolés et sans défense (où aller s'ils sont mis dehors ?), le logeur en profite.

Et, comme par hasard, la plupart des immeubles en "reconstruction" se trouvent être des hôtels.

Peut-on s'en étonner ? Les propriétaires ne consentent à bâtir qu'avec la perspective de profits immédiats et certains. Quant à l'Etat, sa "reconstruction" consiste surtout à ravaler les églises, construire des ponts, ou bâtir de superbes édifices pour... le ministère de la Reconstruction ou autres administrations publiques.


ECHOS


CHEZ RENAULT... CANTINE

Pour dix heures de travail à une cadence de 130 à 140%, il est certain que le repas que l'on sert à la cantine de la R.N.U.R. est plus qu'insuffisant.

Au lieu de prendre la défense des consommateurs, L'Acier, l'organe du P.C.F., se fait l'avocat des administrateurs de la commission des cantines et conclut à peu près ainsi : "Que ceux qui critiquent en "faisant le jeu de la réaction" amènent des solutions."

Pour L'Acier, dire que deux rondelles de pommes de terre et une sardine, plus un morceau de saucisse avec de la purée et une pomme est un repas insuffisant pour un travailleur qui fait dix heures, c'est faire le jeu de la réaction.

C'est d'ailleurs le même raisonnement que celui de la direction qu'emploie L'Acier quand il se fait l'avocat de la commission des cantines. Lefaucheux dit : "Je ne peux pas vous payer, je n'ai pas d'argent". L'Acier ajoute : "Les cantines ne peuvent pas vous mieux nourrir. Donnez des solutions".

Nous avons, pour notre part, formulé plusieurs solutions :

– D'abord que la direction paye la même part qu'en 1945, soit la moitié.

– Ensuite réviser le prix de location et d'entretien, qui est actuellement de 4,90 frs. par repas.

– Nous avons réclamé la suppression de la bière puisque, d'après M. Briot, elle revient aussi cher que le vin.

Qu'ont fait la section syndicale et les gens de L'Acier auprès de la direction, pour améliorer la situation ?

Nous pourrions certainement apporter des solutions encore plus efficaces si la commission des cantines acceptait de nous donner les renseignements que nous réclamons sur le fonctionnement des cantines. Pourquoi a-t-elle refusé de nous communiquer une seule facture ? D'autant plus que lorsqu'elle nous annonce les pommes de terre à 17 francs le kilo, nous avons du mal à le croire.

Vous aviez promis, messieurs du Comité d'entreprise, de faire des rapports dans toute l'usine sur ce que vous saviez des cantines et de la Régie. Nous attendons vos actes.

QUATRAIN

 

P.S. – Des ouvriers dont la paye est insuffisante pour manger au restaurant, notamment les célibataires qui vivent en hôtel, ont demandé à la direction de prendre leur repas du soir à la cantine.

Après la "ratatouille" du midi, des ouvriers qui ont fait dix heures sur la machine sont obligés d'implorer la direction pour recommencer le soir le même repas.

Mais cela, la direction l'a refusé.

Il y a quelques mois, le journal du Comité d'entreprise traitait de voleurs ceux qui essayaient de manger le soir à la cantine. Aujourd'hui, la direction prend des mesures.

Pour éviter que les ouvriers, qui font la normale, prennent leur repas du soir en même temps que les équipes, la direction a reculé l'heure du repas des équipes de 18 h. 30 à 19 h. 30.

 

AU MATERIEL TELEPHONIQUE

Depuis le succès du R.P.F. aux élections, la section syndicale s'agite beaucoup dans l'usine, brandissant l'épouvantail du fascisme et accusant les ouvriers de ne pas la soutenir suffisamment pour lutter contre le danger imminent : "C'est encore nous qui allons nous retrouver dans les camps de concentration !" disait, avec rancune, un délégué.

Les délégués cégétistes s'étonnent aujourd'hui que les ouvriers ne les "suivent" pas. Mais eux-mêmes, ces derniers mois, comment ont-ils soutenu les ouvriers contre les exigences toujours plus grandes de la direction ? "Ici, on travaille tout le temps mais on ne revendique pas souvent", avouait avec amertume une déléguée elle-même, ces jours derniers.

La section syndicale s'inquiète d'être "coupée" des ouvriers. Il y a quelques semaines, dans un tract, elle appelait les ouvriers à resserrer leur contact avec les délégués, souvent mal informés et peu en mesure de les défendre, à apporter des suggestions dans les réunions syndicales.

Or, le vendredi 31 octobre, en assemblée générale, un délégué cégétiste a refusé de donner la parole à une ouvrière sous prétexte qu'elle n'était pas syndiquée... En réalité parce que cette ouvrière voulait critiquer l'attitude de la C.G.T. De nombreux ouvriers ont violemment protesté au cri de : "La Démocratie !" Mais si, en groupe, ces ouvriers n'ont pas craint de s'élever contre l'attitude antidémocratique d'un délégué cégétiste, il y a des cas où, isolément, certains ouvriers ont peur de la C.G.T. et se cachent pour lire des tracts, comme cela s'est produit, il y a quelques jours, pour un tract du Syndicat démocratique Renault.

Avec de telles méthodes, messieurs les cégétistes, ne soyez pas surpris que les ouvriers ne veuillent pas vous suivre ! En réalité, c'est de la C.G.T., de ses manoeuvres, de ses brimades, de ses trahisons que se détournent les ouvriers mais non pas de la lutte. La réflexion d'une ouvrière à une déléguée vient encore de le prouver : "On y descendra aussi, dans la rue, quand ce sera nécessaire. Pour ça, on n'a pas besoin de vous !"


CHEZ CITROEN

Chez Citroën, le va et vient de la main-d'oeuvre est incessant. En effet, si certaines catégories d'ouvriers gagnent 1 fr. ou 1 fr. 50 de plus par heure que chez Renault, par exemple, les conditions de travail, en général, y sont encore plus pénibles. Aussi les ouvriers ne travaillent-ils chez Citroën que provisoirement, pour la plupart, en attendant de trouver ailleurs un travail moins dur et mieux payé.

Jusqu'à ces derniers jours, la section syndicale avait fait preuve d'une carence totale aussi bien à Grenelle qu'à Clichy : l'été dernier, la direction avait pu renvoyer un délégué cégétiste trop combatif à son gré (Grenelle) et reprendre les 1.000 fr. d'acompte provisionnel accordés en juin sans que la C.G.T. ne lui oppose la moindre résistance. Mais, depuis le succès du R.P.F. aux élections, la section syndicale commence à s'agiter : elle parle de faire rendre aux ouvriers les 1.000 fr. d'acompte. Dans ce but, elle a organisé une conférence, le 25 octobre.

Cependant la majorité des ouvriers reste indifférente vis-à-vis de cette nouvelle attitude de la C.G.T. devant la danger fasciste. Comme les ouvriers de l'atelier de taillage des pignons qui, à Grenelle, l'été dernier, ont "viré" seuls les chronos, une grande partie des ouvriers ne compte que sur elle-même pour la défendre du fascisme et non plus sur une organisation syndicale qui, par ses manoeuvres et ses trahisons, lui a enlevé toute confiance.


CHEZ SALMSON

Les ouvriers de l'entretien électrique auxquels la maison doit fournir l'outillage ne reçoivent presque rien pour travailler. Pour suppléer à ce manque, la direction invite les ouvriers à apporter leurs outils, avec promesse d'une prime d'usure qu'ils n'ont jamais touchée. La direction nous vole déjà sur notre travail, ce n'est pas avec nos payes que nous devons lui fournir des outils. Qu'elle entame un peu ses superbénéfices pour garnir son magasin d'outillage, sinon, devant le travail à faire nous resterons bras croisés.

Un ouvrier de chez Salmson


 

30ème ANNIVERSAIRE DE LA REVOLUTION RUSSE

DE FEVRIER A OCTOBRE 1917

De quelque façon qu'on regarde la Russie actuelle de Staline, toutes les tendances saines du mouvement ouvrier sont d'accord pour voir dans les événements de février à octobre 1917, dans l'ancien empire des tsars, la première révolution prolétarienne victorieuse. A ce titre, l'esquisse même sommaire du tableau révolutionnaire de ces temps est d'une importance capitale pour la lutte ouvrière de nos jours. Ci-dessous, nous reproduisons donc un article publié, il y a un an, à l'occasion du 29° anniversaire de la "Révolution d'Octobre" par la "Lutte de Classes" (organe de l'Union Communiste Trotskyste). Nous précisons pour les lecteurs qui l'ignoreraient, que le calendrier russe était, en 1917, en retard de treize jours sur le nôtre et que, par conséquent, c'est le 7 novembre qu'on commémore en Occident la révolution russe du 25 octobre 1917.

[Reproduction de l'article publié dans le n° 72 de LDC]

 

Si un plus grand nombre de camarades, pour vendre le journal, pensaient à une série de petites choses qui demandent un effort minime, la vente augmenterait très vite dans les usines. Notre influence grandirait d'autant, ce qui ne pourrait que renforcer la lutte que mènent les travailleurs.

Nous n'en voulons pour preuve que l'exemple d'un collecteur de La Voix, chez Renault : aussitôt le journal paru, il s'adresse à ses camarades : "Ecoutez ce que mon journal répond à Lefaucheux, ce qu'a fait le S.D.R.... Savez-vous ce que c'est que De Gaulle ? etc." Et il leur lit le passage en question.

Une autre fois, il interpelle un camarade : "Tu te souviens de notre discussion d'hier. Eh bien ! regarde mon "canard" prend la même position que nous, ça, c'est un journal ouvrier !"

Ainsi, suscitant l'intérêt des uns et des autres, ce collecteur est arrivé, en deux ou trois semaines, à augmenter la vente de cinq, puis dix numéros.

Pouvoir faire connaître un journal fait par des ouvriers, le faire lire, en discuter, n'est-ce pas, pour chaque camarade, une satisfaction morale ? Pour dix et douze heures de travail forcé, n'est-ce pas le seul acte libre que puisse opposer l'ouvrier à l'exploitation patronale ? N'est-ce pas, pour l'ouvrier, un des meilleurs moyens de montrer au patron qu'il n'est pas la bête de somme qu'on voudrait faire de lui et, par là, de faire respecter sa dignité d'homme ?

L'ADMINISTRATION

 

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