1948

PRIX : 4 francs – 14 JANVIER 1948
L'EMANCIPATION DES TRAVAILLEURS SERA L'ŒUVRE DES TRAVAILLEURS EUX-MÊMES
La Voix des Travailleurs – ORGANE DE LUTTE DE CLASSE


Voix des Travailleurs nº 30

Barta

14 janvier 1948


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GUERRE OU PAIX ?

Le nouveau budget de guerre américain présenté par Truman à l'approbation du Congrès, se monte à 46% du nouveau budget et est de 17% plus élevé par rapport à celui de l'an dernier. La préparation matérielle de la nouvelle guerre se poursuit donc fiévreusement.

"La guerre est inévitable, nous répète-t-on, c'est faire preuve de sagesse que de s'y préparer". Car nous en sommes là, deux années et demi à peine après l'effondrement du Japon. Les fauteurs de guerre de tous les pays veulent amener les peuples du monde entier à l'idée de la "guerre inévitable", autrement dit, au suicide de l'humanité.

Les militaristes de tous les pays ont certes de gros arguments pour nous persuader de remettre notre sort et celui de nos femmes et de nos enfants entre leurs mains sanguinaires. La faillite de la "Société des Nations" après l'autre guerre et celle des "Nations Unies" maintenant, ne démontrent-elles pas le danger des illusions "pacifistes" basées sur une entente volontaire des peuples ? Il n'y a donc pas d'autre moyen "réaliste" pour assurer la paix, nous disent-ils, que la domination MILITAIRE d'une seule grande puissance sur tous les peuples du globe !

Mais n'est-ce pas au nom de ce "raisonnement" qu'aussitôt après l'écroulement de l'Allemagne et du Japon, les militaristes des Etats-Unis ont déjà voulu lancer les travailleurs d'Amérique et d'Europe contre ceux de l'Est ? Il fallait, soi-disant, dès 1945, profiter de l'énorme supériorité militaire des cliques de Washington sur les cliques de Moscou pour "en finir une fois pour toutes". Comment se fait-il que la guerre U.S.A.-U.R.S.S. "inévitable" en 1945 suivant la volonté des capitalistes, n'eût pas lieu ? C'est qu'à l'époque les ouvriers des Etats-Unis et d'Europe n'étaient pas prêts à continuer la tuerie sous d'autres prétextes. Par des luttes sociales d'envergure, par des grèves formidables, ils exigèrent au contraire de leurs gouvernements qu'ils tiennent leurs promesses !

La nouvelle guerre fut évitée parce que les travailleurs de tous les pays ne s'y étaient pas résignés.

Ce fait capital nous permet de comprendre pourquoi la bourgeoisie et ses serviteurs veulent à tout prix nous convaincre de "l'inévitabilité" de la guerre. Si l'espoir de guérison donne au malade des forces pour lutter contre la maladie, la certitude de l'inutilité de ses efforts ne lui ôte-t-elle pas toute volonté de combattre le mal ?

C'est pourquoi la bourgeoisie essaye de persuader les ouvriers de l'inutilité de leurs efforts dans tous les domaines. Ses économistes ne se sont-ils pas depuis toujours efforcés de présenter le salaire de famine que le capitaliste paye au travailleur comme une loi naturelle éternelle ? Mais est-ce qu'il est jamais venu à l'idée aux travailleurs de renoncer à leurs luttes revendicatives ?

Pas davantage, ils n'accepteront la guerre elle-même comme une fatalité. Et d'autant plus facilement que leur lutte pour une vie meilleure, pour de meilleurs salaires, pour un travail digne dans des conditions décentes, EST en même temps une lutte contre la guerre.

LA VOIX DES TRAVAILLEURS


CHOMEURS EN TRAVAILLANT

On a prêché et on prêche aux ouvriers, de toutes parts, l'effort et le travail pour le relèvement, toujours mieux, toujours davantage.

Mais tandis qu'on exige toujours plus de l'ouvrier, toujours plus misérable devient sa situation.

Avec l'abaissement continuel de son pouvoir d'achat, on en arrive aujourd'hui à constater que le professionnel "bien payé" se trouve au niveau du manoeuvre d'avant guerre ; quant à l'O.S., il ne vit guère mieux que le chômeur.

En 1937, avec ses 9 francs d'allocation par jour, le chômeur pouvait acheter une livre de beurre, ou une livre de viande, ou encore 15 kilos de pommes de terre. Le paiement des notes de loyer, de gaz, d'électricité n'était pas exigé pendant son chômage.

En travaillant quarante heures par semaine à 9 francs de l'heure, l'ouvrier réalisait un mois d'environ 1.540 francs, soit 51 francs par jour, qui représentaient 2 kg. 25O de beurre, ou 2 kg. 500 de viande, ou 85 kilos de pommes de terre.

Aujourd'hui, travaillant dix heures par jour, à une cadence épuisante, avec 10.500 francs par mois, l'ouvrier peut acheter, avec son salaire journalier de 350 francs : 20 kilos de pommes de terre, ou moins d'un kilo de viande, ou encore 350 grammes de beurre (au marché noir), sans compter que les notes de gaz, électricité, loyer, suivent constamment la hausse.

Mais si l'ouvrier, en travaillant, ne peut vivre mieux qu'il y a quelques années le chômeur, qu'en serait-il, aujourd'hui, s'il était chômeur ? Car malgré les bas salaires auxquels les capitalistes font travailler les ouvriers, ils n'écartent pas, tout au contraire, la perspective du chômage. Quelle solution le capitalisme y apportera-t-il ? Celle des marches de la faim ?

En réalité, depuis cent ans, le niveau de vie des masses ne fait que descendre.

Le salaire journalier de l'ouvrier lui donnait :

Beurre

Viande

Pommes de terre

En 1850

3 kg 700

4 kg 250

85 kg

En 1910

2 kg. 700

5 kg 600

64 kg

En 1925

1 kg 900

2 kg. 600

29 kg

En 1937

2 kg. 250

2 kg. 250

85 kg

En 1947 (décembre)

0 kg. 500

1 kg. 500

37 kg

Une amélioration considérable avait été enregistrée après le mouvement ouvrier de 1936.

Le niveau de vie des travailleurs baisse régulièrement en dépit du perfectionnement des moyens techniques et de l'augmentation de la production. C'est la caractéristique du développement capitaliste. L'exemple le plus frappant étant celui du Japon, où l'ouvrier, avant cette guerre, se nourrissait d'une poignée de riz, alors que le système industriel extrêmement perfectionné, dépassait, dans certaines branches, même la technique américaine.

Mais les pays capitalistes, où le niveau de vie des masses est le plus bas, ne représentent que l'image de l'avenir de tous les autres. En Amérique, où l'immense appareil industriel a doublé le volume de sa production depuis 1939, le pouvoir d'achat a diminué depuis cette époque.

Le journal bourgeois Le Monde publie, le 11-1-48, cette statistique des prix, pour la France : au mois d'avril 1947, l'indice général des prix de détail était de 837 ; au mois de décembre, de 1.356, soit une augmentation de 62% (prix officiels seulement). Il constate que cette course des prix a subi un temps d'arrêt, entre novembre et décembre, du fait que les ouvriers en grève n'avaient pas de quoi acheter. La voilà donc leur solution : pour que les prix n'augmentent pas, NE MANGEZ PAS !

On comprend, dans ces conditions, que toutes les luttes ouvrières de ces derniers temps se soient résumées à la revendication du salaire minimum vital, et que même les organisations syndicales traîtres aient été finalement obligées de s'y rallier.


POUR UNE C.G.T. SANS BUREAUCRATES

Nous écrivions, la semaine dernière, sous le titre "Notre Force", que ce n'est pas sur les vieux appareils bureaucratiques, mais sur les ouvriers eux-mêmes, que le S.D.R. allait s'appuyer.

L'exemple nous venant d'une autre usine confirme la force de la volonté ouvrière vis-à-vis de ces appareils et que, finalement, ce sont les travailleurs qui ont le dernier mot.

Chez Alsthom-Lecourbe, la semaine après la grève de novembre, trente sur les quarante-cinq membres de la C.E. de la C.G.T. ont donné leur démission de cette organisation.

Une quinzaine d'entre eux ont adhéré au Comité d'Action Syndicaliste pour envisager les modalités d'un nouveau regroupement syndical, tandis que les autres réservaient leur décision en fonction du congrès constitutif du C.A.S. ou du congrès local des Métaux (C.G.T.), etc...

L'ancienne C.E. s'était toujours signalée, dans le passé, par son action indépendante du bureau confédéral et orientée d'après la volonté des ouvriers. Aussi, les réunions syndicales rassemblaient-elles régulièrement dans les trois cents personnes sur les mille cinq cents de l'usine.

Il y a dix jours, après démission de la C.E., une réunion convoquée par la C.G.T. ne rassemblait plus que vingt-sept assistants.

Dans ces conditions, la propagande faite auprès des ouvriers et ouvrières pour l'adhésion au C.A.S., par les anciens membres de la C.E. rencontrait un certain succès ; jusqu'au moment où on apprit que des pourparlers étaient engagés entre le C.A.S. et Force Ouvrière, en vue de la fusion. Aussitôt, les ouvriers réagirent de façon non équivoque. Aux presses, notamment, les ouvrières résumèrent l'opinion de tous : "Que ce soit Frachon ou Jouhaux, on ne veut plus les voir !

"Les ouvrières pensent, comme l'écrivait le bulletin S.D.R. (29-12-47) :

"...Que nous importe les bureaucrates des diverses organisations syndicales ? De quel secours nous ont-ils été dans notre lutte, si ce n'est d'encaisser nos cotisations et de spéculer sur la confiance que les ouvriers leur avaient accordée ?"

Les responsables syndicaux ont donc arrêté toute propagande en faveur du C.A.S. et ne prennent plus les adhésions que sous réserve. Les camarades responsables sont tous d'accord pour donner leur démission du C.A.S., au cas où celui-ci adhérerait à Force ouvrière, et pour travailler à la constitution d'un syndicat autonome.

Car les ouvriers ne se refusent pas à suivre les bureaucrates frachonistes pour retomber dans les mains d'autres bureaucrates (jouhaussistes). C'est là le fait de gens qui, pour la plupart, ne veulent pas perdre leur petite place appointée et cherchent à bénéficier de la manne gouvernementale qui pleuvra sur Jouhaux.

Mais, à la base, les ouvriers doivent avoir une organisation à eux et là où le syndicat de base reste fidèle à leur volonté, comme chez Alsthom, il préfère, lui aussi, rester indépendant.

La reconstitution d'une nouvelle et véritable C.G.T. ne résultera pas de l'adhésion à un appareil syndical bureaucratique, mais naîtra de contacts directs entre les syndicats de base d'usine à usine.

Pierre BOIS


L'ETAT VOLEUR N° 1

Le plan de relèvement financier prévoit une lourde augmentation des impositions des membres de professions libérales (médecins, avocats, etc...) car à ce qu'il paraît, ceux-ci passent le plus clair de leur temps à frauder le fisc et à dissimuler leurs revenus. L'Etat a peur d'être roulé, c'est pourquoi il se sert lui-même.

Il est bien possible que les médecins et les avocats soient des "fraudeurs", mais alors que dire de l'Etat lui-même ! Comment appeler le fait d'emprunter de l'argent et de ne pas le rendre ? Le code civil nous renseigne sans détour : si c'est un individu quelconque qui le fait, cela se nomme un abus de confiance et un vol, et si c'est l'Etat on appelle cela de la rente à 3 ou 5 p.cent. L'opération est à la fois simple et fructueuse. Il n'y a qu'à faire un peu de publicité autour de l'emprunt en question, promettre une vieillesse heureuse aux braves gens qui s'y laisseront prendre et ouvrir les guichets pour recueillir leurs gros sous. Ensuite on leur verse une rente dérisoire, (10.000 francs placés en 1920, ce qui représentait une petite fortune, rapportent actuellement 500 francs par an) pendant vingt ou trente ans et au bout de ce temps on leur rend de quoi s'acheter un mouchoir pour essuyer leurs larmes.

Après cela on comprend bien que l'Etat ne veuille pas se laisser rouler par des avocats. En matière de vol, il détient lui-même la première place !


SIMPLIFICATION ET UNIFICATION DU CALCUL DES SALAIRES

Le gouvernement a déclaré inexactes les interprétations que les syndicats avaient publiées sur l'augmentation des salaires.

Mais quand M. Villiers, représentant du patronat, est allé à son tour demander à Daniel Mayer comment interpréter la loi, le ministre a simplement répondu "qu'une prochaine circulaire mettrait les choses au point".

L'arrêté prend effet du 1er décembre, nous sommes à mi-janvier, l'énoncé de la loi est relativement simple : 38 francs pour base de calcul de la hiérarchie, 52,50 de minimum garanti et 10 francs de prime horaire ; et pourtant, nulle part encore il n'a pu être appliqué. Pourquoi ?

Les salaires étant fixés par le gouvernement, la nouvelle loi ne devrait être, en principe, qu'un additif aux précédentes. Mais, dans la réalité, ces salaires sont un amalgame de primes, de coefficients, de catégories qui diffèrent avec chaque entreprise, créant une infinité de cas particuliers que les "techniciens" des ministères doivent s'employer à étudier. Là, le boni est progressif (chez Renault, par exemple) ; ailleurs, il est dégressif (chez Citroën). Au sein d'une même entreprise, les ouvriers sont payés de mille manières différentes. Il y a d'abord les catégories principales : manoeuvres, O.S., professionnels, etc... Mais chaque catégorie est divisée en sous-catégories, chacune d'elles correspondant à un salaire différent. C'est ainsi qu'entre l'O.S.1 et l'O.S.2, il y a plusieurs taux de base, variant non seulement d'un atelier à un autre, mais souvent entre deux ouvriers travaillant côte à côte.

Le salaire de base n'est qu'une partie du salaire brut, pas toujours la plus importante ; il y a le boni. Le système du travail au rendement complique l'affaire en ajoutant un nouvel élément au calcul de la paie : le coefficient de production doit déterminer le boni. Ce coefficient est sujet aux mêmes variations que le salaire de base. Il est pratiquement incontrôlable, car, si chaque ouvrier peut contrôler sa production, il ne peut pas fixer son boni qui est calculé sur la production de sa chaîne entière. Les primes à la production qui s'ajoutent au boni, sont également fixées suivant l'échelle hiérarchique. Enfin, les primes diverses : insalubrité, huile, heures de casse-croûte, gratification exceptionnelle, etc... autant d'éléments de division, le principe de leur attribution étant laissé à l'appréciation des chefs. Une fois le salaire normal obtenu, d'autres lois régissent la majoration des heures supplémentaires. Toutes ne le sont pas au même taux. C'est un calcul de plus. Et pour finir, les retenues : chaque augmentation de salaire entraîne une modification du barème de l'impôt cédulaire. Quelques francs suffisent parfois à entraîner une augmentation considérable de l'impôt. La cotisation d'assurances sociales et les appoints retenus et reportés complètent le tableau.

Autant d'entreprises, autant de systèmes de paie. Chaque groupe de travailleurs est un cas différent. Il serait difficile aux ouvriers d'y voir clair, leurs feuilles de paie étant sinon indéchiffrables, du moins incontrôlables. Le système de paie qu'applique chaque patron correspond à ses buts de division et de duperie.

Si la loi est volontairement vague, c'est afin de ne pas toucher à tous ces systèmes de calcul différents, afin de ne pas obliger les patrons à clarifier et à unifier leurs méthodes. Car moins la feuille de paie est claire, plus il est facile de tromper les ouvriers, de les exploiter, de les voler au sens littéral du mot ; leur soustraire quelques francs par ci, par là, sur ce qu'ils ont gagné.

Voilà pourquoi un arrêté si simple dans son énoncé est si difficile à appliquer.

Voilà pourquoi le S.D.R. réclame la simplification et l'unification du calcul des salaires.

H. DURIEUX


IMPOTS ET FRAIS GENERAUX

Le gouvernement a fait voter un nouveau programme d'impôts. Le salarié, en ce qui concerne l'impôt cédulaire, a vu le taux d'abattement porté à 96.000 francs. Si l'on considère que le minimum vital est passé à 126.000 francs, au taux de 15%, il déboursera, sur ce qui lui est indispensable pour vivre, environ 5.000 francs par an. Après l'application des augmentations de salaire en cours, il paiera près de 11.000 francs, indépendamment des impôts, taxes municipales et autres retenues.

Le salarié ne peut rien camoufler. L'Etat sait, à un centime près, ce qu'il gagne. Ses "revenus" sont portés noir sur blanc sur sa feuille de paye. Du reste, sa contribution ne s'arrête pas là. Il paie des impôts sur tout, sur sa nourriture, ses distractions, ses transports, sur le prix du métro qui le mène au travail. Il rembourse avec usure tous les impôts qu'ont payé les divers intermédiaires entre les mains desquels sont passés les produits qu'il consomme.

Pour les petits commerçants, industriels et paysans, le nouveau train d'impôts est un nouveau poids. Car, s'ils peuvent camoufler une partie de leurs revenus, la simplicité relative de leur comptabilité ne leur offre pas grandes ressource. D'ailleurs, l'Etat prévoit pour certains d'entre eux des taxes forfaitaires. Il n'en est pas de même pour les grosses firmes et autres sociétés anonymes. Leur comptabilité offre mille ressources, mille moyens de camoufler légalement leurs bénéfices réels : les émoluments des administrateurs, des directeurs, l'entretien de leurs voitures, les réceptions, les dîners, leurs frais de déplacement, leur entretien personnel au cours de leurs voyages, tout cela est compté dans les frais généraux de l'entreprise et vient en déduction du bénéfice net. Chez Renault, par exemple, ces frais généraux se montent, au minimum, à 850% des frais de production, c'est-à-dire que pour 1.000 francs de salaires, la Régie ajoute 8.500 francs pour calculer son prix de revient !

Avec de telles méthodes de calcul, bien souvent, des bénéfices nets, il n'y en a pas !

C'est pourquoi, quel que soit le pourcentage de l'impôt, ce que les gros déboursent représente toujours un pourcentage dérisoire par rapport à leur train de vie réel.

Les sacrifices que réclame M. Mayer, une fois de plus, ne concernent pas les gros.


CHEZ RENAULT


M. Lefaucheux ignore la loi sur les délégués.

La direction de la R.N.U.R. savait ce qu'elle faisait quand elle se refusait à recevoir les représentants du S.D.R., sous prétexte qu'ils n'étaient pas les délégués régulièrement élus du personnel. Elle préférait avoir à faire aux cégétistes.

Aussi longtemps qu'a duré l'esprit combatif du mois de mai, les ouvriers n'ont pas eu absolument besoin d'une représentation légale pour exiger leurs droits. Quand la direction, par exemple, au début de juillet, voulut se permettre de payer les ouvriers avec vingt-quatre heures de retard, c'est à plusieurs centaines que les gars de Collas allèrent chercher la paye au bureau.

Mais aujourd'hui l'attitude patronale retrouve tout son sens. La semaine dernière, à la suite d'une brimade au département 6, des ouvriers ont bien pensé s'adresser aux camarades du S.D.R., comme les seuls en qui ils aient confiance, mais ne l'ont pas fait parce que "M. Lefaucheux ne les reçoit pas".

Mais les ouvriers n'ont pas davantage pu s'adresser à d'autres, car, sur les délégués cégétistes élus l'été dernier en vertu de la loi Croizat, un délégué et un suppléant manquent (ayant démissionné), et le délégué restant étant absent de l'usine.

Depuis plusieurs mois déjà, le S.D.R. a réclamé auprès de la direction qu'il soit procédé à des élections partielles au département 6 pour remplacer les délégués manquants et assurer au personnel la représentation à laquelle la législation en vigueur lui donne droit.

La direction a fait la sourde oreille et ne veut recevoir que les délégués régulièrement élus (sic).

Or, elle a d'autant moins de motifs de refuser cette élection, que la loi en vertu de laquelle avaient été élus les délégués, l'été dernier, n'est plus en vigueur.

Elle a évidemment tout intérêt, quand on sait qu'un ancien délégué cégétiste et secrétaire de la section, auquel des ouvriers se sont adressés, faute de mieux, a refusé de s'occuper d'eux, sous prétexte qu'ils n'étaient pas adhérents à la C.G.T. Ce monsieur refuse de remplir son devoir, après avoir profité de la loi sur l'élection des délégués du 16 avril 1946, pour usurper son mandat : car, en vertu de cette loi, les délégués de Collas ont été "élus" par 168 voix sur 794 inscrits (la liste C.G.T. ayant passé pour l'usine avec 59% des voix).

Cependant, cette loi est aujourd'hui désuète, ayant été modifiée par le Parlement, dans le sens de la représentation proportionnelle (bien que non intégralement et ne donnant droit ni à la désignation par les ouvriers, ni à la révocabilité) ; il serait donc d'autant plus facile à la direction de vérifier légalement la représentativité des délégués. Mais loin de respecter les droits ouvriers, elle les foule aux pieds en laissant les quinze cents ouvriers de Collas SANS représentation.

L'élection de délégués à eux est de la première importance pour les ouvriers. Il faut, sans tarder, agir dans ce sens pour mettre un frein à l'arbitraire patronal.


Toujours les mêmes qui payent !

Comme tout le reste, le prix de la cantine vient d'être augmenté un peu partout dans les usines. Chez Renault, un nouveau système vient d'être instauré en vue de répartir les frais "équitablement" : chacun paiera le repas suivant ce qu'il gagne, c'est-à-dire, par exemple, qu'un professionnel paiera plus cher qu'un O.S.  A première vue, ce système paraît tout à fait juste.

Mais que dire de la direction, dont la participation aux frais de la cantine est toujours le même depuis 1945 : 20 francs par repas ? Ce qui veut dire que, depuis cette époque, toutes les augmentations du prix de la cantine ont pesé uniquement sur les ouvriers. Et pourtant les prix des voitures ont été augmentés plusieurs fois depuis 1945, dernièrement encore de 52%. Pourquoi, alors, n'applique-t-on pas aussi le système de la hiérarchie à la direction ?

En 1945, la Juva coûtait 114.000 francs. Aujourd'hui, elle coûte 270.000 francs : soit une augmentation de 137%. La Régie devrait donc verser, en plus, par repas :

20 x 137
--------- = 27,40 frs.
    100

soit, en tout : 20 + 27,40 = 47,40 frs.

Sans doute alors, mangerions-nous mieux que nous ne le faisons.

A lui seul, cet exemple en dit long sur le fonctionnement de toute l'économie. Les augmentations de prix, d'impôts, etc., retombent toujours sur le dos des ouvriers. Mais si, au lieu de prendre dans la poche de l'ouvrier, on avait prélevé davantage sur les bénéfices capitalistes, il est certain qu'on s'en serait aperçu : jamais le peuple ne serait tombé dans une aussi profonde misère.


Les ouvriers ne sont pas à la disposition du patron

Disposer de la main-d'œuvre comme bon lui semble, voilà, pour le patron, l'un des préceptes d'exploitation.

Quand il ne s'agit pas de mises à la porte arbitraires, comme dans toutes les usines, ces temps derniers, ce sont, comme chez Renault, des mutations d'ouvriers d'un département à l'autre, dans un pur but de brimade.

Mais la série ne s'arrête pas là : la semaine dernière, chez Renault, les ouvriers d'une équipe de l'atelier 31, département 6, furent "invités" à rentrer chez eux à 15 h.30, parce qu'un moteur ne marchait pas... Certains d'entre eux protestèrent énergiquement, mais en vain. A ceux qui demandaient combien seraient payées les heures qu'il leur restait à faire, on répondit qu'elles ne le seraient pas.

Or, d'après la législation en vigueur, toute journée commencée doit être intégralement payée. La direction n'a donc aucun droit, quand l'horaire affiché est de dix heures par jour (et c'est l'horaire régulier, puisque le minimum vital est basé sur deux cents heures par mois) de renvoyer les ouvriers après sept heures de travail, sans les payer pour dix.

Mais, non seulement la direction viole ouvertement la loi, au détriment des ouvriers, mais elle trouve encore le moyen de les duper et de les voler doublement : en effet, elle a "charitablement" proposé aux mécontents de venir récupérer les trois heures perdues, le vendredi, où normalement ils ne devaient pas travailler. Beaucoup n'ayant pas voulu se déplacer seulement pour trois heures, ont travaillé la journée entière, c'est-à-dire qu'en plus de leurs cinquante heures dans la semaine, ils en ont encore fait sept !

Voilà donc où veut en venir la direction : réduire complètement la main-d'oeuvre à sa merci, en disposer à sa guise, c'est-à-dire au mieux de ses intérêts, au mépris de la législation ouvrière. En somme, revenir au temps d'avant 1936, où le patron pouvait envoyer les uns à la pêche, pendant qu'il contraignait les autres à travailler jusqu'à 10 et 11 heures du soir.

Mais nous ne devons pas nous laisser faire. Nous devons exiger nos droits. Nous vendons notre travail dix heures par jour, mais nous ne sommes pas en permanence à la disposition du patron.


Où passe l'argent ?

Pour mater les grévistes le gouvernement Jules Moch a mobilisé les réservistes de la classe 43/2.

C'est là que s'est montrée toute la pagaïe dont est capable l'armée. Pas ou peu de nourriture, encore moins d'habillement, puisqu'on avait invité les réservistes à se munir d'une paire de chaussures et d'une couverture.

Le Monde du 3 janvier s'inquiète : "Nous sommes impuissants à mettre rapidement sur pied des réserves importantes. Quel pourrait être le résultat d'une mobilisation plus complète ?"

Depuis trois ans des milliards sont absorbés par le budget de la guerre. On tire sur la ficelle dans tous les domaines, mais le budget de la Défense nationale est sacré. Ne s'agit-il pas de la sauvegarde de la France ? Mais à peine veut-on mobiliser une demi-classe et c'est la pagaïe, tout va mal. Où passe donc l'argent ? Mais la solde des culottes de peau aux colonies, en Allemagne ? et toutes les combines des officiers ?

"On vote des milliards pour l'armée, disait un ouvrier. Il faut bien engraisser tous les soudards, mais demain s'il y avait une guerre, ça serait comme en 1940. Qu'est-ce qu'on pourrait faire contre les Russes ou les Américains, tout juste se sauver et toutes les réserves ce serait pour permettre au premier arrivé de renforcer son potentiel de guerre".


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Rendez-vous de 18h à 20h : café-tabac «Le Terminus» 
angle r. Collas av. Edouard Vaillant. M° Pont-de Sèvres


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