1948

L'EMANCIPATION DES TRAVAILLEURS SERA L'ŒUVRE DES TRAVAILLEURS EUX-MÊMES
La Voix des Travailleurs – ORGANE DE LUTTE DE CLASSE
PRIX : 4 francs


Voix des Travailleurs nº 32

Barta

28 janvier 1948


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UN BAGNE POUR LES OUVRIERS,
LE PARADIS POUR LES CAPITALISTES

"Ce qui distingue le gouvernement Schuman (de ceux qui l'ont précédé) c'est que, rien ne restant plus à extorquer aux ouvriers, il se tourne spécialement contre les classes moyennes", faisait remarquer La Voix du 7 janvier ; "mais ceux dont le tour ne vient jamais, ce sont les riches".

Cependant, "la troisième force" veut prouver qu'elle est capable de gouverner toute seule ; elle veut prouver aux capitalistes qu'ils peuvent se passer non seulement de Thorez, pour ce qui est de faire trimer les ouvriers, mais aussi de De Gaulle, pour ce qui est de rendre la liberté totale de mouvement au patronat. Schuman a donc décidé de ne pas faire les choses à demi.

Pas assez, d'avoir réprimé par tous les moyens, la grève de novembre-décembre : il se met à voler aux ouvriers l'aumône qu'il leur avait promise alors, "s'ils se montraient raisonnables".

Pas assez, l'emprunt forcé sur les classes moyennes : la dévaluation du franc doit accélérer leur ruine.

Pas assez, d'avoir épargné les capitalistes, tandis qu'ouvriers et classes moyennes sont réduits au désespoir : il leur rend la liberté de spéculer à la bourse sur les devises, et il appelle cela "faire renaître la confiance". Les boursicotiers, les capitalistes, doivent "sauver l'industrie française de la paralysie menaçante" !

Mais, en fait, qu'est-ce qui paralyse l'économie sinon les capitalistes ? Les tâches de la reconstruction sont-elles terminées ? L'agriculture dispose-t-elle du matériel nécessaire à son relèvement ?

L'équipement industriel a-t-il été renouvelé ? La demande générale de produits de toute sorte, du vélo à l'auto, de la casserole au tracteur, a-t-elle été tant soit peu satisfaite ?

En réalité, le marché intérieur est capable d'assurer l'activité industrielle de la France pour de nombreuses années. Mais messieurs les capitalistes ne sont pas disposés à encaisser leurs profits en francs, monnaie instable ; par conséquent, ils ne veulent pas faire marcher la production pour la consommation intérieure. Le franc, voyez-vous, est tout juste bon pour payer les salaires, qui perdent ainsi automatiquement une partie de leur valeur entre le moment où ils sont touchés et le moment où ils sont dépensés. Le franc est tout juste bon pour remplir les lessiveuses des paysans qui ne trouveront pas en échange les produits industriels nécessaires, ou pour donner l'illusion aux petites gens qu'ils possèdent quelque chose. Mais les milliardaires sont des gens sérieux, qui, s'ils spéculent sur le franc, calculent leur fortune seulement en or et en dollars. L'appât du gain les pousse ainsi vers l'extérieur. Détenteurs de tous les moyens de production, les 200 familles laissent le pays tomber en ruines et surexploitent les masses travailleuses jusqu'à l'extrême limite, pour trouver des débouchés à l'étranger.

Et c'est seulement pour donner "un coup de fouet" aux exportateurs, que le gouvernement Schuman, par la dévaluation et "la liberté de l'or et du dollar" frappe durement les masses. Mais, quand l'expédient de la dévaluation sera épuisé, ce "coup de fouet" en nécessitera bien d'autres. Cela a toujours été le cas, du reste, pour faire marcher les affaires de ces messieurs. L'inflation, la dévaluation, la guerre, la guerre coloniale, etc., que sont-elles d'autre que des "coups de fouet" sans lesquels la domination des capitalistes se serait déjà écroulée ?

Et qu'importe au patronat de réduire la masse de la population à des conditions de travail qui ressemblent toujours davantage au bagne, si cela leur assure à eux-mêmes, et à leurs laquais (du gouvernement ou d'ailleurs) le paradis ; non pas le paradis dans l'autre monde, mais un paradis terrestre "sonnant et trébuchant" !

le "suffrage universel", le parlement, le gouvernement, la police, l'armée appartiennent en propre aux capitalistes. C'est l'Etat qui contraint les masses travailleuses à des conditions de bagne, tandis qu'il monte une garde vigilante pour préserver le paradis que les capitalistes se sont créé par l'exploitation sanguinaire des masses.

LA VOIX DES TRAVAILLEURS


Le patronat spécule sur la misère et le chômage

IL FAUT ASSURER LE PLEIN EMPLOI

L'augmentation des salaires, que le gouvernement avait dû promettre au mois de décembre, n'est toujours pas versée aux ouvriers. Cette augmentation elle-même se trouve déjà dépassée de loin par la hausse des prix. Mais en plus, le gouvernement n'a pu résister à la tentation de revenir sur ses promesses, en limitant l'augmentation et la "réglementant" par des circulaires où l'arbitraire patronal peut se donner libre cours.

L'arrogance du patronat, qui pratique la politique du pire, se trouve renforcée par la menace du chômage qui pèse sur les ouvriers. Si les capitalistes, déjà au moment où ils avaient besoin des ouvriers, les faisaient travailler avec des salaires de famine, aujourd'hui que leurs spéculations et combinaisons internationales frappent de paralysie l'économie et la production, les premières victimes doivent en être tout naturellement les ouvriers.

LE CHOMAGE, voilà qui, suivant les plans des capitalistes, doit "mettre à la raison" les ouvriers, les contraindre, en suspendant sur leurs têtes le spectre de la famine, à toutes les capitulations.

Dans son attitude vis-à-vis des ouvriers, le patronat spécule donc sur son meilleur allié : LA MISERE.

C'est pourquoi les travailleurs doivent réagir vivement, en n'acceptant aucun licenciement pour manque de travail. S'il n'y a pas de travail pour tout le monde, il faut répartir le travail disponible entre tous les bras disponibles. Le minimum vital reconnu étant basé sur 200 heures de travail par mois, c'est sur cette base que le salaire doit être intégralement payé aux ouvriers.

Le plein emploi et un salaire décent !

Quand ils avaient besoin de main-d'œuvre, les capitalistes ont bien su réclamer le maximum de travail et encaisser tout le profit ; aujourd'hui, s'ils sont incapables d'assurer du travail à tout le monde, ils doivent assurer le minimum vital à ceux qui ont produit tous leurs bénéfices.

Les travailleurs ne peuvent pas admettre le raisonnement selon lequel le patronat ne peut pas payer ceux qui ne travaillent pas. Si le travail manque, à qui la faute ? Pendant la guerre, on admettait bien que les chômeurs soient payés à 75% de leur salaire, le chômage étant indépendant de leur volonté.

Les fonds manqueraient-ils ? Mais que sont devenus les bénéfices et super-bénéfices que les patrons ont accumulé pendant des années de plein emploi et de bas salaires ? C'est que les capitalistes français possèdent, officiellement, rien qu'en Amérique, 1 milliard 400 millions de dollars. Cette fortune représente l'équivalent de l'aide du plan Marshall pour 5 ans ! Rien qu'avec cette somme, il y aurait non seulement de quoi faire travailler les ouvriers, mais encore reconstruire et moderniser l'équipement industriel.

Mais pour soi-disant faire rentrer ces capitaux, le gouvernement dévalue la monnaie, et offre une prime aux nouvelles spéculations. Les primes à la spéculation ne feront pas rentrer les capitaux. Mais qu'on arrête seulement quelque 200 représentants des 200 familles pour leurs spéculations, qu'on les jette en prison, et on verrait alors s'ils ne rapatrieraient pas leurs avoirs, si les fonds ne sortiraient pas de là où ils se sont entassés. Mais la politique du gouvernement, c'est : des dollars pour les capitalistes, le chômage pour les ouvriers.

Echelle mobile des heures de travail !

Paiement des ouvriers en chômage à 75% de leur salaire !

Telle sera la riposte de la classe ouvrière, qui ne laissera pas le patronat lui attacher aux pieds le boulet du chômage.


AU PAYS DE LA PROSPERITE ...

Production américaine, technique américaine, secours américains... la propagande bourgeoise nous présente les Etats-Unis comme le pays de la richesse et de la prospérité pour tous.

Mais s'il est vrai que, grâce à une technique extrêmement perfectionnée, la production a pu augmenter, par exemple, depuis la guerre de 80%, il n'est pas moins vrai que la grosse majorité de ceux qui créent toutes ces richesses ne peuvent en jouir.

En effet, quel est le salaire moyen de l'ouvrier et du petit employé américains ? Environ 2.500 dollars par an (et bien des salaires sont en-dessous : ainsi les pilotes de remorqueurs gagnaient avant la grève au début de cet hiver, 1.800 dollars par an), c'est-à-dire que, les impôts déduits, il reste environ au travailleur américain 200 dollars par mois.

Avec ce salaire, comment peut-il se loger, se nourrir, s'habiller, se distraire ?

En ce qui concerne le logement, tout le monde a entendu parler des appartements américains pourvus du dernier confort et des instruments les plus perfectionnés, en particulier pour la cuisine. Or un tel appartement, de deux pièces et demi, revient, PAR MOIS, à 95 dollars, c'est-à-dire presque la moitié du salaire de l'ouvrier ! Ne pouvant se l'offrir, il doit se contenter d'un logement moins "américain". Tout compte fait, pour 60 dollars environ, il a un logement assez semblable à celui du travailleur français avec en plus, peut-être, une salle de bain et un frigidaire, s'il a le moyen de s'en payer à crédit. Il reste donc à notre ouvrier environ 140 dollars.

Pour manger, de la même façon, on vante beaucoup les si pratiques restaurants américains. Mais le repas, dans l'un de ces restaurants, catégorie D, coûte 1,8 $. La nourriture reviendrait ainsi, en moyenne, à 4$ par jour et par personne. L'ouvrier mange donc chez lui avec sa femme. Ce qui leur revient de 100 à 130 $ par mois.

Les frais de loyer, nourriture, blanchissage déduits, il restera tout au plus une vingtaine de dollars à l'ouvrier pour le coiffeur, le cinéma, le tabac, etc...<

Mais dès qu'il s'agit d'une dépense extraordinaire, comme l'achat d'un costume, de meubles, d'un frigidaire ou d'une auto (les distances énormes qu'il a la plupart du temps à parcourir pour aller au travail l'obligent à en avoir une), le budget devient déjà beaucoup plus difficile à équilibrer : l'ouvrier est forcé d'acheter à crédit, et ses versements hebdomadaires réduisent d'autant son salaire. Il jongle avec les dettes jusqu'à l'augmentation rêvée - ou la mise à la porte, si son patron trouve quelqu'un de plus jeune et de moins cher que lui, car son travail n'est pas protégé. Alors, il est saisi et, lorsqu'il retravaille, on prélève sur son salaire de quoi payer ses dettes.

Pour l'instant, les roues tournent et le chômage est réduit. Mais que se passera-t-il quand la crise sera là ? Ce jour-là, des millions de travailleurs américains recommenceront l'existence qu'ils ont menée après la crise qui suivit la première guerre mondiale : à eux la cabane à lapins, les camps de travail, la vente des pommes et des lacets à la sauvette, l'exode d'Etat en Etat.

Si le travailleur américain n'est pas encore réduit au degré de misère du travailleur européen, sa situation n'en est pas moins précaire : non seulement les progrès techniques, qui rendent si facile la vie américaine, ne sont pas pour lui, mais encore il n'est jamais sûr de ne pas se retrouver le lendemain sur le pavé, si le patron en a décidé ainsi.

En Amérique, comme en France et comme partout, le niveau de vie de l'ouvrier ne cesse de descendre depuis la guerre. C'est ce qui explique les nombreuses et gigantesques grèves qui n'ont cessé de déferler depuis deux ans et demi aux Etats-Unis.


C'EST LA LOI !

La loi assure, en principe,, aux ouvriers la représentation auprès du patronat par un certain nombre de délégués du personnel. En demandant l'élection, dans certains départements de la R.N.U.R., de délégués manquants les représentants du S.D.R. ne réclamaient donc que le respect de cette loi.

Or, ces élections, à peine officieusement admises, sont à nouveau démenties, en vertu... d'une loi qui s'y oppose (loi Croizat : scrutin unique pour toute l'usine).

Mais si s'opposer aux élections, c'est respecter la loi (scrutin unique), que devient, dans ce cas, la loi fondamentale qui prévoit un certain nombre de délégués pour un certain nombre d'ouvriers ? C'est là une absurdité. Car, d'une façon ou de l'autre, en voulant soi-disant se conformer à une loi, on en enfreint une autre. Et, à la fin, qu'est-ce qui est le plus illégal ? Que les élections soient faites dans un seul département ou que les ouvriers de ce département restent sans délégués ?

Ce qui est manifeste, dans cette affaire, c'est qu'il y a des gens qui ont intérêt à s'opposer à l'élection des délégués : la direction et les cégétistes (qui ont peur que les ouvriers soient consultés). Et, pour s'y opposer, ils peuvent toujours appeler une loi à leur rescousse. C'est qu'il y a loi et loi. Il y a surtout deux catégories de lois : les lois qui consacrent l'exploitation et l'oppression, c'est "la loi", que le pauvre ne peut enfreindre sous peine de se voir jeter en prison.

Il y a aussi les lois, que les ouvriers, par leurs luttes, ont imposé aux exploiteurs, c'est la législation sociale. Mais ces quelques lois, qui doivent protéger l'ouvrier contre le bon plaisir patronal, d'autres lois "complémentaires" les interprètent, les déforment, les restreignent au point de les ramener à l'état de fictions. Si bien que les ouvriers n'arrivent à les faire respecter qu'aussi longtemps qu'ils se tiennent prêts à les défendre par la force.

Les patrons, pour qui n'existent ni démocratie, ni respect des droits acquis, ni légalité, s'indignent ensuite quand les travailleurs recourent à la grève ou à l'action directe. En réalité, c'est en les voyant faire, que les ouvriers comprennent pourquoi, dans le cadre de la légalité bourgeoise, il n'y a pas moyen d'améliorer leur sort.

A. MATHIEU


LE SALAIRE AU RENDEMENT EST UN PIEGE POUR L'OUVRIER

Pour obliger les ouvriers à donner le maximum de leurs forces, les patrons ont imaginé d'instituer le travail au rendement. Longtemps combattu par les organisations syndicales, ce système est devenu le principal instrument de leur politique du "produire d'abord...". Il consiste à chronométrer un travail normalement fait, en déduire un temps au-dessous duquel l'ouvrier ne doit pas descendre sous peine de "ne pas faire l'affaire", lequel temps représente, s'il est strictement respecté, le salaire de base.

Ainsi, chez Renault, en travaillant 60 minutes dans l'heure, un ouvrier spécialisé gagne 40 à 41 fr. de l'heure. Mais comme 40 fr. ne suffisent pas pour vivre, force lui est de faire du boni, c'est-à-dire de mettre moins de temps qu'on ne lui en alloue pour faire son travail ; à la suite de quoi, son salaire est majoré proportionnellement à son rendement. Seulement, le plus fort salaire que puisse toucher un ouvrier ne suffisant pas pour boucler son budget, il en résulte qu'il force la cadence au maximum afin de régler le plus fort possible : 130% est un chiffre courant. Mais on enregistre fréquemment 144 et même 150 ; c'est dire que le temps réalisé dépasse de moitié le temps alloué. De toute façon, pour gagner son minimum vital, un ouvrier spécialisé doit régler de 135 à 14O%. Pour conserver sa place, il ne doit pas descendre au-dessous de 120%.

Les temps ne sont, évidemment, pas tous au même niveau, ils ne sont pas tous aussi justes, il y en a qui permettent "d'y arriver". Mais comme ils sont intégrés dans une chaîne où il existe des temps très bas et que le boni de chacun est fixé non pas en fonction du travail individuel, mais de la sortie globale de l'équipe, il en résulte que tout le monde doit "mouiller sa chemise" pour réaliser une moyenne raisonnable. Ce procédé contraint toute une chaîne à un train d'enfer.

Une action collective au département 49, dans une équipe a révélé qu'une partie des temps individuels étaient humainement irréalisables. Ce sont les autres qui travaillaient à remplir ce panier percé. Dans ces cas-là (il y en a au moins un par atelier) le chef d'atelier, le brave homme, règle tout de même au-dessus du boni réalisé pour éviter les "explications", assuré qu'il est d'avoir toujours une production maximum pour un prix minimum.

Quand les temps sont, malgré tout, trop forts, au gré du patron, il lui reste la ressource de les diminuer. La loi prévoit que cette opération ne peut s'effectuer qu'en cas de modification d'outillage, mais le moindre bricolo, le plus insignifiant, permet de tourner légalement... la loi. Pour masquer ses agissements la direction ne recule devant aucun subterfuge. C'est ainsi que des temps ayant été réduits dans un atelier du département 6, certains ouvriers n'avaient réalisé que 70 et 75 minutes dans l'heure ; ils furent cependant complétés avec des bons chamois et furent payés comme les autres à 85 minutes.

Comme les bons de dépannage sont toujours alloués plus ou moins "clandestinement" les ouvriers n'en dirent rien. La direction "constata" que les nouveaux temps permettraient tout de même de régler comme avant : elle les maintint. Au fonderie-acier, du fait que le travail n'est jamais le même, les temps ne sont en principe pas établis par les chronos, c'est le chef de fabrication qui les fixe au jugé. Quand l'ouvrier réalise un boni qu'il juge trop fort, il règle l'ouvrier à la somme qu'il "estime" raisonnable, opérant une simple soustraction sur le salaire. Dans ce cas, plus l'ouvrier travaille, plus il est volé, car la consigne qu'a reçue son chef c'est que les pièces "ne doivent pas coûter trop cher".

Le système des temps est extrêmement compliqué. Si, en principe, il suffit de consulter son onglet pour connaître son temps, la majeure partie des ouvriers ignorent même son existence et bien souvent les chiffres qu'il contient sont "théoriques" et diffèrent de ceux exigés.

Toutes ces combines ne sont possibles que parce que la plus grande partie du salaire dépend de la production, du rendement, d'où possibilité pour le patron de spéculer sur le pain de l'ouvrier. Le salaire au rendement est un piège pour l'ouvrier ; sous couleur de lui faire gagner plus d'argent, le patron le filoute de mille manières : il faut lutter pour qu'il soit supprimé. Ceux qui prétendent qu'il y a des aménagements possibles au système du boni dupent les ouvriers, car la raison d'être du boni, c'est justement de faire suer des bénéfices aux travailleurs, en les contraignant à donner leur maximum. Le seul système de rémunération acceptable, c'est le travail à l'heure.

H. DURIEUX


CHEZ RENAULT


La politique du pire

(Extraits)

M. Legarrec, chef du personnel de la R.N.U.R., ne veut pas discuter avec les représentants du S.D.R.

– "Avec vous, ON ne discute pas, ON joue le grand jeu !"

Lorsque M. Legarrec dit "avec vous", entendons-nous : c'est des ouvriers qu'il s'agit. Mais ce que lui, au nom de ses maîtres, appelle "le grand jeu", nous l'appellerions plutôt "la politique du pire".

En plus des brimades quotidiennes, comme : interdiction de se laver les mains avant l'heure, de quitter la machine sans laissez-passer régulier, de diffuser la presse ouvrière, etc..., ce sont les sanctions, les mesures les plus arbitraires de la direction.

– Au département 6, une ouvrière, membre du S.D.R., qui travaillait depuis cinq ans dans l'usine, vient d'être licenciée pour inconscience professionnelle, 6.000 francs ayant été volés dans sa caisse. En réalité, la direction a saisi, là, le premier prétexte venu pour se débarrasser d'une ouvrière combative. 

Non seulement, la direction règle le sort des ouvriers comme bon lui semble, mais encore elle bafoue leur dignité. C'est ainsi qu'à l'atelier 31, dép. 6, un ouvrier malade, ancien combattant de la guerre d'Espagne dans les Brigades internationales, avait fait une demande de mutation pour travailler en équipe. Par suite de circonstances dues au hasard, il a pu prendre connaissance de la notice qui accompagnait sa demande et qui disait, en substance : ce garçon (sic) a peut-être beaucoup de bonne volonté mais, n'étant PAS NORMAL, il est dangereux qu'il travaille en atelier. A la suite d'une telle "recommandation", la feuille de mutation fut annotée : "à régler après paiement du préavis"

– A BB, à la suite de la grève de mai, la fermeture de l'infirmerie avait été retardée de 22 h.30 à 23 h.30, les équipes finissant le travail à cette heure-là. Mais, de nouveau, depuis la grève de novembre, les ouvriers n'ont plus le droit d'être malades ou accidentés après 22 h.30, car l'infirmerie est fermée. Il est vrai que par ces temps d'inflation et de dévaluation, la main-d'œuvre à 10.500 francs par mois pour deux cents heures de travail n'est pas une marchandise chère pour le patron. Il aurait bien tort de la ménager !

– Enfin, par suite de la scission de la C.G.T. et de la démission des responsables locaux, tout un département (dép. 6) de l'usine se trouve sans délégués. Bien que la loi reconnaisse formellement aux ouvriers le droit d'avoir des représentants, la direction s'oppose délibérément à de nouvelles élections dans ce secteur. De la loi aussi, elle n'a cure. Elle joue le grand jeu sur toute la ligne...

Mais qui joue trop gros risque de tout perdre !


La charité, s'il vous plaît !

Les ouvriers qui travaillent en équipe ont droit à une prime. Aussi voit-on sur leur feuille de paye :

Indemnité d'équipe 2 x 8 = 10 francs pour une quinzaine.

Le S.D.R. avait revendiqué que cette prime soit portée à 200 francs, ce qui est plus que modeste, il faut l'avouer, surtout dans une situation où les heures supplémentaires étant un appoint indispensable pour boucler le budget, les ouvriers travaillant en équipe ne peuvent faire d'heures supplémentaires. Mais non seulement la direction refuse de recevoir le S.D.R. pour discuter les revendications des travailleurs, mais encore elle se moque d'eux en les gratifiant de 10 fr. pour quinze jours de travail en équipe. 


PATRONS ET OUVRIERS


CHEZ SALMSON

Notre usine ne se caractérise pas seulement par les plus bas salaires de la région parisienne mais aussi par des conditions misérables pour les ouvriers.

A la cantine, il faut, après plusieurs heures d'un travail pénible, faire la queue pour se faire servir une soupe où flotte du gras de viande d'une odeur d'antiquité. Le plat de viande est souvent du bœuf bouilli, dur comme du cuir et les légumes d'éternelles patates au même gras que la soupe. Après un tel repas les ouvriers, qui payent 50 francs, doivent encore faire la queue derrière des bassines d'eau chaude où eux-mêmes font leur vaisselle qu'ils sont tenus d'apporter.

La direction ne peut-elle fournir la vaisselle et payer du personnel pour la laver ? Le travail n'est-il pas déjà assez pénible sans que les ouvriers aient encore à s'infliger cette corvée ?

Les vestiaires et les W.-C.., dans toute l'usine, se caractérisent par le délabrement et la saleté. Quant aux locaux réservés à la fonderie et à la forge, ils sont dans un état tel qu'on croirait pénétrer dans un chantier abandonné.

Le parquet des vestiaires est tellement vermoulu qu'on peut facilement se casser une jambe en passant au travers.

Les urinoirs sont d'une odeur suffocante, l'eau n'y circule jamais, et le mur, lézardé, est prêt à s'effondrer. Dans de telles conditions d'hygiène, on peut nous parler de sécurité sociale.

Que la direction distraie un peu de ses bénéfices pour remettre en état les locaux, au moins pour qu'ils ne s'effondrent pas sur nous comme cela s'est produit l'an dernier, à la fonderie, où un toit s'est écroulé.

Un ouvrier de chez Salmson


CHEZ HERISSART

Chez Hérissart, trois cents femmes sont employées à fabriquer des vêtements. Elles travaillent, en principe, au boni. Mais, bien que la production de chacune varie, elles sont toutes réglées à 42 fr.50. Et à celles qui se plaignent que la paie est maigre, le directeur répond qu'il arrange les totaux, sans cela elles gagneraient moins.

Le jour de la paie, le directeur distribue lui-même les enveloppes, les ouvrières ne doivent pas cesser le travail ; elles n'ont le droit de vérifier si le compte y est qu'après leur journée ; elles sont tenues de ramener l'épingle qui attache les billets, le lendemain.

Lorsqu'une ouvrière parle au directeur, elle doit avoir les mains derrière le dos, comme à l'école ; la déférence est de rigueur. Tout litige est tranché de la façon suivante : "Que voulez-vous, je ne suis pas le patron. Je ne suis que le directeur". Le patron, on ne le voit jamais.

Il y a une déléguée C.G.T., mais elle est surtout responsable du collectage des timbres, lequel collectage est activé par la menace, pour celles qui font des réticences pour se mettre à jour, d'avoir le sale boulot. Si elles persistent, c'est effectivement ce qui leur arrive.

Il y a quelques mois, la direction a pris prétexte des restrictions d'électricité pour faire faire dix heures un quart par jour avec un vendredi sur deux chômé. Les coupures sont supprimées. Qu'attend la direction pour rétablir l'ancien horaire ?


Adresser toute correspondance, abonnements et mandats par poste à JEAN BOIS, 65, rue Carnot, Suresnes (Seine)
Rendez-vous de 18h à 20h : café-tabac «Le Terminus» 
angle r. Collas av. Edouard Vaillant. M° Pont-de Sèvres


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