1948

Rapport, publié sous la signature de « LA VOIX DES TRAVAILLEURS »


Perspectives sur la situation en France en liaison avec la formation du gouvernement Reynaud

Barta

22 août 1948


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La constitution du gouvernement Reynaud marque un tournant dans la politique intérieure. En effet, la "3ème force" s'est avérée trop faible non pas faute d'une majorité sur le plan parlementaire (sa faible majorité lui a suffi pendant 15 mois !) mais parce que incapable d'assurer l'ordre bourgeois (l'exploitation éhontée des ouvriers sans riposte sérieuse de leur part), en évitant à la fois de recourir à la collabora­tion avec les staliniens et la C.G.T., ou aux méthodes anti-parlementaires de de Gaulle. F.O. et la C.F.T.C. ne pouvaient et ne peuvent assu­rer un appui décisif à la "3ème force", du fait que la bourgeoisie ne peut offrir aux ouvriers aucune concession.

Seuls les staliniens, en terrorisant la classe ouvrière – par leurs cadres et forts de leur influence résistante –, avaient pu contraindre les ouvriers à "produire". Mais cette politique elle-même a été mise en échec par les grèves de Mai-Août I947 (Renault, Cheminots, Peugeot).

Pour imposer la politique du "produire" aux ouvriers, la bourgeoisie doit donc maintenant incliner vers les méthodes de De Gaulle, d'où la constitution du gouvernement Reynaud et ses méthodes extra-parlementaires (décrets-lois).

Tout gouvernement, même démocratique, s'appuie sur la force. Mais jusqu'à maintenant, les gouvernements qui se sont succédés ont gardé la force plutôt à l'arrière-plan. Les méthodes de gouverner étaient basées sur la procédure parlementaire, la force étant là pour empêcher que les ouvriers dépassent les bornes "légales". Ils pouvaient faire grève mais l'essentiel était de les empêcher d'aller plus loin : car la grève elle-même ne suffit plus pour arracher des revendications immédiates, le gouvernement pouvant reprendre par l'inflation et les impôts au-delà des concessions faites. Et la grève générale quand elle est réelle, se transforme rapidement en insurrection, ou alors la bourgeoisie capitule sur les objectifs immédiats, comme en 1936.

Or, le caractère du gouvernement Reynaud ne tient pas tant dans les mesures qu'il entend prendre. Tous les gouvernements ont fait la même politique. Son véritable caractère se trouve dans les décrets-lois : c'est-à-dire gouverner au-dessus du parlement, machine lente devant tenir compte de l'électeur dans une certaine mesure. C'est donc un gouvernement à caractère bonapartiste accentué, et, comme eux-mêmes le disent "la dernière carte du régime", celle d'une politique "parlementaire" autoritaire.

Le gouvernement Reynaud avec ses décrets-lois, a pu obtenir des appuis plus à droite, (P.R.L.) et a provoqué une scission même dans le groupe gaulliste. Reynaud commence la politique que De Gaulle entend me­ner exclusivement ;  politique qui, d'un côté muselle le Parlement, d'un autre côté dit aux ouvriers : vous n'avez qu'à travailler… Ce n'est pas encore le gouvernement totalitaire de de Gaulle, mais, désormais, plus de concession, car la lutte ouvrière interrompt le processus normal de l'exploitation et organise les ouvriers.

C'est pourquoi cette perspective de politique brutale vis à vis des ouvriers a obligé même la base de F.O. et de la C.F.T.C. de couper provisoirement les ponts. Le gouvernement précédent est tombé sous un prétexte (les crédits militaires furent votés aussitôt après). La cause véritable a été la grève des fonctionnaires inaugurant un mouvement de plus grande envergure. Mais on doit aussi mettre la constitution de ce gouvernement en liaison avec la situation internationale. La conclusion de notre dernier bulletin syndical était : la préparation à la guerre rend la défense ouvrière urgente. En effet cette contradiction : la production et le niveau de vie qui descend, est due à un fait qui domine tous les méfaits du régime capitaliste : la préparation à la guerre.

Ce qui se passe en ce moment à Moscou, même si ce n'est pas une comédie n'a d'autres buts que fixer les adversaires sur les responsabilités. Car une entente, à moins d'une capitulation d'un des deux camps en présence, est impossible. Et cela, non pas parce qu'ils désirent la guerre, comme cela était le cas des classes dirigeantes en 1914, mais, com­me en 1939, les choses sont inconciliables dans la pratique.

De Gaulle, lui-même, justifie sa politique vis à vis de la bourgeoisie par la guerre inévitable, et c'est encore la préparation de la guerre qui explique la constitution du gouvernement Reynaud. C'est lui déjà qui, en 1938, a mené l'offensive contre la classe ouvrière. C'est la guerre, et donc la nécessité pour la bourgeoisie d'instituer un gouvernement dictatorial qui est à l'origine du gouvernement et de ses mesures.

Il fallait éclaircir ce point pour mieux voir pourquoi le nou­veau gouvernement a suscité l'émotion dans le camp ouvrier. Il est certain que dans des ententes syndicales comme chez Renault, qui sont des ententes de sommet, ces gens-là savent quelle sera la politique gouver­nementale, ils savent que la baisse est une faillite, que Reynaud atta­quera les ouvriers, que ceux-ci se défendront. D'autre part, parmi F.O. et la C.F.T.C., même des réformistes crasseux peuvent avoir une bonne réaction devant une menace de dictature, de par les traditions depuis 1934.

Le rapprochement qui s'est opéré dans les organisations syndica­les ne doit pas être expliqué, à la manière des journaux bourgeois, comme ayant été provoqué sous la pression d'un soulèvement venant d'en bas. En fait, d'un coté, il y a une manœuvre des bureaucrates qui essaient de se rassurer mutuellement en prévision des événements. ( Frachon dit : "il faut être démocrate… avec les bureaucrates). Mais il ne faut pas sous-estimer l'inquiétude dans les milieux syndicaux. Avant 1936, la bourgeoisie avait de même créé toute une série de gou­vernements bonapartistes qui entendaient s'appuyer sur une certaine effervescence, un début de vague fasciste dans le pays.

Est-il possible que le gouvernement cède sur la question des salaires, en raison de la hausse des prix ? Si cela se produisait, cela signifierait un échec complet et immédiat de "la dernière carte du régime". Car le gouvernement MARIE-REYNAUD s'est constitué quand la grève des fonctionnaires prouvait qu'une nouvelle vague revendicative allait déferler, précisément pour résister à la classe ouvrière (et non pas louvoyer comme les précédents).

Et s'il échoue, alors la voie reste ouverte pour de Gaulle (la bourgeoisie dans son ensemble et les couches qui l'appuient deviendraient gaullistes), et pour l'action révolutionnaire de la classe ouvrière. Car un tel échec ne pourrait se produire que si la classe ouvrière lutte ou se montre décidée à lutter avec acharnement et si le gouvernement trouve contre lui une partie de la petite bourgeoisie et les paysans (voir les mesures de réquisition malgré les hausses) – toutes les oppositions à la fois bien que pour des raisons différentes se développeraient grâce à l'action de la classe ouvrière. Par contre, le succès de Reynaud, en courbant la classe ouvrière, assurera le succès de de Gaulle par la voie "légale" et froide. Car la politique REYNAUD mécontentera tout le monde, et le système électoral subsistant, le sauveur de toutes les classes – de Gaulle – se fera plébisciter à la première occasion.


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