1950

Prolétaires de tous les pays, unissez-vous !
ORGANE DE L'UNION COMMUNISTE (Trotskyste)
Nouvelle série – N°4

Téléchargement fichier winzip (compressé) : cliquer sur le format de contenu désiré

Format RTF (Microsoft word) Format PDF (Adobe Acrobat)

La Lutte de Classes

Barta

2 février 1950


LA BOMBE "H" PREPARE LA GUERRE ET NON LA PAIX !

La nouvelle, rendue publique par les dirigeants américains, de la possibilité de fabriquer une bombe atomique mille fois plus puissante que celles qui, en 1945, anéantirent Hiroshima et Nagasaki en quelques secondes, jette une lumière crue sur le stade des préparatifs de la troisième guerre mondiale, et le sort réservé aux classes laborieuses du monde entier dans un tel conflit. Avec cette bombe, les victimes s'aligneront instantanément par millions au lieu de dizaines de mille...

C'est cette puissance destructrice de la bombe à hydrogène, ne pouvant pas, par ailleurs, contrairement à celle à uranium, être éventuellement utilisée dans des buts pacifiques qui, paraît-il pose un cas de conscience aux politiciens américains. "Faut-il ou non la fabriquer ?" Les dirigeants américains font semblant d'hésiter et Truman n'a pas "encore" pris sa décision.

Ces scrupules des dirigeants américains sont-ils honnêtes ? Le cas de conscience de Truman est-il vraiment tel qu'il l'oblige de dévoiler ce que les états-majors ont toujours imposé au peuple de considérer comme d'inviolables secrets de "défense nationale" ? Il est permis d'en douter.

Des scrupules chez des gens qui n'ont pas hésité à utiliser la bombe atomique et, avant elle, le fer et le feu, contre les populations civiles du monde entier, voilà qui est étrange. Tuer des gens sans défense en détail ou d'un seul coup, quelle différence y a-t-il ? N'a-t-on pas fait remarquer récemment que le bombardement "normal" de Hambourg en 1943 avait fait deux fois plus de morts que le bombardement atomique de Hiroshima ?

L'hypocrisie de Truman et de ses supporters dépasse vraiment toutes les bornes. Car, tout en ayant l'air de poser au peuple américain la question : "Faut-il ou ne faut-il pas fabriquer la bombe ?", ils n'ont nullement organisé un vote pour ou contre la fabrication de la bombe, dans lequel l'opinion des masses travailleuses américaines aurait pu s'exprimer sans équivoque. Au contraire, après un semblant de controverse, où l'on a entendu surtout des arguments pour la fabrication de la bombe, la propagande officielle, la presse bourgeoise américaine, tient déjà pour prouvé que l'"Américain moyen" (!) est partisan de la bombe H !... Et à l'heure qu'il est, la presse américaine, aux mains des capitalistes, est remplie de "vérités" de ce genre : "Notre sécurité exige que nous fournissions à nos forces armées les meilleures armes possible", "nous devons rester forts si nous voulons préserver la paix", "nous devons fabriquer la bombe avant que les autres ne la fabriquent", "nous ne devons pas nous démunir de nos atouts vis-à-vis des préparatifs de guerre de la Russie". C'est le "nous vaincrons parce que nous sommes les plus forts" de Reynaud en 1940.

Ainsi, la "discussion" sur la bombe à hydrogène, lancée au moment du voyage de Mao Tsé Toung à Moscou, n'a été provoquée par les sphères dirigeants américaines que pour entretenir la psychose de guerre, que pour obliger le peuple américain à franchir un nouveau pas en avant gigantesque dans la course aux armements.

Voilà à quel résultat ont abouti les discussions qui se poursuivent depuis des mois aux "Nations Unies" sur le contrôle de l'énergie atomique et la destruction des bombes. Depuis de longs mois, les dirigeants américains et les dirigeants russes opposent leurs formules respectives "contrôler d'abord, détruire ensuite", et "détruire d'abord, contrôler ensuite", cependant que des deux côtés se poursuit la course aux armements la plus folle !

En cela, comme en bien d'autres choses, les "Nations Unies" ne diffèrent en rien de la défunte "Société des Nations", que Lénine appelait un "repaire de brigands" et dans laquelle, à l'abri des discussions sur les désarmement, les Etats impérialistes ont armé à qui mieux mieux et finalement déclenché la deuxième guerre mondiale.

Préconiser l'entente entre les classes dirigeantes et leurs états-majors pour le contrôle et l'interdiction des armes atomiques, et la limitation des armements en régime capitaliste, c'est tromper les masses, en les détournant de leur véritable lutte contre la guerre. Car le seul désarmement qui puisse empêcher la guerre, c'est dans chaque pays, le désarmement de la bourgeoisie par les masses travailleuses.

Mais la préparation à la guerre n'est pas seulement une question de propagande, de préparation des esprits. Elle a pour conséquence, dans la vie de tous les jours, des charges matérielles terribles imposées aux masses, et l'instauration dans chaque pays, de régimes politiques de plus en plus réactionnaires. C'est donc seulement dans la mesure où dans chaque pays la classe ouvrière mènera sa lutte jusqu'à la victoire complète sur ses exploiteurs, jusqu'à leur renversement, que sa lutte pour la paix sera efficace, qu'elle empêchera une nouvelle guerre mondiale d'éclater.

P.S. - Au moment de mettre sous presse nous apprenons que la fabrication de la bombe "H" a été officiellement ordonnée par Truman.


LES STRATEGES DE LA RECULADE

Le 30 janvier, juste au moment où la population se trouvait devant la nécessité de riposter à la hausse de 40% des tarifs du métro et des autobus, "Force Ouvrière" de la R.A.T.P. sort un communiqué pour inviter les ouvriers du métro à suspendre leurs débrayages pour les revendications de salaires.

Or, à elle seule, la volonté des usagers de refuser le paiement de l'augmentation du métro ne pouvait pas ne pas échouer. Malgré l'indignation profonde de la population, dans une telle action elle devait, par la force des choses, se trouver dispersée. Seule une grève des salariés du métro et des autobus pour leurs revendications, déclenchée le jour même de l'augmentation des tarifs et dirigée aussi contre elle, était un moyen de lutte victorieuse.

Les dirigeants F.O. ont ainsi divisé la lutte au moment décisif, alors qu'il fallait au contraire unir dans une seule lutte le mouvement revendicatif des travailleurs du métro et l'opposition de la population à la hausse des tarifs. Car cette hausse, en contribuant à la hausse générale des prix, ne touchera-t-elle pas indirectement les travailleurs du métro eux-mêmes ?

Par ailleurs, L'Humanité nous apprend qu'une Conférence de l'Automobile a eu lieu les samedi et dimanche 28 et 29 janvier, et qu'elle a décidé, en conclusion, un débrayage général des usines de l'automobile le jeudi 9 février à 16 heures ; des délégations devront se rendre auprès des directions patronales et un meeting aura lieu au Vel" d'Hiv' ; c'est seulement si aucun résultat n'est obtenu qu'on songera à des moyens plus énergiques...

Par ces décisions, les dirigeants cégétistes ne veulent en réalité que masquer leur propre impuissance. Ce n'est pas deux, mais vingt-quatre heures que les travailleurs de l'automobile, ensemble avec la majorité de la classe ouvrière, ont fait grève le 25 novembre pour "avertir" les barons de l'automobile qu'ils sont à bout et que si ceux-ci n'entendent pas leur donner satisfaction, ils iront plus loin.

Pourquoi cette reculade cégétiste ? C'est que le mouvement du 25 novembre étant né de l'appel simultané de F.O. et de la C.G.T., il faudrait, pour aller de l'avant, qu'une fois de plus F.O. soit obligée de lancer un tel appel. Mais faire appel aux dirigeants F.O. pour discuter les conditions d'un mouvement et les mettre devant leurs responsabilités pour leur abstention actuelle, cela reviendrait de la part des dirigeants cégétistes à avouer ce qu'ils contestent : à savoir qu'ils sont incapables de mener la lutte seuls. Voilà pourquoi ils organisent des manifestations de façade, qui sont une reculade par rapport à ce que la classe ouvrière a déjà fait, et qui ne peuvent la mener nulle part.

Après la grève générale du 25 novembre, il n'y a qu'une attitude qui soit honnête de la part des Centrales syndicales : c'est de proposer aux travailleurs un programme revendicatif complet et les appeler à se prononcer sur ce programme et sur le recours à la grève générale jusqu'à son aboutissement. C'est ce que les militants ouvriers doivent exiger d'elles.

La politique actuelle des Centrales syndicales ne fait que diviser et affaiblir la classe ouvrière et risque de lui faire perdre la bataille que les capitalistes sont en train de lui livrer.

LA LUTTE


UNE POLITIQUE QUI N'OSE PAS DIRE SON NOM

Les débats du samedi 28 janvier à la Chambre sur les accords Bao Daï – Auriol ont obligé une fois de plus Thorez à expliquer la position des dirigeants staliniens dans la guerre d'Indochine. Thorez continue naturellement de prétendre que leur attitude n'a jamais varié, qu'ils se sont toujours inspirés du principe "qu'un peuple qui en opprime un autre ne saurait être un peuple libre."

"Je saisis l'occasion qui m'est donnée, dit-il, de protester contre l'information calomnieuse selon laquelle des militants communistes, lorsqu'ils appartenaient au gouvernement, auraient pu approuver la guerre criminelle menée depuis plus de trois ans contre le peuple du Viêt-nam."

A l'appui de cette affirmation, Thorez analyse les instructions données à Bollaert, lors de sa nomination au poste de Haut Commissaire en Indochine, en mars 1947, en pleine guerre. D'après lui, grâce à son intervention, les instructions de Bollaert comportaient un progrès : pas question de "conquête ou reconquête", pas question de "restaurer la dynastie royale" -Bao Daï) et le Haut Commissaire devait "faire observer à tous les échelons de la hiérarchie militaire une discipline exacte et une subordination aux directives du gouvernement".

Le but de sa mission étant "sur place d'entreprendre des négociations pour amener le plus vite possible la cessation des hostilités".

Mais Thorez sent très bien que cette politique, bien que baptisée "progressiste", étant trop éloignée de celle que le P.C.F. exige actuellement des travailleurs – empêcher la fabrication et le transport d'armes de toute sorte pour l'Indochine et le retrait du corps expéditionnaire – crée un malaise et qu'une justification devient nécessaire :

"La désignation de M. Bollaert, affirme-t-il, comme les instructions qui lui furent remises, portaient la marque d'un COMPROMIS (souligné par nous) auquel les ministres communistes s'étaient ralliés afin de rester au gouvernement et d'y poursuivre leurs efforts en faveur du peuple dans un moment où nos partenaires cherchaient visiblement à nous écarter, selon la consigne des maîtres américains."

Cette justification est la pire des accusations contre les dirigeants staliniens. Vous êtes pris la main dans le sac, M. Thorez ! Vous êtes pris la main dans le sac parce que les travailleurs se souviennent très bien que ce n'étaient pas "des efforts en faveur du peuple" que vous faisiez quand vous étiez au gouvernement. Est-ce le blocage des salaires par votre ami Croizat, est-ce le "produire sans revendiquer" défendu par le P.C.F. et la C.G.T., est-ce la coalition avec les De Gaulle, avec les Gouin, avec les Bidault, serviteurs éprouvés de la haute finance comme vous êtes obligés de le reconnaître actuellement, que vous appelez "défense du peuple" ?

Pour oser l'affirmer aujourd'hui, vous comptez sur l'oubli ; mais les travailleurs ne peuvent pas oublier ce qu'ils ont subi dans leur chair et se rappellent parfaitement qu'au moment où vous étiez au gouvernement vous ne les défendiez pas.

Un autre fait capital éclaire encore l'attitude des dirigeants staliniens. La politique de compromis pourri de mars 1947 qu'ils essayent de présenter comme un juste compromis, est la même qu'a menée et mène le parti... socialiste !

Le parti socialiste n'a-t-il pas toujours fait profession de s'élever contre la guerre d'Indochine ? De son désir d'y mettre fin ? Le parti socialiste n'insiste-t-il pas, lui aussi, pour qu'on négocie avec Hô Chi Minh ? Cependant, les députés socialistes votent avec la majorité réactionnaire, les ministres socialistes se soumettent à la majorité du gouvernement et endossent la responsabilité de la guerre, malgré leur désapprobation, tout comme les députés et les ministres P.C.F. quand ils étaient au pouvoir. Et leur justification est identique à celle de Thorez il y a trois ans : nous faisons une politique de compromis pour rester au pouvoir et empêcher que les réactionnaires en disposent à leur gré contre le peuple français !

Les travailleurs jugeront comme il convient Maurice Thorez qui ose prétendre que ses protestations dans un conseil des ministres qui poursuivait la guerre en Indochine serait la même chose que la lutte menée par les dockers, avec ou sans majorité, pour empêcher la continuation de cette guerre au risque de perdre leur gagne-pain et leur liberté. Nous l'accusons d'être resté, avec ou sans protestations, dans un gouvernement menant une guerre qu'aujourd'hui lui-même qualifie de "criminelle" et d'en avoir ainsi endossé la responsabilité envers le peuple, et livré ainsi les travailleurs pieds et poings liés aux colonialistes.

Comme la politique des dirigeants socialistes, la politique des dirigeants staliniens est une politique qui n'ose pas dire son nom : une politique du pouvoir pour le pouvoir, une politique de trahison.

A. MATHIEU


Fondé en octobre 1942
Rédaction et Administration : écrire à J. Ramboz
7, impasse du Rouet,Paris (14ème)


Archives Trotsky Archives IV° Internationale
Haut de la page Haut de la page Haut de la page Sommaire