1920

 

N. Boukharine

Économique de la période de transition

XI : Le processus de la révolution mondiale et le système mondial du communisme

Jusqu'à la guerre, le système de l'économie mondiale se trouvait en situation d'équilibre instable. Le processus d'échange entre les pays, les mouvements internationaux de capitaux (exportations et importations de capital), les transferts internationaux de la force de travail, reliaient étroitement les différentes parties de ce système par les liens solides des processus « normaux » qui sont d'une nécessité vitale pour l'existence même de l'économie mondiale et de ses éléments constituants. Les lois du système capitaliste-marchand que la théorie pure analysait sous leur forme abstraite, comme lois d'une société capitaliste abstraite et « pure », et qui se sont réalisées concrètement à l'époque du capitalisme industriel dans les cadres territoriaux des États - ces lois sont devenues avant tout des lois élémentaires d'un système mondial anarchique. Les prix mondiaux. et par suite le travail social mondial qui en assure la régulation « en dernière instance » (« in der letzten Instanz »); la concurrence mondiale, le marché mondial, les tendances à la péréquation du taux moyen de profit; la tendance à l'unification de l'intérêt moyen mondial; l'égalisation des salaires et leur tendance à un nivellement mondial qui déplaçait la force de travail d'un pays à l'autre; les crises industrielles mondiales, etc. - tout cela exprimait un fait fondamental, celui de la situation d'équilibre instable et des contradictions croissantes du système capitaliste mondial.

Les liens généraux et l'interdépendance des différents États capitalistes, qui faisaient de chacun de ceux-ci les parties constitutives du système général, ont inévitablement entraîné une guerre de caractère international [1]. De même que les crises revêtaient le caractère de crises mondiales, étant donné la force des liens qui unissaient les différentes parties de l'économie mondiale, la guerre devait prendre inévitablement le caractère d'un grandiose massacre mondial. La crise se propage et déferle comme une onde, parce que la rupture de l'équilibre dans l'une des parties du système se répercute inévitablement, comme portée par des fils télégraphiques, à tous ses membres. Dans les conditions d'une économie mondiale la guerre [2], en révélant une rupture d'équilibre en un lieu déterminé, a inévitablement transformé tout le système en un ébranlement gigantesque, en une guerre mondiale. La rupture des liens de l'économie mondiale signifie sa dislocation, et le processus de reproduction élargie négative, s'infiltrant parallèlement dans les pays belligérants dont les liens se rompent, conduit finalement à l'écroulement du système tout entier.

Par quel maillon cet écroulement devrait-il débuter ? Il paraît évident qu'il devrait commencer par les éléments les plus faiblement organisés du point de vue capitaliste [a].

En effet, nous avons déjà vu au chapitre III de cet ouvrage que la stabilité des éléments du système capitaliste privé dans l'économie mondiale, dans la mesure où la guerre est un facteur réel, s'explique par la réorganisation interne des rapports de production, réorganisation qui conduit au capitalisme d'État. C'est pourquoi l'on peut, somme toute, dire que la stabilité du système était directement proportionnelle au degré d'organisation capitaliste d'État . Sans elle, le capitalisme n'aurait pas survécu aussi longtemps, et ce délai supplémentaire correspond à l'histoire du capitalisme d'État [3]. Cette stabilité, liée à la forme même du capitalisme d'État, suivait une ligne économique et une ligne de classe sociale. Cependant, la forme économique du capitalisme d'État, n'était possible qu'avec une certaine « maturité » des rapports capitalistes en général [4]. Elle est d'autant plus accomplie que - toutes les conditions étant égales par ailleurs - le développement des forces productives, l'organisation capitaliste financière, l'ensemble des rapports monopolistes au sein du capitalisme moderne sont importants [5]. Or, elle l'était d'autant moins que les pays considérés étaient des pays agricoles et arriérés, que le développement des forces productives était faible, que l'organisation capitaliste et financière de l'économie était faible. Mais, non seulement du point de vue de la structure sociale et économique, mais aussi de celui de la technique [6] de production la plus stable, dans le gigantesque conflit, les systèmes au développement technique le plus avancé étaient ceux qu'exigeait la guerre impérialiste. Cette technique avait une portée décisive pour la guerre. La perfection de la forme d'organisation compensait partiellement le processus de reproduction élargie négative. La concentration de la puissance sociale de la bourgeoisie dans le pouvoir d'État, exigée par l'organisation économique du capital, a donné lieu à une gigantesque opposition du mouvement ouvrier. C'est pourquoi l'écroulement du système capitaliste mondial a débute par les systèmes économiques nationaux les plus faibles, les organisations capitalistes les moins développées [g] [7].

Il ne faut pas confondre la question de la chronologie de la révolution prolétarienne avec celle du niveau du type de révolution considérée. Le niveau d'une révolution est défini par l'importance du complexe des rapports de production qu'incarne le prolétariat. Plus la concentration du prolétariat est forte, plus le type de révolution communiste est élevé et plus difficile est la victoire, mais plus aisée sera la construction [c]. Les prémisses organisationnelles du communisme résident, comme nous l'avons vu, dans le domaine de la concentration des moyens de production et de la socialisation du travail. Dans le système capitaliste mondial, ces prémisses s'expriment le plus nettement dans «les grandes puissances» du capital; où la puissance de la bourgeoisie est la plus solide. D'autre part, c'est précisément l'existence d'un système mondial anarchique dont les parties constituantes ont chacune une situation particulière dans « l'économie mondiale », qui a rendu possible aux « grands » systèmes impérialistes l'exploitation de colonies. Et sur cette base s'est constituée une autre passibilité, celle de la « communauté d'intérêts » [8] temporaire entre la « patrie » impérialiste et la classe ouvrière [9]. Cette « communauté d'intérêts » (Interessengemeinschaft), à son tour, a terriblement retardé l'avance de la révolution fondée sur la destruction de toute communauté entre la bourgeoisie et le prolétariat. Néanmoins, pour autant que la révolution est déjà un fait réel, elle est, par son type même supérieure à tout autre chose précisément dans les pays où la classe ouvrière représente un pourcentage maximum de la population et où les moyens de production sont le plus fortement concentrés. Ces deux facteurs donnent alors, en premier lieu, l'ossature matérielle réelle de la nouvelle société, et en second lieu ses rapports de production fondamentaux. De ce point de vue, on comprend parfaitement pour quelle raison la révolution du prolétariat a eu lieu tout d'abord en Russie. La machine étatique y était la moins solidement organisée. Les formes du capitalisme d'État  étaient seulement ébauchées. La faiblesse technique de l'agriculture du pays en général conditionnait une débâcle militaire sans précédent. L'appareil d'État  était tellement instable qu'il était relativement aisé au prolétariat de le renverser dans les grands centres urbains. Mais, par ailleurs, après la victoire du prolétariat, les causes de la facilité de cette victoire se sont muées dialectiquement en sources de très grandes difficultés [10]. Le retard économique du pays, l'étendue du travail parcellisé, morcelé de petits propriétaires par opposition au travail socialisé efficace, tout cela constitue de grands obstacles à l'organisation d'un système économique socialisé et planifié. La révolution a triomphé aisément parce que le prolétariat aspirant au communisme était soutenu par la paysannerie dressée cantre les propriétaires fonciers. Mais cette même paysannerie s'est révélée un très grand frein pendant la période d'édification des rapports de production communistes.

Par contre, en Allemagne, la révolution était extraordinairement difficile. L'État  capitaliste y a opposé une résistance extrêmement tenace; le prolétariat est apparu comme la seule force révolutionnaire; la victoire y est plus difficile. Mais ce type de révolution est supérieur, bien que la révolution survienne plus tardivement [d].

Si nous considérons le processus révolutionnaire dans sa portée mondiale, nous pouvons alors généraliser de la façon suivante : le processus révolutionnaire mondial débute dans des systèmes économiques au niveau le plus bas par rapport à l'économie mondiale, où la victoire du prolétariat est aisée, mais où la cristallisation de nouveaux rapports est plus difficile; la vitesse de l'offensive révolutionnaire est inversement proportionnelle à la maturité des rapports capitalistes et au type de révolution [11].

La fin de la guerre impérialiste ne peut stopper la désagrégation du système capitaliste, son écroulement, et la révolution communiste du prolétariat. La baisse des forces productives se poursuit après la conclusion de la paix. Les impérialistes pensaient organiser l'économie mondiale à l'aide de méthodes qui nient l'économie mondiale. Les vainqueurs pensaient se tirer d'affaire par une exploitation impitoyable qui élimine en fin de compte la passibilité même de cette exploitation. Mais l'esprit de concurrence mondiale leur joue un mauvais tour en les contraignant à se combattre l'un l'autre. Ainsi l'histoire montre à l'impérialisme son fatal a posteriori, qui apparaît soudain aux « vainqueurs » dans toute son horrible nudité [e].

L'isolement économique et la rupture des liens au moment de la guerre, les conséquences de cette situation après la guerre, aggravent le processus de destruction des forces productives et accélèrent l'écroulement du système capitaliste, momon après maillon; la conquête révolutionnaire du pouvoir par le prolétariat et la transformation des modes de production, ne serait-ce que dans un seul pays, aggravent énormément le processus de destruction de l'ancienne idéologie, et donnent dans d'autres pays un élan révolutionnaire à la classe ouvrière en fournissant une base à son développement ultérieur.

Dans les premières Républiques soviétiques, le prolétariat mondial possède ses propres organisations, jouissant du maximum de pouvoir social et matériel. C'est pourquoi au milieu du système mondial de l'économie capitaliste en décomposition elles apparaissent inévitablement comme le nouveau point de cristallisation, le centre d'attraction de l'énergie prolétarienne, et comme un facteur important de décomposition du système capitaliste. Dans tout le monde capitaliste, malgré les tentatives de lui rendre une vie nouvelle, la désagrégation progresse à grands pas. Les forces productives régressent. Les rapports de production se désagrègent et se rompent. L'équilibre économique entre les différentes sphères de production n'existe plus et sa rupture prend les formes les plus violentes. De même, il n'existe plus d'équilibre social entre les classes, et l'on s'achemine vers le conflit décisif. L'organisation politique, ou plus exactement les États bourgeois, traversent une crise car l'impérialisme mondial se révèle incapable de mener une politique vraiment commune et homogène. Les armées capitalistes se désagrègent. Si l'anarchie mondiale de la production, et son expression dans la concurrence internationale, dictent leur volonté aveugle à l'organisation étatique bourgeoise, l'ensemble du processus revêt un caractère élémentaire de destruction. L'anarchie des rapports capitalistes crée sur la base de leur destruction une situation caractéristique d'incertitude qui augure une fin rapide. Et dans ce tissu mondial en décomposition qu'est l'économie capitaliste apparaissent des organisations ouvertes de type nouveau qui offrent par principe la possibilité de développement, car elles seules permettent la restauration de l'équilibre social; des organisations qui puisent justement leur propre force dans la quantité résiduelle de la décomposition des systèmes capitalistes; ces États du prolétariat avec un nouveau système de rapports économiques s'affirmant d'autant plus que les groupements capitalistes en dissolution s'affaiblissent. Le système capitaliste à l'époque du capitalisme industriel était l'incarnation d'un processus spontané, car il était fondé sur une absence complète de régulation des rapports; la place du régulateur conscient était tenue par le « marché » inconscient [12]. La forme capitaliste d'État  de la société, laissant les relations mondiales inorganisées, a remplacé les processus inconscients par une régulation consciente des rapports économiques, établissant le plan de classe de la bourgeoisie à la place des lois spontanées de l'économie marchande. L'époque de la dissolution des organisations capitalistes d'État  déchaîne à nouveau cette force élémentaire qui diffère de la force élémentaire de la marchandise par l'ancienne tendance de son mouvement. Là, cette force élémentaire était le levier de la concentration et de la centralisation capitaliste, de la croissance de la société capitaliste, et finalement de son organisation; ici, cet élément apparaît comme le levier de la destruction du système d'organisation. Et à nouveau : au milieu de ce processus spontané de destruction, seuls les États prolétariens peuvent en faire un processus d'organisation et de rationalisation de la vie économique, mais sur une base différente. la dislocation et la destruction de l'ancien système et l'organisation d'un nouveau, voilà les lois fondamentales et les plus générales de la période de transition. C'est pourquoi, quels que soient les écarts par rapport à cet aspect, la résultante va dans la ligne du socialisme. Les rapports entre les États prolétariens et les États bourgeois montrent clairement par leurs conflits armés, par la guerre de classe [13] qui dissout les anciennes armées, que tout développement rend impossible un équilibre social sur une base capitaliste.

Le facteur principal de la dislocation du système capitaliste est la rupture des liens entre les États impérialistes et leurs nombreuses colonies. Ce que l'on nomme « État  national » était déjà avant-guerre une pure fiction [14]. En réalité, ce qui existait vraiment, c'étaient des sujets de la politique coloniale, les États impérialistes représentant des systèmes complexes avec un noyau solide et une périphérie soumise, et des objets de cette politique coloniale avec des nuances et des degrés divers de subordination. Précisément, dans la formation de ces corps gigantesques, la force extra-économique organisée, qui est elle-même une force économique, comme le disait Marx, a joué un rôle fondamental. La « politique de la force » (« Machtpolitik »), «l'armée et la flotte» (« Armee und Flotte »), et autres charmes de l'impérialisme, constituaient les moyens d'organisation des systèmes d'État  impérialistes. La cohésion étatique qui s'appuyait finalement sur la force armée avait une importance décisive. Par suite, dans la mesure où le pouvoir étatique du capital se décompose, la destruction des systèmes impérialistes, l'abandon des colonies, le morcellement des « grandes puissances », la création des « États nationaux » indépendants doivent nécessairement débuter [15]. Du point de vue de la lutte des forces sociales, l'indépendance peut se traduire par une série de révoltes coloniales, d'insurrections nationales, de guerres nationales limitées etc. Il est vrai que les insurrections coloniales et les révolutions nationales (de l'Irlande, de l'Inde, de la Chine, etc.) n'ont absolument aucun lien direct avec la révolution prolétarienne qui s'étend ; leur signification locale et immédiate n'est nullement celle d'un établissement de la dictature du prolétariat; dans ces cas, le prolétariat ne joue pas en règle générale de rôle politique dirigeant, car il est extrêmement faible. Néanmoins, ces révoltes coloniales et ces révolutions nationales s'inscrivent comme éléments constituants dans le large processus révolutionnaire mondial [16] qui déplace tout l'axe de l'économie mondiale. Car nous sommes objectivement en présence de facteurs de rupture générale des rapports de production capitalistes, rupture qui facilite la victoire de la révolution prolétarienne et de la dictature de la classe ouvrière.

La dictature du prolétariat ne peut triompher si les prolétariats des différents pays sont isolés les uns des autres. C'est pourquoi déjà au cours de la lutte, il faut inévitablement une cohésion, des liens, un esprit de corps, une union entre toutes les Républiques soviétiques prolétariennes naissantes. Déjà pour la bourgeoisie, lors de la période de transition, son union mondiale est objectivement nécessaire: elle lui est indispensable du point de vue économique pour espérer mettre fin à la crise; elle lui est nécessaire politiquement, car c'est la seule manière d'opposer une résistance au prolétariat. De là la tentative de constitution de la « Société des Nations ». Cependant, la dislocation déjà entamée du système capitaliste, sa désorganisation profonde, la masse des frictions nouvelles, ont extraordinairement renforcé les tendances à la décentralisation, et c'est pourquoi la bourgeoisie en vient à s'écrouler. L'élément de destruction submerge la raison organisatrice de la bourgeoisie [17]. Pour le prolétariat, son unité, économique et politique est une question de vie ou de mort. Et précisément ses victoires partielles (ses dictatures) s'expriment par l'élimination de, la destruction; il en résulte que l'union des systèmes étatiques prolétariens est une nécessité objective. Dans la mesure où la restauration du tissu économique et politique de l'économie mondiale, et le transfert du centre de gravité aux États prolétariens et à leurs unions se réalisent, toute la carte de l'économie mondiale se transforme. Les anciennes colonies et les pays agricoles attardés, où il n'y a pas encore de dictature du prolétariat, entrent néanmoins en liaison avec les Républiques socialistes industrielles. Ils s'intègrent peu à peu au système socialiste approximativement selon la même démarche que celle suivie par l'agriculture dans les différents pays socialistes.

Ainsi s'étend peu à peu la dictature mondiale du prolétariat. Au fur et à mesure de sa croissance, la résistance bourgeoise s'affaiblit, et peur finir les complexes bourgeois qui subsistent capituleront selon toute vraisemblance avec toutes leurs organisations in corpore [6].

Mais la dictature mondiale du prolétariat est déjà par essence le début de la négation de la dictature du prolétariat en général. Le pouvoir étatique de la classe ouvrière doit croître dans la mesure où se développe la résistance des groupes capitalistes. Le déroulement du processus d'écroulement capitaliste et de révolution communiste constitue toute une étape historique, toute une époque qui s'inscrit dans une série de luttes de classes sans merci, sans parler des guerres civiles, de sorte que l'État  ne peut pas dépérir dans une telle situation. Mais dès qu'apparaît la victoire mondiale décisive du prolétariat, la courbe du développement de l'État  prolétarien commence rapidement à baisser. Car la tâche principale et prioritaire du pouvoir d'État  en tant que tel, la répression de la bourgeoisie, aura pris fin. Les mesures coercitives externes commenceront à disparaître: tout d'abord disparaîtront l'armée et la flotte comme instruments de contrainte les plus acérés; puis le système des organismes répressifs; plus tard - le caractère contraignant du travail, etc. [18]. Les forces productives réparties selon une rationalisation économique et non en fonction d'une division étatique, se développeront avec une rapidité sans précédent.

Les gigantesques réserves d'énergie qui alimentaient autrefois les luttes de classe, les guerres, le militarisme, la lutte contre la crise, la concurrence, etc., se transforment alors en travail productif. La déformation des classes, l'éducation et la formation difficile des nouvelles générations, la rationalisation de tout le processus productif accélèrent encore la croissance des forces productives. La distribution perd son caractère d'équivalence obligatoire « en travail ». Le socialisme de la dictature prolétarienne et de la période qui suit se déploie en système mondial de la société communiste [f]. Pour la première fois depuis qu'existe l'humanité, un système construit harmonieusement dans toutes ses parties sera créé: il ne connaît ni l'anarchie sociale, ni l'anarchie dans la production. Il élimine à jamais la lutte des hommes entre eux et rassemble toute l'humanité en une seule collectivité qui embrasse rapidement les richesses incalculables de la nature.

Le prolétariat qui bâtit activement l'avenir de l'humanité et voit clairement cet avenir, peut reprendre les mots du grand combattant de la science: Novatum rerum mihi nascitur ordo [19]. Seuls les aveugles ne peuvent voir ce nouveau système ! Son avènement est inéluctable et imminent.

Notes de Lénine

[1] L'inévitabilité de la guerre de 1914-1918 a encore d'autres causes.

[2] La « guerre» de 1914-1918, mais pas la « guerre » de 1911-1912. L'académicien a omis la différence spécifique (en latin).

[3] Juste !

[4] Exactement : sous le capitalisme monopoliste (l'auteur oublie souvent ce point).

[5] NB: non pas l'organisation capitaliste financière, mais l'organisation du capitalisme en capitalisme financier.

[6] Juste !

[7] Incorrect: par des « moyennement» faibles Sans un certain degré de développement du capitalisme, il n'y aurait rien eu en Russie.

[8] Juste !

[9] Il vaudrait mieux dire : l'aristocratie ouvrière.

[10] Juste !

[11] C'est risqué: il faudrait dire «ne débute pas au niveau le plus haut » ... et « n'est pas directement proportionnelle ».

[12] Très bien !

[13] Ce n'est pas le mot.

[14] Pas une pure fiction, mais une forme bâtarde. La déformation du « matérialisme dialectique » consiste à effectuer des sauts logiques (et non matériels) par-dessus un certain nombre d'étapes concrètes.

[15] L'auteur a oublié que 1) les États les plus impérialistes se sont formés à partir d'États nationaux, 2) que les États nationaux « nationaux» se forment aussi dans les colonies.

[16] Précisément !

[17] Très bien !

[18] Ne serait-ce pas, au contraire: d'abord « plus tard », ensuite « puis », enfin « tout d'abord »?

[19] « Sous mes yeux naît un nouvel ordre des choses.»

(Fin des annotations de Lénine)

S.S. (Summa summarum) = une goutte de fiel dans un tonneau de miel...

La note 9 de la page 72 (chapitre III) est naïve jusqu'à l'infantilisme. BOUKHARINE « s'est servi de cette terminologie » « dans le sens » « où le camarade BOGDANOV l'emploie » ... sans réfléchir à ce que cette terminologie et son sens sont fondés (que l'auteur - académicien - me pardonne cette expression ridicule de confusion) chez BOGDANOV sur sa philosophie (qui est une philosophie idéaliste et éclectique). Voilà pourquoi l'auteur tombe souvent, trop souvent, en contradiction avec le matérialisme dialectique (c'est-à-dire le marxisme), dans la terminologie scolastique (terminologie agnostique, à la Hume-Kant, dans l'esprit philosophique), dans l'idéalisme (« logique », « point de vue », etc. en faisant abstraction de leur origine dans la matière, dans la réalité objective) etc. C'est la source d'un nombre d'erreurs théoriques (et pourquoi prétend-il à une « théorie générale » ?), l'écume de la science, les sottises académiques. Le livre serait tout à fait excellent si pour la seconde édition, l'auteur éliminait le sous-titre, vingt à trente pages de scolastique, des exercices de terminologie éclectique et inconsciemment idéaliste (dans le sens philosophique) en les remplaçant par vingt à trente pages de faits (puisés dans l'abondante littérature économique qu'il cite). Après cela, le début du livre, bouffi et malade, s'assainirait, maigrirait, se charpenterait, perdrait sa graisse anti-marxiste et pourrait ainsi servir de « fondation » (ah! ah!) plus solide à la fin du livre.

Quand l'auteur marche sur la tête pour des raisons personnelles, c'est très gentil, gai, dépourvu de pédantisme. Mais, quand il imite aveuglément la « terminologie » de BOGDANOV (en fait, il ne s'agit pas de « terminologie » mais d'erreurs philosophiques), tout d'abord dans son livre, pour se donner une importance académique (il marche souvent sur la tète pour se retrouver ensuite et se remettre sur les pieds) alors cela devient pédant et incohérent

Puisse t'on  espérer que dans la seconde édition, etc.

Dans les pages 168-169, transparaît clairement le marxisme et non le bogdanovisme.

Recensio Academica : Les excellentes qualités de cet excellent livre sont quelque peu amoindries dans la mesure où primo l'auteur, bien qu'il possède la connaissance de la littérature relative au sujet, néglige d'étayer ses postulats par un matériel solide et factuel, ne serait-ce que brièvement, ce qui sauverait le livre de ses défauts « sociologiques » ou plutôt philosophiques. Secundo l'auteur n'analyse pas suffisamment le processus économique de façon concrète in actu, tombant souvent dans ce qui porte le nom de « terminus technicus » « Begriffsscholastik » sans, se rendre compte que de nombreuses formules et termes mal choisis (Wurtzeler, racine) dans la philosophie, s'engouffrant, Grundgdanken.(pseudo-pensée profonde), dans le courant de l' « idéalisme philosophici seu agnustisme (recht oft unbeshen und unkritsch von anderen übernommen) pas du tout du « matérialisme ». Pouvons-nous exprimer l'espoir que ces petits défauts disparaîtront dans les éditions suivantes dont nos lecteurs ont tellement besoin et qui apporteront la gloire à notre académIe. Nous saluons l'académie avec l'œuvre excellente de son représentant.

31 mai 1920.

Notes de l'auteur

[a] Des conceptions opposées sur la solidité des organismes économiques ont été exposées par quelques idéologues de l'arriération économique. Ainsi par exemple, le livre connu du Général HOULEVITCH sur la guerre et l'économie politique. D'un autre côté de jeunes russes impérialistes « de pur sang » percevaient aussi le danger (bien entendu dans le cadre des « malheurs» qui ne dépassaient pas le capitalisme). Cf. par exemple l'article de P. STROUVÉ dans le recueil de Velikaia Rossia, et aussi S. PROKOPOWITCH, Voina i Narodnoie Khoziaistvo.

[b] Il va de soi que dans ce cas on présuppose l'égalité des autres conditions. La simple prépondérance mécanique des forces peut aussi bien se trouver du côté des groupes conservateurs si ceux-ci sont quantitativement plus importants.

[c] Le travail du narodnik (socialiste-révolutionnaire de gauche) W. TROUTOVSKI, Perekhodnyi Period, est le « modèle » le plus vulgaire du point de vue opposé.

[d] Une brillante analyse de la situation révolutionnaire et de ses différents types se trouve dans le travail de LÉNINE, Le Gauchisme, maladie infantile du communisme (Essai d'exposé populaire sur la stratégie et la tactique marxistes).

[e] John KEYNES écrit dans son livre Les conséquences économiques de la paix, éd. française, trad. de Paul FRANCK, Paris, NRF, 1920 : « Le traité (de paix) ne comprend qu'une disposition en vue de la restauration économique de l'Europe, il ne décide rien pour placer les Empires centraux vaincus au milieu de bons voisins, rien pour organiser lès nouveaux États européens au pour sauver la Russie; il ne crée en aucune façon un contrat de solidarité économique entre les Alliés eux-mêmes. Aucune disposition n'est prise pour rétablir les finances déréglées de France et d'Italie, ni pour organiser le fonctionnement de l'Ancien monde et du Nouveau (p. 183). KEYNES caractérise la situation de la façon suivante : « On peut réunir les traits distinctifs de la situation présente en trois groupes: 1) le déclin absolu, pour le moment, de la productivité interne de l'Europe; 2) l'effondrement des transports et des échanges ... ; 3) l'incapacité de l'Europe d'acheter ses fournitures ordinaires à l'outre-mer » (p. 186). KEYNES parle de la catastrophe sociale imminente (v.pages suivantes) et de l'état d'esprit de la classe dominante (id.) L'écroulement du système impérialiste inspire aux impérialistes de tendres sentiments pour la coopération dans le cadre de l'économie mondiale [*]. Ainsi, l'ingénieur ROEDDER (l.c., p. 50) raconte : « comme les pierres de construction d'une grande structure se soutiennent mutuellement, sont placées l'une à côté de l'autre et se défendent par la cimentation, dans la vie commune aussi et dans la tendance commune au progrès des nations, celles-ci s'appuient l'une sur l'autre. Si une pierre est fragile, il faut la remplacer par une meilleure, ne pas mettre en danger toute la construction », etc. Toutes ces considérations mélancoliques se terminent par le tragique: « être ou ne pas être, voilà la question ». L'histoire répond au système capitaliste par un non décisif.

[*] Très bien ! (note de Lénine)

[f] Dans ces cas, qu'on ne peut évidemment considérer comme typiques, il ne se produira pas une désagrégation complète de l'appareil [**], comme cela arrive inévitablement dans le cas typique de la transformation sociale.

[**] juste ! (note de Lénine)

[g] Le Pro K. BALLOD croit ingénuement que nous, communistes russes croyons le communisme possible au stade de la dictature du prolétariat, et nous adresse toute une série de reproches ridicule qui manifestent seulement son ignorance. Cf. K. BALLOD, « Kommumsmus und sozialismus », Der Sozialist (Sozialistiche Auslandspolitik), n° 34, 25 août 1929.

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