1924

Notice : Publié dans Le débat soviétique sur la loi de la valeur, François Maspéro, Livres « Critiques de l’économie politique », 1972, pp. 182-200. Les Œuvres choisies en un volume donnent le même texte avec une section supplémentaire qui est reprise en annexe (« Vue d’ensemble sur la « loi » du camarade Préobrajenski »). Référence dans la bibliographie de W. Hedeler : n° 993 (IPK), 1018 (Pravda, n°234 et 283 et Bolchevik du 10-12-1924) et 1073 (Cahiers du Bolchevisme du 15-2-1925).

 

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Une nouvelle révélation sur l’économie soviétiste

ou comment on peut couler le bloc ouvrier et paysan
(De la base économique du trotskysme)

N.I. Boukharine



A un tournant historique, il s’élève fréquemment des discussions qui, semble-t-il, surgissent sous un prétexte fortuit, se déroulent selon des directions fortuites et représentent un phénomène inexplicable. Ce n'est qu'au bout de quelque temps qu’une idéologie se cristallise et que l'analyse y découvre sans grande peine des courants de classes ou de groupes ayant un sens et un rôle sociaux très déterminés.

En ce moment, nous sommes de nouveau à un tournant de notre révolution. Fin du blocus, série de reconnaissances de jure et, en même temps, arrêt dans le développement de la révolution internationale ; début d’un relèvement économique assez rapide et en même temps nouveaux rapports entre la classe ouvrière et la paysannerie ; en un mot, nouvelle situation. Le parti devait évidemment réagir à cette nouvelle situation, et Il est naturel que nous ne retrouvions pas du premier coup notre équilibre.

Trotsky est intervenu avec ses Leçons d’Octobre, controverse purement littéraire, semble-t-il, mais qui s’est transformée en une campagne politique dans le parti. Il ne s’agit pas, en l'occurrence, d’une dispute entre « personnalités ». Une discussion où seuls des individus seraient en cause ne pourrait jamais revêtir un caractère aussi passionné ; il y a là, évidemment, des raisons objectives qui ont contribué à la dispute, qui en ont été la base et se sont manifestées au début sous forme de polémique « littéraire ».

Les questions soulevées, on le voit maintenant, sont des questions de principe d'une importance cardinale, décisive pour notre parti. Elles sont indissolublement liées à la situation objective de notre pays. Elles correspondent à cette situation, elles en dérivent. Voilà pourquoi tout le parti consacre en ce moment une telle attention à des problèmes aussi peu pratiques, semble-t-il, que celui de la « révolution permanente ». La nouvelle situation réclame une orientation sérieuse, réfléchie. Et comme elle est en connexion directe avec des facteurs comme le monde extérieur, l’économie, les classes de notre pays, il est naturel que le parti soulève quelques questions générales : c’est là l'expression du fait qu'il procède à un examen approfondi de notre voie.

Aussi les problèmes et les désaccords particuliers se combinent-ils maintenant en systèmes, en théories plus ou moins coordonnées. Ce qui, dans la discussion précédente, se trouvait épars : réforme monétaire, question des générations dans le parti, question des prix et de l'appareil, question des ciseaux et de la démocratie dans le parti, question du plan et de l’intervention marchande, se rassemble maintenant sur quelques lignes essentielles, s’incorpore à des problèmes généraux comme la théorie de la révolution permanente, l’appréciation des forces motrices de notre révolution, de ses perspectives, etc. Et le pivot de toutes ces questions, d’une extrême importance intrinsèque, est le problème du bloc ouvrier et paysan.

La doctrine du bloc ouvrier et paysan est le trait original essentiel du léninisme. La doctrine de Lénine, la ligne du parti bolchevique est-elle juste ? C’est là une question dont on ne saurait éluder la réponse. Voilà pourquoi le parti a réagi si violemment à l’œuvre de Trotsky : il y a vu avec raison une tentative de réviser les bases du léninisme.

Des tentatives de ce genre avaient déjà eu lieu pendant la guerre civile. Mais elles étaient passées en quelque sorte inaperçues à ce moment où toutes les forces étaient concentrées contre l’ennemi. Maintenant, les tendances à la révision du léninisme sont devenues beaucoup plus nettes. Aussi le parti s’est-il élevé vigoureusement contre les Leçons d’Octobre.

Le mouvement révolutionnaire traverse actuellement une période de calme relatif. Lénine nous a montré que ce n’est pas là un malheur irrémédiable, que, malgré tout, nous progressons peu à peu en traînant après nous la lourde masse paysanne. Il ne raisonnait pas d’après le schéma que la révolution prolétarienne triomphe dans un pays à l’industrie développée et périt dans un pays petit-bourgeois. Il se plaisait à souligner l’originalité de notre révolution, la combinaison spéciale des conditions historiques qui nous ont donné la victoire. Quant à Trotsky, il considérait que notre révolution était vouée à la ruine si la révolution mondiale se faisait attendre. Pourquoi ?

Parce qu'il y avait entre lui et Lénine une divergence de vues fondamentale dans l’appréciation des forces motrices.

En effet, en 1922, Trotsky, cherchant à démontrer la justesse de sa théorie de la révolution permanente, écrivait :

« Après la conquête du pouvoir, le prolétariat entrera en conflit non seulement avec tous les groupements de la bourgeoisie qui l’ont soutenu au début de sa lutte révolutionnaire, mais encore avec les masses paysannes, qui l’ont aidé à s’emparer du pouvoir. Les contradictions de la situation du gouvernement ouvrier dans un pays arriéré, où la population rurale représente l’immense majorité, ne pourront trouver leur solution que... sur l’arène de la révolution mondiale du prolétariat. » (1905, préface, p. 4 et 5.)

Lénine disait que le conflit de la classe ouvrière et de la paysannerie n'est pas du tout inévitable. Trotsky déclare qu’il est fatal. Lénine disait que le salut consistait dans l’accord avec le moujik, accord parfaitement possible qui permettrait au gouvernement prolétarien de se maintenir et de se renforcer, même si la révolution en Occident se faisait attendre trop longtemps. Trotsky, au contraire, déclare que, si la révolution mondiale n'arrive pas rapidement, le prolétariat succombera sous les coups des masses paysannes qui l’ont jadis aidé à vaincre. D'après Lénine, la paysannerie, durant toute la période transitoire, doit être l'alliée de la classe ouvrière ; selon les partisans de la révolution permanente, elle doit se transformer nécessairement en son ennemie. De là, chez Lénine, la théorie spéciale du socialisme « coopératif agraire » et, chez ses adversaires, une conception tout autre des voies de notre développement.

N’est-il pas clair que ce désaccord fondamental se manifestera fatalement dans une série de questions les plus diverses ? Maintenant déjà, on tente de réunir en un faisceau unique ces déviations du léninisme. Notre intention est d'analyser ici le côté économique de la théorie anti-léniniste. Nous le trouvons dans l’œuvre de Préobrajenski intitulée : « La loi fondamentale de l'accumulation socialiste » (Courrier de l’Académie communiste, fascicule 8). Cet ouvrage est basé sur des prémisses étroitement apparentées à celles de Trotsky et, par suite, fausses. En outre, il renferme une série de déductions politiques pratiques extrêmement dangereuses pour notre parti, la classe ouvrière et tout le pays. Nous allons essayer de critiquer cet ouvrage et de montrer que l'idéologie qui s’en dégage n’est pas du tout prolétarienne, mais trade-unioniste et corporative.

Communisme ou règne du prolétariat ?

La loi essentielle de l'accumulation socialiste découverte par Préobrajenski porte :

« Plus un pays passant à l’organisation socialiste de la production est arriéré économiquement, petit-bourgeois, paysan, plus l'héritage que le prolétariat de ce pays reçoit au moment de la révolution sociale — et qui constituera le fonds de son accumulation socialiste — est faible, plus l'accumulation socialiste devra s’appuyer sur l’exploitation des formes présocialistes d'économie et moins elle sera grande sur sa propre base de production, c’est-à-dire moins elle s'alimentera de la plus-value des travailleurs de l’économie socialiste. Au contraire, plus le pays où triomphe la révolution sociale est développé industriellement, plus l'héritage matériel (industrie, agriculture capitaliste organisée) que reçoit de la bourgeoisie le prolétariat après la nationalisation est grand, moins le poids des formes précapitalistes de production y est considérable, plus il est nécessaire au prolétariat, dans ses échanges, de réduire le manque d’équivalence entre ses produits et les produits des colonies, c'est- à-dire de diminuer l’exploitation de ces dernières, plus le centre de gravité de l'accumulation socialiste se transférera sur la base de production des formes socialistes, c’est-à-dire s'appuiera sur la plus-value de sa propre industrie et de sa propre agriculture. »

Telle est la formule textuelle de la « loi fondamentale » que donne Préobrajenski. Nous commencerons par attirer l’attention sur les deux thèses suivantes :

Première thèse : l’accumulation socialiste s’effectue dans une certaine mesure au moyen de l’exploitation des petits producteurs.

Deuxième thèse : ces petits producteurs, c’est-à-dire l’ensemble de leur exploitation, ne sont que les colonies de l’industrie prolétarienne.

Telles sont les assertions de Préobrajenski. Nous pourrions, avant de les examiner, crier holà ! tant elles sont manifestement en contradiction avec notre théorie marxiste-léniniste. Mais il est préférable de les analyser tranquillement. Nous constaterons ainsi qu’elles ne sont que l’expression d’un système de vues spéciales sur la nature et les destinées du bloc ouvrier et paysan.

Dans un passage de son œuvre, Préobrajenski écrit :

« Ce n’est que par une insouciance complète de la théorie que l'on peut établir une analogie intégrale entre le protectionnisme socialiste et le protectionnisme capitaliste. »

Cette remarque est parfaitement juste. Mais Préobrajenski lui-même témoigne d’une « insouciance théorique complète » quand, sans critique ni réserve aucunes, il emploie des dénominations incorrectes et joue avec les analogies. D’ailleurs, comme nous le montrerons plus loin, il ne s'agit pas ici simplement d’un jeu.

Prenons tout d'abord la question de l’exploitation des petits producteurs par le prolétariat. C'est ainsi, en effet, que Préobrajenski représente la situation : la classe ouvrière pressure les petits producteurs. Ainsi, entre les deux classes fondamentales de la société ouvrière et paysanne, il existe un rapport d’exploitation. Le prolétariat représente la classe exploiteuse et les petits producteurs la classe exploitée. Et plus le pays qui fait la révolution socialiste est arriéré, plus le caractère exploiteur du prolétariat se manifeste et, partant, plus le petit producteur est exploité.

L’industrie socialiste reçoit-elle pour son fonds d’accumulation une plus-value des petits producteurs ? Oui, cela n'est pas douteux. Y a-t-il là, par suite, transfert de valeurs des mains d'une classe entre les mains d'une autre classe qui est la classe dominante ? Oui, et cela non plus n’est pas douteux. Mais peut- on, par analogie avec ce qui se passe en régime capitaliste, qualifier de rapport d’exploitation et appeler le prolétariat une classe exploiteuse ?

Non, mille fois non ! Non pas que cela sonne mal ou que nous reculions devant les faits, mais les dénominations de Préobrajenski ne correspondent pas plus à la réalité qu'à nos tâches historiques.

En effet, prenons un type d'exploitation incontestable, l'exploitation capitaliste. C'est un rapport de production déterminé exprimant un mode de production déterminé. La classe capitaliste touche la plus-value du travail. Tout le processus de la production ne fait que reproduire sur une base sans cesse élargie ce rapport d’exploitation. En d'autres termes, la fonction d’accumulation consiste à reproduire continuellement le rapport d’exploitation. Le passage de la valeur des mains d’une classe dans celles d'une autre élargit continuellement l'opposition de classes, reproduit continuellement le rapport existant entre le maître capitaliste et son esclave salarié. Il en est de même de n'importe quelle société exploiteuse.

Or, qu’exprime le passage des valeurs des mains des petits producteurs dans celles de l’industrie prolétarienne ? Il exprime une tendance diamétralement opposée : la tendance à surmonter l’opposition entre la ville et le village, le prolétariat et la paysannerie, la sphère économique socialiste et la sphère économique petite-bourgeoise. En effet, nous n'évoluons pas vers la consolidation des rapports de classes, mais vers leur suppression. Et plus l'accumulation s'effectue rapidement dans le milieu économique socialiste et sa périphérie qui se socialise, plus l’opposition entre le prolétariat et la paysannerie diminue.

Est-il possible de qualifier ce processus d’exploitation des petits producteurs ? Non, car ce serait en perdre de vue le caractère spécial, en méconnaître le sens objectif, jouer aux analogies, témoigner d'une « complète insouciance théorique ». Or, perdre de vue le caractère spécifique de ce processus, c'est ne pas comprendre la nature historique. C'est là une faute théorique capitale, qui ne peut manquer d’influer sur toutes les déductions pratiques de son auteur.

Passons maintenant à la question des « colonies ». Préobrajenski entend apparemment par colonies l'ensemble des « tierces personnes » (dénomination donnée par Luxemburg aux producteurs non capitalistes dans le système capitaliste). On pourrait évidemment discuter de la justesse de cette appellation appliquée au régime capitaliste. Mais c'est là une question spéciale qu’il est inutile d’examiner ici. Il n’importe pas beaucoup que Préobrajenski entende par « colonies » les exploitations petite-bourgeoises qui faisaient réellement partie des colonies ou toutes les exploitations petite-bourgeoises. Ce qui importe, c’est qu'il applique ce terme à l’époque de la dictature prolétarienne. Autrement dit, à cette époque, nous avons, selon lui, dans l’industrie socialiste, une métropole prolétarienne et, dans l’économie paysanne (ne serait-ce qu’en partie), des colonies petite-bourgeoises. Les rapports de la classe ouvrière et de la paysannerie sont assimilés en l'occurrence à ceux du planteur et de ses esclaves coloniaux. Ce point de vue s’accorde parfaitement avec le raisonnement de Préobrajenski sur l'exploitation. Nous ne sommes pas ici en présence d'un lapsus linguae, d’une expression malheureuse ; Préobrajenski a sa logique, mais c'est la logique d’une erreur initiale développée à fond.

En effet, qu’est-ce qu’une colonie ? Un objet d'exploitation, d'asservissement économique et politique, dont la métropole freine systématiquement le développement, qu'elle ne cherche Jamais à élever à son niveau qui n’intervient jamais comme son alliée. Aussi est-il ridicule de définir l’économie paysanne et la périphérie économique petite-bourgeoise comme les colonies de l’industrie prolétarienne.

Les formules de Préobrajenski seraient justes uniquement dans le cas où nous tendrions non pas à une société communiste sans classes, mais à la consolidation, au maintien perpétuel de la dictature du prolétariat et à sa transformation en classe exploiteuse. Alors, on pourrait parler d'exploitation et qualifier de colonie prolétarienne l’économie paysanne petite- bourgeoise.

Heureusement, la théorie corporative, trade-unioniste qui se dégage de l’œuvre de Préobrajenski ne s’appuie pas sur la réalité. Elle n'est qu'une déviation individuelle et, jusqu'à présent tout au moins, n'a pas crédit dans nos rangs.

Absorption ou transformation de l'économie petite-bourgeoise ?

En ce qui concerne la connexion de l'industrie socialiste et de l'économie privée, Préobrajenski écrit :

« Il est absurde de croire que le système socialiste et le système de production marchande privée, inclus dans un système unique d’économie nationale, puissent exister côte à côte sur la base d’une entière égalité économique. Cette égalité, cet équilibre, ne sauraient durer parce qu'un système doit fatalement dévorer l’autre. Il y a en l’occurrence deux éventualités : rétrogradation ou progression, mais le piétinement sur place est impossible. »

Si l’on rattache ce passage à la formule finale de la « loi fondamentale » où Préobrajenski parle de l'agriculture du prolétariat, on aura une idée assez précise de la façon dont il se représente la victoire inévitable du régime socialiste dans l'économie. L'industrie étatique détruit et élimine (« dévore ») la petite économie rurale qui fait place (comment, on ne le voit pas très bien) à l’agriculture du prolétariat. La petite économie succombe sous une exploitation systématique (non-équivalence des échanges, impôts et moyens divers de pression extra-économique), et le prolétariat agit à peu près comme les héros de l’accumulation primitive.

Si la perspective était ou, plus exactement, pouvait être telle que la dessine Préobrajenski, on ne comprendrait guère notre sollicitude pour l'économie paysanne. Mais examinons le fond du sujet. Est-il vrai que nous devions passer fatalement par la destruction de la petite production agricole ?

A notre avis, c'est radicalement faux. Cette façon de poser la question n’est pas léniniste et ne correspond nullement à l'évolution vers le socialisme.

Sur quoi nous orientons-nous maintenant ? Sur le commerce étatique et la coopération. Quel est le plan de Lénine pour la transformation du petit producteur en membre de la future communauté socialiste ? Il consiste dans l’union coopérative des paysans sous la direction, non pas de la bourgeoisie, mais de l'Etat prolétarien avec ses banques, son crédit, son industrie, ses transports, etc. Préobrajenski approuve-t-il ce plan ?

S’il ne l’approuve pas, il devait exposer ses objections. S'il l’approuve, tout son échafaudage s'écroule.

En effet, il est clair que, dans ce dernier cas, il ne s'agit nullement de la suppression, de l'absorption, mais — ce qui est tout différent — de la transformation graduelle des exploitations paysannes sur la base de leur développement économique.

Préobrajenski ne comprend pas le caractère spécifique du développement des pays ruraux sur lesquels il raisonne. Nous allons à la production socialiste, non pas en éliminant les exploitations paysannes par les exploitations soviétistes, mais en attirant la paysannerie à la coopération qui est notre alliée et qui dépend économiquement de l’Etat et de ses institutions. Nous n'arriverons pas directement au socialisme par le processus de la production, nous y arriverons par l'échange, par la coopération.

Préobrajenski ne parle même pas de la coopération, quoique les articles de Lénine à ce sujet soient catégoriques. Au fond, il n'approuve pas le plan de Lénine, à preuve le passage suivant de son étude :

« Quant aux rapports directs entre l’économie étatique et la production petite-bourgeoise, ils sont parfaitement possibles et doivent apporter dans l’histoire économique de la société humaine un élément aussi nouveau que la nouvelle économie socialiste en général. Se soumettant le néo-capitalisme, l'économie étatique se soumet également les éléments qui lui sont subordonnés, c’est-à-dire les éléments de simple production marchande sur le terrain desquels surgit cette réédition du capitalisme. Mais on a en outre fatalement tout un système de rapports directs entre la petite production et l’économie étatique. La nature de ces rapports sera déterminée par ce qui suit. La petite production se divise en trois parties. L’une d’elles reste petite production ; l’autre devient coopérative par voie capitaliste ; la troisième s'unifie sur la base d'une nouvelle coopération représentant une transition au socialisme sans l’intermédiaire du capitalisme et sans l'absorption de la petite production par l’économie étatique.

« Cette nouvelle forme de coopération, qui surgit sous la dictature du prolétariat et dont les communes agricoles et les cartels paysans sont vraisemblablement un des rameaux, ne fait encore que commencer à se développer. C'est pourquoi nous ne pouvons donner une analyse théorique de ce qui n'existe pas encore, de ce qui est appelé à surgir. »

Ce qui frappe ici, c'est la modestie de Préobrajenski ; il ne polémise pas avec Lénine, auquel nous devons un vaste plan bien déterminé qui est en même temps une prévision théorique ; il déclare simplement qu'on ne saurait donner une analyse théorique de ce qui n'existe pas encore, de ce qui est appelé à surgir. A notre avis, c’est là une échappatoire. Car, dans notre pays, l’accumulation socialiste ne fait que commencer ; dans les autres, elle n’existe pas encore. Pourtant, Préobrajenski s'est hâté d’en établir la loi fondamentale dans laquelle il parle du mouvement de l'accumulation, de l'accumulation dans les différents pays, etc. Donc, inutile de jouer à la modestie.

Voyons maintenant le fond de la question.

Chez Préobrajenski, l'évolution de l'économie paysanne s'effectue dans trois directions :

La petite économie reste petite économie ;

La petite économie par la coopération capitaliste devient capitaliste ;

La petite économie devient coopérative par une voie socialiste encore inconnue, dont les cartels et les communes agricoles sont les premiers jalons.

On constate tout d’abord avec étonnement qu’il n'y a pas place ici pour la coopération léninienne menant la paysannerie au socialisme. Cette coopération de l'échange par laquelle nous enchâssons la masse rurale dans le système économique socialiste, Préobrajenski l’a remplacée par des « communes » de production d'importance secondaire. Le principal lui a échappé.

Qui l’économie étatique « dévorera »-t-elle ?

Evidemment pas les communes.

Sera-ce les paysans qui vont passer par la coopération capitaliste ?

Mais ils ne seront qu’une infime minorité.

La principale méthode de la socialisation économique véritable est celle de l’absorption, qui s'appliquera à la grande masse des petits producteurs.

Est-il besoin de dire que c’est là une véritable utopie ? Préobrajenski ne comprend pas le caractère spécifique des voies que comporte la dictature prolétarienne. Il se figure que les lois de l’évolution de l’économie rurale sont restées les mêmes sous le pouvoir du prolétariat que sous le capitalisme. En réalité, « l'évolution non capitaliste » que préconisaient certains écrivains sous le capitalisme (socialisme coopératif agraire) devient une réalité sous la dictature du prolétariat. Si sous le pouvoir bourgeois, avec le règne des banques, du crédit, des organisateurs et de l’idéologie capitalistes dans le pays, les organisations coopératives de la masse paysanne s’incorporaient inévitablement au capitalisme, il n’en sera plus de même sous le prolétariat, avec l’idéologie, les banques, le crédit, l’industrie, les organisateurs prolétariens.

C’est ce que n’a pas compris Préobrajenski. Mais, ici aussi, il a sa logique : l'idée de l’absorption correspond parfaitement à celles de l'exploitation, des colonies, etc. Cela n'est nullement léniniste.

Asservissement de classe ou alliance et direction de classe ?

La dictature du prolétariat implique entre le prolétariat et la bourgeoisie un rapport tout autre qu’entre le prolétariat et la paysannerie. Le prolétariat domine la bourgeoisie. Mais il dirige la paysannerie, il s'appuie sur elle et c'est pourquoi on ne saurait assimiler sa dictature sur la paysannerie à celle de la bourgeoisie sur le prolétariat. Pourtant, c'est ce que fait au fond Préobrajenski.

Exactement parlant, l'Etat, chez nous, est ouvrier et non pas « ouvrier et paysan ». Mais il s'appuie sur les paysans. Or, c'est là une particularité importante que Préobrajenski n’a pas saisie.

Toute son analyse est basée sur une analogie avec la période d’accumulation primitive du capital. Alors, c'était la spoliation des paysans ; maintenant, c'est leur exploitation. Cette spoliation renfermait les germes d’un nouvel ordre de choses ; Il en est de même actuellement de l'accumulation socialiste. Alors, il se produisait une absorption rapide des anciennes formes ; maintenant, l’évolution est analogue.

En réalité, tout n'est pas aussi simple que le représente Préobrajenski.

Jusqu'à présent, nous n'avons envisagé la question que sous l'angle des différentes formes économiques. Nous allons l'examiner du point de vue des rapports de classes.

Préobrajenski part d’une analogie entre les champions de l’accumulation primitive et le prolétariat dans leurs rapports avec le petit producteur.

N’est-ce pas là une analogie monstrueuse ? Nous préconisons sur tous les tons le bloc des ouvriers et des paysans. Ce bloc est pour nous une nécessité que personne encore n’a songé à discuter. Or, a-t-il jamais existé une alliance entre les spoliateurs primitifs et leurs victimes ? Evidemment, non. La supposition même d’une telle alliance est absurde.

Or, le bloc ouvrier et paysan a été, est et, nous l'espérons, sera chez nous une réalité.

Comment peut-on faire de telles analogies ? Comment peut- on échafauder là-dessus des théories et, comme nous le verrons plus loin, déterminer la ligne de la politique économique de l’Etat prolétarien ? Si le parti se pénétrait de l'idéologie de Préobrajenski, il détruirait la base de sa propre force, le bloc ouvrier et paysan.

Si l'on veut trouver dans la société bourgeoise des rapports analogues à ceux qui existent entre ouvriers et paysans, il ne faut pas aller les chercher là où les prend Préobrajenski. Tâchons de les découvrir nous-mêmes.

Maintenant, l'ouvrier possède le pouvoir et l'industrie ; le paysan, la terre et l'agriculture1. Le premier vend des produits Industriels et achète des produits agricoles ; le second fait le contraire. C'est là que se heurtent directement leurs intérêts.

On peut voir dans cette situation une analogie assez lointaine avec les rapports existant entre la bourgeoisie industrielle et lus propriétaires fonciers à une période déterminée de développement économique.

La bourgeoisie possède le pouvoir et les usines, les propriétaires fonciers détiennent la terre. Leurs intérêts sont en opposition sur la question des prix. De là, une lutte qui, parfois, atteint une certaine acuité. Mais, en même temps, capitalistes et propriétaires fonciers font bloc contre la classe ouvrière. La bourgeoisie dirige ce bloc, elle s'appuie sur les propriétaires fonciers, elle est soutenue par ces derniers.

Grâce aux modes d’échanges, aux banques, aux compagnies anonymes, capitaliste, industriel et propriétaire foncier ont évolué vers un type unique et maintenant tous deux, pourrait-on dire, sont des « receveurs » de dividendes. Le dividende est devenu la synthèse des formes diverses de revenus.

Une évolution analogue se produira dans le bloc ouvrier et paysan. Au fur et à mesure que, par l’échange, l’économie rurale sera entraînée dans l'orbite socialiste, les démarcations de classe s’effaceront jusqu’au moment où nous aurons une société sans classes.

Ce sera là, évidemment, l’œuvre de l’avenir et, pour le moment, nous avons d’autres problèmes à résoudre. Mais il nous faut avoir une perspective pour diriger notre ligne. Et la perspective de Préobrajenski est radicalement fausse.

Le bloc ouvrier et paysan et la politique économique de Préobrajensky

De sa théorie, Préobrajenski tire des déductions politiques pratiques. Après avoir établi l’inévitabilité de l’absorption des « tierces personnes » c’est-à-dire des habitants des colonies intérieures et extérieures, il écrit :

N° 1. — « De la sorte, nous arrivons au troisième cas, non seulement possible, mais inévitable dans nos conditions, c’est- à-dire à une politique des prix tendant consciemment à l’exploitation de l’économie privée sous toutes ses formes. » (p 79.)

N° 2 — « En tout cas, l’idée que l’économie socialiste pourrait se développer sans toucher aux ressources de l’économie petite-bourgeoise, l’économie paysanne y comprise, est indubitablement une utopie réactionnaire. La tâche de l’Etat socialiste consiste non pas à prendre des petits producteurs moins que ne prenait le capitalisme, mais à prélever davantage sur le revenu encore plus grand qui leur sera assuré par la rationalisation générale de l’économie du pays. » (p. 59.)

N° 3. — « Ce qui sera conquis sur le commerce privé ira, ceteris paribus, au fonds de l’économie étatique. Je dis : ceteris paribus, parce qu’il pourrait y avoir une politique commerciale qui favoriserait non pas l’accumulation socialiste, mais les producteurs petit-bourgeois, et aurait pour but de réduire les prélèvements sur le revenu de ces derniers. Cette politique est- elle rationnelle, c’est là une autre question. Economiquement, elle signifie indubitablement une réduction du fonds de l'accumulation socialiste et un cadeau aux producteurs privés, cadeau d’autant plus lourd pour l’économie étatique que cette dernière est plus pauvre et qu’il lui est moins avantageux de faire de la philanthropie et d’employer dans le commerce une partie des capitaux qui font défaut à la production elle-même.» (p. 69-70.)

N° 4. — « Le pouvoir de l'Etat, qui s’étend sur la plus-value de l'économie privée (dans les limites de ce qui est économiquement possible et matériellement saisissable) est non seulement lui-même un instrument d'accumulation primitive, mais une réserve constante de cette accumulation, un fonds potentiel pour ainsi dire de l’économie étatique. » (p. 99.)

Ainsi : 1. Il faut mener la politique des hauts prix afin d’exploiter l’économie paysanne (ce qui importe pour l’accumulation socialiste) ; 2. il faut prendre tout ce qui est économiquement possible et ce que l’on peut matériellement saisir ; 3. mais, par politique « économiquement possible », il faut entendre une politique qui ne se donne pas pour but de prendre moins que ne prenait le capitalisme ; 4. faire le contraire serait faire une politique petite-bourgeoise, un cadeau aux paysans et porter préjudice à l’industrie en même temps qu’à la cause du socialisme. « Prendre le plus cher possible », voilà à quoi aboutit la « loi fondamentale » de Préobrajenski.

Dans la citation n° 2 sur la politique petite-bourgeoise de notre parti, Préobrajenski pose deux thèses : 1. Nous ne pouvons adopter comme règle de prendre moins que ne prenait le capitalisme ; 2. nous prendrons davantage, car le revenu du paysan sera plus grand du fait que son exploitation sera plus rationnelle.

La deuxième thèse respire le bon sens. Mais elle contredit tout le reste, elle est un tribut involontaire et isolé à la doctrine léniniste.

Comment la concilier en effet avec la théorie de l'absorption ?

Ou bien nous menons la politique « coloniale » d'exploitation, en prenant tout ce qui est matériellement « saisissable », et alors l'économie paysanne dépérit et, en définitive, disparaît. Mais alors elle ne peut fournir cette augmentation de revenu promise par Préobrajenski aux producteurs petit-bourgeois.

Ou bien l’Etat prolétarien, grâce à la rationalisation et à l'augmentation de revenu de l’économie paysanne, peut demander davantage à cette dernière, ce qui est une politique juste. Mais alors toutes ou presque toutes les thèses de Préobrajenski s'écroulent. Les économies petite-bourgeoises ne seront pas absorbées (nous parlons ici des économies moyennes, ou qui n’exclut pas la disparition partielle des petites économies du fait de l'exode dans les villes et de la prolétarisation qui continuera également sous la dictature prolétarienne). Elles se transformeront sur la base de la coopération, grâce à laquelle elles seront entraînées dans le système général de notre économie en voie de socialisation. Ce n'est pas à la suppression de l’économie paysanne que nous devons tendre, mais à son incorporation dans le système de l’économie étatique.

Mais si nous prenons davantage au fur et à mesure de la croissance du revenu, il est clair que nous sommes intéressés à l’accumulation dans l’économie paysanne. Par suite, nous ne pouvons adopter le mot d'ordre : « Prendre le plus possible », c'est-à-dire tout ce qui est « matériellement saisissable » ; mais nous ne pouvons non plus faire à la petite-bourgeoisie des « cadeaux » qui pèseraient lourdement sur l’économie socialiste.

Dans le n° 3 de ses thèses, Préobrajenski ramène toute la question à un problème d'addition, de soustraction et de division. Il faut diviser l'avoir existant de façon à donner davantage à l’industrie prolétarienne. Il faut enlever à l'économie paysanne une partie de ce qui lui reviendrait mathématiquement, afin de l’ajouter à l’industrie socialiste et de favoriser cette dernière.

Mais il ne s’agit pas seulement de diviser le revenu national existant entre la classe ouvrière et la paysannerie. Le nœud du problème est ailleurs.

Il consiste à augmenter le revenu national, c'est-à-dire à développer les forces de production, et cela de façon à assurer la prépondérance de la production socialiste.

Or, c’est là un problème qui ne se ramène pas au simple partage de la réserve existante, à des opérations d'addition, de soustraction, de division sur des grandeurs immuables.

Il s'agit d'élever continuellement le revenu national qui, à chaque instant, est une grandeur donnée. Voilà pourquoi la question de l’accumulation dans l’industrie socialiste est inévitablement liée au problème de l’accumulation dans l'économie paysanne, qui constitue le marché de l’industrie et l’ensemble des unités économiques qu’il s’agit d'entraîner dans l'économie étatique et de transformer progressivement.

Préobrajenski ne pose même pas la question de la capacité d’absorption du marché intérieur, qui pourtant est capitale dans notre économie. Il n'y fait allusion que dans ce court passage :

« Les obstacles que rencontre l’économie étatique dans cette voie... proviennent avant tout de la faible capacité d’achat de l'économie privée. »

Voilà tout ce que dit Préobrajenski sur une question qui exigerait un examen détaillé et approfondi.

Si cet obstacle existe, peut-on ne pas en tenir compte ? Admettons que nous ne fassions pas de « soustraction » à l'industrie socialiste ; que nous ne nous occupions pas de « philanthropie » et que nous suivions jusqu’au bout la ligne de Préobrajenski. Qu'aurons-nous alors ? Une diminution de la demande, une crise de la vente, un embouteillage de la production sociale, une décadence de l’industrie, etc. En d’autres termes, la position « socialiste prolétarienne », « anti-philanthropique » de Préobrajenski comporte en définitive la ruine de l'industrie socialiste et de toute l’économie nationale.

D’où vient l’erreur de Préobrajenski ? Tout d’abord de ce qu'il prend la question dans son aspect statique et non dans son aspect dynamique (partage de ce qui est et non de ce qui change) ; ensuite de ce qu’il prend l'industrie socialiste isolément et non dans sa liaison avec l'économie paysanne (il ne comprend pas que l’accumulation dans l’industrie socialiste est en fonction de l’accumulation dans l'économie paysanne lorsque cette dernière est prépondérante).

Grossièrement parlant, Préobrajenski propose au prolétariat de tuer la poule aux œufs d'or, parce que la nourrir, c'est s’occuper de philanthropie.

Mais, pour le prolétariat, la paysannerie est une « poule » qui doit se transformer en homme. Et, dans son propre intérêt, le prolétariat doit aider par tous les moyens à cette transformation. Ne pas le comprendre, c'est ne pas comprendre les tâches révolutionnaires fondamentales de la classe ouvrière, c’est être un avare à courte vue qui se refuse à risquer la moindre somme de peur de la perdre. Il n’est pas vrai qu’il faille prendre le prix le plus élevé. Il faut prendre un prix susceptible d’assurer pour plusieurs années le revenu croissant de l'industrie socialiste, tout en s'efforçant constamment de réduire ce prix. Or, une telle politique ne peut être édifiée sur la formule simpliste : « Prendre tout ce qui est matériellement saisissable. »

Sentant lui-même la faiblesse de sa position, Préobrajenski écrit :

« J’évite intentionnellement de dire "sur la base de l’augmentation des prix”, parce que l’imposition non seulement est possible, mais s’effectuera chez nous avec la baisse ou le maintien des prix à leur niveau ; cette baisse en effet n’équivaudra qu’à une partie de la diminution du prix de revient des produits et la différence ira au fonds de l’accumulation socialiste. » (p. 80.)

Mais ce passage, qui atténue quelque peu les affirmations antérieures de l’auteur, ne sauve pas la situation.

En effet, il ne se trouverait probablement pas un seul homme assez hardi pour vouloir élever systématiquement les prix de mois en mois, d’année en année. Personne ne songerait à prendre la défense d’un régime qui inscrirait cet idéal sur ses drapeaux. Et, vraisemblablement, il ne se trouverait pas d’imbéciles pour tolérer cet état de choses. Aussi Préobrajenski nous fait-il entrevoir l'abaissement, ou tout au moins le maintien des prix à leur niveau primitif.

Quant à nous, nous estimons qu’il faut mettre tout en œuvre pour que les prix diminuent et qu'il n’y ait pas de stagnation économique ; le socialisme ne pourra qu'y gagner, car l'accumulation s'effectuera beaucoup plus rapidement dans tout le pays et particulièrement dans l’économie socialiste qui aura la possibilité de recevoir la plus-value et de s'appuyer sur la force de l’appareil étatique.

Deux mots sur les voies menant au socialisme. Lénine disait :

« A proprement parler, il ne reste qu’une chose à faire : rendre notre population assez "civilisée” pour qu’elle comprenne tous les avantages de la participation à la coopération et organiser cette participation. Il ne reste que cela à faire. Point n’est besoin maintenant de chercher d’autre moyen compliqué pour passer au socialisme... C’est pourquoi il est inutile de nous mettre martel en tête et de chercher midi à quatorze heures. » (De la coopération.)

Et dans le même article :

« Chaque régime social ne surgit qu'avec l'appui financier d’une classe déterminée... Maintenant, le régime social que nous devons soutenir plus que tout est le régime coopératif ; cela, il faut le comprendre et agir en conséquence. »

Il est inutile de citer les paroles de Lénine sur la nécessité de montrer aux paysans que notre production est meilleur marché que la production capitaliste : elles sont dans toutes les mémoires.

Entre les vues de Préobrajenski et la doctrine de Lénine sur le bloc économique des ouvriers et des paysans, il y a une distance formidable. Au lieu de chercher midi à quatorze heures, pénétrons-nous de la sagesse léninienne, qui est simple comme tout ce qui est grand, mais qu’il faut néanmoins sentir et comprendre.

Parasitisme monopolisateur ou progression socialiste ?

La question de la politique des prix a également une très grande importance d’un autre point de vue. Tout monopole implique un certain conservatisme. Préobrajenski remarque avec justesse qu'on ne saurait ne pas tenir compte du fait essentiel que l'industrie socialiste s'édifie sur les ruines du capitalisme monopolisateur. De même, il a raison de signaler que, sous la domination du prolétariat, la structure du monopole ne fait que se développer et qu’ainsi une puissance économique formidable se trouve concentrée entre les mains du prolétariat.

Tout cela est juste, si juste que c’est un axiome connu de tous. Mais Préobrajenski oublie que le capitalisme monopolisateur avait et a en lui un élément qui freinait et freine le développement des forces de production. Le moteur du capitalisme, c'est le profit. Le développement des forces de production en société capitaliste s’effectuait par le mécanisme de la concurrence. En effet, tout capitaliste introduisant des perfectionnements techniques dans la production en retirait un profit supplémentaire. La concurrence amenait ses confrères à l’imiter ; pour garder son avance, il imaginait alors de nouveaux perfectionnements, opérait sur une plus vaste échelle, etc. L’arme de lutte était représentée par l’abaissement des prix, ce qui était l’expression marchande de la croissance des forces de production. C’est d’ailleurs une des principales supériorités du capitalisme sur tous les modes précapitalistes de production. Lorsque le développement capitaliste boucle le cercle qui lui a été tracé par l’histoire, il aboutit au monopole. L’aiguillon de la concurrence disparaît en grande partie. Inutile de continuer à accélérer aussi rapidement le rythme de la production, car le surprofit supplémentaire est assuré par le cartel ou le trust.

La concurrence internationale, il est vrai, ne permet pas au trust de s'endormir sur ses lauriers. Mais son action est paralysée par des tarifs douaniers élevés. Voilà pourquoi, arrivé à ce point de son évolution, le capitalisme renferme des éléments de désagrégation.

Voyons maintenant notre situation. Voici ce qu’en dit Préobrajenski. Affirmant que nous devons mener une politique « tendant consciemment à l’exploitation de l'économie privée sous toutes ses formes », l’auteur continue :

« Une telle politique est possible parce que l’économie étatique du prolétariat surgit historiquement sur la base du capitalisme monopolisateur. Ce dernier, après la suppression de la concurrence, détermine lui-même à l’intérieur du pays le prix des produits de sa propre industrie, touche un profit supplémentaire du fait de l'exploitation de la petite production et, par 16 même, prépare le terrain pour la politique des prix de la période d’accumulation socialiste primitive. » (p. 79-80.)

Parfait ! A quoi aboutissons-nous ?

A un renforcement de la tendance monopolisatrice.

A une plus grande possibilité d'obtenir un profit supplémentaire sans effort aucun.

Ce sont là des faits. Mais n'en résulte-t-il pas un danger de parasitisme et de stagnation ? Et y a-t-il une garantie contre cette stagnation ?

Voilà le problème extrêmement important auquel Préobrajenski aurait dû réfléchir. Et, s'il l'avait fait, il aurait refondu toute sa théorie de l'accumulation socialiste primitive.

Nous n’avons pas de concurrence. Le profit assuré par le monopole ne va pas à des particuliers. Nos administrateurs économiques travaillent pour le prolétariat, mais ils ne sont pas exempts des faiblesses humaines ; ils peuvent s’endormir dans une quiétude béate au lieu d’avoir constamment le souci de la progression vers le communisme, Quel est le mobile qui nous pousse à développer notre production ? Qu’est-ce qui remplace chez nous le stimulant qu’est le profit pour le propriétaire privé d'une entreprise ?

C’est la pression des masses ouvrières et paysannes. Quoique nous ayons encore la forme capitaliste de profit, sur laquelle nous réglons tous nos comptes et évaluations, les mobiles de la progression ne sont pas les mêmes chez nous qu’en régime capitaliste. Malgré les formes capitalistes de notre économie étatique et l'existence du marché, nous commençons déjà à passer de l’économie basée sur le profit à une économie se réglant sur la satisfaction des besoins des masses.

Cela ne veut pas dire qu’avec cette économie l’accumulation doive s’effectuer lentement. Au contraire, c’est précisément parce que nous devons satisfaire aux besoins de la masse et que la pression de ces besoins augmentera sans cesse que l'Etat et la direction de notre industrie seront obligés d'améliorer la production, de l’élargir, de la rendre meilleur marché.

Dans notre politique des prix il faut envisager trois éventualités :

Nous augmentons constamment les prix en profitant de notre monopole. Résultat : parasitisme et stagnation maximum de l’économie.

Nous adoptons des prix immuables. Résultat : stagnation économique « normalisée », accumulation extrêmement lente dans le pays.

Nous nous orientons sur l’abaissement des prix. Résultat : croissance des forces de production, extension de la production, progression vers le socialisme, accumulation rapide.

Pour éviter de donner lieu à des interprétations erronées, nous soulignerons deux points :

Tout d’abord, il ne faut pas oublier, comme l’a indiqué Préobrajenski, que, même en abaissant les prix de nos produits industriels, nous pouvons recevoir un profit supplémentaire de l’économie petite-bourgeoise ; toute la question est précisément de savoir si, ayant un profit assuré par le monopole, nous devons nous arrêter là ou aller de l’avant ; or, il est impossible d'aller rapidement de l’avant sans abaisser les prix, sans développer les forces de production, etc.

En second lieu, il serait absurde de renoncer à tirer parti de notre monopole ; mais nous devons en profiter de façon à augmenter la capacité du marché intérieur ; en outre, nous devons étendre notre production, la rendre meilleur marché, réduire nos prix de revient.

Selon Préobrajenski, notre monopole doit nous permettre d'établir « une politique des prix, qui ne sera qu’une nouvelle forme de l'imposition fiscale ». (Préobrajenski, évidemment, conserve les anciens impôts.)

En réalité, nous devons chercher à établir les prix les plus bas, les plus accessibles à la masse. Mais nous nous heurtons è un obstacle : la cherté de notre production. C'est pourquoi nous devons mettre tout en œuvre pour réduire nos prix de revient.

Entre notre position et celle de Préobrajenski, il existe une différence profonde. Appliquée intégralement, la politique de Préobrajenski mène au parasitisme monopolisateur.

Le bloc ouvrier et paysan au point de vue politique et la position de Préobrajensky

De ce qui précède, il ressort que la position de Préobrajenski constitue une menace pour le bloc ouvrier et paysan, qui a toujours été à la base du bolchevisme orthodoxe. En effet, l’hégémonie politique de la classe ouvrière au pouvoir ne peut être solide que si elle repose sur l’hégémonie économique. Or, cette dernière ne peut être réalisée que par l'adaptation de l'industrie au marché paysan, la conquête progressive de ce marché, l'industrialisation de la production agricole, l'incorporation progressive de la paysannerie à la coopération et, enfin, l’établissement d'une nouvelle base technique (électrification) au fur et ô mesure du développement de l’accumulation socialiste.

La politique de Préobrajenski comporte la dislocation ou tout au moins le relâchement du bloc ouvrier et paysan.

Fait caractéristique : Préobrajenski, à l’instar des anciens économistes, sépare nettement l’économie de la politique, comme si la politique n’était pas la quintessence de l’économie, mais une chose en soi, dont on peut se détacher et sans laquelle on peut travailler à l’accumulation socialiste.

Préobrajenski, on s’en souvient, n’a fait qu’une brève allusion à l’obstacle fondamental que représente pour sa politique la capacité du marché intérieur. Il mentionne également en passant un autre obstacle :

« Je ne parle pas ici enfin des difficultés d'ordre politique découlant des rapports de la classe ouvrière et de la paysannerie. » (p. 80.)

Et, en effet, c'est tout ce qu’il en dit.

Dans son œuvre, il est un passage qui montre toute la superficialité et l'éclectisme de ses théories. Poursuivant ses analogies, il écrit :

« En ce qui concerne le pillage colonial, l'Etat socialiste, reconnaissant l’égalité des nationalités et leur droit de s’unir à tel ou tel pays, repousse toutes les méthodes de violence dans ce domaine. Cette source d'accumulation primitive lui est donc dès le début fermée pour toujours.

« Il en est autrement de l'exploitation de toutes les formes économiques présocialistes en faveur du socialisme. L'imposition... doit acquérir un rôle Immense, décisif dans les pays ruraux comme l'Union soviétique. » (p. 58.)

Comment se fait-il que, dans le cas des nationalités, le motif politique (égalité des nationalités) oblige Préobrajenski à amender sa loi fondamentale, alors que, dans le cas du bloc ouvrier et paysan, il se borne à déclarer : « Je ne parle pas des difficultés d’ordre politique. » ? C’est là de l'illogisme caractérisé, un manque de principe évident.

L’attitude de Préobrajenski est d'autant plus étrange que la question de la politique économique dans les anciennes colonies n'est que la question plus compliquée et quelque peu modifiée des rapports de la classe ouvrière envers la paysannerie. C’est là une vérité qui, semble-t-il, a été assez ressassée dans notre littérature et les décisions de nos congrès. Pourtant, Préobrajenski n'a pas l'air encore de la connaître.

Sa ligne est en opposition avec la doctrine de la nécessité du bloc ouvrier et paysan.

Toute la politique de la période de transition est orientée sur ce bloc. Car le trait essentiel de cette période, c'est l'existence d’une société de deux classes, où le problème de la ville et du village, de l’industrie et de l’agriculture, de la grande et de la petite production, du plan rationnel et du marché anarchique, constitue le problème capital des relations entre le prolétariat et la paysannerie. Détacher l’économie de la politique, c’est ne pas comprendre l'ensemble du problème, ne pas en voir le sens historique, laisser passer l’essentiel, ce qui ne saurait être éludé.

Ou bien nous nous orientons, dans la période de transition, sur le bloc ouvrier et paysan dirigé par le prolétariat et nous conformons notre action à ce principe fondamental.

Ou bien ce bloc n’est pour nous qu’un mot à effet. Alors, nous pouvons tolérer les « libertés » que signale Préobrajenski. Mais alors nous devons nous rendre compte que nous allons contre le bloc ouvrier et paysan, qu'il existe une appréciation des forces motrices de la révolution, une conception du développement révolutionnaire autres que celles de Lénine.

Entre ces deux conceptions, il faut choisir.

Inutile de démontrer quel doit être notre choix. Car le léninisme est confirmé non seulement par la logique, mais aussi par l'expérience de trois révolutions au moins.

Vue d’ensemble sur la « loi » du camarade Préobrajenski

Quelques mots maintenant au sujet de la formulation générale de la « loi ». D’abord, il est indispensable de noter une confusion dans le contenu même de cette « loi », confusion imperceptible au premier regard.

Imaginons deux types de pays : l’un industriel, où le secteur agraire est insignifiant, et l’autre agraire, où l’industrie est faible. Pour la clarté des choses, nous les représenterons sous forme d’un graphique :

1. 2.

 

 

Schéma

 

En blanc, la paysannerie.

En noir, l'industrie et la grande agriculture, qui passe aux mains du prolétariat.

Après une révolution socialiste, la partie noire (l’industrie et la grande agriculture) est détenue par le prolétariat. Lorsque s’amorce le processus d’accumulation, il n’y a pas à s’étonner que, dans le premier cas, le « poids spécifique » du surtravail de l’industrie ait davantage de signification pour l’accumulation socialiste, et une signification incomparablement moindre dans le second cas. Cette idée est véritablement un truisme, car ce n’est que l’autre expression du fait que, dans le premier cas, le « point spécifique » de l'industrie est beaucoup plus grand que dans le second.

Pourtant, le camarade Préobrajenski émet, parallèlement, une autre idée, qu’il relie au « truisme ». Ce qui est faux, car ce n’est pas toujours obligatoire. Pour être plus précis, le camarade Préobrajenski parle d’équivalence, ou plus exactement de non-équivalence des échanges entre la ville et la campagne, et il présente les choses comme ceci : plus le poids spécifique de la paysannerie est important, moins les échanges doivent être équivalents et vice-versa. Pourtant, comme nous l’avons dit plus haut, cela n’a rien d’obligatoire. Imaginons un complexe économique hautement développé. Imaginons aussi, par voie de conséquences, une exploitation paysanne réduite à sa plus simple expression (prédominance d’une grande agriculture et d’une industrie concentrée). Cela veut-il dire que le poids spécifique du surtravail produit par la paysannerie, destiné au fond d’accumulation socialiste, est important ? Non, il est infime. Mais cela signifie-t-il qu’en l’espèce nous avons obligatoirement un échange équivalent ? Nullement. Car, précisément, la non-équivalence peut être considérable en vertu de l’énorme différence de structures technico-économiques. Même eu égard de prix très bas (en soi) des produits industriels, le paysan n’obtiendra pas l’équivalent total, car ses frais individuels par unité de céréale seront beaucoup plus élevés que les frais dans la grande agriculture ; aussi y a-t-il inévitablement disparité dans la valeur du travail lors de l’échange, même si l’on calcule d’après «deux systèmes », comme le fait ici le camarade Préobrajenski.

La question n’est donc pas si simple qu’elle le paraît chez le camarade Préobrajenski.

Pour mieux étudier cette « loi », nous devons d’abord analyser ce qu’entend, au fond, le camarade Préobrajenski par « accumulation socialiste », etc. Cédons-lui la parole :

« Nous appelons accumulation socialiste l’adjonction au capital fixe de la production d’un surproduit qui va non à une distribution supplémentaire entre les agents de la production socialiste, mais sert à une reproduction élargie. Au contraire, nous appelons accumulation socialiste primitive l’accumulation aux mains de l’Etat de ressources matérielles qui proviennent essentiellement de sources situées hors du complexe économique d'Etat (souligné par nous. — N. B.). Cette accumulation, dans un pays agraire arriéré, est appelée à jouer un rôle important, dans la mesure où elle accélérera dans de très fortes proportions l’avènement de l’instant où ... cette économie (entendez : d’Etat. — N. B.) aura enfin une prédominance purement économique sur le capitalisme... L’accumulation par le premier moyen, c’est-à-dire par le jeu d’un élément non étatique, prédomine clairement à cette période. C’est pourquoi toute cette étape doit être appelée une période d’accumulation socialiste primitive ou préalable... La loi fondamentale de notre économie soviétique est précisément une loi d’accumulation socialiste primitive ou préalable (souligné par nous. — N. B.). Cette loi se subordonne les principaux processus de disparité économique dans le domaine de l’économie d’Etat. Par ailleurs, cette loi modifie et supprime en partie la loi de la valeur... Par conséquent, nous pouvons non seulement parler d’une accumulation socialiste primitive, mais encore nous ne pourrons rien comprendre au fond de l'économie soviétique si nous ne comprenons pas le rôle central que joue dans cette économie la LOI DE L’ACCUMULATION SOCIALISTE. » (souligné par l’auteur ; les majuscules sont de nous. — N. B.)

Notons d’abord un certain nombre de petites choses. Premièrement, on ne peut appliquer au capital un produit : deuxièmement, par accumulation il faut entendre l’adjonction non seulement d’un capital fixe supplémentaire (et la matière première transformée en capital ?) ; troisièmement, on ne peut opposer (« non pas », « mais ») une « répartition supplémentaire entre les agents de la production socialiste » à la « reproduction élargie » ; si, par exemple, de nouveaux ouvriers entrent dans un processus de production, c’est une production élargie. Mais tout cela, ce ne sont que quelques vétilles.

Les choses sont beaucoup plus sérieuses, lorsque nous passons aux principales « définitions » du camarade Préobrajenski.

Il dissocie de façon très marquée deux concepts : l’accumulation socialiste et l’accumulation socialiste primitive. Il le dit franchement: « L’accumulation socialiste » c’est ceci et cela. « AU CONTRAIRE, l’accumulation socialiste primitive » c’est ceci et cela.

Par conséquent, il est conduit à parler d’une loi de l’accumulation, socialiste primitive. Mais quel sera notre étonnement, lorsque nous verrons que, suite à cela, quelques lignes plus bas littéralement, le mot « primitive » disparaît ! Et quel sera notre étonnement plus loin encore lorsque nous nous apercevrons que dans la formulation de base de la loi fondamentale (celle que nous avons citée plus haut) ce mot disparaît également ! Il y est dit :

« La loi fondamentale de l’accumulation socialiste est le ressort moteur central de toute l’économie d’Etat soviétique. Mais il est vraisemblable que cette loi a une portée universelle » (p. 92 ; suit la « formule »).

Que l’on me fasse la grâce de me dire, de quelle loi il est question.

Le lecteur pense peut-être qu’il y a ici un lapsus fortuit, et que cela ne vaut même pas la peine d’y prêter l’attention : il peut arriver que l’on se trompe dans un travail aussi hâtif ! Nous ne permettrons toutefois d’aller chercher quelques racines de cette confusion.

Comme nous l’avons vu, la période d’accumulation primitive est définie comme une période essentiellement d’exploitation de l’économie privée ; elle dure, comme le souligne le camarade Préobrajenski, jusqu’à temps que l’économie d’Etat « prédomine, enfin, de façon purement économique sur le capitalisme ».

Ici nous avons : 1. le contenu économique et matériel du processus ; 2. ses limites historiques.

Essayons maintenant d’analyser ces thèses.

Il semblerait que, puisque le camarade Préobrajenski parle de lois fondamentales, etc., on puisse supposer qu’il est question du capitalisme de ce même pays où le prolétariat s’est emparé du pouvoir.

Alors, la « prédominance » (les « sphères de commandement ») est assez rapidement assurée. C'est là « la prédominance économique sur le capitalisme » que l’on peut perdre, si la politique est boiteuse. Mais cette prédominance existe, puisque le prolétariat, lorsqu’il y a essor des forces productives, dispose de la loi de la grande production.

Si l’en est ainsi, alors comme on le voit parfaitement, on ne peut formuler la loi fondamentale comme le fait le camarade Préobrajenski. Cette formulation, en effet, n’est valable que pour une période beaucoup plus longue.

Mais supposons qu’il s’agisse du capitalisme d’autres pays, d’un niveau technique beaucoup plus élevé.

Il est alors parfaitement clair que l’« accumulation primitive » en général et l’accumulation ne font qu’un. En effet, par exemple, il faudra beaucoup de temps avant que l’URSS parvienne au niveau américain. Et pourtant, cela figurera au paragraphe : accumulation primitive ! Cet « état de primitivisme » tend donc à devenir véritablement permanent !

Voilà où le bât blesse. Le camarade Préobrajenski transforme imperceptiblement l’accumulation socialiste primitive en accumulation socialiste tout court. Parallèlement, il transforme la loi « primitive » en loi tout court. Et tout cela pour étirer la politique de cette période où l’industrie se nourrissait au détriment de la paysannerie, jusqu'à l’électrification.

Ainsi donc, même dans ces transformations merveilleuses nous retrouvons la même logique que celle que nous avions découverte à tous les stades antérieurs de notre analyse. C’est la logique d’une mauvaise interprétation des relations qui doivent s’instaurer entre le prolétariat et la paysannerie, et en tant que classes politiquement liées et en tant que vecteurs de classe de formes économiques déterminées. Le pivot de la théorie du camarade Préobrajenski est là. Tout le malheur est que ce pivot est pourri.

 

 



 

Le lecteur habitué à l’analyse des différentes nuances idéologiques reconnaîtra immédiatement ici une idéologie corporatiste, à laquelle importent peu les autres classes, que ne préoccupe pas le problème fondamental de la politique prolétarienne, le problème du bloc ouvriers-paysans et de l’hégémonie prolétarienne dans ce bloc. Un pas dans cette direction, et nous voilà totalement dans l’idéologie semi-menchevique des trade-unionistes achevés de modèle russe : au diable la campagne, plus de concessions au capital étranger, pas un kopeck pour les stupidités coopératives et le domaine agraire, pression accrue sur la paysannerie, pour la plus grande gloire du «prolétariat», etc. C'est là que va cette idéologie. Et l’on conçoit parfaitement que la grande masse des membres du parti rejette — sous une forme au reste très accusée — ces « théories » et autres élucubrations. Ces « théories » peuvent perdre (à condition qu’elles aient une chance de « s’emparer » des masses, ce qui heureusement n’est pas et ne sera pas le cas) le bloc ouvriers-paysans, assise de granite sur laquelle est bâti l’Etat ouvrier, notre Union Soviétique.

Notes

1 Pourtant le fait que, juridiquement, la terre est la propriété de l'Etat ouvrier joue un très grand rôle.


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