1971

"L'histoire du K.P.D. (...) n'est pas l'épopée en noir et blanc du combat mené par les justes contre les méchants, opportunistes de droite ou sectaires de gauche. (...) Elle représente un moment dans la lutte du mouvement ouvrier allemand pour sa conscience et son existence et ne peut être comprise en dehors de la crise de la social-démocratie, longtemps larvée et sous-jacente, manifeste et publique à partir de 1914."


Révolution en Allemagne

Pierre Broué

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De la guerre à la révolution - Victoire et défaite du gauchisme


VI: Montée révolutionnaire

La révolution russe

L'année 1917 marque le tournant de la première guerre mondiale. La révolution russe est la manifestation la plus spectaculaire de la crise qui secoue l'ensemble des pays belligérants. En Allemagne, elle se manifeste d'abord par la formation du parti social-démocrate indépendant et la scission ouvrière : venant elle-même après février, elle pose pour la première fois concrètement depuis que le problème a été posé en théorie, aussi bien par Lénine que par Rosa Luxemburg, la tâche de construction d'un parti révolutionnaire en Allemagne et d'une Internationale nouvelle.

Le tournant du début 1917.

Les batailles de 1916 ont coûté très cher. De février à décembre, 240 000 soldats allemands sont tombés devant Verdun, sans que l'état-major obtienne la décision escomptée [1]. Fin décembre, les troupes de l'Entente contre-attaquent. Les généraux allemands réclament les moyens qu'ils estiment nécessaires à la victoire. Hindenburg, devenu commandant en chef, avec Ludendorff comme quartier-maître général, va imposer aux dirigeants civils la guerre sous-marine, arme dangereuse puisqu'elle dresse contre l'Allemagne l'opinion des neutres [2]. Elle serait efficace si elle provoquait l'effondrement rapide de la résistance de l'Entente : or elle commence en janvier et son échec est patent dès avril. L'hiver a été terrible : les provisions gèlent dans les caves [3]. La récolte de pommes de terre a été en 1916 de 23 millions de tonnes contre 46 en moyenne avant guerre, et, là-dessus, 6 millions n'ont pas atteint le marché officiel [4] : le marché noir prospère et l'opulence des spéculateurs est une insulte permanente aux quartiers ouvriers et aux permissionnaires hâves qui émergent périodiquement de l'enfer. Le mécontentement paysan commence à se traduire par une valse-hésitation du Centre catholique, qui flirte au Reichstag avec des attitudes d'opposition.

Dans ces conditions, la révolution russe de février va avoir un retentissement énorme. Au premier abord, elle semble augmenter les chances de victoire militaire, puisqu'elle met pratiquement hors de combat l'un des adversaires. C'est ce que proclame le révisionniste David, lequel souligne que la révolution n'a été possible qu'à la suite d'un effondrement du pouvoir autocratique dont l'effort de guerre allemand a évidemment tout le mérite [5]. Mais c'est seulement en apparence que l'événement sert les vues des jusqu'auboutistes. Quoique la censure dissimule l'essentiel des informations de Russie, tous les Allemands apprennent bientôt, au moins schématiquement, que l'autocratie tsariste, longtemps présentée comme l'ennemi numéro un par la propagande de guerre, a été abattue par une révolution populaire : le problème des buts de guerre est à nouveau posé. L'appel à la paix du soviet de Petrograd - monté en épingle par les bellicistes, qui veulent montrer que le but est proche - montre d'autre part que les objectifs de l'impérialisme allemand ne sont pas tels que les présentent Ebert et Scheidemann. Surtout, l'action des ouvriers et paysans russes, si mal connue soit-elle, a, en définitive, valeur d'exemple, Une révolution victorieuse est possible, elle peut représenter, ailleurs qu'en Russie, la fin des massacres. Au conseil des ministres, le ministre de l'intérieur parle de « l'effet enivrant de la révolution russe », et le sous-secrétaire d'État Helfferich, rendant compte de ses entretiens avec les dirigeants des syndicats, déclare que, selon eux, « l'agitation publique que suscitent les difficultés du ravitaillement et le mouvement révolutionnaire en Russie risquent de provoquer une tempête telle que le gouvernement ne pourrait s'en rendre maître » [6]. 

Dans le mouvement ouvrier, la révolution provoque une clarification politique : l'attitude à son égard constitue un critère. Haase, au Reichstag, interpelle le gouvernement : « Le chancelier désire-t-il que les masses allemandes en arrivent à parler le russe ? » et Ledebour commente à Gotha cette attitude des centristes [7] :

« Nous, les social-démocrates de l'opposition, n'avons pas négligé ce qui se passe à l'est. Nous avons utilisé la circonstance pour montrer au gouvernement et aux partis bourgeois qu'il est grand temps d'en tirer les leçons. (...) Nous avons déclaré que, si cela continue, il se produira inévitablement chez nous, en Allemagne, des événements comme ceux de Russie. » [8]

Le spartakiste Fritz Heckert déclare, lui, que « le prolétariat allemand doit tirer les leçons de la révolution russe et prendre en main son propre destin » [9], cependant que Clara Zetkin, dans une lettre au congrès, affirme :

« Devant notre congrès s'inscrit en lettres de feu l'action du peuple de Russie, une action dont l'âme ardente et le moteur est constituée par le jeune prolétariat, sous la direction d'une social-démocratie qui a su, elle aussi, pendant le temps de guerre, maintenir haut et sans tache le drapeau du socialisme international. J'espère, je souhaite que vos délibérations et vos décisions seront dignes de cet exaltant événement du siècle ! Mettons-nous à l'école de la maîtresse historique de tous les peuples et de tous les temps : la Révolution. » [10]

Les réactions des travailleurs semblent donner raison aux révolutionnaires : les autorités impériales comme les dirigeants syndicaux s'emploient de leur mieux à désamorcer ce que la situation leur paraît avoir d'explosif. Un rapport du préfet de police au commandant militaire de Berlin, daté du 23 février, déclare :

« Actuellement, presque tous les militants syndicaux du syndicat des métaux qui, dans les usines, passent pour donner le ton, sont politiquement membres de l'opposition et, pour une grande part, membres du groupe Spartakus, qui a pris pour mot d'ordre « Mettre fin à la guerre par des grèves ». »

Il précise, par la même occasion, l'attitude des responsables de l'appareil syndical :

« Devant la puissance des militants syndicalistes extrémistes, les dirigeants syndicalistes Cohen et Siering sont impuissants et contraints de se soumettre, car leur situation et leur réélection sont en jeu. C'est ainsi maintenant que Siering agit tout à fait dans le sens de ces extrémistes en faisant de l'agitation au cours des diverses réunions (...), ce qui lui vaut la sympathie des extrémistes. » [11]

Dans l'épreuve de force qui se prépare, c'est sur les dirigeants des syndicats que comptent les autorités impériales et le sous-secrétaire d'État Wahnschaffe l'écrit à Ludendorff le 24 février :

« On ne saurait gagner la guerre sans les ouvriers d'industrie. Or personne n'a - il s'en faut - autant d'influence sur eux que les dirigeants des syndicats. Sans ces dirigeants et a fortiori contre eux, il n'y a rien à faire. » [12]

Les grèves d'avril 1917.

Les organisations clandestines se préparent à une action de masse dont les conditions leur semblent maintenant réunies. A Berlin, dans les premiers jours d'avril, les militants de Spartakus diffusent un tract appelant à une protestation de masse, citant l'exemple des prolétaires russes qui ont su abattre le tsarisme et fonder une « république démocratique » [13] . A Leipzig, un tract, vraisemblablement de même origine, célèbre aussi la révolution russe, et conclut : « Prenez en main votre propre destin ! A vous le pouvoir si vous êtes unis ! » [14] Des arrêts de travail se produisent à Hambourg, Magdebourg, Brême, Nuremberg. A Berlin, les délégués révolutionnaires jugent le moment venu d'une action qui permettrait une première mobilisation de masses et, à une étape ultérieure, les conditions d'un élargissement de la plate-forme d'action et du front des travailleurs engagés : ils décident d'utiliser une assemblée du syndicat des métaux de Berlin, fixée au 15 avril, pour y faire adopter une décision de grève en vue de l'amélioration du ravitaillement [15]. Informés de ce qui se trame, les responsables de l'ordre font discrètement arrêter, le 13, Richard Müller, l'organisateur clandestin des métallos révolutionnaires, le responsable syndical officiel des tourneurs [16]. La nouvelle ne sera connue des ouvriers que le jour de l'assemblée.

A cette date, un mouvement est déjà engagé à Leipzig. Le 12 avril, des femmes ont réclamé du pain dans une manifestation devant l'hôtel de ville et la police a arrêté seize manifestantes. Le 13, le gouvernement saxon appelle à accepter dans le calme des mesures inévitables de restrictions. Mais le 14, plus de 500 ouvriers convergent vers l'hôtel de ville afin d'y réclamer une amélioration du ravitaillement : ils sont reçus et on leur promet que des mesures seront prises [17].

Le 15 au matin, on annonce la réduction de la ration de pain hebdomadaire de 1350 à 450 grammes : la nouvelle est encadrée par des communiqués célébrant les brillants résultats de la guerre sous-marine [18]. Quand les métallos se réunissent, ils sont décidés à passer à l'action : Cohen et Siering n'hésitent pas à prendre les devants et proposent la grève pour le lendemain, le 16, afin d'obtenir une amélioration du ravitaillement [19]. Les délégués révolutionnaires sont pris de vitesse. Ils approuvent donc l'initiative des dirigeants, mais demandent en outre la poursuite de l'action jusqu'à la libération de Richard Müller. Cohen rétorque qu'il ne peut endosser seul la responsabilité de la direction d'une action aussi difficile : il demande et obtient l'élection d'un comité de grève qui sera chargé, avec lui, des négociations [20].

Le 16, le Vorwärts, sans condamner la grève, met cependant en garde contre le danger qu'une agitation ferait courir à la « politique de paix » qui selon lui s'esquisse. « L'espoir fou qu'on pourrait connaître des événements semblables à ceux de Russie » risque, selon le quotidien social-démocrate, de « coûter la vie à des centaines de milliers d'hommes sur les champs de bataille » [21]. Dans toutes les usines, cependant, se tiennent des assemblées générales. A 9 heures, 300 entreprises sont en grève, les syndicats annoncent un total contrôlé de 200 000 grévistes, le chiffre réel étant vraisemblablement de l'ordre de 300 000 [22]. Les rues commencent à être parcourues de cortèges qui se forment spontanément sur des mots d'ordre divers, souvent politiques. Le comité élu se réunit au local des syndicats, désigne une commission restreinte : aux côtés d'Alwin Körsten, représentant la commission générale des syndicats et des dirigeants des métaux Cohen et Siering, siègent huit délégués des entreprises, dont deux au moins, Otto Tost, de Schwartzkopf, et Franz Fischer, de la D.W.M., sont membres du noyau révolutionnaire clandestin [23]. La délégation qu'ils constituent est immédiatement reçue par le commissaire au ravitaillement, Michaelis. Ce dernier promet la formation d'une commission municipale du ravitaillement où les syndicats seraient représentés. Les délégués ouvriers demandent la garantie qu'aucune sanction ne sera prise et exigent la libération de Richard Müller : le commissaire les renvoie alors aux autorités militaires. L'entretien a duré cinq heures [24].

A Leipzig, les événements ont pris une tournure identique. Au matin du 16, des tracts manuscrits ont été diffusés dans presque toutes les entreprises, appelant les ouvriers à se réunir à l'heure du déjeuner pour y décider la grève [25]. L'agitation qui se poursuit dans les usines pendant toute la matinée décide les responsables syndicaux à prendre une initiative : le syndicat des métaux appelle à un rassemblement dans le Brauereigarten, à Leipzig-Stotteritz. L'arrêt de travail est général à midi ; à 15 heures, plus de 10 000 ouvriers sont rassemblés pour entendre un discours du dirigeant des métallos Arthur Lieberasch ; celui-ci déclare que la manifestation du 14 a démontré aux responsables qu'il fallait donner aux ouvriers la possibilité d'exprimer leurs revendications. Mais il soulève un concert de protestations en proposant la reprise du travail pour le lendemain [26]. Une résolution est finalement adoptée dans le tumulte ; elle réclame l'augmentation des rations alimentaires et des attributions de charbon, mais énumère aussi - fait capital - six revendications d'ordre politique : une déclaration du gouvernement en faveur d'une paix sans annexions, la suppression de la censure et la levée de l'état de siège, l'abolition de la loi sur la mobilisation de la main-d'œuvre la libération des détenus politiques, l'introduction du suffrage universel dans les élections à tous les niveaux [27]. L'assemblée décide que la résolution doit être remise en mains propres au chancelier, à Berlin, par une commission, élue sur-le-champ par acclamations, qui comprend deux responsables du syndicat des métaux et trois représentants du parti social-démocrate indépendant. Une autre assemblée se déroule pendant ce temps au Vorgarten : un ouvrier y célèbre la révolution russe, montre que la manifestation qui se déroule est la preuve qu'il est possible, en Allemagne, d'imiter son exemple [28]. Le soir, les dirigeants syndicaux s'efforcent de convaincre les autorités qu'elles doivent avant tout éviter une intervention militaire, laquelle donnerait au mouvement un caractère « anarchiste » et leur en enlèverait à eux le contrôle [29]. A Berlin, le comité de grève maintient sa décision de poursuivre l'action jusqu'à la libération de Richard Müller [30].

Le 17, l'atmosphère se tend de plus en plus. Les dirigeants social-démocrates Bauer et Scheidemann s'efforcent de convaincre Helfferich et le général Groener qu'ils doivent recevoir la délégation des grévistes de Leipzig, même si celle-ci présente des revendications d'ordre politique : le refus ferait couler « un sang inutile », alors qu'il ne coûtera rien de la recevoir et de lui donner des apaisements [31]. Les spartakistes distribuent des tracts dans lesquels ils invitent les ouvriers à reprendre à leur compte les revendications des grévistes de Leipzig et à élargir la lutte sur cette plate-forme [32]. Körsten, Cohen et Siering sont reçus seuls à la Kommandantur. Ils en reviennent avec l'assurance que Müller va être libéré dans les meilleurs délais [33]. Une discussion très vive s'engage dans le comité : de nombreux délégués, membres la plupart du parti indépendant, voudraient voir reprendre les revendications politiques de Leipzig. Cohen rétorque qu'il faut arrêter la grève, puisque ses objectifs sont atteints, que la poursuivre serait risquer d'en remettre les résultats en question, que le comité n'a d'ailleurs pas d'autre mandat et qu'il faudrait une nouvelle assemblée générale pour décider d'une nouvelle plate-forme de grève, enfin qu'il est personnellement opposé, au nom des principes, à ce que les syndicats prennent des positions politiques. Il l'emporte finalement de justesse : l'assemblée refuse de faire siennes les revendications politiques de Leipzig et décide de lancer le mot d'ordre de reprise du travail pour le 18 au matin [34]. La délégation des grévistes de Leipzig, revenue de Berlin où elle a été reçue, fait adopter une position identique. La grève est, en principe, terminée.

En réalité, la reprise se révèle difficile. Dès le 17, les députés social-démocrates indépendants de Berlin prennent part aux assemblées d'usine, appellent à poursuivre la lutte sur le programme de Leipzig. Le vieil Adolf Hoffmann, très populaire, exalte devant les ouvriers de la Knorr-Bremse l'exemple révolutionnaire russe [35]. Le lendemain, il assiste, avec Haase, à une assemblée des travailleurs de la D.W.M., où Siering plaide en vain pour la reprise : « Il ne faut pas terminer dans la division un mouvement commencé dans l'unité ». D'autres députés indépendants, Vogtherr, Dittmann, Büchner, défendent la poursuite de la grève [36]. Finalement, ils sont plus de 50 000 ouvriers à continuer, qui dénoncent la « trahison » du mouvement par ses chefs [37]. Dans la plupart des assemblées d'usine, on lance le mot d'ordre de l'élection de « conseils ouvriers », « comme à Leipzig » - ainsi naissent les légendes - avec des représentants du parti social-démocrate indépendant [38]. Les grévistes de la D.W.M. élisent un comité de grève que dirigent les délégués révolutionnaires Franz Fischer et Bruno Peters [39]. Ceux de la Knorr-Bremse, après cinq heures de discussion, mettent au premier rang de leurs revendications la libération de Karl Liebknecht. Ils élisent un conseil ouvrier que préside le révolutionnaire Paul Scholze et qui lance aussitôt un appel à l'élection de conseils ouvriers dans toutes les entreprises [40]. C'est pourtant une minorité de travailleurs qui poursuit le mouvement et, malgré les avertissements de Scheidemann qui craint « un retour de flamme » [41], l'autorité militaire intervient, militarisant le personnel des entreprises en grève, arrêtant les dirigeants, notamment Peters, Fischer, Scholze [42]. L'ordre est bientôt rétabli et le travail reprend.

Quelques jours plus tard, le chef de la section des armements le général Groener, lance un appel aux ouvriers :

« Lisez et relisez encore et encore la lettre du maréchal Hindenburg et vous reconnaîtrez vos pires ennemis. Ils ne sont pas là-bas, près d'Arras, sur l'Aisne, en Champagne, ils ne sont pas à Londres. (...) Nos pires ennemis sont au milieu de nous (...) : les agitateurs grévistes. (...) Quiconque se met en grève alors que nos armées sont face à l'ennemi est un chien. » [43]

Les syndicats se sont joints à lui, dans le Vorwärts du 27 avril :

« Les grèves doivent être évitées (...) ; seule une augmentation de la capacité de résistance de l'Allemagne peut nous conduire une paix rapide. » [44]

La réaction ouvrière, pourtant, sera bien différente et, trois ans plus tard, évoquant cet épisode, Richard Müller notera avec sans doute un peu de nostalgie :

« Les délégués révolutionnaires et tous ceux qui travaillaient contre la guerre ne pouvaient par leur propagande accomplir le travail que l'appel de Groener avait fait pour eux. » [45]

Une étape était franchie. Les masses avaient livré leur premier combat. Les social-démocrates indépendants, qui poursuivaient pourtant au même moment leurs pourparlers en vue d'une coalition parlementaire pour la fin de la guerre, y avaient gagné un grand prestige. Ils apparaissaient aux yeux de couches de plus en plus larges comme les champions d'une lutte de masse pour la paix, révolutionnaire par les conditions mêmes dans lesquelles elle était appelée à se dérouler.

Organisation révolutionnaire des marins.

Précisément, une agitation révolutionnaire née spontanément dans la marine de guerre va se tourner vers les dirigeants social-démocrates indépendants pour y trouver une direction.

Toutes les conditions étaient réunies pour faire des bateaux de guerre d'actifs foyers d'agitation. Les équipages comptaient une majorité d'ouvriers qualifiés, le plus souvent métallurgistes, ayant l'expérience des luttes et une conscience de classe. Les circonstances de la guerre, qui laissaient les navires à quai, permettaient le maintien de contacts étroits entre marins et ouvriers des ports et des chantiers, la circulation à bord de livres, tracts, journaux, l'échange d'idées et l'organisation de discussions. Les conditions de vie, la concentration de prolétaires dans un espace restreint, les qualités d'audace, d'esprit collectif qu'elles développent, rendaient plus insupportables les dures conditions matérielles faites aux marins et chauffeurs, dans le cadre d'une inactivité que ne parvenaient pas à estomper les exercices disciplinaires absurdes imposés par un corps d'officiers particulièrement réactionnaires [46].

Dès 1914, il existait dans la flotte de petits groupes de lecteurs de la presse radicale, notamment de la Leipziger Volkszeitung [47]. En 1915, on y avait évoqué, de façon assez vague, il est vrai, la nécessité de constituer une organisation centrale de la flotte par le rassemblement des groupes socialistes épars [48]. Le mouvement, assoupi, reprend vie après l'hiver 1916-1917, sous l'influence de la révolution russe en particulier, dans laquelle de jeunes sous-officiers, marins et chauffeurs, d'origine ouvrière et social-démocrates d'éducation, voient le modèle de la route à suivre pour obtenir la paix. Sur le cuirassé Friedrich-der-Grosse, un petit groupe d'hommes se réunit régulièrement dans la chaufferie ou dans la soute aux munitions : le chauffeur Willy Sachse et le marin Max Reichpietsch lisent et commentent, font lire des brochures de Marx, Bebel, font circuler le programme d'Erfurt [49]. Ils établissent à terre, à Wilhelmshaven, des contacts avec des marins d'autres navires [50]. Quand, en juin 1917, ils apprennent l'institution, sur tous les bateaux de guerre, de « commissions de cambuse » chargées de contrôler le ravitaillement et comprenant des représentants des équipages, ils saisissent l'occasion qui s'offre et passent à la construction d'une organisation clandestine, la Ligue des soldats et marins [51].

Utilisant l'activité des commissions de cambuse, à l'instar des ouvriers dans les usines pour celle des délégués, ils parviennent à mettre sur pied en quelques semaines un réseau très souple d'hommes de confiance qui couvre l'ensemble de la flotte, que dirigent des comités clandestins formés d'abord sur le Friedrich-der-Crosse, puis sur le Prinz-Regent-Luitpold, et dont la liaison se fait à terre. L'animateur politique de l'entreprise, Max Reichpietsch, ne dissimule pas son objectif à ses camarades :

« Nous devons rendre parfaitement clair aux yeux de tous que les commissions de cambuse sont le premier pas vers la construction de conseils de marins sur le modèle russe. » [52]

Ils ont bientôt à leur actif une grève de la faim victorieuse sur un cuirassé [53], et Reichpietsch estime que son organisation est prête à déclencher un mouvement de masse pour la paix dans la flotte de guerre. Mais il juge nécessaire, avant d'aller plus loin, d'établir la liaison avec le parti dont il attend des perspectives et une coordination de la lutte d'ensemble, le parti social-démocrate indépendant [54]. A la mi-juin, au cours d'une permission, il entre en rapport à Berlin avec ses dirigeants, Dittmann et Luise Zietz, qu'il rencontre d'abord au siège du parti, puis Haase, Vogtherr et encore Dittmann, qui le reçoivent au Reichstag [55].

Le travail entrepris par Reichpietsch et ses camarades était un travail extrêmement dangereux, exigeant une organisation, une clandestinité, un cloisonnement parfaits, des fonds importants et beaucoup de précautions. Les vieux parlementaires social-démocrates dont il attendait aide et directives n'avaient pas la moindre idée de ces conditions. Luise Zietz s'était certes exclamée : « Nous devrions avoir honte devant ces marins : ils sont plus avancés que nous » [56], mais, pas plus que les autres elle n'avait su s'élever au-dessus de l'optique routinière de la pratique réformiste et électoraliste. Dittmann regrette de ne pouvoir remettre gratuitement aux marins des brochures reproduisant son discours contre l'état de siège : le cas n'a pas été prévu par le trésorier du parti. Il déconseille à Reichpietsch de chercher à former des cercles du parti sur les bateaux : comme les militaires ne paient pas de cotisations selon les statuts, leur adhésion formelle ne présente pas d'intérêt [57]. Il lui remet cependant des bulletins d'adhésion à remplir et à renvoyer par ces jeunes gens pour qui la moindre activité politique est passible du conseil de guerre [58] ! S'il n'est pas partisan de la formation de cercles de marins, il préconise leur adhésion aux cercles existants dans les ports qui se livrent à une activité légale et publique, et demande à Reichpietsch de prendre l'initiative de fonder le parti à Wilhelmshaven [59]. De façon générale, les marins ne doivent pas garder le contact avec les dirigeants nationaux, mais, partout où cela est possible, rester en liaison avec les organisations locales. Dittmann expose, certes, à Reichpietsch les dangers de l'entreprise, mais lui déclare qu'il est préférable, de toute façon, d'apparaître sous son nom dans les activités officielles du parti à terre [60]. Comme perspectives politiques, Haase et Dittmann entretiennent Reichpietsch de la prochaine conférence socialiste internationale qui va se tenir à Stockholm, et admettent qu'un mouvement pour la paix dans la flotte de guerre y renforcerait la position des socialistes partisans de la paix [61]. En un mot, ils lui répondent que, tout en étant sceptiques quant aux possibilités d'action qu'il entrevoit, il ne saurait être question de l'en dissuader. Ils ne l'éclairent en tout cas pas un instant sur les risques réels que court le mouvement des marins et qu'ils contribuent eux-mêmes à accroître en élargissant inconsidérément le nombre de leurs contacts avec des civils peu responsables.

Reichpietsch accepte ce qu'on lui offre. Dévoré du désir d'action, il revient sur son bateau, assurant à ses camarades que les députés qu'il a rencontrés sont gagnés à l'idée d'une lutte révolutionnaire pour la paix et convaincus du rôle décisif qu'y jouera la grève générale de la flotte [62]. L'organisation s'élargit encore avec la constitution, sur le Prinz-Regent, d'un comité dirigé par Beckers et Köbis, qui entreprend l'organisation de la Ligue sur les bateaux ancrés à Kiel [63]. Le 25 juillet 1917, une direction centrale, la Flottenzentrale clandestine, est mise sur pied : plus de 5 000 marins sont groupés sous son autorité [64]. Devant ses camarades, Reichpietsch résume les perspectives : il faut organiser un mouvement dans la flotte afin de donner des arguments aux délégués indépendants à Stockholm, et, s'il ne sort rien de la conférence, les marins révolutionnaires « lanceront aux soldats le mot d'ordre : « Debout, brisons les chaînes, comme l'ont fait les Russes ! ». Il ajoute : « Chacun sait ce qu'il aura à faire » [65]. Les incidents se multiplient, car les marins sont conscients de leur force, fiers de leur organisation, confiants dans le soutien qu'ils escomptent : grève de la faim sur le Prinz-Regent-Luilpold, le 19 juillet, sortie massive, sans permission, du Pillau, le 20, sortie sans permission du Prinz-Regent-Luitpold de 49 hommes le 1° août, et, enfin, le « grand débarquement » de 400 membres de l'équipage du Prinz-Regent le 2 août [66]. Cette fois, l'appareil de la répression est prêt à fonctionner : il sait tout. Les « meneurs » sont arrêtés. Le 26 août, un conseil de guerre prononce cinq condamnations à mort. Le 5 septembre, Alwin Köbis et Max Reichpietsch sont passés par les armes [67].

Quelques semaines plus tard, Lénine écrit que ce mouvement révolutionnaire « marque la crise de croissance de la révolution mondiale » [68] et qu'il constitue l'un des « symptômes irrécusables d'un grand tournant, symptômes d'une veille de révolution, à l'échelle mondiale » [69]. En réalité, la tragédie à venir en Allemagne est tout entière inscrite dans ce drame, dans le contraste entre la volonté d'action des jeunes travailleurs sous l'uniforme et l'incapacité de « chefs » écrasés par leurs responsabilités et convaincus que les problèmes qui concernent l'avenir de l'humanité se règlent en termes de cotisations, de sections locales et de discours dans les assemblées parlementaires.

Les lendemains de la révolution d'Octobre.

Les marins révolutionnaires de Russie ont eu plus de succès que leurs frères allemands. La révolution d'Octobre victorieuse va bientôt donner un autre type de réponse aux problèmes du jour, commander de nouveaux regroupements. La direction du parti indépendant la salue, dans la Leipziger Volkszeitung du 12 novembre :

« En Russie, le prolétariat a pris le pouvoir politique; c'est un événement de signification mondiale. Jamais le prolétariat n'a eu devant lui une tâche aussi importante que celle d'aujourd'hui. » [70]

Le 14 novembre, le même journal écrit :

« De tout notre cœur, nous sommes, nous, prolétaires allemands, en ces heures, avec nos camarades russes au combat. Ils se battent aussi pour notre cause. Ils sont l'avant-garde de l'humanité, l'avant-garde de la paix. » [71]

En réalité, les social-démocrates indépendants sont profondément divisés sur l'attitude à adopter à l'égard de la révolution et du nouveau pouvoir soviétique. La direction, le 12, appelait les ouvriers à imiter l'exemple russe et « à se préparer à manifester leur volonté d'une paix sans annexion » [72]. Mais, dès le 15 novembre, dans la Leipziger Volkszeitung, Karl Kautsky pose la question : « Comment cela va-t-il finir ? » et conclut : par « la décomposition sociale et politique, le chaos » [73]. Le 30 novembre, Clara Zetkin explique la signification de la révolution qui a donné aux soviets, organes des travailleurs, le pouvoir d'État [74], mais le 24 décembre, Bernstein attaque violemment la dictature des bolcheviks [75], et, à partir du 17, le menchevik Stein dresse dans la Leipziger Volkszeitung un réquisitoire sévère contre le nouveau régime révolutionnaire [76].

Pour les bolcheviks, la victoire de la révolution en Russie n'est que la première étape d'une révolution qui ne saurait être que mondiale. Le célèbre décret du 26 décembre 1917 le rappelle : sous la plume de Lénine et Trotsky, il décide d'« offrir son assistance, par tous les moyens possibles, argent compris, à l'aile gauche internationale du mouvement ouvrier de tous les pays » [77]. Dès l'ouverture, le 26 novembre, des négociations de paix germano-russes à Brest-Litovsk, les bolcheviks ont entrepris une propagande systématique en direction des soldats et des travailleurs allemands, destinée, dans leur esprit, à hâter l'explosion révolutionnaire inévitable. Karl Radek dirige un bureau de presse au ministère des affaires étrangères : aidé de militants social-démocrates recrutés dans les camps de prisonniers, il organise la diffusion, par avion notamment, de centaines de milliers de tracts reproduisant l'appel à la paix du gouvernement soviétique, puis rédige un journal, Die Fackel (La Torche), tiré à un demi-million d'exemplaires et diffusé sur toute la longueur du front [78]. Les chefs militaires allemands s'inquiètent rapidement de cette propagande rédigée dans un langage simple et direct et des ravages qu'elle produit parmi des troupes jusque-là bien tenues en main [79]. Leur attitude se durcit, ils reviennent sur les facilités accordées pour la fraternisation au cours des négociations d'armistice, s'efforcent de conclure vite et d'exploiter au maximum le besoin de paix des bolcheviks. Le 10 janvier, le général Hoffmann annonce aux délégués russes les conditions de l'ultimatum [80], qui va provoquer au sein des dirigeants bolcheviques la grande discussion autour de la paix et la première crise sérieuse dans le parti. Cependant, Trotsky a su utiliser les pourparlers de Brest comme une tribune d'où les travailleurs russes appellent à leur secours leurs frères des pays belligérants, en particulier des empires centraux [81]. L'appel est entendu : le 14 janvier, la grève éclate à l'usine Manfred Weiss de munitions, de Csepel, à Budapest [82]. En quelques jours elle s'étend à toutes les entreprises industrielles d'Autriche et de Hongrie [83].

Ainsi commence ce que Franz Borkenau, peu suspect d'exagération sur ce terrain, appelle « le plus grand mouvement révolutionnaire d'origine proprement prolétarienne qu'ait jamais connu le monde moderne », un mouvement qui, selon le même auteur, « ébranlera jusqu'à leurs fondations les puissances centrales » [84].

Les grèves de janvier 1918.

En Allemagne, depuis octobre, la combativité des ouvriers ne cesse de croître. Les informations sur les pourparlers de Brest échauffent les esprits. Nombre de militants pensent comme Liebknecht qui écrit de sa prison :

« Grâce aux délégués russes, Brest est devenu une tribune révolutionnaire qui retentit loin. Il a dénoncé les puissances de l'Europe centrale, il a révélé l'esprit de brigandage, de mensonge, d'astuce et d'hypocrisie de l'Allemagne. Il a porté un verdict écrasant sur la politique de paix de la majorité allemande, politique qui n'est pas tellement papelarde que cynique. » [85]

Dans la première quinzaine de janvier, Spartakus diffuse un tract appelant à la grève générale, dénonçant l'illusion selon laquelle la paix séparée constituerait un pas vers la paix générale [86]. Vers le milieu du mois se réunissent en commun les délégués révolutionnaires, la direction du parti social-démocrate indépendant et les députés de ce parti au Reichstag et au Landtag prussien. Richard Müller présente un rapport sur la situation dans la classe ouvrière berlinoise : il conclut à la possibilité de déclencher une grève générale sur des revendications politiques, affirme que les ouvriers sont prêts à la faire, mais qu'ils attendent d'y être appelés par le parti social-démocrate indépendant [87]. Les participants se divisent et s'affrontent parfois avec violence. Une minorité, dont Ströbel se fait le porte-parole, se prononce contre toute action, affirmant que Müller se trompe sur l'état d'esprit des ouvriers qui sont en réalité complètement passifs. La majorité, avec Haase, pense que la grève générale est nécessaire pour imposer la paix, mais refuse de courir le risque de faire interdire le parti, ce qui ne manquerait pas de se produire, selon lui, s'il lançait l'appel à l'action suggéré par Müller. Ces tergiversations ne sont pas du goût de Ledebour et Adolf Hoffmann, qui se déclarent prêts à signer personnellement un appel à la grève si le parti se refuse à le faire [88]. On aboutit finalement à un compromis : un texte rédigé par Haase et appelant à une grève de trois jours [89] sera signé non du parti en tant que tel, mais de ses députés, et diffusé en tract dans les entreprises [90]. Pourtant les députés hésitent encore : la fraction, deux jours plus tard, modifie le texte et en retire toute allusion à la grève [91], quoique les militants du parti continuent à en diffuser oralement le mot d'ordre. Après des négociations infructueuses pour faire imprimer le tract clandestinement par les spartakistes, le texte est finalement publié le 10 janvier 1918. Il déclare notamment :

« Si la population laborieuse n'affirme pas sa volonté, il pourra sembler que les masses du peuple allernand approuvent les actes de la classe dirigeante. L'heure a sonné pour vous d'élever la voix pour une paix sans annexions ni indemnités sur la base du droit des peuples à disposer d'eux-mêmes, Vous avez la parole. » [92]

Dans l'intervalle, le cercle des délégués révolutionnaires est passé à la préparation de la grève, dont l'idée est favorablement accueillie dans les usines où circulent les informations sur les grèves d'Europe centrale. Il en fixe le début au lundi 28 janvier, sans le révéler afin d'éviter toute répression préventive [93]. Cependant dans la semaine qui précède le jour J, un tract spartakiste qui donne des informations sur la vague de grèves en Autriche-Hongrie et « le conseil ouvrier de Vienne élu sur le modèle russe » proclame : « Lundi 28 janvier, début de la grève générale ! » [94]. Il met les ouvriers en garde contre les majoritaires « jusqu'auboutistes » qu'il recommande de n'élire à aucun prix dans les conseils :

« Ces loups déguisés en agneaux constituent pour le mouvement un danger bien plus grave que la police prussienne. » [95]

Dans ce climat se tient, le dimanche 27 janvier, l'assemblée générale des tourneurs de Berlin. Sur proposition de Richard Müller, sans cris ni applaudissements, elle décide à l'unanimité de déclencher la grève le lendemain, à l'heure de la rentrée, et de tenir sur place des assemblées générales qui éliront des délégués. Ces délégués se réuniront ensuite à la maison des syndicats et désigneront la direction de la grève : les leçons d'avril 1917 n'ont pas été oubliées [96]. Le 28 au matin, il y a 400 000 grévistes à Berlin et les assemblées générales prévues se tiennent dans toutes les usines, où les tourneurs et les délégués révolutionnaires entraînent d'écrasantes majorités. A midi, comme prévu, se réunissent 414 délégués, élus dans les usines. Richard Müller leur soumet un programme en sept points, proche des revendications des grévistes de Leipzig en 1917 : paix sans annexions ni indemnités, sur la base du droit des peuples à disposer d'eux-mêmes, tel qu'il a été défini à Brest par les délégués russes, représentation des travailleurs aux pourparlers de paix, amélioration du ravitaillement, abrogation de l'état de siège, rétablissement de la liberté d'expression et de réunion, lois protégeant le travail des femmes et des enfants, démilitarisation des entreprises, libération des détenus politiques, démocratisation de l'État à tous les échelons, en commençant par l'octroi du suffrage universel et égal à vingt ans pour le Landtag prussien [97]. L'assemblée élit ensuite un comité d'action de onze membres, tous du noyau des délégués révolutionnaires : Scholze et Tost, déjà connus pour leur rôle dans la grève d'avril 1917, Eckert, Neuendorf, Blumental, Malzahn, Kraatz, Zimmermann, Tirpitz, Cläre Casper et, bien entendu, Richard Müller [98]. Elle décide d'inviter le parti social-démocrate indépendant à envoyer trois de ses représentants au comité d'action [99]. C'est alors qu'un spartakiste propose d'adresser la même invitation aux majoritaires, afin, dit-il, de « les démasquer » [100]. La proposition, d'abord repoussée à deux voix de majorité, est finalement adoptée sur intervention de Richard Müller [101], qui redoute que le mouvement soit présenté et dénoncé comme « diviseur ».

Le comité d'action se réunit immédiatement. Outre les onze élus, il comprend Haase, Ledebour et Dittmann, délégués par les indépendants, Ebert, Scheidemann et Braun, délégués par les majoritaires. Richard Müller préside. Ebert demande d'emblée la parole pour réclamer la parité entre représentants des partis et élus des ouvriers en grève, et pour déclarer inacceptables certaines des revendications qui viennent d'être adoptées. Les onze refusent de remettre en cause les votes qui viennent d'avoir lieu, mais la réunion est brusquement interrompue par la nouvelle - fausse - que la police marche sur la maison des syndicats. Le moment d'affolement passé, on s'aperçoit que les trois députés majoritaires ont quitté les lieux [102]. Dans la soirée, le commandement militaire interdit les assemblées dans les usines et l'élection de comités de grève. Le nombre de grévistes atteint 500 000 [103].

Le 29 a lieu la deuxième réunion du comité d'action. Scheidemann annonce qu'il a, dans l'intervalle, pris des contacts et que le sous-secrétaire d'État à l'intérieur est disposé à recevoir une délégation, pourvu qu'elle ne comporte que des parlementaires, les délégués des grévistes n'ayant aucune représentativité légale. Scheidemann insiste sur la nécessité d'ouvrir ces négociations qui peuvent valoir des satisfactions importantes au mouvement en matière de ravitaillement. La majorité du comité d'action accepte de négocier, mais refuse les conditions du sous-secrétaire d'État : elle désigne, pour le rencontrer, Scholze, Müller, Haase et Scheidemann. Cette délégation fait le pied de grue au ministère, perd Scheidemann à deux reprises dans les couloirs [104]. Finalement, les deux députés sont seuls reçus, non par le sous-secrétaire, mais par un directeur ; de guerre lasse, Scholze et Richard Müller sont restés dans l'antichambre. L'unique information que rapporte la délégation est que l'activité du comité d'action est déclarée illégale et justiciable du tribunal criminel [105].

Le 30, le Vorwärts est interdit, mesure précieuse pour lui, et qui lui vaut un prestige tout neuf : les autorités lui reprochent d'avoir « propagé de fausses nouvelles » en annonçant 300 000 grévistes. Des heurts se produisent, ici ou là, entre grévistes et policiers. Le comité d'action lance un tract d'information, appelle à l'élargissement de l'action :

« Le mouvement doit prendre une extension si formidable que le gouvernement cède à nos justes revendications. » [106]

Il convoque pour le 31 des manifestations de rue et un meeting en plein air au parc Treptow.

Dans la nuit du 30 au 31, le commandement militaire fait placarder de grandes affiches rouges qui annoncent le renforcement de l'état de siège et l'établissement de cours martiales extraordinaires. Cinq mille sous-officiers sont appelés à renforcer la police de la capitale. Au matin éclatent les premiers incidents entre ouvriers grévistes et traminots non grévistes. On respire une odeur de guerre civile [107]. Jogiches précise :

« Comme un souffle révolutionnaire, une certaine disponibilité ; mais on ne savait qu'entreprendre. Après chaque heurt avec la police, on entendait : « Camarades, demain, on viendra avec des armes ». » [108]

Des tramways sont sabotés [109]. Les premières arrestations se produisent. Au meeting du parc Treptow, Ebert prend la parole, malgré l'interdiction des autorités militaires :

« C'est le devoir des travailleurs de soutenir leurs frères et leurs pères du front et de leur forger de meilleures armes (...) comme le font les travailleurs anglais et français pendant leurs heures de travail pour leurs frères du front. (...) La victoire est le voeu le plus cher de tous les Allemands. » [110]

Conspué, traité de « jaune » et de « traître », il s'affirme solidaire des revendications des grévistes, dont il ne veut connaître que l'aspect revendicatif.

La police n'a pas cherché à l'arrêter, mais elle s'empare de Dittmann, pris en « flagrant délit » d'appel à la subversion, et qui va être condamné à cinq ans de forteresse [111]. L'après-midi, Scheidemann et Ebert proposent au comité d'action d'entamer les négociations avec le gouvernement par l'intermédiaire des dirigeants syndicaux que le chancelier est disposé à recevoir [112]. Les membres du comité d'action sont désorientés. Comme le souligne Jogiches, ils ne savent « plus que faire de cette énergie révolutionnaire » [113]. Ils sentent bien le piège qu'on leur tend avec la négociation, mais se contentent d'affirmer que seuls les délégués des grévistes peuvent valablement négocier au nom des grévistes [114]. Le gouvernement pousse son avantage : le 1° février, le commandement militaire annonce qu'il militarisera les usines où le travail n'aura pas repris le 4 [115]. Au comité d'action, les députés majoritaires insistent pour la reprise rapide du travail : les dangers, disent-ils, sont immenses pour  les ouvriers, car les autorités militaires s'apprêtent à prendre en main la répression ; c'est faire la politique du pire que de poursuivre la grève. Ils s'entremettent, une fois de plus - cette fois avec l'accord de Haase -, pour que le chancelier autorise une nouvelle assemblée des délégués des grévistes. Le chancelier répond qu'il l'autorisera seulement si les députés s'engagent immédiatement à faire décider la reprise du travail par cette assemblée [116] !

Demeurés seuls au comité d'action, les délégués révolutionnaires refusent de s'engager dans la voie que proposent Haase et Scheidemann, et repoussent à l'unanimité la proposition de médiation des dirigeants syndicaux. Mais le mouvement a été finalement mal organisé et le comité d'action est coupé de la masse des grévistes, eux-mêmes privés de toute information sauf sur la répression [117]. Les spartakistes poussent à un durcissement de la grève, qui pourrait aller jusqu'à la lutte armée [118], mais les grévistes de Berlin sont isolés dans le Reich, les soldats sont restés disciplinés et rien ne laisse entrevoir une fraternisation possible de la troupe et des ouvriers. Pour Richard Müller et ses camarades, il ne reste qu'une issue : mettre fin à la grève sans négocier, battre en retraite en reconnaissant la défaite. C'est ce qu'ils font : le comité d'action lance l'ordre de reprise du travail pour le 3 février [119].

Lendemains de grève.

Evoquant quelques années plus tard la grève de janvier 1918 dans un procès contre un nationaliste qui l'accusait d'avoir trahi la patrie en pleine guerre, Ebert présentait ainsi son rôle :

« Dans les usines de munitions, de Berlin, la direction radicale avait pris le dessus. Des adhérents de notre parti que les radicaux avaient contraints sous la terreur à quitter le travail vinrent à l'exécutif le supplier d'envoyer de ses membres à la direction de la grève. (...) je suis entré dans la direction de la grève avec l'intention bien déterminée d'y mettre fin le plus vite possible et d'éviter ainsi au pays une catastrophe. » [120]

Renouvelant effectivement, mais à une plus grande échelle, la manœuvre de Cohen et Siering en avril 1917, les dirigeants social-démocrates avaient atteint leur but, sans vraiment apparaître aux yeux de l'ensemble du prolétariat comme des briseurs de grève. Dès la reprise du travail, la presse social-démocrate s'emploie, par une polémique acharnée contre les bolcheviks, à donner à sa politique le cachet socialiste raisonnable et « national » susceptible de justifier la prudence dont elle s'est fait, en Allemagne, l'avocat, en y condamnant l'extrémisme inspiré par l'exemple russe. Otto Braun, dans le Vorwärts, déclare nettement aux bolcheviks que leurs espoirs en une révolution allemande ne reposent sur rien et que le prolétariat allemand rejette catégoriquement l'usage de la violence [121].

Pour la minorité révolutionnaire, cette défaite est riche d'enseignements. Richard Müller écrit que le sentiment dominant chez les prolétaires était : « Il nous faut des armes. Il nous faut faire de la propagande dans l'armée. L'unique issue est la révolution » [122]. Dans leurs tracts, les spartakistes tirent les leçons de l'expérience du comité d'action. En leur nom, Jogiches écrit :

« Par crétinisme parlementaire, dans son désir d'appliquer le schéma prévu pour toutes les grèves syndicales, et surtout par manque de confiance dans les masses, mais aussi - ce n'est pas la moindre raison - parce que, dès le début, les indépendants ne pouvaient imaginer la grève que comme un simple mouvement de protestation, le comité s'est borné, sous l'influence des députés, à tenter d'entrer en pourparlers avec le gouvernement, au lieu de repousser toute forme de négociation et de déchaîner l'énergie des masses sous les formes les plus variées. » [123]

Les spartakistes soulignent que la direction des luttes doit être confiée à des conseils ouvriers élus, et que les révolutionnaires doivent gagner les soldats à leur cause : ils diffusent un tract spécial à destination des troupes de la garnison de Berlin [124]. Leur conclusion est partagée par beaucoup de militants ouvriers : « Avec la réaction, nous devons parler russe ! » [125] Bientôt, ils vont s'attacher à populariser le mot d'ordre de la révolution russe : « Conseils d'ouvriers et de soldats » [126].

Les spartakistes ont, au cours du mouvement, tiré huit tracts de 20 000 à 100 000 exemplaires chacun, ce qui constitue une véritable performance pour une organisation illégale [127]. Pourtant, ils prennent conscience qu'ils n'étaient pas assez organisés ni clairement orientés. Jogiches écrit :

« Il semble qu'il y ait eu parmi les délégués (...) une foule de nos partisans. Seulement, ils étaient dispersés, n'avaient pas de plan d'action et se perdaient dans la foule. En outre, la plupart du temps, ils n'y voient pas très clair euxmêmes. » [128]

En attendant que les travailleurs aient tiré les leçons de l'expérience et refait leurs forces, il faut, dans l'immédiat, payer le prix de la défaite. Quelque 50 000 ouvriers berlinois, un gréviste sur dix environ, voient leur affectation spéciale annulée et sont mobilisés : parmi eux, les « meneurs », et d'abord Richard Müller [129]. La police donne la chasse aux révolutionnaires, et, en mars, elle réussit à arrêter Jogiches, qui se cachait à Neukölln [130]. Avec cette arrestation, l'organisation spartakiste est, elle aussi, décapitée. Le gouvernement a les mains libres. Le 18 février, l'armée allemande prend l'offensive sur le front de l'est, et ses foudroyants succès lui permettent d'imposer au gouvemement bolchevique le diktat qui ampute la Russie de ses forces vives et prépare les convulsions de la guerre civile [131]. Les social-démocrates majoritaires s'abstiennent au Reichstag dans le vote sur le traité de Brest-Litovsk [132]. Les généraux assurent qu'avec le ravitaillement assuré par le blé d'Ukraine, la victoire est à leur portée [133]. L'offensive à l'ouest va commencer le 21 mars. Entre mars et novembre, la guerre fera 192 447 morts, 421 340 disparus et prisonniers, 860 287 blessés, 300 000 morts civils de plus qu'en 1917 et le taux de la mortalité infantile doublera [134].


Notes

[1] Badia, Histoire de l'Allemagne contemporaine, I, p. 67, n. 1.

[2] Ibidem, p. 68.

[3] Ibidem, p. 69.

[4] Sayous, op. cit.

[5] Stenographische Berichte..., CCCXI, pp. 3980.

[6] Cité par Badia, op. cit., n° 4, pp. 70-71.

[7] Stenographische Berichte..., CCCIX, p. 2888.

[8] Protokoll... U.S.P. 1917, p. 60.

[9] Ibidem, p. 67.

[10] Ibidem, p. 50.

[11] Dok. u. Mat., I/1, p. 554-556.

[12] Ibidem, p. 559.

[13] Ibidem, p. 630-633.

[14] Klaus Mammach, Der Einfluss der russischen Februarrevolution und der Grosse Sozialistischen Oktoberrevolution auf die deutsche Arbeiterklasse, p. 25.

[15] R. Müller,  Vom Kaiserreich zur Republik, pp. 80-81.

[16] Ibidem, p. 82.

[17] Mammach,  op. cit., p. 24.

[18] Müller, op. cit., p. 79.

[19] Mammach,  op. cit., p. 35 ; R. Müller,  op. cit., p. 82.

[20] Müller,  op. cit., p. 83 ; Scheele, dans Revolutionäre Ereignisse und Probleme in Deutschland während der Periode der Grossen Sozialistischen Oktoberrevolution 1917-1918, P. 33 sq.

[21] Vorwärts, 16 avril 1917.

[22] Revolutionäre Ereignisse, p. 24.

[23] Ibidem, p. 37.

[24] Ibidem, p. 39.

[25] Mammach,  op. cit., p. 25.

[26] Ibidem, p. 26.

[27] Ibidem, p. 27.

[28] Ibidem, p. 28.

[29] Ibidem, p. 29.

[30] Revolutionäre Ereignisse, pp. 40-41.

[31] Scheidemann, Der Zusammenbruch, p. 65.

[32] Revolutionäre Ereignisse, pp. 44-45.

[33] Ibidem, p. 45.

[34] Ibidem, p. 49 et R. Müller, op. cit., p. 83..

[35] Revolutionäre Ereignisse, p. 53.

[36] Ibidem, p. 52.

[37] R. Müller, op. cit., p. 83.

[38] Revolutionäre Ereignisse, p. 53.

[39] Ibidem, p. 59.

[40] Ibidem, p. 60.

[41] Mammach, op. cit., p. 39.

[42] Ibidem, p. 40.

[43] Affiche, Dok. u. Mat., II/1, p. 629.

[44] Vorwärts 27 avril 1917, dans Dok. u. Mat., II/1, pp. 626-628.

[45] R. Müller, op. cit., p. 85.

[46] Zeisler, volutionäre Ereignisse..., pp. 187-189.

[47] Bernhard, Ibidem, p. 96.

[48] Ibidem, pp. 97-98.

[49] Ibidem, p. 104.

[50] Ibidem, p. 105.

[51] Ibidem, pp. 106-107.

[52] Cité par A. Schreiner, zur Geschichte der deutschen Aussenpolitik, t. I, p. 400.

[53] Bernhard, Revolutionäre Ereignisse, pp. 106-107.

[54] Ibidem, p. 113.

[55] Ibidem, p. 114.

[56] Ibidem, p. 117.

[57] Ibidem, p. 115-116.

[58] Ibidem, p. 117.

[59] Ibidem.

[60] Ibidem.

[61] Ibidem.

[62] Ibidem, p. 124-125.

[63] Ibidem, p. 126.

[64] Ibidem, p. 135.

[65] Ibidem, p. 140.

[66] Ch. Vidil, Les Mutineries de la marine allemande, p. 104.

[67] Ibidem, p. 111.

[68] Œuvres, t. XXVI, p. 185.

[69] Ibidem, p. 71.

[70] Leipziger Volkszeitung, 12 novembre 1917.

[71] Ibidem, 14 novembre 1917.

[72] Ibidem, 12 novembre 1917.

[73] Ibidem, 15 novembre 1917.

[74] Ibidem, 30 novembre 1917, supplément féminin.

[75] Ibidem, 24 décembre 1917.

[76] Ibidem, 17, 27 décembre 1917.

[77] Décret du 26 décembre 1917, SobraniéUzakonenii i Rasporiajenii Rabotchego i Krestianskogo Praviteltsva, 1917, n° 8, p. 119; d'après Bunyan et Fisher, The Bolshevick Revolution 1917-1918, p. 285.

[78] Ruth Fischer, op. cit., pp. 30-31.

[79] E.H. Carr, The Bolsbevik Revolution, III, p. 31.

[80] Ibidem, pp. 31-32.

[81] Ibidem, pp. 29-31.

[82] Borkenau, World Communism, p. 91.

[83] Ibidem, pp. 91-92.

[84] Ibidem, p. 92.

[85] Politische Aufzeichnungen aus seinem Nachlass, pp. 51-52.

[86] Dok. u. Mat., Il/2, pp. 67-70.

[87] R. Müller, op. cit., p. 101.

[88] Ibidem, p. 101.

[89] Cette précision est donnée par un rapport spartakiste sur les grèves, généralement attribué à Jogiches (Dok. u. Mat., II/2, p. 132).

[90] R. Müller, op. cit., p. 102.

[91] Dok. u. Mat., II/2, p. 132.

[92] R. Müller, op. cit., p. 102.

[93] Ibidem.

[94] Dok. u. Mat., p. 71.

[95] Ibidem, p. 73.

[96] R. Müller, op. cit., p. 102.

[97] Ibidem. Voir le récit du début de la grève à l'A.E.G. Hennigsdorf dans Paul Blumenthal, « Die A.E.G. Arbeiter demonstrieren für Karl Liebknecht ». 1918. Erinnerungen von Veteranen der deutscben Gewerkîchaftsbewegung an die Novemberrevolution (1914-1920), pp. 73-74.

[98] Jogiches écrit à leur sujet : « Dix ouvriers et une ouvrière, syndicalistes de l'opposition (pas des permanents), influents dans leur milieu ( ... ). Leur position politique : pour la plupart U.S.P., mais pas de façon nette. Ce sont en effet des syndicalistes avant d'être des politiques ; parmi eux, deux de la grève pour Liebknecht, un de notre bord » (vraisemblablement Paul Scholze). Dok. u. Mat., p. 133.

[99] L'invitation aux indépendants, « à Ledebourski », comme dit Jogiches, fut faite afin de « coiffer » un responsable majoritaire, permanent des métaux, Wuschek, qui venait d'arriver avec une déclaration de la direction majoritaire réclamant une action unitaire (ibidem, p. 133).

[100] R. Müller, op. cit., p. 103.

[101] Jogiches précise : « un confusionniste de notre tendance » (Ibidem).

[102] R. Müller, op. cit., p. 104.

[103] R. Müller, op. cit., p. 105.

[104] Ibidem.

[105] Ibidem, p. 106.

[106] Ibidem, pp. 106-107.

[107] R. Müller,  op. cit., pp. 106-107.

[108] Dok. u. Mat., p. 134.

[109] Ibidem.

[110] Cité par K. Brammer, Der Prozess des Reichspräsidente, pp. 68-69.

[111] R. Müller, op. cit., p. 107.

[112] Ibidem.

[113] Dok. u. Mat., p. 134.

[114] R. Müller, op. cit., p. 107.

[115] Ibidem, p. 108.

[116] Ibidem, p. 109.

[117] Dok. u. Mat., p. 135.

[118] R. Müller,  op. cit., pp. 110.

[119] Ibidem, p. 110.

[120] Brammer, op. cit., p. 21.

[121] Vorwärts, 15 février 1918.

[122] R. Müller, op. cit., p. 110.

[123] Dok. u. Mat., II/2, p. 134.

[124] Extraits dans Bartel, Revolutionäre Ereignisse..., p. 168 ; il était joint au rapport de Jogiches mais ne figure pas dans Dokumente und Materialen.

[125] Dok. u. Mat., II/2, p. 99.

[126] Ibidem, pp. 137-138.

[127] Ibidem, pp. 136.

[128] Ibidem, pp. 135.

[129] Léo Stern,  op. cit., II, pp. et 488, entre autres.

[130] Ibidem, IV, pp. 1363 et 1365. En même temps sont arrêtés deux de ses camarades, ses plus proches collaborateurs, le militaire Willî Budich et Willi Leow, qui dirigeaient tous deux à Berlin la propagande révolutionnaire àl'intention des soldats de la garnison.

[131] E.H. Carr, The Bolshevik Revolution, III, pp. 47 sq.

[132] Verhandlungen... des Reichstages, 22 mars 1918, p. 573.

[133] Ludendorff, cité par Bartel, Revolutionäre Ereignisse, p. 180.

[134] Ibidem, p. 183.


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