1988

" Pendant 43 ans, de ma vie consciente, je suis resté un révolutionnaire; pendant 42 de ces années, j'ai lutté sous la bannière du marxisme. Si j'avais à recommencer tout, j'essaierai certes d'éviter telle ou telle erreur, mais le cours général de ma vie resterait inchangé " - L. Trotsky.

P. Broué

Trotsky

XXXIX - La crise de l'opposition russe1

L'année 1929 est celle de la grande crise de l'opposition de gauche russe : en fait, un véritable éclatement qui l'a privée en quelques mois d'une partie de ses forces vives, l'écrasante majorité de ses « vieux-bolcheviks » et une bonne partie aussi de la jeune génération.

Il s'agit, bien entendu, en partie d'une conséquence retardée de l'expulsion de Trotsky dont l'autorité immense a été, l'année précédente, le principal facteur du maintien de l'unité au cours du débat des six premiers mois de 1928. Trotsky ne peut plus intervenir directement ni à temps. Malgré les prodiges d'organisation de la fraction clandestine, ses grands textes politiques ne sont que des bouteilles à la mer. Et il apparaît désormais si éloigné...

Personne, en U.R.S.S. même, n'a une autorité comparable à la sienne. Il n'est pas vrai, comme on l'a dit parfois, que Rakovsky ait pu réellement le remplacer. Effectivement accepté comme porte-parole dans les moments où l'opposition est unanime, il n'a de fait aucune délégation d'autorité morale pour les périodes de crise, et on n'hésite pas à le critiquer vivement, comme on ne critique pas Trotsky, de droite comme de gauche. Et puis la répression sélective veille à neutraliser ceux qu'elle considère comme susceptibles de conforter la résistance des irréductibles. Plus d'un, à l'instar d'un Sosnovsky, commence une longue période de vie dans les prisons pour politiques, qu'on appelle les « isolateurs », mais dont les cellules commencent à être surpeuplées.

Il est clair par ailleurs que le sursis dont a bénéficié l'opposition de gauche dans la crise qui l'a secouée à la suite du plénum de juillet 1928 prend fin en 1929 avec l'offensive de Staline contre la « droite » - Boukharine-Rykov-Tomsky dans le parti - et contre les koulaks dans le pays. Tous les désaccords exprimés avant juillet 1928 resurgissent avec plus d'acuité encore que dans le débat de l'année précédente.

Sans doute faut-il ajouter à ces facteurs fondamentaux la durée de la punition, qui paraît excessive à beaucoup de ceux qui la subissent. Ces hommes actifs, réduits à l'impuissance, à une vie précaire, souvent oisive, toujours misérable, coupés de leur activité professionnelle, de leur famille, de leurs projets. se trouvent désormais placés dans des circonstances où ils ont le sentiment qu'une bataille importante se livre en leur absence, et qu'ils sont vraiment rejetés, pour de longues années, d'une Histoire qui, désormais, se déroule sans eux. Dans un tel contexte, profondément convaincus que l'attitude « irréductible » les a condamnés et les condamne en fait à l'impuissance, une importante fraction des déportés se laisse aller à de véritables paniques, soigneusement entretenues par des rumeurs bien calculées, dès que les premières tètes connues de l'opposition entrent dans la voie, non immédiatement de la capitulation, mais de la simple négociation.

* * *

En décembre 1928 encore, Staline pouvait minimiser en public l'activité et l'influence de la droite dans le parti, nier qu'elle existât en tant que fraction et assurer qu'elle exécutait loyalement les décisions du comité central.

La bataille fait rage à partir de février 1929, quand Boukharine s'est opposé à l'expulsion de Trotsky. Le conflit ne sera rendu public qu'en mai. Il y a d'abord la publication en tract, par les bolcheviks-léninistes de Moscou, du procès-verbal de l'entretien entre Boukharine et Kamenev en janvier précédent2. Les deux hommes reconnaissent devant la commission de contrôle son authenticité et celle des propos qui leur sont attribués. Mais Boukharine contre-attaque vigoureusement : niant toute activité fractionnelle, il dénonce le viol permanent de la démocratie par la direction du parti, décrit la politique économique récemment adoptée comme « une exploitation militaro-féodale de la paysannerie » et l'impôt sur les koulaks comme un « tribut » prélevé sur la paysannerie. Il tient bon dans la commission ad hoc constituée pour élaborer un bilan de ses « erreurs »3.

Le 9 février 1929, Boukharine, Rykov et Tomsky présentent au bureau politique un programme de « libéralisation » de la Nep, de réduction du rythme de l'industrialisation et de sauvegarde du marché libre. Ils menacent de démissionner4. La Pravda continue de tonner contre une « déviation droitière » toujours anonyme.

En avril, les masques sont jetés. Au comité central, Staline attaque directement Boukharine, l'accuse de faire preuve d'« aveuglement théorique » face au danger koulak, de préconiser une politique « bourgeoise-libérale » de fractionnisme et de saboter la « direction collective5 ». Quelques jours plus tard, la XVI° conférence du parti révise les objectifs du Plan quinquennal en hausse et accélère très sérieusement le rythme prévu d'industrialisation. Des thèses présentées par Kalinine montrent maintenant une orientation nouvelle vers la collectivisation rurale, avec l'accélération considérable de la création de sovkhozes - fermes d'Etat - et de kolkhozes - coopératives. L'épuration du Parti commence aussitôt à Moscou, et les attaques se multiplient contre les « droitiers6 ».

Ce n'est finalement que dans la Pravda du 21 août 1929 que Boukharine est publiquement et nommément désigné comme une incarnation et un inspirateur de la « déviation de droite », par la publication de la résolution de l'exécutif de l'Internationale communiste du 3 juillet 1929, le relevant de ses fonctions de président. Après plusieurs mois de pilonnage et de dénonciation par voie de presse sans possibilité de réfuter les accusations, les trois dirigeants de la droite acceptent finalement de faire une autocritique publique et capitulent en rase campagne par une déclaration parue dans la Pravda du 26 novembre.

Dans l'intervalle, depuis le mois d'avril, la politique stalinienne s'est considérablement infléchie, et l'offensive du pouvoir a commencé sur le double terrain de la lutte contre les koulaks et de l'industrialisation à marche forcée dont le célèbre article de Staline, le 27 décembre, dans la Pravda intitulé « Au diable la Nep ! », est, comme on le sait, plus une consécration qu'un signal.

Ce n'est pas dans le monde abstrait des idées générales et des thèses politiques que s'est opéré en U.R.S.S. le tournant, ainsi entamé, que Deutscher a appelé « la troisième révolution » et Stephen Cohen, le biographe de Boukharine, « la révolution par en haut ». Sur ce point, tous les protagonistes de la crise de l'opposition font une analyse identique : l'Union soviétique est au bord de l'éclatement de la guerre civile, la révolution est en danger.

Rakovsky caractérise la situation en 1929 par « l'offensive ouverte menée par une fraction de la bourgeoisie contre le pouvoir prolétarien », « la menace de famine qui pèse sur la classe ouvrière », « la décomposition très avancée de l'appareil de l'Etat, des syndicats et du parti », « le renforcement de l'antisémitisme, de la propagande religieuse et, en général, de l'influence idéologique de la bourgeoisie7 ». Préobrajensky, pour sa part, compare la situation de l'U.R.S.S. en 1929 à celle que le pays a connue pendant l'hiver 1920-1921, qui a culminé spectaculairement avec la rébellion de Cronstadt. Karl Radek, quant à lui, fait à des camarades de l'opposition un tableau réellement apocalyptique de la situation telle qu'il la voit :

« Le pays traverse un nouveau 1917. [...] Le pain manque à Moscou. Le mécontentement des masses grandit et peut dégénérer en soulèvement contre le pouvoir soviétique. Nous sommes à la veille d'insurrections paysannes8. »

Assimilant la révolte paysanne à une « offensive réactionnaire », il compare le Comité central à la Convention à la veille du 9 Thermidor :

« Droitiers et centristes se préparent à s'arrêter les uns les autres, le bloc centre-droite a éclaté et il y a une lutte acharnée contre les droitiers : leurs seize voix peuvent doubler, tripler9… »

C'est sur le caractère incontestablement dramatique de la situation de la « dictature du prolétariat » qu'ils décrivent assiégée dans le pays et même le parti, que vont argumenter à l'intérieur de l'Opposition les anciens « conciliateurs » qui déterrent de nouveau la hache de guerre.

Ichtchenko est le premier. Il est depuis longtemps convaincu de la nécessité de capituler et adresse, en avril 1929, à la XVI° conférence du parti une « déclaration des 38 », soumission à un parti « léniniste », déclarant infirmés les pronostics de l'Opposition de gauche10. En même temps, il s'efforce d'aggraver les désaccords au sein de celle-ci, qu'il décrit comme dirigée par un groupe d'intransigeants parmi lesquels il cite Netchaiev, Gevorkian, Viaznikovtsev.

Radek, à son tour, entre en lice et, avec lui l'affaire est plus sérieuse. Dans les thèses d'Omsk, qu'il signe avec Smilga et Beleborodov, jusque-là intransigeants, il s'en prend vivement à « la collaboration de Trotsky à la presse bourgeoise ». La gravité de la situation exige, selon lui, le retour au parti de l'Opposition et son soutien aux centristes contre la droite.

L'offensive la plus sérieuse est celle de Préobrajensky. Au mois d'avril, il se décide à envoyer sa lettre-circulaire « à tous les camarades de l'opposition », qui vient unifier les efforts un peu dispersés jusque-là des partisans de la « liquidation » de l'Opposition. Ce texte est d'une importance très grande. Pour la dernière fois sans doute, un vieux-bolchevik, dont l'indépendance de pensée n'a jamais été discutée, s'exprime avec une totale franchise, sans ruses ni détours et, au fond, s'interroge devant tous ses camarades, plume en main, pour déterminer quelle ligne l'Opposition doit adopter à ce moment qu’il estime décisif.

Après avoir rappelé les deux variantes autrefois envisagées pour l'évolution du régime, et qu'en 1927 l'Opposition avait parié sur la pire, il assure, plus catégoriquement encore qu'en 1928, que la direction - qu'il ne qualifie pas de « centriste » - s'est engagée dans une voie politique qu'il faut considérer en gros comme positive. Il en énumère les différents aspects : la direction a, selon lui, réellement engagé contre le koulak une lutte effective. Elle a renforcé le rythme de l'industrialisation, reconnu officiellement l'existence, au sein du Parti bolchevique, d'une véritable « droite » et commencé à la combattre concrètement. Il ajoute même que, dans une certaine mesure - comme le montre, selon lui, le discours de Staline au plénum de novembre 1928 -, elle a, « bien que, sans le dire et de façon cachée », retiré la théorie du socialisme dans un seul pays ...

Préobrajensky ne dissimule pas que la ligne de la direction n'est pas exempte d'erreurs : dans toute cette période, elle s'est obstinément refusée à mobiliser la classe ouvrière en tant que telle et à organiser les paysans pauvres. Elle a également continuellement sous-estimé le danger représenté par la droite et surtout lui a fait des concessions qui rendent plus difficile le combat contre elle.

Dans l'ensemble, bien entendu, il trouve que les aspects positifs l'emportent. La vérité, à ses yeux, c'est que la direction est en train de mettre en pratique la partie économique de la plate-forme de l'Opposition, et ce n'est pas à ses yeux une mince victoire.

Or cette dernière s'est elle-même placée dans une impasse, en niant la réalité du « tournant à gauche », c'est-à-dire la réalisation de la variante positive, et en faisant comme si c'étaient ses propres prophéties concernant l'élargissement de la Nep qui s'étaient trouvées réalisées. Il ne conteste pas que les méthodes de Staline ne sont pas du tout celles qu'a préconisées et que préconise l'Opposition, ni que la transformation par le haut et la coercition bureaucratique sont à l'opposé des légitimes revendications de démocratie prolétarienne : ce n'est pas pour lui une raison suffisante pour ne pas se ranger du bon côté au moment où commence la bataille décisive.

Persuadé que la justesse de la nouvelle politique économique - la politique de l'accumulation socialiste et la lutte contre le capitalisme agraire - prime toutes les autres considérations, il présume en même temps qu'elle ne pourra, à terme, que commander le redressement politique qui s'imposera de lui-même par une sorte de développement naturel.

Tourné vers ses camarades qu'il croit crispés dans leur ressentiment, il les assure que leur lutte passée a été amplement justifiée, mais qu'ils doivent maintenant comprendre que « le devoir actuel de l'Opposition est de se rapprocher du parti, puis d'y rentrer ».

Renvoyant en quelque sorte dos à dos Staline - pour avoir exilé Trotsky avec l'aide de l'ennemi de classe - et Trotsky - pour avoir attaqué Staline dans la presse de l'ennemi de classe -, il conclut, en demi-teinte douce-amère, sur une perspective qui montre à la fois qu'il ne nourrit guère d'illusions et que celles-ci sont pourtant sérieuses :

« Ceux d'entre nous qui ont combattu dans les rangs du parti depuis dix ans, vingt ans ou plus, y reviendront avec des sentiments bien différents de ceux qui étaient les leurs lors de leur première adhésion. Ils y reviendront sans leur enthousiasme d'autrefois, comme des hommes au cœur brisé. Ils n'ont même pas l'assurance que le comité central sera d'accord pour les réintégrer, indépendamment des termes qu'ils vont proposer. [...] Même si nous sommes réintégrés, il nous faudra porter la responsabilité de choses contre lesquelles nous avons mis en garde et nous soumettre à des méthodes que nous ne saurions approuver. [...] Si on nous réintègre, tous autant que nous sommes, il nous faudra recevoir la carte du parti comme on accepte une lourde croix11. »

Ce que cherche Préobrajensky, c'est la négociation de conditions dont il rêve sans doute qu'elles pourraient lui permettre de réintégrer le parti, sinon la tête haute, du moins sans un intolérable déshonneur, Il a dû y croire initialement. Autorisé à revenir à Moscou dès la fin d'avril, il entame immédiatement avec Iaroslavsky et Ordjonikidzé des discussions apparemment suivies de près par Staline. Aucun document ne nous permet de les suivre dans le détail ; ainsi que les étapes qui jalonnèrent sans aucun doute les reculs successifs de Préobrajensky. Nous supposons seulement qu'un point important avait été atteint lorsque, au mois de juillet, Karl Radek et Smilga obtinrent, à leur tour, le droit de se rendre à Moscou et d'y prendre part aux discussions.

C'est au cours de ce long voyage, lors de leur arrêt à la gare d'Ichim, que Radek a tenu aux déportés du lieu, venus l'interroger, les propos rapportés plus haut sur la situation dans le pays. Mais l'infléchissement de ses positions par rapport à ses propres thèses du mois de mars, dites d'« Omsk », et aux positions initiales de Préobrajensky, est net. Il correspond sans doute aux exigences de Staline, par exemple quand il répond à ses « camarades »  :

« La situation nous oblige à revenir à tout prix dans le parti ! Notre décision découlera d'une appréciation de la situation générale du parti et de la scission de l'Opposition, avec l'objectif d'être réadmis dans le parti12. »

Interrogé sur sa position à l'égard de Trotsky, il répond qu'il a rompu toute relation avec lui, le considère comme un « ennemi politique » et assure même - allusion à la publication d'articles de Trotsky dans certains journaux britanniques - qu'il « n'a rien de commun avec le collaborateur de Rothermere ». Il ne demande plus l'abrogation de l'article 58, en vertu duquel il a été déporté, et assure : « Nous nous sommes envoyés nous-mêmes en prison et en exil13. » Il attaque violemment l'Opposition, qu'il définit, comme elle s'est proclamée elle-même, « Ligue des bolcheviks-léninistes » et dans laquelle il voit « un second parti - le parti de la contre-révolution »  :

« La jeunesse qui a rejoint maintenant l'Opposition n'a rien de commun avec le parti et le bolchevisme. Ce n'est qu'une jeunesse antisoviétique. Il faut combattre ces gens-là par tous les moyens. Le tiers des membres de l'Opposition viendra avec nous et ceux qui resteront n'ont rien de commun avec le bolchevisme14. »

Il balaie d'une phrase les objections de ceux qui s'étonnent qu'il puisse envisager de renier la Plate-forme de 1927 :

« Notre plate-forme a magnifiquement supporté l'épreuve et, de document de combat, elle est devenue la plate-forme du parti. Que trouvez-vous à redire aux thèses de Kalinine? Au Plan quinquennal15 ? »

Dès le mois de mai, Trotsky ne se fait plus d'illusions. Il parle déjà dans sa correspondance des « capitulards et collaborateurs de la troisième vague » qu'on traitera à Moscou comme, des moins que rien, au moment où Préobrajensky vient d'y arriver. Evoquant la longue histoire du bolchevisme sous l'angle de ce qu'il appelle son « auto-épuration », il plastronne quelque peu :

« Nous ne sommes pas le moins du monde effrayés par le retrait des camarades, même de ceux qui portent les noms les plus respectés. C'est par l'exemple de leurs hésitations que nous enseignerons la fermeté à la Jeunesse16. »

Le 26 mai, il consacre un article à l'historique des rapports passés entre Radek et l'Opposition. Il rappelle « le quart de siècle de travail marxiste révolutionnaire » qu'il a derrière lui, qu'il est « l'un des meilleurs journalistes marxistes au monde [...] par la précision et la force de son style [...] par sa capacité à réagir avec une rapidité stupéfiante aux phénomènes et tendances nouveaux ». Sur le fond, il lui fait encore dans une large mesure confiance :

« Non seulement il est incapable de soutenir les social-démocrates, mais il est douteux qu'il soit capable de rejoindre les staliniens. En tout cas, il sera incapable de vivre avec eux. Il est trop marxiste pour cela et surtout trop internationaliste17. »

Le 14 juin, pressentant ce qu'il appelle déjà « la capitulation des anciens », il interpelle :

« Radek et quelques autres avec lui pensent que le moment est arrivé maintenant, le plus favorable, pour capituler. Pourquoi? Parce que, voyez-vous, Staline s'est occupé de Rykov, Tomsky et Boukharine. Mais notre tâche est-elle réellement de faire qu'une partie du groupe dominant règle les comptes de l'autre ? La position de principe sur les questions politiques a-t-elle réellement changé ? Le régime du parti a-t-il changé18 ? »

* * *

C'est le 13 juillet 1929 que paraît finalement, dans la Pravda, la déclaration, signée le 10, de Préobrajensky, Radek et Smilga, qui vont rassembler dessus, très vite, plus de quatre cents signatures.

Nous ignorons, faute de témoignages, comment Trotsky réagit en la découvrant. Il s'attendait à la défection de ses vieux compagnons d'armes et savait qu'il ne serait pas possible de les retenir sur la pente où ils s'étaient engagés. Il avait, dans sa vie politique, connu d'autres séparations et d'autres ruptures et, depuis longtemps, ne confondait pas politique et sentiments.

Mais le texte des trois n'était pas une simple rupture avec lui d'hommes dont les chemins se séparaient désormais. Vis-à-vis de Staline, c'était la capitulation totale, humiliante, obséquieuse même. Vis-à-vis de Trotsky, c'était la calomnie, la trahison, et même le vulgaire mouchardage. Vis-à-vis d'eux-mêmes, c'était le reniement, le suicide moral d'hommes qui foulent aux pieds leur propre passé de militants honorables.

Se déclarant d'accord avec la ligne générale du parti, les trois énumèrent ce qu'ils considèrent comme ses traits essentiels : la politique d'industrialisation, la lutte contre les koulaks, la politique d'édification des sovkhozes et kolkhozes, les « pas dans la voie de l'organisation indépendante des paysans pauvres », « la lutte contre le bureaucratisme dans les appareils de l'Etat et du parti » (sic), la lutte contre la droite, éléments capitalistes et petit-bourgeois dans le pays, social-démocratie à l'échelle mondiale.

Quelques lignes rappellent ce qui avait sans doute été les têtes de chapitre des revendications primitives des trois au début des négociations : il reste des souhaits, celui d'une mobilisation des masses ouvrières et de l'amélioration de leur situation matérielle.

Les trois anciens dirigeants de l'opposition clament, très haut et dès leur première phrase, leur rupture avec l'opposition qu'ils définissent d'ailleurs avec une volonté de perfidie qui ne peut être que délibérée comme « le courant qui, sur la base de la ligne politique de L.D. Trotsky, s'est regroupé autour d'un prétendu "Centre des bolcheviks-léninistes de l'Union soviétique" » Ils condamnent ce qu'ils appellent les positions politiques fondamentales de Trotsky, à commencer par la « révolution permanente », en passant par le scrutin secret, assurent que celui-ci et ses amis se sont « éloignés du parti », et que c'est ce qui explique « l'apparition de Trotsky dans la presse bourgeoise » ainsi que le création du centre des bolcheviks-léninistes de l'Union soviétique, « un pas vers la fondation d'un nouveau parti ».

Concernant la politique passée de l'Opposition de gauche, les trois écrivent :

« La conclusion la plus importante que nous tirions de la politique du C.C. était qu'elle tendait inévitablement, à un certain stade, à faire passer de la dictature du prolétariat et de la voie léniniste à la dégénérescence thermidorienne du pouvoir et de sa politique, et à l'abandon sans combat des conquêtes de la révolution d'Octobre. L'accusation la plus importante que nous formulions contre la direction du parti était que, même si c'était contre sa volonté, elle contribuait à cette tendance qu'elle ne combattait pas les éléments de dégénérescence dans le parti ni les éléments de droite, et qu'au moment le plus grave de la crise économique, elle chercherait une issue par une politique droitière, par des concessions aux koulaks, le refus du monopole du commerce extérieur, la capitulation devant le capitalisme mondial.

« Cette position [...] était erronée, de même que l'était la création d'une organisation fractionnelle et son activité d'une violence inouïe dans l'histoire du parti (imprimeries clandestines, manifestation du 7 novembre, etc.).

« La logique de la lutte fractionnelle nous a conduits, en exagérant ces divergences apparues lors du passage de la période de restauration à celle de réorganisation, dans la question du rythme de l'industrialisation, de la lutte contre les koulaks, à négliger, comme l'expérience l'a prouvé, le fait que la politique du C.C. était léniniste et qu'elle reste léniniste. C'est pourquoi le XV° congrès a vu juste lorsqu'il a condamné notre plate-forme.

« Partant des considérations exposées ci-dessus, nous retirons nos signatures des documents fractionnels, nous nous déclarons parfaitement solidaires de la ligne générale du parti et nous demandons notre réadmission dans ses rangs19. »

Ainsi ces victimes de la violence policière se dénonçaient-ils eux-mêmes comme des fauteurs de violence. Ces hommes qui avaient jusqu'au dernier moment assuré à leurs camarades que la Plate-forme de l'Opposition avait été magnifiquement confirmée, tiraient maintenant de sa confirmation la décision de retirer leur signature… Ils sont suivis par 344 déportés pour le seul mois de juillet, 609 au total jusqu'en novembre.

La réaction de Trotsky - l'article « Un document misérable », daté du 27 juillet 1929 - est une réfutation, point par point, des attaques d'un texte dans lequel il voit « un document unique de dégénérescence politique et morale ». De cette réfutation, dirigée de toute évidence vers les communistes en dehors de l'U.R.S.S., nous retiendrons seulement les précisions qu'il donne à propos du « centre des bolcheviks-léninistes » qui existe, écrit-il, depuis longtemps, et dont les trois ont été membres ; ce qui est nouveau, ce n'est pas son existence, mais sa proclamation publique jugée aujourd'hui nécessaire.

Trotsky ne sous-estime-t-il pas l'impact que la déclaration risque de produire dans les colonies de déportés? On peut le supposer quand on lit sous sa plume :

« En ce qui concerne l'opposition, chacun de ses membres savait et sait que Préobrajensky, Radek et Smilga avaient depuis longtemps démontré qu'ils n'étaient plus que des âmes mortes. Déjà avant le VI° congrès de l'Internationale communiste, les trois avaient engagé une activité importante à l'intérieur de l'Opposition, contribuant ainsi à sa purification interne, c'est-à-dire au départ de ses militants de hasard et faibles20. »

Or il n'y a rien, dans cette appréciation, qui ressemble, même de loin, à ce qui est la situation réelle en U.R.S.S. Un seul témoignage sur les bolcheviks-léninistes de l'extérieur, celui de Lev Kopelev, membre de l'organisation bolchevique-léniniste de Kharkov. « Le camarade Aleksandr, de Moscou », présente dans une assemblée générale tenue dans un bois un rapport sur « les tâches de l'opposition léniniste » qui est une simple transposition du texte des trois, centrée autour de la double affirmation que le comité central a adopté la politique d'industrialisation préconisée par l'opposition, et qu'il faut revenir au parti et travailler avec lui21. Ici au moins, les capitulards ont fait directement office de liquidateurs, mais nous ne pouvons ni généraliser le remarque ni en faire une exception.

Dans les colonies, le processus fut apparemment plus complexe. Les exilés, mal informés, sont en outre intoxiqués par des rumeurs délibérément fabriquées et adroitement orientées. Le sentiment que le pays est à la veille de la guerre civile, que la révolution est en danger, se traduit par une aspiration généralisée à l'union sacrée. Pour pouvoir « servir », bien des militants, vieux ou jeunes, sont disposés à faire des concessions verbales, formelles, qu'ils tiennent pour mineures. Habilement, Staline a accrédité vis-à-vis des déportés la version des négociations : les déportés parlent couramment de « la commission des trois » dont ils pensent qu'elle négocie en leur nom. L'espoir renaît d'un retour ; on se reprend à penser qu'une vie comme autrefois, avec famille, métier, action militante, redeviendrait possible après ce qui ne serait plus qu'un cauchemar.

Nous possédons sur cet état d'esprit un témoignage involontaire peut-être falsifié et en tout cas incomplet - dans une lettre de Solntsev à Rakovsky interceptée par le G.P.U. et partiellement publiée. Il y parle de « catastrophe », de « panique et de confusion », de « méfiance généralisée », de tentatives individuelles de se sauver, Il écrit ensuite :

« Il ne s'agit pas de ceux qui sont partis. Il s'agit au contraire de ceux qui sont restés. Si Ivan Nikolaiévitch [Smirnov] ou quelque autre rédigeait une déclaration plus convenable que celle des trois, il aurait derrière lui les trois quarts de l'Opposition. Il ne saurait y avoir presque aucun doute qu'Ivan Nikolaiévitch rédigera une déclaration dont le point central sera l'abandon de tout travail fractionnel22. »

Il suggère donc de prendre l'initiative d'une « retraite » - une renonciation au travail fractionnel qui permettrait de retenir quelque temps les oppositionnels paniqués, « une manœuvre » dans le genre de celle qui a été entreprise le 16 octobre 1926. Soulignant que Trotsky, « manifestement, n'est que très insuffisamment renseigné sur la situation », il adjure Rakovsky de prendre cette initiative23.

Qu'il ait ou non reçu la lettre de Solntsev, c'est ce que fait Rakovsky. Dans des thèses datées du 3 août, il explique l'intérêt du texte qu'il propose d'adopter comme déclaration. Il faut selon lui montrer que l'exclusion des oppositionnels est un coup porté au prolétariat et que les événements ont confirmé les critiques de la direction et la justesse de la plate-forme de l'opposition. Il faut démontrer que le retour de l'Opposition au parti est indispensable et en montrer les conditions dont la première est l'arrêt de la persécution des oppositionnels. Ils assure :

« Nous devons déclarer que, si nous réintégrons le parti, nous sommes prêts à renoncer aux méthodes fractionnelles de lutte, mais également à utiliser les droits que les statuts du parti prévoient pour chaque membre24. »

C'est finalement le 22 août qu'est livrée au public - autorités et déportés - la déclaration au comité central et à la commission centrale de contrôle, signée de Rakovsky, V.V. Kossior et du Géorgien M. N. Okoudjava25....

Elle fait le point sur la situation depuis le XV° congrès marquée par l'offensive d'une fraction de la paysannerie, la constitution du courant de droite dans le parti et les décisions de la XVI° conférence. Elle souligne ainsi les difficultés intérieures et l'existence d'une situation internationale toujours plus défavorable et qu'une phase de « cruelles luttes de classes » attend le parti du prolétariat.

Solidaire de la lutte pour la réalisation du Plan quinquennal et contre le danger de droite, la déclaration souligne la nécessité d'entraîner dans la lutte pour ces objectifs les masses les plus larges : il faut pour cela améliorer constamment leurs conditions matérielles et renoncer aux procédés bureaucratiques de rationalisation de la production qui éloignent du parti la classe ouvrière. La lutte contre les koulaks, précise-t-elle, ne peut être menée qu'avec l'appui d'unions locales de paysans pauvres qu'il faut créer et encourager.

Le texte de l'Opposition souligne très vigoureusement le danger de la bureaucratie, le besoin d'un « appareil reposant sur la confiance des masses [...], basé sur l'éligibilité, sur l'amovibilité et le respect de la légalité révolutionnaire », la nécessité de placer les dirigeants sous « le contrôle strict et la libre critique de tout le parti ». Il rappelle enfin - c'est la seule allusion, discrète, au socialisme dans un seul pays - que le fondement de la solidarité prolétarienne internationale se trouve dans le fait qu'une « organisation achevée de la production socialiste n'est possible qu'à l'échelle internationale ».

Dans la dernière partie, la déclaration admet que l'aggravation de la lutte des classes et la formation de la droite ont partiellement abattu les barrières entre « le parti » et l'Opposition - obstacles dont le moindre n'est pas l'expulsion de Trotsky. « la plus grande erreur politique de la direction du parti », et que les désaccords qui subsistent ne justifient pas que les oppositionnels soient en dehors du parti, jugeant nocive l'existence de fractions, la déclaration conclut :

« Nous déclarons que nous sommes entièrement disposés à renoncer aux méthodes fractionnelles de lutte et à nous soumettre entièrement aux statuts et à la discipline du parti qui garantissent à chacun de ses membres le droit de défendre ses opinions communistes26. »

En quelques semaines, le texte recueille cinq cents signatures, Mouralov et Sosnovsky et les vieux-bolcheviks géorgiens Mdivani et Kavtaradzé en tête - tous quatre au nom des prisonniers de l'isolateur de Tchéliabinsk, les vétérans Kasparova et Grünstein, Rafail, Paulina Vinogradskaia, la femme de Préobrajensky. M. M. Joffé - et aussi des hommes de la jeune génération, E. B. Solntsev, B. S. Livshitz, N. V. Netchaiev, Palatnikov, Pereverzev, Mekler, Rosengaus ...

Quarante-huit heures après, et sans évidemment avoir connaissance du texte de la déclaration de son ami Rakovsky, Trotsky écrit à un correspondant en U.R.S.S. et lui parle d'I.N. Smirnov qui n'a évidemment pas signé la déclaration du 22 août :

« Vous mentionnez les oscillations d'I.N., vous m'écrivez qu'il diffuse son projet d'appel au comité central qui comporte toute une série de vœux hautement souhaitables et d'espoirs que - comme vous dites - "ils vont bientôt lui faire payer". Nous connaissons très bien I.N., ses côtés magnifiques comme ses points faibles. Nous avons plus d'une fois manqué de le perdre en route dans des tournants, autrefois. Mais tout s'est bien terminé. Allons-nous le perdre cette fois ? Je n'en sais rien ; mais, même si nous le perdons, tôt ou tard. nous le regagnerons. Et nous en regagnerons bien d'autres. Bien entendu. à condition de ne pas épouser leurs oscillations27. »

C'est finalement le 22 septembre que Trotsky reçoit à Istanbul le texte de la déclaration du 22 août. Il répond le 25 par une lettre ouverte aux bolcheviks-léninistes signataires. Sans « porter aucune responsabilité pour toutes ses formulations », il déclare qu'il la signe.

Il rappelle que l'Opposition a toujours « cherché à donner à la masse des membres du parti la possibilité de vérifier et de surmonter les profondes divergences », il évoque les déclarations « pacifiques » du passé, celle du 16 octobre 1926, celle de juillet 1927, celle des quatre-vingt-trois au moment du XV° congrès, et finalement celle qui fut adressée au VI° congrès de l'I.C. Pour lui, « le fait du tournant à gauche de la direction officielle est patent ». Il assure :

« Un marxiste ne devrait refuser de signer votre déclaration que s'il en était arrivé à la conclusion que Thermidor est un fait accompli, le parti un cadavre, et que la route vers la dictature du prolétariat passe par une nouvelle révolution. »

Il souligne cependant que la direction, même après qu'elle eut « absorbé un bon nombre de nos déductions tactiques, maintient les principes stratégiques d'où a émergé hier la tactique droite-centre ». Il souligne également combien la ligne de l'Internationale communiste - à peine abordée par la déclaration - demeure « éloignée de la ligne léniniste ». Il conclut :

« Dans votre déclaration, vous dites seulement que les intérêts de la révolution exigent que l'opposition ait la possibilité de faire son devoir par des méthodes normales dans les rangs du parti. Je m'associe entièrement à cet objectif28. »

Dans la lettre qu'il joint au texte de déclaration en l'envoyant aux différents groupes oppositionnels, il souligne qu'on peut faire bien des critiques à ce texte et qu'il en a formulé un certain nombre, sous forme constructive et positive, dans sa lettre ouverte. L'idée essentielle est, selon lui, que « l'opposition réclame sa place dans le parti, afin de pouvoir défendre la cause de la révolution internationale de façon qui concorde avec ses propres vues ». L'objectif de la déclaration est de « gagner la sympathie et le soutien de l'écrasante majorité des rangs du parti et de la classe ouvrière29 ». Il faut l'y aider.

A peu près au même moment, il revient sur la capitulation des trois pour corriger son premier réflexe et faire passer l'analyse au premier plan. C'est, écrit-il, « un fait politique majeur » qui démontre « combien s'est totalement consumée une grande et héroïque génération de révolutionnaires »  :

« En dépit de la forme grotesque de la capitulation, il y a sans doute des éléments de tragédie en elle : trois vieux révolutionnaires valeureux ont rayé leur nom de la liste des vivants30. »

Cette tragédie, pour le moment, porte le nom d'I.N. Smirnov. Parti dans des négociations avec l'espoir de mentionner des réserves sur le « socialisme dans un seul pays » et d'arriver à une déclaration plus « convenable » que celle des trois, il est, peu à peu, à travers cinq remaniements successifs et un début de rupture au dernier, amené à ce qui est aussi un véritable reniement, condamnant la lutte fractionnelle de l'opposition dans le passé et retirant les signatures au bas de la Plate-forme. Il entraîne avec lui des hommes qui ont été aussi des dirigeants de l'Opposition de gauche, son successeur au secrétariat de l'opposition, S. V. Mratchkovsky, mais aussi AG. Beloborodov et F. Iablonskaia, V.A Ter-Vaganian, L.S. Bogouslavsky, N.I. Oufimtsev et plusieurs centaines d'autres - 400 au total - dans les semaines qui suivent31. En l'apprenant, Trotsky commente avec tristesse, mais sans rancœur :

« L'époque des guerres et des révolutions est une dure époque. Elle épuise impitoyablement les hommes - certains physiquement, d'autres moralement. I.N. Smirnov est de ceux-là. Personne ne l'a jamais considéré comme un théoricien. Il n'a jamais été un politique indépendant. Mais c'est un révolutionnaire sérieux, d'une trempe morale élevée. Néanmoins il s'est rendu […] Smirnov est pourtant un homme d'honneur. Mais hélas, il est tombé dans une position déshonorante32. »

* * *

Le bilan est en vérité catastrophique, Des vieux-bolcheviks fondateurs de l'opposition de gauche, il ne reste plus que quelques prisonniers : le vieil Eltsine, Sosnovsky, Mouralov. Rakovsky a été brutalement transféré de Saratov et exilé à Barnaoul dans des conditions abominables. La presque totalité des jeunes militants dont les noms nous sont parvenus, de Dingelstedt à V.B. Eltsine, de Poznansky, à Solntsev, de Sermouks à Iakovine, se retrouvent aussi dans des isolateurs. L'unique aspect positif est que la réponse donnée par Staline à l'opposition est d'une telle férocité qu'elle discrédite ceux qui lui ont tendu le rameau d'olivier et ramènera vers elle plus d'un militant dont les yeux ont été ainsi dessillés.

Ce n'est que peu à peu, en raison du tarissement du courant d'informations et d'une répression qui se fait très lourde, du fait qu'ont été bâillonnés les principaux porte-parole de l'opposition, que Trotsky prend conscience de l'étendue des ravages de cette crise qui fut sans doute à deux doigts d'être mortelle.

Lui au moins, cependant, n'a jamais douté de la volonté et de la capacité de répression de Staline et de ses hommes de main. Les pelotons d'exécution entrent en action. La première victime en est Blumkine, trahi par Radek33, selon Trotsky, par une femme nommée Liza Zaroubina, du G.P.U., selon Orlov34, jugé et condamné à mort, passé par les armes après un sursis de quinze jours pour lui permettre d'écrire ses mémoires35.

M.S. Blumenfeld, un ancien dirigeant des Jeunesses communistes, puis du « centre » de Moscou, et A.S. Iossélévitch, ancien tchékiste important, sont à peine condamnés à de lourdes peines36 qu'un officier du G.P.U., Rabinovitch, et un journaliste sans parti, du nom de Chilov, coupables d'avoir donné des informations sur l'affaire Blumkine, sont à leur tour fusillés. Ainsi Staline semble-t-il avoir réussi à décapiter, dans le G.P.U., le petit noyau des fidèles de Trotsky, après avoir, en prison, réussi à briser l'ancien chef de la Tchéka de Moscou, K.I. Dukis, membre secret de l'opposition, dont il fait ensuite... un cadre du Goulag37.

* * *

En tant que courant d'idées, la fraction bolchevique-léniniste est incontestablement vivace, et elle démontrera, au cours des années suivantes, qu'en exil, en déportation ou en prison, ses membres peuvent encore penser ensemble et marcher du même pas. Mais en tant qu'organisation, elle est virtuellement détruite, au moins réduite à un fonctionnement toujours plus précaire. Ainsi l'expulsion de Trotsky de l'U.R.S.S. et les développements politiques qui la suivent dans le pays le contraignent-ils de plus en plus à déplacer l'axe de son travail.

Ce n'est plus désormais l'Union soviétique qui est au centre de ses préoccupations : le domaine des relations avec « le pays » va être de la compétence presque exclusive de Sedov. Trotsky, lui, se consacre à la construction de l'opposition de gauche internationale en dehors de l'U.R.S.S.

Il doit une fois de plus, selon son expression, « renouer le fil de la continuité ».

Références

1 Les principaux textes de Trotsky pour cette période sont réunis dans Challenge of the Left Opposition 1928-1929, New York, 1981. Ils ont commencé à être publiés dans Œuvres, 2° série, t. I & II.

2 Staline, « Le groupe Boukharine et la déviation de droite », Sotch., XI, p. 319.

3 Ibidem, XII, pp. 3,7,90-91.

4 Ibidem, XII, pp. 3,4.

5 Staline, « La déviation de droite dans le P.C.U.S. » Les problèmes du léninisme,

6 V.K.P. (b) v rezoljiucitsiakh, pp. 614, 615. 619.

7 Rakovsky.« Projet de déclaration ». mars-avril 1929. A. H., 17114, traduction française dans Cahiers Léon Trotsky, n° 8/9. 1981, pp. 55-61.

8 Radek, cité dans B. O. n° 6, octobre 1929, p. 25, Cahiers Léon Trotsky, n° 7/8, 1981. p. 62.

9 Ibidem.

10 Pravda. 9 juin 1929.

11 Préobrajensky, « A tous les Camarades de l'Opposition », 5 avril 1929. A. H., 15264.

12 C.L.T. 7/8, op. cit. p. 63.

13 Ibidem.

14 Ibidem

15 Ibidem.

16 Lettre en U.R.S.S., 22 mai 1929. A. H., T 3199.

17 « Radek et l'Opposition », 26 mai 1929. A. H.,., T 3200.

18 « Tenir, tenir, tenir », 14juin 1929, A. H., T 3207.

19 Pravda, 13 juillet 1929 et Cahiers Léon Trotsky. N° 6. pp. 76-77.

20 « Un Document misérable »,27 juillet 1929, A. H., T 3218.

21 Lev Kupelev, No Jail for Thought, Londres, 1977, pp. 108-109, cité par Pravda, 20 septembre 1928.

22 Solntsev à Rakovsky, Cahiers Léon Trotsky, n° 7/8, 1981, p. 65.

23 Ibidem, p. 67.

24 Rakovsky. « Thèses », A. H., 17117, Cahiers Léon Trotsky, Ibidem, pp. 78-85.

25 Ibidem, p. 85.

26 Ibidem.

27 Trotsky, Lettre en U.R.S.S, 24 août 1929, A. H., T 3224.

28 Trotsky, Lettre aux signataires de la déclaration, 25 septembre 1929, A. H., 3239.

29 Trotsky, Lettre sur la Déclaration, 25 septembre 1929, A. H., T 3238.

30 Trotsky, « La Psychologie de la Capitulation », septembre 1929, A. H., T 3227.

31 La déclaration d'I.N. Smirnov, égaiement signée de M.S. Bogouslavsky, et datée du 27 octobre, a paru dans la Pravda du 3 novembre 1929.

32 « Socialisme dans un seul pays et prostration idéologique », novembre 1929, A. H., T 3249.

33 « Iakov Blumkine fusillé par les staliniens », Biulleten Oppositsii, n° 9, février- mars 1930, pp. 9-11.

34 Orlov, I was Stalin's agent, p, 79.

35 V. Serge, M.R., p. 279.

36 V. Serge, Destin d'une Révolution, pp. 116-117.

37 L'information sur l'arrestation de Dukis et sa capitulation est donnée par le Sotsialistitcheskii Vestnik, n° 14, 1929, qui le nomme « Dukes », une erreur évidente.

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