1988

" Pendant 43 ans, de ma vie consciente, je suis resté un révolutionnaire; pendant 42 de ces années, j'ai lutté sous la bannière du marxisme. Si j'avais à recommencer tout, j'essaierai certes d'éviter telle ou telle erreur, mais le cours général de ma vie resterait inchangé " - L. Trotsky.

P. Broué

Trotsky

LIV - Résurrection au Mexique1

Le départ pour le Mexique, dont Trotsky apprend la possibilité le 16 décembre 1936, est pour lui un saut dans l'inconnu.

Il a certes eu dans le passé de brefs contacts épistolaires avec ce pays, échangeant notamment des lettres avec le Nord-Américain Russell Blackwell, dit Rosalio Negrete, puis ce jeune homme inconnu qui sera, beaucoup plus tard, le grand romancier José Revueltas2, en 1934 enfin avec le peintre mexicain mondialement connu Diego Rivera.

C'est aux États-Unis qu'on a pensé à l'éventualité de l'asile au Mexique, après une consultation des animateurs de l'A.C.D.L.T. avec la journaliste et ethnologue Anita Brenner, dont la famille vit au Mexique et qui connaît personnellement le président Cárdenas : elle juge possible une réponse positive.

Nous possédons aujourd'hui l'indiscutable témoignage d'Octavio Fernández sur la façon dont a été demandé et obtenu le visa mexicain de Trotsky3. Le 21 novembre, Anita Brenner télégraphie, avec l'accord des amis américains de Trotsky, qu'il s'agit d'une « question de vie ou de mort » que de savoir si « le vieux Barbiches », comme dit le télégramme, peut venir « se soigner au Mexique4 ». C'est incontestablement pour Trotsky la démarche de la dernière chance. Une réunion urgente du bureau politique de la section mexicaine de la IVe Internationale, tenue aussitôt, remet l'affaire aux mains de Diego Rivera et de l'enseignant Octavio Fernández, dirigeant de l'organisation. L'après-midi même, les deux dirigeants de la petite organisation sont reçus dans le bureau du ministre secrétaire d'Etat des Communications, le général Francisco J. Múgica.

Vieux révolutionnaire clandestin, devenu général pendant la révolution et la guerre civile, l'un des orateurs les plus écoutés à la Constituante d'Aguascalientes en 1917, membre du P.C. mexicain à ses débuts, Múgica, qui s'est heurté pendant plusieurs années, au temps où il était gouverneur du Michoacán, aux intérêts pétroliers nord-américains, a été, pendant nombre d'années, exilé comme gouverneur du pénitencier des îles Marias. Il est revenu au premier plan avec l'élection de son ami le général Cárdenas, qui est aussi, d'une certaine façon, son disciple. Secrétaire d'Etat aux Communications, il est, en 1936 l'un des conseillers les plus écoutés du président. Comme bien des Mexicains de sa génération, il se reconnaît dans la révolution russe en tant que révolutionnaire mexicain, et voit en Trotsky un général révolutionnaire, donc l'un des siens5.

Il ne saurait hésiter devant la démarche de Fernández et Múgica et écrit aussitôt au président une lettre dans laquelle il indique que les deux hommes vont lui présenter une demande qu’il fait sienne et dont il souhaite qu'il l'accueille favorablement. Rivera et Fernández se mettent en route immédiatement, dans la voiture du peintre, afin de rencontrer le président, alors en train de procéder à des mesures de réforme agraire dans la région de la Laguna. Arrivés a Torreon, ils apprennent que le train Olive, dans lequel le président a pris place, va bientôt arriver. Ils n'ont plus qu'à attendre que la lettre de Múgica fasse son effet. Ils sont reçus très vite. Octavio Fernández raconte :

« Dès qu'ils furent introduits dans le bureau présidentiel, le général Cárdenas, sans préambule et laconiquement, leur dit a peu près ce qui suit : " M. Trotsky peut venir au Mexique. Le gouvernement que je représente lui accordera l’asile de réfugié politique [...] en raison des circonstances qui mettent sa vie en danger, comme vous l’assurez. On lui donnera toutes les garanties nécessaires […] Il ne sera pas prisonnier6 " » .

Et le président d'ajouter qu'il ne pose aucune condition à Trotsky, et demande seulement à ses partisans de s'abstenir, lors de son arrivée, d'organiser des manifestations qui pourraient provoquer des contre-manifestations.

La décision de Cárdenas est incontestablement prise pour des raisons de principe et résulte de son attachement réel au droit, d’asile en tant que droit démocratique universel. Il le manifeste avec éclat, dans les jours qui suivent, en résistant aux objections de son ministre des Affaires étrangères, le général Hay, et de nombre de ses conseillers7, et en maintenant fermement sa décision face aux montagnes de télégrammes qui lui parviennent de tout le pays de la part du Parti communiste, des syndicats de la C.T.M. et des organisations contrôlées par ces deux organisations.

La nouvelle est accueillie par Trotsky et Natalia Ivanovna avec autant de soulagement que d'appréhension : le risque d'une expulsion sans visa et par conséquent d'une extradition de fait ou de droit en U.R.S.S. disparaît, mais l'avenir mexicain n'est pas pour autant clair. De Paris, Sedov adresse de vifs reproches a ses camarades américains8 parce qu'ils sont en train, dit-il, d'envoyer son père dans un pays où Shachtman reconnaît que, pour quelques dollars, on peut se procurer un assassin9. Van Heijenoort, lui, revenu à Paris, se précipite vers la bibliothèque Sainte-Geneviève pour y acquérir des rudiments de connaissances sur ce pays lointain dont il se doute qu’il va être amené à le visiter prochainement10.

L'un des principaux sujets d'inquiétude de Trotsky et de Natalia Ivanovna porte sur les conditions de la traversée de l'Atlantique en bateau, dont ils ignorent totalement dans quelles conditions elle va se faire et dont ils pensent, non sans raison, qu'elle se prête facilement à l'organisation criminelle d'un « accident » puisqu'ils vont, pendant des jours, échapper totalement au contrôle de l'opinion publique, de la presse, même hostile, et, en tout cas, à la protection de leurs camarades11. Cyniques, les autorités norvégiennes préviennent Held que, s'il embarque avec eux, il n'aura pas de visa de retour - un sacrifice que les Trotsky refusent12.

Or toutes ces craintes sont vaines. La traversée, sur le pétrolier Ruth, se fait de bout en bout sur une mer calme, où Trotsky peut même travailler à des articles consacrés à différents aspects du procès de Moscou et qui constitueront d'importantes fractions de son livre Les Crimes de Staline. Son capitaine, Hagbart Wagge, a laissé aux voyageurs sa cabine personnelle. L'officier de police norvégien Jonas Lie - futur chef de la police et des S.S. sous l'occupation - qui les accompagne, leur a fait remettre entre ses mains le revolver de Trotsky et leur interdit l'usage de la radio pour communiquer13 : à bord, ils sont encore sur le territoire norvégien et il le leur fait sentir.

Du coup, l'arrivée à Tampico apporte aux voyageurs inquiets de bonnes surprises. Un groupe monte les accueillir sur le bateau : au premier rang, le visage bien connu de Shachtman. On leur présente Frida Kahlo, qui représente Diego Rivera, hospitalisé, George Novack, secrétaire de l'A.C.D.L.T. Mais il y a aussi le représentant du président de la République, le général Beltrán, une meute de journalistes avides. A la gare les attend le train présidentiel Hidalgo, qui va les conduire vers Coyoacán, faubourg de la capitale, et cette « maison bleue » que Frida met à leur disposition. Ebloui par le soleil et les couleurs après cette sortie brutale du froid norvégien et des brumes atlantiques, Trotsky note :

« Ce n'est pas sans émoi que nous débarquâmes sur la terre du Nouveau Monde, chaude en janvier. [...] Le contraste entre la Norvège septentrionale et le Mexique tropical ne se faisait pas sentir uniquement dans ce climat. Sortis d'une atmosphère écœurante et de lassante incertitude, nous rencontrions partout l'attention et l'hospitalité14. »

Natalia Ivanovna confiera à Victor Serge qu'elle a vu sa nouvelle maison comme une « nouvelle planète » :

« Une basse maison bleue, un patio rempli de plantes, des salles fraîches, des collections d'art précolombien, des tableaux à profusion15… »

En fait, pour les nouveaux hôtes du Mexique, après de longs mois d'angoisse et d'enfermement, c'est la découverte soudaine d'un monde éclatant de vie, une véritable résurrection.

* * *

La résurrection d'un être humain, c'est presque toujours un nouvel amour. Pour Trotsky, dans ce Mexique des couleurs, il eut pour nom Frida Kahlo, la jeune épouse du peintre Diego Rivera.

Cette jeune femme de vingt-neuf ans, elle-même très grand peintre également, victime d'une infirmité accidentelle qui lui fait souffrir mille morts, est une femme aussi belle qu'intelligente, au regard de feu, « d'apparence si fragile par sa silhouette menue », écrit Olivia Gall, « mais en même temps si directe et si puissante dans son langage et son regard, d'allure si élégante et si orgueilleuse, si belle et si mexicaine dans sa tenue et sa coiffure, tellement unique16 ». Rien d'étonnant qu'elle ait charmé Trotsky : au milieu « de la gaieté de ses toiles, de ses rubans, de ses bijoux », elle fut le symbole de l'accueil de ce pays si beau et si chaleureux. Van, qui fut le confident de Frida, raconte la naissance de cette idylle. Trotsky et elle parlent anglais, et Frida brandit à l'américaine le mot « love ».

« Trotsky, apparemment, fut pris au jeu. Il se mit à lui écrire des lettres. Il glissait la lettre dans un livre et remettait le livre à Frida, souvent en présence d'autres personnes, y compris Natalia ou Diego, en lui recommandant de le lire17. »

Ce flirt devient au mois de juin une liaison qui provoque bien des tempêtes : même si personne n'est au courant de leurs rencontres secrètes dans l'appartement de Cristina, la sœur de Frida, rue Aguayo18, on le soupçonne dans leur entourage. Jan Frankel, qui se permet de remontrer au « Vieux » que sa conduite pourrait provoquer des catastrophes et qu'elle est dangereuse aussi bien pour sa sécurité que pour la cause, est fermement prié de quitter la maison et les fonctions qu'il a commencé à remplir en 193019. De son côté, Natalia souffre énormément : la tension entre elle et L.D. provoque crises et éclats, aboutit même à une séparation temporaire, Trotsky allant, le 7 juillet, s'installer dans une hacienda de San Miguel Regla. Van pense que c'est au cours de la visite que lui rend Frida, le 11 juillet, qu'ils ont décidé d'un commun accord de mettre fin à leur romance20. Ella G. Wolfe n'a jamais oublié la lettre envoyée par Trotsky à Frida après leur rupture, un des textes, m'a-t-elle dit, les plus beaux et les plus émouvants qu'elle ait jamais lus, des mots d'amour aussi d'un collégien de dix-sept ans21. L'affaire est pourtant bien terminée, et l'on peut suivre dans la correspondance entre Trotsky et Natalia, publiée par Van, le renouveau explosif de tendresse de L.D. pour Natalia, après cette rupture consciemment consentie avec Frida22.

Van précise à ce sujet - et ce n'est pas inutile - que Diego Rivera ne se doute de rien, et il s'en réjouit, car, écrit-il, « le moindre soupçon de sa part aurait provoqué une explosion23 » aux conséquences incalculables. On peut estimer que les amants surent freiner à temps sur une voie dangereuse. Hayden Herrera, biographe de Frida, pense qu'elle retira beaucoup de satisfaction de cette aventure avec un personnage historique de la stature de Trotsky, mais qu'elle ne l'aima pas24. Quant à Trotsky, ses sentiments ne nous sont attestés par aucun document, et l'on peut seulement tenir pour certain qu'il ne joua pas.

Diego Rivera, lui, a un peu plus de cinquante ans quand Trotsky arrive au Mexique. Il est non seulement un peintre mondialement connu, l'un des plus grands artistes révolutionnaires de sa génération de peintres mexicains, mais aussi un homme hors du commun. Immense et très corpulent, il couronne son corps éléphantesque d'une tête souriante de crapaud très lippu : il est si laid qu'il fascine les femmes les plus belles, celles qui rêvent d'étreintes avec la bête. Sa vitalité, son humour, sa vivacité surprenante en font un compagnon extraordinaire malgré ses sautes d'humeur. Avec un entrain inépuisable, il est aussi un intarissable conteur et raconteur. Il abreuve d'histoires et de fables le cercle de ses admirateurs, capable aussi bien de faire le récit de ses imaginaires exploits de la guerre civile que de narrer par le menu sa récente conversion à un régime cannibale, tranches de chair féminine fraîche enveloppée dans des tortillas, plus tendre, assure-t-il, que celle du plus tendre des porcelets25. Il a été jusqu'à présent l'homme des grandes polémiques et des grands scandales.

Il a vécu dix ans à Paris, après un séjour en Espagne, et a visité l'Union soviétique, ayant beaucoup appris avant de revenir dans son pays et d'y apparaître comme le plus grand des peintres typiquement mexicains de ce qu'on appelle les murales, les fresques murales. Il a décoré des chefs-d'œuvre de son art puissant les murs du Palais national à Mexico, avant de devenir le peintre d'un continent à San Francisco, à New York, dans l'immeuble de Radio-City à Detroit, où il décore le centre Rockefeller - et où ses fresques sont détruites par leur « propriétaire » sous le prétexte que l'artiste y a représenté Lénine26.

Cet immense artiste, qui a longtemps été payé au tarif des peintres en bâtiment, est devenu très riche : il a été également un des pionniers du Parti communiste, et même un de ses dirigeants avant d'en être exclu en 1929. Il reste, à travers les vicissitudes du mouvement syndical, un militant syndicaliste ardent dans le bâtiment. Il a été un moment l'amant de la belle Italienne Tina Modotti et l'a défendue quand elle a été soupçonnée, dans l'affaire de l'assassinat à Mexico du communiste cubain Julio Antonio Mella27

D’abord lié à l'opposition communiste de droite de Jay Lovestone aux Etats-Unis, il a évolué ensuite vers l'Opposition de gauche et y a financièrement contribué dès 1934, ce qui lui a valu une brève correspondance avec Trotsky28. Son tempérament volcanique d'artiste le rend capable des plus grands élans et d'un dynamisme qui force tous les obstacles, mais lui vaut aussi de brutales périodes de découragement et de dépression. Militant dévoué, mais irrégulier, inconstant et fantasque autant que fonceur, il est convaincu d'avoir de grandes capacités de dirigeant politique, brigue des responsabilités qu'il risque pourtant d'oublier pour un croquis, tente ensuite désespérément de se faire pardonner en finançant généreusement des activités politiques, avec évidemment une préférence pour celles qu'il a lui-même préconisées. Il est depuis quelque temps membre de la petite L.C.I., la section mexicaine de la IVe Internationale.

Natalia Ivanovna est, de toute évidence, réservée quand elle l'évoque dans ses Souvenirs : elle a néanmoins vu en lui un hôte prévenant, un ami chaleureux, dévoué et enthousiaste. Pour elle, L.D., « parfois séduit, parfois amusé par l'imagination effervescente » du peintre, aime en lui « l'artiste pénétré, dans ses meilleures fresques en tout cas, d'un sentiment passionné, quoique assez élémentaire, de la lutte sociale29 ». Mais elle est, pour une fois, au-dessous de la réalité.

Diego semble avoir exercé sur Trotsky une sorte de fascination, sans doute du fait de sa maîtrise de son art, de la façon dont le Mexicain le plus humble se retrouve dans ses œuvres, de la passion qu'il apporte à son travail, de son engagement total dans son métier et sa folie de peindre, au moins autant que du goût que l'exilé peut avoir pour son œuvre. Celui-ci, normalement, ne se répète guère : il revient pourtant sans cesse sur la comparaison qu'il fait entre le rôle de Diego Rivera auprès de lui, pour la IVe Internationale, et celui du poète Freiligrath auprès de Marx, ou de Gorky auprès de Lénine. Allant plus loin, dans une lettre du 12 juin 1938, il qualifie Diego de « plus grand artiste de l'époque contemporaine » et de « révolutionnaire implacable » :

« Nous devons montrer envers Diego Rivera au moins la même attention que Marx eut pour Freiligrath et Lénine pour Gorky. Diego Rivera dépasse Freiligrath et Gorky de beaucoup par son importance dans le domaine de l'art et, ce qui est un cas absolument unique dans l'histoire, ce grand peintre est un vrai révolutionnaire, tandis que Freiligrath n'était qu'un petit-bourgeois " sympathisant " et Gorky un compagnon de route un peu équivoque30. »

Van, qui a bien connu Rivera, souligne sa versatilité et se dit quelque peu sceptique sur ses convictions « trotskystes ». Avec des compagnons comme lui, le peintre se montrait volontiers anarchisant, mais, semble-t-il, jouait devant Trotsky un personnage plus orthodoxement marxiste31.

Trotsky n'a jamais rencontré le général Cárdenas, bien que celui-ci ait eu à son adresse des gestes d'une déférence assez exceptionnelle, comme l'invitation à assister dans une tribune au défilé militaire pour la fête nationale mexicaine32 : toute rencontre même privée entre eux eût nourri des rumeurs qui n'avaient pas besoin d'aliments pour être malfaisantes sur la collusion entre le président et l'illustre « bolchevik » devenu son hôte à la grande fureur des milieux conservateurs.

Son lien avec les milieux du pouvoir au Mexique est, dès les prémisses de son arrivée, le général Múgica, dont le rôle a déjà été déterminant dans l'obtention du visa et qui veille, pendant tout son séjour, à sa sécurité, à la stabilité de son refuge, et assure le contact discret, mais nécessaire, entre le palais présidentiel et celui qu'il appelle, avec une vraie déférence, « dón León33 ». De proches collaborateurs de Múgica, l'ancien député, gouverneur et secrétaire d'Etat à l'Intérieur, chargé à l'époque du contrôle de la presse, Agustín Arroyo, ou Juan de Díos Bojorquez, font partie des relations personnelles de Trotsky, lui rendent visite, le reçoivent, l'informent34. Múgica a fait mieux encore en déléguant, en quelque sorte, auprès de Trotsky, l'un de ses proches : ancien combattant de la révolution mexicaine, au cours de laquelle il a combattu sous Emiliano Zapata, lui aussi haut fonctionnaire au ministère des Communications, Antonio Hidalgo va devenir, pendant le séjour de Trotsky, non seulement un authentique ami personnel - c'est un homme un peu plus jeune tout de même - mais probablement un proche compagnon d'idées35.

Les circonstances politiques ont empêché le développement de relations très étroites entre Trotsky et ses camarades de la section mexicaine. Il a dû, dès son arrivée, les prier de respecter son engagement de « non-ingérence ». Les risques d'être impliqué, malgré tout, dans la vie politique mexicaine, l'ont conduit à les mettre à l'écart. Reste une exception : Octavio Fernández, jeune maître d'école, animateur infatigable de la L.C.I. et de la « deuxième génération » des trotskystes mexicains, qu'il a rejoints en 1933, entrant au P.C.M. comme oppositionnel pour en être exclu peu après comme « trotskyste », en 193436. C'est lui qui, avec Diego Rivera, est allé chercher le visa. C'est lui, qui, avec les militants du P.O.U.M., dont le vétéran David Rey (Daniel Rebull Cabré), a organisé militairement la sécurité du « Vieux » dans les premiers jours, monté devant sa porte la première garde de nuit37. Leurs relations politiques et personnelles n'ont jamais cessé. Trotsky aime à se retrouver dans les fêtes de famille Fernández, avec les frères et les sœurs d'Octavio, sa mère et son vieux père qui raconte à l'ancien chef de l'Armée rouge ses souvenirs de la révolution et de la guerre civile38.

Eloigné, par la force des choses politiques, des militants de la L.C.I. mexicaine, à l'exception de Diego Rivera et de Octavio Fernández, Trotsky se trouve pourtant au centre d'un cercle amical d'intellectuels sympathisants. La préparation de la lutte contre les procès de Moscou l'amène ainsi à se lier avec l'un des intellectuels mexicains les plus distingués de sa génération, l'ex-Nicaraguayen Francisco Zamora. Journaliste, chroniqueur de la révolution mexicaine, fondateur de la presse moderne au Mexique avec l'Excélsior, il a été professeur d'économie et a introduit l'œuvre et la pensée de Marx dans le pays : à l'arrivée de Trotsky, il est secrétaire, chargé des « études techniques », dans le premier comité exécutif de la C.T.M. et se rapproche de l'exilé quand Lombardo Toledano lance la centrale syndicale contre lui39. Francisco Zamora a introduit dans la maison de Coyoacán et présenté à Trotsky son jeune frère Adolfo, avocat, et sa femme, une Française : les hommes peuvent parler français, et il naît entre eux, malgré la différence d'âge, une véritable amitié40.

D'autres hommes, sans être des amis, sont des camarades précieux. Olivia Gall mentionne José Ferrel, qui n'a pas trente ans, mais déjà une solide réputation de traducteur littéraire du français41. Rodrigo García Treviño, ancien capitaine pendant la guerre civile, libraire, militant du P.C., exclu, professeur à l'école d'économie de l'Université nationale autonome, a lui aussi abandonné la direction de la C.T.M. et un rôle important dans sa presse, avec le début de la campagne contre Trotsky : sa connaissance profonde de ce milieu lui permet de beaucoup contribuer à la sécurité de l'exilé42.

Pour en terminer avec cette rapide description de l'entourage de Trotsky au Mexique, de son « environnement humain », il faut évidemment mentionner ceux de ses anciens secrétaires qui ont repris du service auprès de lui dans ces circonstances où leur expérience donnait confiance. Jan Frankel est parti après l’incident que l’on sait, a propos de l'aventure de Trotsky avec Frida, mais son prochain mariage avec la romancière américaine Eleonore Clark, qu'il a connue à Coyoacán, rendait de toute façon la séparation inévitable. Van, de plus en plus homme-orchestre, de plus en plus irremplaçable, reste jusqu'en novembre 1939 : après avoir perdu Gaby, repartie en France après un incident avec Natalia il a trouvé une compagne américaine, Bunny, et l'accompagne aux Etats-Unis. Quelques mois plus tôt est arrivé Otto Schüssler - avec sa compagne Gertrude Schröter, la cuisinière de Barbizon - qui restera jusqu'à la fin. En août 1939, avec le jeune Siéva - le fils de Zina, toute la famille qui reste désormais à Trotsky -, arrivent Marguerite et Alfred Rosmer. Ils partiront, eux, avant la fin, conduits au bateau, sans s'en douter, par l'homme qui assassinera Trotsky et qui les comble d'attentions.

Dans la première période, ce sont les militants mexicains, enseignants, électriciens, peintres en bâtiment, forgerons, maçons, qui assurent garde et maintenance. On trouve dans les archives de Múgica une autorisation de port d'armes pour deux bonnes dizaines d'entre eux43. Il faudra ultérieurement les remplacer par des Nord-Américains dont la majorité ont été envoyés par la section américaine, fraction dans le Parti socialiste en 1937, Socialist Workers Party ensuite, et dont quelques-uns - Alex Buchman, Christy Moustakis sont venus en visiteurs la première fois. Ces hommes sont de qualité inégale. Bernard Wolfe, qui fut le premier, ancien étudiant de Yale, ne semble pas avoir accepté l'inévitable rigueur de la discipline de la maison. Mais d'autres vont tenir et développer avec Trotsky des relations personnelles. C'est le cas de l'enseignant Charles O. Cornell, de Rae Spiegel - la future Raya Dunayevskaya, qui connaîtra la notoriété pour ses livres -, et c'est surtout le cas du dernier des secrétaires de Trotsky qui devint son ami, Joseph Hansen, dit familièrement Joe. Né dans une famille de Mormons, gagné à la C.L.A. alors qu'il était étudiant à l'université de l'Utah, il a travaillé pour le compte de l'organisation dans la presse, syndicale et politique, de San Francisco, jusqu'en 1937. Il est arrivé à Coyoacán en septembre de cette même année et a rapidement gagné la confiance de Trotsky.

D'autres, comme Harry Robins, auteur, des décennies plus tard, de témoignages douteux et caution des calomnies contre Joe Hansen étaient sans doute d'un bois différent. Mais on aimera beaucoup, à la maison de Coyoacán, l'officier de la Garde nationale Henry Malter, qui est venu faire les plans de fortification et de défense de la nouvelle maison, le tapissier Sol Lankin, Walter Ketley et bien d'autres. On s'interrogera sans doute encore longtemps sur la personnalité de Robert Sheldon Harte, un jeune homme de vingt-trois ans en qui plusieurs auteurs ont vu, sans argument décisif, un « agent » plutôt qu'un gamin, qui paya de sa vie son inexpérience, comme Trotsky le pensa.

Un couple d'Américains entre à cette époque dans l'intimité de la famille Trotsky : Charlie et Lillian Curtiss. Charlie - de son vrai nom Sam Kurz -, originaire de Chicago, a appris dans l'organisation le métier de linotypiste et a déjà milité au Mexique dans les années trente, quand il revient en 1938 comme représentant du secrétariat international, pour régler la « question mexicaine ». C'est Charlie - à Mexico, Carlos Cortes - qui assure presque seul la fabrication de la revue Clave, dont Trotsky, avec l'aide de José Ferrel, des frères Zamora notamment, réussit à faire la première revue marxiste latino-américaine. Pendant ce temps, Lillian sert de dactylo anglaise à Trotsky44. Après leur départ, ils resteront au nombre des correspondants fidèles, sinon des visiteurs épisodiques, comme Sara Weber ou Rae Spiegel. Certains jeunes Américains entrent « en trotskysme » par le tourisme : ainsi Christy Moustakis, diplômé d'histoire et chômeur qui parcourt le Mexique, rencontre dans la capitale un groupe de collaborateurs de Trotsky, visite la maison et s'engage... Il vient aussi des latino-américains : le Chilo-Argentin Espinoza. Le Péruvien Velásquez, poète et diplomate, et l'ouvrier argentin Mateo Fossa un ancien ministre bolivien, des Cubains...

Les visiteurs d'origine européenne sont peu nombreux dans cette période et à une époque où l'Atlantique constitue encore un obstacle. On relèvera l'universitaire français Etiemble, la journaliste Henriette Célarié, une jeune enseignante, militante du P.O.I., Sophie Gallienne.

La colonie des réfugiés d'Europe apporte à Trotsky visiteurs et camarades. Il collabore avec joie à la préparation de recueils de textes de Marx avec le marxologue Otto Rühle et entretient avec lui et sa femme Alice45 des relations amicales ; il fréquente aussi leur gendre, Sulzbachner, dit Fritz Bach, qui a créé le service des statistiques après avoir été un dirigeant des Jeunesses communistes en Suisse.

Nombre de visiteurs viennent des Etats-Unis. Ce sont d'abord les dirigeants de la section américaine, Cannon, Shachtman, Vincent R. Dunne, mais aussi les dirigeants des Jeunesses, le tribun et écrivain noir C.L.R. James, la vieille militante de Boston, le docteur Antoinette Konikow, des militants ouvriers de Minneapolis, y compris Farrell Dobbs, l'avocat Francis Heisler et son fils des intellectuels de simples touristes aussi. Beaucoup sont munis d’une recommandation du S.W.P. Les pratiques de certains journalistes ont désagréablement surpris Trotsky, et les conditions d'interview sont désormais très strictes.

Pour beaucoup, le passage à Coyoacán devient une sorte de rite. On y voit le grand reporter Henry Knickerbocker, comme le débutant sans vergogne Alvin M. Josephy Jr, le grand acteur de Hollywood Edward. G. Robinson et sa Jeune femme Gladys, le syndicaliste A. Plotkin, des anciens du P.C. comme Melech Epstein. Editeurs de revue, éditeurs tout court, comme Alan C. Collins et Noël F. Busch, viennent prendre contact directement avec un auteur illustre mais peu commode. Même des hommes aussi peu recommandables aux yeux d'un bolchevik qu'Henry Allen, sénateur, ancien responsable de la campagne présidentielle de Hoover, et une femme aussi suspecte d'être liée aux services soviétiques qu'Alice Harris, arrivent à se frayer un chemin jusqu'à Trotsky et à l'affronter verbalement dans sa propre maison.

* * *

Dans ce pays où tant d'hommes et de femmes ont pour lui des visages d'amis, Trotsky a aussi des ennemis.

La droite mexicaine, anticommuniste et antisémite, est remarquable par la bassesse et la virulence de ses attaques46. Mais elle est loin d'avoir autant d'écho que ses adversaires qui sont au Mexique les porte-parole de Staline, le Parti communiste mexicain et surtout la centrale syndicale Confederacion de Trabajadores de Mexico (C.T.M.), dirigée par Vicente Lombardo Toledano.

Le Parti communiste mexicain est évidemment au premier rang de ceux qui ont protesté avec une bruyante indignation contre l'asile accordé à Trotsky par un président dont ils soutiennent pourtant la politique, après l'avoir vilipendé et couvert d'injures, depuis que le VIIe congrès de l'Internationale communiste s'est vu orienter dans le sens d'un soutien sans faiblesse aux gouvernements nationalistes des pays semi-coloniaux dont on peut espérer qu'ils se rangeront, dans le cours de la prochaine guerre mondiale, dans le camp des adversaires du « fascisme ». Mais il est numériquement très faible, affaibli par les palinodies auxquelles il s'est livré, pendant des années, sur les instructions de Moscou.

De ce point de vue, l'allié le plus sérieux de Moscou, dans la campagne menée au Mexique contre Trotsky, n'est pas le Parti communiste mexicain, mais le principal dirigeant du mouvement syndical lié à Cárdenas et à son parti, la C.T.M., son « lider » Vicente Lombardo Toledano. L'homme, issu d'une grande famille bourgeoise, pieux et élevé dans la perspective de la réussite personnelle, a commencé par d'éclatants succès sur le plan universitaire et un début de carrière d'enseignant. Entré comme avocat et technicien dans le mouvement syndical, il a réussi rapidement à devenir un « chef », passant de l'aile gauche de la C.R.O.M. (Confederación Regional Obrera Mexicana) « gouvernementale » à la direction de la C.T.M. Un temps engagé dans un flirt avec les disciples de Trotsky, qu'il a même envisagé de rencontrer en Norvège en 1935, il est revenu, cette année-là, de Moscou profondément marqué par le congrès de l'Internationale communiste, dont il célèbre les résultats avec une foi et un enthousiasme surprenants chez un homme jusque-là plus réservé et sceptique. Le réquisitoire qu'il dresse contre Trotsky, dès l'arrivée de ce dernier, n'est pas celui d'un partisan du communisme ou même d'un proche du P. C., mais celui d'un homme gagné, quoi qu'il arrive, à la politique extérieure de l'Union soviétique47.

Dans la personne de Trotsky, le « collaborationniste » qu'est Lombardo Toledano, furieusement attaché au Front populaire, combat la théorie selon laquelle « le prolétariat se suffirait à lui-même pour réaliser ses propres desseins ». et selon laquelle « il faut combattre systématiquement le gouvernement en tant que représentant de la bourgeoisie », « théorie » dont il assure qu'elle est « rigide, antidialectique, aux résultats funestes »48. Il accuse Trotsky d'être l'ennemi du peuple chinois, du gouvernement espagnol et du prolétariat mexicain, et, du seul fait qu'il « attaque la théorie du Front populaire », de coïncider avec « les idées et les actes du fascisme », ce qui en fait au Mexique un « ennemi du peuple49 »!

Répondant, dans un autre travail, à la question: « Lombardo Toledano était-il un agent du G.P.U.? », nous avons donné une réponse à laquelle nous n'avons aujourd'hui rien à changer: « Force est, faute d'autres éléments, d'admettre qu'en tout cas il ne se serait pas comporté autrement s'il l'avait été50. »

* * *

Il reste à savoir ce que fut, en dépit et peut-être à cause de son engagement de non-ingérence dans la politique du Mexique, ce qu'on peut appeler la « politique mexicaine » de Trotsky. Olivia Gall a reconstitué avec beaucoup de soin les grandes lignes de cette politique, à travers une analyse serrée des textes qu'il a consacrés à la révolution mexicaine51 et des études d'Octavio Fernández, qu'il a longuement discutées avec ce dernier52.

La clé de la nature de la révolution mexicaine est évidemment pour lui l'arriération historique du Mexique. La révolution mexicaine, comme la révolution russe de février 1917, a été une révolution « avortée », mais, à la différence de cette dernière, elle ne s'est pas transformée en révolution socialiste. Trotsky relève ici ce qu'il considère comme la contradiction fondamentale au Mexique : la révolution a triomphé en ce sens que la bourgeoisie a pris partout la place de l'aristocratie féodale cléricale et que la production capitaliste s'est étendue à tous les secteurs. Mais elle a été incapable de mener à bien aucune de ses tâches en liaison avec les intérêts des masses populaires.

Selon lui, les millions de paysans misérables « n'ont pas vu leur situation se résoudre », et la bourgeoisie nationale, malgré ses aspirations nationalistes continue d'être et ne peut pas cesser d'être « un simple appendice de l'impérialisme53 ».

Pour autant, il n'est pas possible de se contenter pour définir le régime cardéniste d'une définition sommaire. Celui-ci n'est ni démocratique ni dictatorial, et il n'est pas non plus « bonapartiste » ou « césariste », selon la définition donnée par Marx ou Gramsci. Pour sa part, Trotsky expose et développe ce qu'il considère comme une nouvelle catégorie de régime dans les pays dominés par l'impérialisme, « le bonapartisme sui generis ».

« Étant donné que, dans les pays arriérés, le rôle principal n'est pas joué par le capitalisme national, mais par le capitalisme étranger, la bourgeoisie du pays occupe du fait de sa position sociale, une position insignifiante et en disproportion avec le développement de l'industrie. Tenant compte que le capital étranger n'importe pas d'ouvriers mais qu'il prolétarise la population indigène, le prolétariat du pays commence bientôt à jouer le rôle le plus important dans la vie du pays. Dans ces conditions, dans la mesure où le gouvernement national essaie de résister au capital étranger, il est obligé de s'appuyer plus ou moins sur le prolétariat54. »

Il explique par ailleurs :

« Le gouvernement louvoie entre le capital étranger et le capital indigène, entre la faible bourgeoisie nationale et le prolétariat relativement puissant. Cela confère au gouvernement un caractère bonapartiste sui generis particulier. Il s'élève pour ainsi dire au-dessus des classes. En réalité, il peut gouverner soit en se faisant l'instrument du capital étranger et en maintenant le prolétariat dans les chaînes d'une dictature policière, soit en manœuvrant avec le prolétariat, en allant même jusqu'à lui faire des concessions et conquérir ainsi la possibilité de jouir d'une certaine liberté à l'égard des capitalistes étrangers55. »

Les grandes conquêtes du gouvernement mexicain de Lázaro Cárdenas appartiennent à la deuxième catégorie : les expropriations des chemins de fer et de l'industrie pétrolière ne sont pas des mesures « socialistes », mais seulement, selon Trotsky, des mesures « hautement progressistes de défense nationale » dans la lutte pour « l'indépendance nationale, politique et économique ». Il compare Cárdenas à Abraham Lincoln et à Washington, qui ont accompli, avant lui, pour leur propre pays, un travail comparable.

Il écrit que le gouvernement Cárdenas est « le seul gouvernement courageux et honnête » de son époque. Il ne s'identifie pas pour autant à lui, bien qu'il souligne :

« Bien que Staline porte le nom de communiste, il fait en réalité une politique réactionnaire ; le gouvernement du Mexique, qui n'est pas communiste, même dans la plus petite mesure, fait une politique progressiste56. »

Les arguments qu'il emploie pour défendre la nationalisation par Cárdenas du pétrole mexicain contre les intérêts de l'impérialisme, le refus du chantage exercé sur le Mexique par les pétroliers qui l'accusent de vouloir vendre son pétrole à Hitler méritent de prendre place parmi les plus belles pages de la lutte anti-impérialiste dans l'entre-deux-guerres, avec celles dans lesquelles il analyse, en Amérique latine, ce qu'il appelle « la politique du poing d'acier » recouverte d'un « gant de velours et de proclamations d'amitié et de démocratie57 ».

Pour lui, la lutte entre « fascisme » et « démocratie » revêt au Mexique un caractère bien précis :

« La démocratie pour le Mexique, par exemple, signifie l'effort d'un pays semi-colonial pour s'arracher d'une dépendance servile, donner la terre aux paysans, élever les Indiens à un niveau plus poussé de civilisation, etc. Les taches démocratiques du Mexique ont un caractère progressiste et révolutionnaire58. »

Le « fascisme », lui, dans les pays latino-américains, est « l'expression de la dépendance la plus servile de l'impérialisme étranger59 ».

L’intérêt de Trotsky, pendant son séjour au Mexique, s'est porté aussi vers les syndicats dont il est l’un des premiers à relever leur tendance à s'intégrer à l'Etat, et ainsi à dégénérer et à perdre leur caractère d’organisation représentative des travailleurs - une dégénérescence que l'on ne peut combattre, selon Trotsky, qu'en luttant pour restaurer la démocratie syndicale. Au cours d'une passionnante discussion avec García Treviño, il se rallie au point de vue de ce dernier sur le caractère progressiste d'une « gestion ouvrière des entreprises nationalisées », dont il perçoit cependant les dangers. Sous la signature de Diego, il fait aussi l'analyse de la politique de Staline au Mexique, faisant des gens du P.C.M. des « cardénistes ou anticardénistes, selon les objectifs de Moscou60 ».

* * *

Trotsky est-il, intervenu dans la vie politique du Mexique au sens où il s’était engagé à ne pas le faire ? Certainement pas.

Il aimait le Mexique, ses ciels, ses volcans, ses ravins et surtout ses couleurs. Il aimait son peuple, les femmes aux fichus, les paysans silencieux et vigilants, les combattants de la révolution qui le prenaient pour un des leurs, l'univers des Fernández. Il aimait ses arbres et ses fleurs, était passionné par ses cactus, par son histoire, par cette civilisation indienne qui ne ressemble à aucune autre. Il estimait ses dirigeants et particulièrement son président, car il appréciait leur attachement aux principes, leur fidélité à l'idéal démocratique révolutionnaire pour lequel ils avaient combattu dans leur jeunesse.

Sa seule intervention fut sans doute de les aider quand ils le lui demandèrent, c’est-à-dire de leur donner son opinion sur la nationalisation des pétroles, puis sur le « plan sexennal » quand il fut élaboré.

Il a été loyal avec un gouvernement et des dirigeants qui l'étaient avec lui. Et il a aimé un pays qui lui a permis de renaître et lui a donné trois années de vie et de lutte.

Références

1 Le travail essentiel est la thèse d'Olivia Gall, Trotsky et la vie politique dans le Mexique de Cárdenas, 2 vol., Grenoble, 1986, qui paraîtra prochainement. On peut espérer aussi la publication des travaux du colloque de mai 1987 à Mexico sur Trotsky comme « révélateur ».

2 Abern à Trotsky, 30 mars 1930, A.H., 60.

3 La Prensa, 20 avril 1956, trad. fr. Cahier Léon Trotsky n° 11, septembre 1982, pp. 63-73.

4 Ibidem, p. 64.

5 O. Gall, t. I, op. cit., pp. 144-146.

6 O. Fernández, op. cit., p. 68.

7 O. Gall, op. cit., I, pp. 23-25.

8 Sedov à S.W.P., 27 novembre 1936, A.H.E.N.

9 Shachtman à Sedov, 23 novembre 1936, A.H.E.N.

10 Van, op. cit., p. 155.

11 Trotsky à Meyer, 17 décembre 1936, Riksarchiv, Oslo.

12 Trotsky à S. Rosendahl, 17 décembre 1936, Riksarchiv.

13 Trotsky, pages de journal, 28 décembre 1936, Œuvres, 12, p. 25.

14 « Au Mexique », pages de journal, ibidem, Œuvres, 12, p. 76.

15 V. Serge, V.M., II, p. 69.

16 O. Gall, Trotsky et la vie politique dans le Mexique de Cárdenas, 2 vol., thèse, Grenoble, 1975. Ici, p. 135.

17 Van, op. cit., p. 165.

18 Témoignage de van Heijenoort.

19 Ibidem.

20 Van, op. cit., p. 166.

21 Témoignage de Mrs Ella G. Wolfe.

22 Léon et Natalia Trotsky, Correspondance 1933-1938, Paris, 1980, pp. 118 sq.

23 Van, op. cit., p. 165.

24 H. Herrera, Frida, p. 212.

25 Ibidem, p. 81.

26 B. D. Wolfe, pp. 257-274.

27 Ibidem, p. 191.

28 Trotsky à Rivera, 9 juin 1933, A.H., 9790.

29 V. Serge, V.M., II, p. 116.

30 Trotsky au S.I., 12 juin 1938, A.H., 8059 ; Œuvres, 18, p. 70.

31 Van, op. cit .. p. 197.

32 Témoignage de J. van Heijenoort à la soutenance de la thèse d'Olivia Gall.

33 O. Gall, op. cit., I, p. 146.

34 Ibidem, I, p. 269.

35 Ibidem, I, pp. 146-147.

36 « Octavio Fernández se souvient », Cahiers Léon Trotsky, n° 26, juin 1986, pp. 61-80.

37 O. Gall, op. cit., I, p. 121.

38 Témoignage de Van et Octavio Fernández.

39 O. Gall, op. cit., I, p. 147 & II, pp. 462-477.

40 Ibidem, pp. 147-148.

41 Ibidem, p. 148.

42 Ibidem, p. 148.

43 Correspondance avec Cárdenas 1935-1938, Archives Múgica.

44 Témoignage de Charlie Curtiss.

45 On a son témoignage d'observatrice attentive dans Alice Gerstel-Rühle, Kein Gedicht für Trotzki : Tagebuchaufzeichnungen aus Mexico, Francfort/M, 1979 .

46 O. Gall, op. cit., II, pp. 353-357.

47 Ibidem, I, 208-243, fait la synthèse des nombreux travaux historiques récents consacrés à Lombardo Toledano.

48 V. Lombardo Toledano, « L'Asile du Mexique », Futuro, janvier 1937.

49 V. Lombardo Toledano, « Trotsky au Mexique », Futuro. septembre 1938.

50 P. Broué, L'Assassinat de Trotsky, p. 71.

51 Voir le chapitre 14 (« Trotsky analyse le Mexique ») de la thèse d'Olivia Gall, pp. 426-451.

52 O. Fernández, « Ce qu'est et où va la Révolution mexicaine », Clave, n° 3/4, novembre/décembre 1939.

53 Cité par O. Gall, op. cit., II, p. 428.

54 « Les syndicats à l'époque impérialiste », février 1941.

55 « Le Mexique et l'impérialisme britannique », 5 juin 1938, A.H., T 4539 ; ici, p. 57. 56.

56 Trotsky, « Lettre ouverte au sénateur Allen », 2 décembre 1938, A.H.,. T 4477 ; Œuvres, 19, p. 212.

57 Cité par O. Gall, op. cit.. II, p. 437.

58 Ibidem, cité p. 438.

59 Ibidem.

60 « Staline et le Mexique », Œuvres. 17, pp. 269-270.

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