1906

congrès de la CGT en octobre 1906 où fût adopté, par 830 voix pour, 8 contre et 1 abstention, la charte d'Amiens.

Source : site Ensemble.


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Congrès d'Amiens sur les rapports entre entre les Syndicats et les Partis politiques

C.G.T.

1906


 

SEANCE DU 11 OCTOBRE (soir)

SEANCE DU 12 OCTOBRE (soir)

SEANCE DU 13 OCTOBRE (matin)

 


SEANCE DU 11 OCTOBRE (soir)

Président : Reisz.
Assesseurs : Robert et la citoyenne Delucheux.

Le Président fait la communication suivante :

Au nom des organisations suivantes : Papeteries d'Essonnes, de Ballancourt ; Relieurs-papetiers de Dijon ; Travailleurs du papier de Clichy ; Reliure-dorure, Paris, Limoges, je dépose l'ordre du jour suivant :

" Etant donné que l'unité la plus parfaite ne règne pas encore dans le syndicalisme français et qu'il serait désastreux pour les syndicats ouvriers de faire de nouveaux conflits au sein de ces organismes, en créant des rapports immédiats avec les partis politiques, quel que soit leur nuance.
" Considérant, d'autre part, que les militants syndicalistes sont en même temps, et pour la plupart des adhérents des partis politiques, socialistes ou autres ; que, par là même il leur est facile de manifester sur ce terrain leurs principes d'émancipation sociale ;
" Considérant, enfin, que la neutralité la plus absolue, qui est la force et la puissance d'action même de chacune de ces organisations, ne saurait être violée sans porter la désagrégation dans ces deux pouvoirs en présence ; par ces motifs, le Congrès passe à l'ordre du jour. "
Delaine.

Reisz donne lecture d'une question préalable qui vient de lui être remise :
Motion préalable

Les soussignés :

" Considérant que la polémique qui s'est produite au sujet de la proposition formulée par la Fédération du Textile : Rapports de la C.G.T. et des partis politiques, a suffisamment éclairé cette question pour qu'il ne soit pas nécessaire de procéder à une discussion au Congrès, et que les syndicats sont en grande majorité réfractaires, non seulement au principe de la proposition, mais encore à toute discussion de ce genre, ne pouvant qu'avoir une répercussion dangereuse dans l'organisation syndicale, en même temps qu'elle créerait un précédent mauvais pour l'avenir.

" Demandent au Congrès de passer à l'ordre du jour sur la proposition du Textile et cela, sans discussion. "
Bled,  Fédération horticole, Jardiniers de Paris, Stucateurs de Paris, Sellerie-bourellerie de Paris et Malletiers ; E. Laval, Epiciers de la Seine ; J.-B. Médard, Gens de maison, Paris et Seine ; Baritaud, Maçonnerie-Pierre, Paris ; Bornet, Fédération des Bûcherons ; Constant.
Bourse d'Orléans ; Tabard, Transports, manœuvres et manutentions diverses ; Lefèvre, Bijoutiers.

Une autre proposition analogue est déposée :

" La Chambre syndicale des Ouvriers Serruriers en Bâtiment du département de la Seine et les organisations soussignées ;
Considérant que la discussion de cette question serait préjudiciable aux intérêts de classe du Prolétariat organisé, Demandent : la question préalable et décident de passer à l'ordre du jour ;
Désirant ainsi que les Congrès corporatifs, véritables assises du travail ne s'occupent, dorénavant, que des questions véritablement économiques et corporatives et repoussant énergiquement toute ingérence et affiliation politique quelconque, qui ne feraient que semer la division parmi les travailleurs ;
Laissant ainsi toute liberté de conception et d'agir en matière politique aux syndiqués, en dehors de leur organisation économique ;
Considérant également que les statuts syndicaux mentionnent tous, ou presque tous, qu'aucune question d'aucune école ne sera traitée dans les organisations syndicales. "

L. Clément, Serruriers de Paris ; Griffon, Pâtissiers de la Seine ; Bruon, Fédération des   Menuisiers   de   Paris ; E. Vénot, Bouchers de Paris, Blanchart, dessinateurs, Tailleurs d'Habits, Boîtiers-Ferblantiers, Métallurgistes de Basse-Indre ; ; Voiture, Vichy ; Terras-siers, Vichy ; Voiture, Paris ; Voiture, Moulins ; Voiture, Bourges ; Tailleurs de pierres de Vichy ; Tramways de Vichy ; Carriers des Grivats, Vichy ; Voitures Lyon ; Bijoutiers, Lyon ; Coupeurs-Chemisiers de Lyon ; Maçons de Vichy ; Bahoneau, d'Angers ; L. Ménard ; Legou-hy, des Litiers de Lyon ; E. Thumon, succursales, Mécanique ; Collet, du Bâtiment de Saint-Brieuc, le Livre et Employés ;  P. Beaupérin, Bourse de Rennes ; H. Gauthier, Bourse de Saint-Nazaire, Métallurgistes de Saint-Nazaire, Dessinateurs, Ouvriers du Port, Ouvriers Charbonniers, Comptables, Employés, Typographes, Inscrits maritimes ; Bouchereau, ouvrier métallurgiste ; Gilliard, des Monteurs-Levageurs, Paris ; Grandsart, Egoutiers de Paris, Cantonniers de Paris, Travailleurs municipaux de Rennes, Personnel des Ecoles de Paris, Personnel non gradé de l'Assistance publique ; Service des baux concédés des Eaux de Paris ; Egoutiers de Lyon ; Chambre syndicale des Chauffeurs-Conducteurs du département de la Seine ; Lefèvre.    

Puis une troisième :

 " Le Congrès, considérant que s'abstenir d'une discussion constitue toujours un mauvais système, favorable à l'équivoque et aux polémiques dangereuses et prolongées ;
Décide d'entendre la proposition du Textile et de passer à la discussion. "
C. Devilar, délégué, Courtiers Paris ; Employés Troyes et Pêzenas.

Bousquet dit que la question est importante. Doit-on accepter la question préalable ? Doit-on discuter ? Au Congrès de l'Alimentation, on a été partisan le l'ordre du jour pur et simple. Un camarade que j'estime beaucoup avait exigé la discussion de cette question. C'est en raison de cela que je suis chargé de discuter la question. Il déclare qu'il discutera avec calme. Il faudra citer des noms ; tâchons de ne pas nous froisser.

Clément dit, qu'aux assises du travail, toute discussion de ce genre doit disparaître de l'ordre du jour. Les journaux bourgeois et autres guettent nos divisions. Ne leur en donnons pas le triste spectacle.
Robert dit qu'il ne prend pas parti pour le moment, il demande un orateur pour et un orateur contre, sur la question préalable.

La clôture est demandée et votée. Trois minutes seront données à chaque orateur inscrit à ce moment.

Bled dit qu'il a déposé la première motion préalable. Tout le monde connaît la question du Textile. On peut donc se prononcer sur la question préalable.

Tabard dit qu'en hésitant à savoir comment on terminerait le Congrès, il ne doit pas y avoir de question politique à ce Congrès. Il faut donc passer à l'ordre du jour. Il ne connaît que l'unification. Il ne faut pas discuter les questions qui divisent.

Lévy dit qu'il se refuse à discuter, au nom de ses mandants, qui ne s'inclineront pas devant le vote.

Marie croit qu'on doit examiner si la proposition n'est pas un acheminement vers la violation des statuts.

Cousteau, au nom de ses mandants, déclare qu'il est impossible de marcher la main dans la main avec n'importe quel parti politique.

Doizié. – Je dis qu'il n'y avait pas lieu de décider ce matin, qu'on discuterait ce soir, si on est décidé à ne pas le faire. En tout cas, il faudra voter par mandat.

Parvy dit qu'il faut respecter les opinions des autres. Il va examiner les arguments apportés pour la question préalable. On n'a oublié qu'une chose : dire que les statuts de la Confédération sont toujours révisables. La question, dit-on, est politique. C'est là une question d'appréciation. Il faut tout voir avec courage, avec sang-froid.

Dret, au nom des Cuirs et Peaux, dit qu'il est contre la proposition. Mais il craint que dans un temps relativement rapproché, on puisse dire que ceux qui sont contre, ont eu peur. Il faut la discuter.

Hamelin dit que personne n'a posé la question préalable. Ce n'est pas sérieux de dire maintenant qu'on ne discutera pas. Le Comité aurait dû ne pas la mettre à l'ordre du jour si elle n'est pas statutaire.

Morgand dit que peut-être les camarades qui sont contre ont peur. Il faut discuter et écouter tous les orateurs.

Delaine dit qu'il ne faut plus qu'on puisse dire qu'on a peur. Tout le monde connaît la question. Il faut la discuter.

Gaillard demande son tour de parole.

Laval dit qu'on s'est plaint, hier, de ce que les rapports n'avaient pas été reçus à temps. Ce n'est pas le cas pour la question. Ici, les mandats sont ferme.

Le Président donne lecture d'un ordre du jour déposé par Broutchoux :

" Le Congrès d'Amiens, considérant que la Fédération du Textile, dans son dernier Congrès national, a déjà porté atteinte à son unité corporative par l'adoption d'une motion établissant des rapports entre le Parti syndicaliste et les partis politiques, déclare passer à la discussion de la proposition du Textile, afin de maintenir l'unité confédérale. "
Broutchoux.

Bieuler demande la discussion.

Morel dit qu'il repousse la discussion.

Thil. – Le Congrès ne doit pas suivre les Conseils municipaux ou généraux où on oppose la question préalable. La question est posée, il faut la discuter.

Luquet. – Il devra sortir de cette question la tranquillité pour l'avenir. La proposition n'a rien de syndical. C'est là une proposition politique. A l'avenir, des propositions semblables ne devront plus trouver leur place dans un Congrès ouvrier.

Sauvage regrette que la question préalable ait été posée. Il voudrait que tout le monde soit d'accord pour discuter afin d'être débarrassé, une fois pour toutes, des questions politiques.

Le Président invite au calme.

Renard dit qu'une émotion a été soulevée à propos de cette question, dans le monde ouvrier. Il remercie le Congrès d'avoir montré qu'il voulait aborder la question et de s'être refusé à l'élaguer de l'ordre du jour.

Quel que soit le résultat, nous ne quitterons pas la Confédération. Nous ne ferons pas comme certains, dans la Voix du Peuple, qui déclarent qu'ils s'en iraient si la proposition était votée. La proposition a pour effet d'empêcher la politique spéciale qui se fait à la Confédération. Quand on fait de l'anti-militarisme, quand on fait de l'anti-patriotisme, quand on prêche l'abstention, on fait de la politique. Nous avons, dans ce cas, le droit d'introduire notre politique spéciale. Cela est très juste. Le syndicat n'est pas autre chose que ce que la loi a voulu qu'il fut : un organe qui doit défendre les salaires, la dignité des travailleurs, les conditions de vie, etc. Le syndicat ne peut pas sortir de sa sphère sans avoir une épée de Damoclés suspendue sur la tête de ses administrateurs.

La loi sur les accidents, la loi sur le repos hebdomadaire, ne sont-elles pas des lois sociales ? Pouget n'a-t-il pas approuvé cette loi qui s'étend aux ouvriers inorganisés. Bousquet a dit qu'elle était réformatrice. Pourquoi alors, repousser la loi pour n'accepter que l'action directe et violente.

Dans le Nord, les syndicats achalandent les coopératives, les coopératives aident le mouvement politique. Je sais que la politique n'a pas donné grand chose, mais pourquoi le reprocher aux camarades qui ont milité pour qu'elle donne quelque chose ? Dans le Nord, les députés sont choisis en raison de leur valeur. La pièce de cent sous, les soulographies, sont impuissantes. Ce sont des militants qui sont sortis des rangs des travailleurs. Ils remplissent leur mandat. C'est  aux travailleurs à prendre leurs précautions. Nous acceptons les subventions, mais nous pouvons nous en passer. Le conseil municipal peut disparaître, les comités sont assez puissants pour que le mouvement ne s'en trouve pas amoindri. Nous avons bâti des maisons qui sont à nous et là, nous sommes chez nous ! Lorsque les gendarmes veulent y pénétrer, nous pouvons les mettre dehors. Nous sommes, dans le Nord, 315 syndicats, 76,000 syndiqués, 12 coopératives fédérées avec 30.000 membres, 300 groupes avec 8.500 cotisants, nous avons de nombreux conseillers municipaux, 8 députés et 105,000 électeurs socialistes. Si partout on savait faire converger ainsi l'action, on obtiendrait de grands résultats. J'ai beaucoup de respect pour les camarades qui sont à la tête des  organisations  modérées. Mais  je suis, moi, collectiviste révolutionnaire. Nous avons, dans nos syndicats, des radicaux, des nationalistes, nous respectons leurs croyances. Mais vous, que faites-vous lorsque vous votez la grève générale expropriatrice ? Vous ne respectez pas les opinions du radical. Pas plus, vous ne respectez les opinions du nationaliste lorsque vous faites de l'anti-patriotisme et de l'anti-militarisme. Ces choses ne peuvent se faire qu'au groupe politique.
Nous faisons de l'anti-militarisme, mais nous divisons le travail.

C'est dans nos groupes politiques que cela se passe. Vous demandez tout, à l'action directe ! Les Anglais l'ont fait pendant trente ans. Là-bas, dans le Textile, les cotisations sont élevées ; les hommes sont syndiqués dans la proportion de 95 % et les femmes dans celle de 75 %. Les fileurs Anglais gagnent des salaires plus élevés qu'en France. Dans le Nord il y a différentes catégories de tisseurs à la main, qui gagnent peu, parce que le groupement y manque. Ce qui n'empêche pas ceux qui sont organisés de gagner des salaires plus élevés que ceux qui n'ont pas de groupement.

Les Anglais ont fini par comprendre qu'à leurs grosses cotisations, les patrons pouvaient répondre par des lock-out. Ce qu'ils firent. Les ouvriers furent empêchés de pratiquer le Picketing, de faire la propagande en faveur de la grève. Les syndicats furent responsables des actes de leurs membres et condamnés à de fortes amendes.
C'est alors que les travailleurs anglais furent obligés de prendre position dans la lutte politique et ils ont pénétré au Parlement afin de faire tourner la législation en faveur de la classe ouvrière.
Sans mêler la politique dans les syndicats, on peut s'occuper des lois ; on en parlait ce matin, à propos du contrat de travail et d'autres projets. C'est la preuve qu'on ne peut pas s'en désintéresser.
Les ouvriers ont ainsi à barrer la route à l'action patronale sur le terrain politique. Le syndicat ne peut pas tout faire. Qu'on y réfléchisse. Si une situation révolutionnaire se produisait aujourd'hui pourriez-vous, avec vos syndicats actuels, avec vos organisations, régler la production, organiser l'échange ? Non, vous seriez obligés de vous servir de la machinerie gouvernementale.
Nous ne demandons pas, de faire de la politique dans les syndicats, nous demandons si vous ne croyez pas utile l'usage du suffrage universel, utiles certaines réformes légales en faveur de la classe ouvrière.
Nous voulons toutes les actions, comme dans le Nord.
Nous vous demandons si vous ne voulez pas prendre à la politique ce qu'elle peut vous donner de bon ?
J'appartiens au P. O. F. depuis vingt-cinq ans. J'estime qu'il a fait quelque chose pour les travailleurs. Nous croyons qu'il faut faire de l'action syndicale, coopérative et se servir de l'action politique.
Je vais vous donner lecture de notre projet de résolution :

" Considérant qu'il y a lieu de ne pas se désintéresser des lois ayant pour but d'établir une législation protectrice du travail qui améliorerait la condition sociale du prolétariat et perfectionnerait ainsi les moyens de lutte contre la classe capitaliste ;
Le Congrès invite les syndiqués à user des moyens qui sont à leur disposition en dehors de l'organisation syndicale afin d'empêcher d'arriver au pouvoir législatif, les adversaires d'une législation sociale protectrice des travailleurs ;
Considérant que des élus du parti socialiste ont toujours proposé et voté les lois ayant pour objectif l'amélioration de la condition de la classe ouvrière ainsi que son affranchissement définitif ;
Que tout en poursuivant l'amélioration et l'affranchissement du prolétariat sur des terrains différents, il y a intérêt à ce que des relations s'établissent entre le Comité confédéral et le Conseil national du Parti socialiste par exemple pour la lutte à mener en faveur de la journée de huit heures, de l'extension du droit syndical aux douaniers, facteurs, instituteurs et autres fonctionnaires de l'Etat ; pour provoquer l'entente entre les nations et leurs gouvernements pour la réduction des heures de travail, l'interdiction du travail de nuit des travailleurs de tout sexe et de tout âge ; pour établir le minimum de salaire, etc., etc.

Le Congrès décide :
Le Comité confédéral est invité à s'entendre toutes les fois que les circonstances l'exigeront, soit par des délégations intermittentes, ou permanentes avec le Conseil national du Parti socialiste pour faire plus facilement triompher ces principales réformes ouvrières.
Mandat est donné aux délégués de la Fédération textile qui la représenteront au Congrès confédéral d'Amiens de soutenir ladite résolution ".

Voilà tout ce que nous demandons. Il faut entretenir un courant de sympathie entre tous ceux qui défendent la classe ouvrière.
Est-ce que Griffuelhes ou autres n'entretiennent pas certaines relations avec des députés socialistes, lorsqu'une interpellation est nécessaire.
Je réponds au citoyen Latapie disant : il faut plutôt nous entendre avec les radicaux-socialistes, car ils sont plus nombreux à la Chambre. Oui, ils sont plus nombreux, pour vous mater !...

Quelques voix. – Et Briand ? Et Millerand.

Renard. – On m'a opposé Millerand. J'appartiens à un parti qui a considéré comme un acte de trahison son entrée dans un ministère.
Briand ? il vous a monté le coup pendant 15 ans ! A vous, mais pas à nous !
Je crois me souvenir qu'à l'enterrement de Louise Michel, cette noble et bonne femme que je vénère, Briand était à côté de vous. Il n'était pas à côté de nous.
Et si Zévaès n'avait pas été adoré par nos camarades de l'Isère vous ne pourriez pas nous l'opposer. Dans le Nord, nous ne baisons pas le paletot de nos députés. Si vous marchiez avec nous, aucune force ne pourrait s'opposer au mouvement ouvrier.

David, Ferrier, de Grenoble, protestent ; ils demandent à répondre à cet acte d'accusation à l'adresse du prolétariat de l'Isère qui a toujours su faire son devoir et remplir ses obligations en toutes occasions.

Renard dit n'avoir pas voulu attaquer les camarades présents de Grenoble.

Ceux-ci maintiennent leur droit de défense.

Renard. – Vous avez parlé personnalités, j'ai répondu. Vous n'êtes pas plus sûrs de vos hommes, dans le mouvement syndical, qu'on ne peut l'être dans le mouvement politique. Et ce n'est pas parce que mon fusil peut péter par la culasse que je ne dois pas m'en servir, car 99 fois sur 100 il partira dans la direction de l'ennemi.
J'ai terminé. Si partout on faisait ce que nous avons fait, il n'y a pas de parti qui pourrait résister à la Confédération unie au Parti socialiste. C'est parce qu'il a donné des garanties, parce qu'il veut la suppression du salariat, parce qu'il va comme vous au même but, que nous vous demandons de vous adresser à lui quand son action peut converger avec l'action syndicale.
Mais, quelle que soit votre résolution, nous resterons à la Confédération.
Nous ne ferons pas comme ces malheureux qui, battus à notre Congrès, ont menacé de faire une scission. Nous avons fondé, avec vous, l'unité ouvrière.
Nous entendons la maintenir avec vous et travailler avec vous à l'émancipation totale du prolétariat.
Le Congrès doit blâmer les tentatives de division qui se sont manifestées avant que la proposition n'ait été examinée.

Dhooghe. – Je serai un peu long parce que Renard a insisté sur la circulaire envoyée après le Congrès de Tourcoing.

Dhooghe lit la circulaire suivante :

Aux Travailleurs de l'Industrie Textile

Camarades,
Les déclarations de vos délégués, d'une part, des polémiques ardentes autant que nombreuses, d'autre part, doivent vous avoir fait réfléchir profondément aux conséquences probables des décisions prises par votre dernier Congrès fédéral. La portée et le caractère de gravité extrême d'une de ces décisions ont dû vous plonger dans une embarrassante perplexité. Nous sommes convaincus qu'il y aura gêne dans vos Syndicats, lorsqu'il faudra dire aux ouvriers sans opinion prononcée, tout aussi bien qu'aux travailleurs radicaux ou libertaires, aux ouvriers syndicalistes désintéressés, que la Fédération du textile va, désormais s'occuper de politique, faire de l'agitation syndicalo-électorale, dépenser le meilleur de ses forces à soutenir tels candidats contre tels autres, et limiter son action dite ouvrière et économique à la transmission au Parti socialiste unifié, des vœux et desiderata de vos organisations.

En décidant de mettre la Fédération en rapports constants avec le Conseil national du P. S. U., soit par le moyen d'une organisation permanente, soit par des délégations temporaires, le Congrès, sous l'instigation du Comité fédéral, a commis une grosse faute. En établissant un système de relations continues entre les Syndicats et un parti politique, cette assemblée de vos délégués proclamait que dorénavant il n'y aura place dans ces syndicats que pour les adhérents ou électeurs de ce parti. Et elle invitait implicitement tous les autres travailleurs à s'en retirer.

Cette faute, source néfaste de discorde et de divisions dans les Syndicats, ne doit pas pouvoir vous être imputée, c'est par erreur qu'on la dit conséquente à votre volonté. Il n'est pas possible en effet, que vous ayez, avant le congrès, discuté la question au fond, et assez sérieusement pour en prévoir une solution dans le sens et dans la forme de celle qui a été voulue à Tourcoing, ni les désordres syndicaux qui peuvent en résulter.
Vous êtes trop sincèrement syndicalistes, trop soucieux de l'autonomie syndicale et de votre liberté d'action, pour avoir laissé sciemment mettre vos syndicats à la remorque d'un parti, et introduire la politique aux dissensions électorales dans vos organisations d'intérêt, politiquement éclectiques. Vous savez trop bien que les travailleurs n'ont toujours obtenu des patrons que ce qu'ils savaient exiger et prendre ; vous savez trop bien que l'ouvrier ne doit compter que sur lui-même s'il veut s'émanciper et vivre mieux, pour avoir voulu annihiler l'action ouvrière spécifique en plaçant vos syndicats et votre devenir à la merci des forbans de la politique.
Vous êtes, cependant, censés vouloir le contraire et on a dit, avant et après le Congrès de Tourcoing, que vous demandiez à tous les syndicats de France de faire ce que vous entendiez faire vous-mêmes : de lier leurs destinées à celle de l'Unité socialiste parlementaire.

On l'a dit avant Tourcoing, nous le répétons. En effet votre Comité fédéral disposant d'éléments de domination et de prérogatives qu'il serait trop long de discuter ici, s'est permis de faire inscrire en votre nom – deux mois avant que vous puissiez le discuter – à l'ordre du jour du Congrès d'Amiens, la fameuse proposition tendant à établir des rapports entre la Confédération et le P. S. U. Sachant qu'ils iraient à Tourcoing, comme à Amiens d'ailleurs, les poches bourrées de mandats, et sûrs de l'appui des gros Syndicats socialistes du Nord – syndicats composés d'ouvriers appartenant à toutes les corporations : textile, bâtiment, mouleurs, débitants, etc., – vos représentants fédéraux s'autorisèrent ipso-facto, selon leur bonne volonté, à considérer comme acquis le vote qui allait mettre la Fédération et les Syndicats textiles sous la dépendance des négriers de la politique, et ils jetaient, toujours en votre nom, le brandon de discorde parmi toutes les organisations du pays.

On l'a dit après Tourcoing. On a crié aux prolétaires de toutes les parties du monde que vous aviez décidé, à la majorité de 45 syndicats contre 23, d'entrer en rapports constants avec le P. S. U. Ce qui n'a pas été montré, c'est la manière dont on s'est servi pour obtenir ce vote. Le cumul des mandats des syndicats sincères mais naïfs, imprudents ou mal renseignés, a permis au Comité fédéral de se forger sa prétendue majorité. Qu'on en juge : Pour les 45 syndicats, Renard avait 12 mandats ; Inghels en avait 9 ; Lepers en avait 4 ; etc. Le vote ainsi obtenu est un vote de surprise qui, à nos yeux, ne peut avoir aucune signification.

Etant donnés les sentiments que nous vous connaissons, il est permis de dire qu'un référendum, organisé sur cette question dans la Fédération, ne donnerait plus aux " divisionnistes " du Nord la majorité anormale dont ils se targuent insolemment aujourd'hui et dont ils ne pourraient ainsi abuser plus longtemps. C'est d'ailleurs par un référendum qu'il eût fallu prendre l'avis des syndicats fédérés sur cette question néfaste de l'introduction de la politique dans leur sein. Puisqu'on ne l'a pas fait avant le congrès de Tourcoing, nous allons, nous, le faire avant celui d'Amiens où il faudra montrer que s'il y a, dans la Fédération textile, des syndicats politiciens, il en reste cependant qui veulent rester " Syndicalistes " et indépendants de toute secte comme de tout parti.

Camarades du Textile,
Au moment où votre Fédération, malgré l'opportunisme de sa direction, allait être à même, par le nombre important de ses organisations adhérentes, de vous rendre quelques services, on dénature son action, on va la prostituer aux marlous politiciens.
Au moment où l'action de la Confédération générale du Travail commence à porter ses fruits, au moment où elle a, en conséquence, le plus besoin d'être soutenue et renforcée, afin que les réformes, qu'elle amène, puissent entrer dans la pratique, on va tenter de la détruire.
Si vous le permettez, si vous laissez faire le Comité exécutif de votre Fédération, c'est désormais une affaire entendue, en toute circonstance et à toute occasion, des politiciens étrangers à votre corporation, et souvent à votre classe, se mêleront à vos affaires ; votre organisation fédérale sera mise en tutelle et marchera dans le sillage – voire sous la direction – du P. S. U. Les travailleurs non unifiés seront placés dans l'obligation d'abandonner votre cause et de déserter vos Syndicats.

Disons-le, ce n'est pas là le but que vous vous êtes assignés en vous organisant corporativement ; ce n'est pas là cette besogne tant promise en faveur de l'union de tous les exploités contre tous les exploiteurs, un:on essentiellement indispensable à l'œuvre d'amélioration de votre sort. Ce n'est pas là faire du syndicalisme, vous le direz, ce n'est pas là ce que vous voulez.
Vous direz cela et dissiperez ainsi le brouillard équivoque dans lequel on voulait vous perdre.
Si vous ne disiez pas que vous êtes pour l'autonomie des syndicats et pour l'indépendance de leur action, ce serait désespérant. Oui, ce serait douter à jamais de toute possibilité de suppression du salariat, de libération de votre classe misérablement asservie, s'il suffisait d'un peu de ruse politicienne pour réussir, en un temps donné, à vous faire dévier un mouvement prolétarien de rénovation sociale, que ni les patrons ultra millionnaires, ni les gouvernants à poigne ou roublards, n'avaient pu canaliser jusque-là.

Mais vous vous direz que " l'Emancipation des Travailleurs ne peut être que l'œuvre des Travailleurs eux-mêmes " et vous ne serez pas victimes du mirage de la politique. Le salut est en vous, vous n'aurez de confiance qu'en vous-mêmes. Vous n'avez pas dans les syndicats, à discuter la question de savoir si les députés de tel parti sont plus aptes que les autres à la défense de vos intérêts. Vous ne voulez laisser le soin de cette défense à d'autres qu'à vous-mêmes.

N'est-ce pas là, Camarades, ce que vous pensez ? Si, n'est-ce pas. Eh bien, dites-le donc bien haut pour qu'on sache bien que vous n'êtes plus les " taillables et corvéables à merci ".
Pour vous, comme pour nous, le syndicat est une organisation de sauvegarde et de libération. C'est le Cercle d'Etudes et le Comité d'action du prolétariat, le centre nerveux du mouvement ouvrier. C'est par l'organisation et la lutte syndicales que nous entendons aller vers la liberté et le bien-être, ce n'est que par là, d'ailleurs, que nous croyons qu'il sera possible d'y arriver.
C'est ce syndicalisme là, celui dont les principes furent posés par la Confédération générale du Travail, que nous voulons défendre contre ceux qui, par la division, voudraient le domestiquer. C'est ce syndicalisme là que nous vous adjurons de ne point trahir.

Il vous appartient, Camarades, de dire le dernier mot dans une affaire qui passionne tous les travailleurs. Il vous appartient de dire comment vous entendez voir mener et mener vous mêmes l'Action syndicale dans le Textile. Si vous consentez à ce que cette action soit liée et fatalement subordonnée aux questions électorales, si vous êtes prêts à faire du syndicalisme en même temps que l'arme de combat des batailles économiques, le bélier puissant dont vous vous serviez pour démolir les dernières bastilles et vous sauver du dernier esclavage : le Salariat.
Nous attendons votre réponse.
Pour le Syndicat,
Le Secrétaire : Ch. Dhooghe.

– Voilà, camarades, ce que nous avons envoyé avec la circulaire que voici.
Je tiens à montrer combien le camarade Pouget a été prudent.
La partie relative à la démission du syndicat de la Fédération n'a pas été insérée dans la Voix du Peuple. Je reconnais l'action syndicale et coopérative, mais je dénie les bienfaits de l'action politique. Il faut remarquer la qualité des intentions des camarades du Nord, pour leur proposition.
Les termes de notre circulaire ne s'adressent à aucun des syndiqués du Nord. Il y a beaucoup de volonté dans la proposition, il n'y a pas de raisons. Il critique l'emploi des 25.000 francs accusés par Renard pour l'action politique. Renard s'est escrimé ici à vouloir unir des choses qui ne le pouvaient pas. L'union ne pourrait servir qu'à avantager exclusivement la politique et à lui subordonner l'action syndicale.

Les résultats obtenus par les camarades dunkerquois l'ont été parce qu'ils furent énergiques dans leurs revendications.
L'action ouvrière est jugée nécessaire, indispensable au prolétariat pour obtenir son émancipation.
Il y aurait danger à établir quelque rapport que ce soit entre la C. G. T. et les partis politiques. Il fait allusion aux paroles de Guesde. Aucun parti n'a été aussi partisan de l'action légale que le parti socialiste. Nous pouvons craindre que notre action soit subordonnée si nous faisions alliance avec vous.
Vous nous dites que vous ne faites pas de politique, mais tout, ce qui ne tend pas à exercer les forces particulières du prolétariat pour la lutte des classes, ne peut que lui être funeste. Pour nous syndicalistes, il faut surtout exercer l'initiative ouvrière.

Nous qui savons les forces dont dispose la bourgeoisie et sachant l'existence du prolétariat dans cette société ; il nous semble qu'il y a un antagonisme irréductible entre ces deux classes. S'il fallait sous prétexte que notre patron est notre ennemi ne pas négocier avec lui nous n'obtiendrions jamais aucun résultats.
Ce qu'il faut surtout discuter ici c'est de l'utilité ou de la non utilité des relations avec l'Etat. Les libertaires ne veulent pas qu'une tierce personne vienne s'occuper de leurs affaires. S'il nous fallait faire une résolution et accepter le concours de l'Etat, nous resterions couchés. Si nous étions en action de révolution il faudrait que le prolétariat n'ait qu'à compter sur lui-même.
Je regrette que nos camarades du Nord ne songent pas à cette éducation ouvrière.

Je ne ferai pas d'exorde ; je ne conclurai pas sans vous dire : Si vous voulez que vos organisations restent des organisations de lutte, vous ne le ferez pas en y introduisant de la politique.
Je demande au Congrès ce que nous ferons, si vous ne serez pas un arbitre entre nous, car nous allons être contraints de quitter la Fédération. Insistez auprès de nos camarades du Textile pour qu'ils fassent servir leur action à l'émancipation économique de nos camarades. A Roubaix, la situation est épouvantable pour la plupart des ouvriers. Faites donc l'accord entre nous.

Tillet dit qu'il vient, au nom de la Fédération de la Céramique, présenter une proposition qui diffère quelque peu de celle du Textile ; mais avant il tient à déclarer, afin de dissiper certaines insinuations qui se sont produites concernant une décision du Congrès de la Céramique, tenu en juillet dernier, repoussant à l'unanimité toute immixtion politique dans les syndicats.
Il est vrai que cette décision a été prise, mais non au sujet de la question du Textile, mais bien au sujet d'un paragraphe que nos camarades céramistes allemands nous proposaient d'insérer dans les statuts internationaux, et qui disait que les Fédérations nationales adhérentes au Secrétariat international devraient respecter et suivre les décisions des Congrès internationaux socialistes.

Tandis que la proposition du Textile n'a été présentée et discutée qu'au sein de la Fédération et organisations y adhérant, où la majorité s'est prononcée pour différer de celle du Textile, la considérant comme prématurée et pas assez comprise dans les masses du prolétariat.
Puis il dit que dans la proposition qu'il présente au nom de la Fédération, il reste bien entendu que toute immixtion politique, quelle qu'elle soit, ne devra pas se produire au sein des organisations, en un mot que les deux organismes devront faire leur action parallèlement l'une de l'autre, sans toutefois se confondre, c'est-à-dire qu'il pourra y avoir entre elles une entente et non unité.

Il donne lecture de la proposition :

Proposition présentée au Congrès par la Fédération nationale de la Céramique sur la question des rapports de la C. G. T. et des partis politiques.

" Le Congrès confédéral d'Amiens :
Considérant que les organisations syndicales poursuivent l'établissement d'une législation qui améliore les conditions de travail et qui perfectionne les moyens de lutte du prolétariat.
Considérant, d'autre part, que si la pression, l'action directe, exercées par les syndicats sur les pouvoirs publics ont une valeur indiscutable, il est au moins aussi vrai qu'elles ne saurait être suffisantes et que l'action menée au sein même des assemblées qui ont pouvoir de légiférer est un complément nécessaire que, seul un parti politique est en état de fournir :
Considérant que le parti socialiste – organisation politique du prolétariat – poursuit la réalisation des revendications syndicales et seconde la classe ouvrière dans les luttes qu'elle soutient contre le patronat ; qu'il est donc le parti qui mène cette action complémentaire ;

Le Congrès se prononce en faveur d'un rapprochement entre la Confédération générale du travail et le parti socialiste. Il décide que chaque fois que les deux organisations seront d'accord sur le but à atteindre, l'action des syndicats pourra se combiner temporairement, par voie de délégation avec celle du parti socialiste, sans que ces deux organismes puissent jamais se confondre.

Le Congrès, malgré son désir d'entente, croit cependant prématurée la réglementation des rapports entre les deux organisations par la création d'un organisme quelconque, et préfère s'en remettre aux événements du soin de préparer celui qui sera le meilleur, parce qu'il sortira des faits eux-mêmes.
D'ailleurs, le Congrès, constatant que dans maintes circonstances et dans de nombreux centres l'entente existe, ou est en voie de réalisation, enregistre avec plaisir cette tendance vers l'harmonie des efforts ; fait des vœux pour qu'elle s'accentue et décide d'attendre pour la création du rouage qui faciliterait les rapports de la Confédération générale du travail avec le parti socialiste, le moment où l'entente entrée définitivement dans les mœurs se sera imposée à tous comme une nécessité évidente.

En attendant, et dans l'espoir que le parti socialiste usera de réprocité, le congrès demande aux militants de mettre fin à des polémiques qui, en divisant les forces ouvrières, en lassant les énergies, servent seulement les intérêts du patronat et du capitalisme. "
Le délégué : J. Tillet.

Bousquet critique la discussion établie par Renard. Il trouve qu'on ne fait pas de politique à la C. G.T.
Renard a parlé des lois ouvrières.
Nous sommes tous nés sous toutes et nous subissons toutes les lois capitalistes.

Je dis avec Dhooghe que nous ne pouvons pas discuter avec le pouvoir législatif. La politique est impossible dans le Syndicat où les camarades viennent par intérêt ou par éducation. Si on y faisait de la politique, les militants seuls y resteraient. Le parti socialiste m'a fait ce que je suis. Guesde disait que tout homme qui est incapable de défendre ses intérêts professionnels est incapable de défendre des intérêts collectifs. Je conteste au parti socialiste de faire une transformation du système économique actuel parce qu'il n'est pas essentiellement un parti de classe comme l'est le parti syndical. Il y a dans ce parti une anti-thèse de classe, parce que chez nous, dans les syndicats rouges, nous n'acceptons que des salariés.
Le parti socialiste comprenant des patrons dans son sein, nous ne pouvons faire alliance avec lui. Rappelez-vous la division qui existait à la Bourse du Travail, dans les diverses écoles socialistes. L'accouplement est prématuré car on risquerait de réveiller des haines qui ne seraient pas profitables qu'à la bourgeoisie, les socialistes auraient à faire une œuvre de salubrité. Renard a encore dit que l'anti-militarisme était une question politique ; mais, dans toutes les grèves, nous trouvons des soldats contre nous. Nous sommes obligés de prendre des décisions contre cet état de fait. Voilà pourquoi la question anti-militariste n'est pas politique, mais économique. Nous ne voulons plus faire de révolution politique (où nous ne faisons que changer de maîtres), mais une révolution économique.

Les syndicats ne doivent pas rester dans la légalité. Le syndicat ne doit pas être une œuvre de conservation sociale, mais une œuvre de destruction capitaliste. Il est nécessaire de sortir de la légalité, car la classe capitaliste met immédiatement ses tribunaux au service de la légalité ; plus un état est corrompu, plus on y fait de lois.

Au début de la C. G. T., les socialistes n'avaient pas tant de sollicitude pour la classe ouvrière. Nous avons le droit de nous méfier : nous sommes une force, on compte avec nous ; nous sommes d'accord et nous ne faisons pas cet accouplement prématuré.

Il termine en lisant l'ordre du jour suivant :

 " Considérant que tous les partis politiques, même le Parti socialiste unifié, ne sont, avant tout, que des groupements d'opinions ayant un but primordial, celui de faire élire des membres au Parlement ;
Que, dans ces groupes d'affinités, la lutte de classe, base fondamentale du syndicalisme révolutionnaire s'y trouve anéantie par le fait que, patrons  millionnaires et prolétaires affamés s'y rencontrent forcément d'accord, parce que, combattant au même plan pour un programme commun ;

Tandis que le syndicat, groupement exclusivement d'intérêts, ne réunit que les éléments d'une même classe en vue d'une transformation économique, primant toute opinion philosophique, et qui supprimera la classe exploitrice et dirigeante ;
Attendu qu'il découle clairement de ces constatations qu'il existe un antagonisme profond qui s'oppose à toute relation, à toute entente réciproque entre le syndicat ouvrier révolutionnaire et le parti politique ;

Le Congrès, vu les articles fondamentaux de la Confédération générale du Travail et la neutralité politique que doit conserver tout syndicat confédéré, se prononce catégoriquement contre tout rapprochement ou rapports, quels qu'ils soient, entre la C. G. T. et un parti politique quelconque. "

Amédée Bousquet, Boulangers de la Seine, Boulangers d'Angers, Boulangers de Grenoble, Boulangers de Corbeil-Essonnes, Meuniers de Corbeil-Essonnes, Meuniers de la Seine, Cuisiniers de Toulouse, Liquoristes de Marseille, Boulangers de Bordeaux ; Antourville.  Encanteurs de Bordeaux, Chocolatiers de Noisel, Charcutiers de la Seine, Dames de  cafés-restaurants.

Niel. – Je déclare, dès le début, que je serai un peu long et je m'en excuse avant le Congrès. Il m'est impossible de dire en peu de temps tout ce que j'ai à dire contre la proposition du Textile, et j'espère que le Congrès voudra bien être assez indulgent pour me supporter jusqu'au bout.

La question que nous discutons en ce moment est certainement la plus importante qui touche au syndicalisme. C'est la question des questions, peut-on dire, puisqu'elle passionne le prolétariat depuis ses premières tentatives d'organisation et qu'elle se pose simultanément dans tous les pays du monde. Elle met à découvert les points les plus délicats de la lutte que le prolétariat est obligé de mener pour s'émanciper, et pose ainsi la question même du syndicalisme sous tous ses aspects.

Il faut se réjouir que cette question ait été posée. Le prolétariat est mûr pour aborder toutes les discussions, même les plus épineuses, et le premier avantage de celle-ci, c'est qu'elle nous aura obligés, les uns et les autres, à préciser la doctrine syndicale, peut-être même à créer la doctrine syndicale, jusqu'ici plus virtuellement consentie que réellement pratiquée.
Cette question n'est pas nouvelle. Elle est née, pour ainsi dire, avec le manifeste communiste d'Engels et Karl Marx, publié en 1848. Ce manifeste proclame la nécessité de la lutte politique, et c'est cette opinion que la lutte politique est supérieure à tous les autres moyens d'action, que nous retrouvons dans toute l'histoire du marxisme ou dans toute la vie du guesdisme qui prétend la continuer.

Dans les statuts de l'Internationale, rédigés sous la dictée, pour ainsi dire, de Marx, en 1865, à Londres, il est dit que les travailleurs doivent se servir de l'action politique. Bakounine et sa fraction combattent ces statuts et leur esprit politique, et cela amène dans l'Internationale tellement de conflits, que cette merveilleuse association en meurt. De 1876 à 1886, les Congrès ouvriers sont exclusivement politiques, c'est le triomphe du guesdisme. De 1886 à 1895, les syndicats s'étant multipliés et fédérés, tiennent des Congrès économiques ; mais leur esprit, grâce aux guesdistes qui veulent absolument subordonner l'action syndicale à l'action électorale, est surtout politique. Ceci amène une nouvelle scission, à Nantes, en 1894. En 1896, se tient à Londres le Congrès historique où furent aux prises les politiciens et les syndicalistes. On se rappelle avec quel dédain Guesde lui-même traitait les syndicats à ce Congrès, quand il disait :

" Pour faire un syndicat ? Peuh ! C'est pas difficile : il suffit d'acheter un timbre en caoutchouc de 25 sous ! "
Enfin, aujourd'hui, en 1906, la même question revient, posée encore par un guesdiste. Si j'avais eu quelques doutes sur les intentions de Renard, la persistance et l'obstination avec lesquelles les guesdistes ont toujours essayé de subordonner l'action syndicale, me convaincraient suffisamment. Mais aujourd'hui, le syndicalisme est plus fort que jamais. Il peut subir sans crainte ce nouvel assaut, comme aussi il est obligé d'indiquer de quelle façon il entend vivre en dehors et à côté des partis politiques.

Une voix. – II n'y a plus de parti guesdiste.

Niel. – C'est possible, mais il y a encore des guesdistes, et c'est sans la moindre haine, sans le moindre sentiment de mépris à leur égard, que j'expose ce qui a été toujours leur tactique en matière d'action ouvrière.

Du reste, comment pourrais-je en vouloir à ceux qui ne pensent pas ou qui n'agissent pas comme moi ? Qui peut dire qu'il n'y a qu'un moyen d'émancipation, et qui peut dire quel est celui-là ? Je dis même mieux :  n'y aurait-il, théoriquement, qu'un seul moyen efficace, que je vous mets au défi de l'employer tous. La vie n'est pas faite d'uniformité, mais de variété à l'infini. Il y a autant de tempéraments, d'aptitudes et de goûts, presque, qu'il y a d'individus sur la terre. Et vous voudriez que tous ces différents hommes agissent de la même façon ?

Non, il peut y avoir, il y a plusieurs moyens d'émancipation. Le syndicalisme en est un comme un autre, meilleur que d'autres, certainement, qui peut même se produire sans le concours des autres, mais qui n'exclut pas les autres.
Pour discuter, ici, impartialement cette question, il est indispensable que, pour un instant, nous nous dépouillions, autant que possible, de nos passions politiques. Rien n'est plus difficile que de parler de cela entre militants, parce que les militants ont une tendance naturelle à obéir à leurs passions politiques, plutôt qu'à la froide raison. Ensuite, il faut nous transporter par la pensée au sein même de nos organisations, où nous verrons que si nous sommes parvenus nous-mêmes au point d'arrivée du syndicalisme, beaucoup de nos collègues ne sont encore qu'au point de départ, et cela nous inspirera d'utiles réflexions sur les dangers que nous ferions courir au syndicalisme en voulant le confondre avec le parti qui inspire nos diverses passions politiques.

D'abord, qu'est-ce que le syndicalisme ?
On peut dire que le syndicalisme est une forme d'action employée par des malades contre le mal – plus exactement par les ouvriers contre les patrons. – Le mal, c'est les patrons, c'est-à-dire le patronat, le capitalisme et tout ce qui en découle. Les malades, ce sont les ouvriers. Or, comme on est ouvrier avant d'être citoyen, on trouve chez le salarié l'individu économique avant l'individu politique. Ce qui fait que si sur le terrain politique tous les citoyens politiques ne se ressemblent pas encore, sur le terrain économique tous les ouvriers se ressemblent déjà. Et cela explique que si l'union de tous les citoyens est encore très difficile, l'association de tous les ouvriers est très possible.

Je m'excuse d'avoir l'air de faire un cours de syndicalisme à des militants qui en savent tous autant que moi. Mais l'occasion est trop belle pour que chacun ici, n'essaie pas de faire comprendre de quelle façon il conçoit le syndicalisme, avec sa forme particulière et ses arguments particuliers.
Le mal dont souffrent tous ces malades, c'est l'injustice sociale qui découle de l'exploitation de l'homme par l'homme, base du régime capitaliste. Ce mal frappe tous les ouvriers d'une façon égale.

Quand un patron veut diminuer les salaires à ses ouvriers, il ne les diminue pas d'un sou à ses ouvriers réactionnaires, de deux sous aux républicains, de trois sous aux socialistes, de quatre sous aux anarchistes, de cinq sous aux croyants, de six sous aux athées, etc. Il les diminue d'une façon égale à tous ses ouvriers, quelles que soient leurs opinions politiques ou religieuses, et c'est cette égalité dans le mal qui les atteint, qui leur fait un devoir de se solidariser sur un terrain où les différences politiques ou religieuses ne les empêcheront pas de se rencontrer. Ce terrain, c'est tout simplement le syndicalisme, puisque aussi bien le syndicalisme a pour objet de s'occuper de la question des salaires.

Une fois réunis sur ce terrain de neutralité absolue, les ouvriers lutteront ensemble pour résister à une baisse des salaires ou pour en obtenir une hausse ; pour résister à toute augmentation de la journée de travail ou pour en obtenir une diminution ; pour faire obtenir des règlements d'atelier ou des conditions de travail donnant plus de bien-être et plus de liberté ; pour faire respecter leur dignité toujours menacée par l'arrogance de ceux qui ont un coffre-fort dans la tête à la place du cerveau. Enfin, comme cette lutte leur permettra de voir bientôt l'antagonisme irréductible qui sépare les exploiteurs des exploités, l'impossibilité d'en finir jamais si ça ne change pas, ils orienteront leurs luttes vers une transformation sociale, ce qui leur permettra de mettre dans leurs statuts généraux : " Suppression du salariat et du patronat ".

L'action syndicale est donc celle qui s'exerce sur le terrain économique, par tous les ouvriers, contre le mal économique. Ce n'est pas autre chose que l'action directe sous toutes ses formes et tous ses caractères de calme ou de bruit ; de modération ou de violence ; c'est la pure lutte de classes. Et maintenant, qu'est-ce que l'action politique ?

L'action politique, c'est celle qui est inspirée par les préoccupations morales des citoyens, qui voudraient établir entre les hommes des relations sociales conformes à leurs désirs.

Elle est exercée par ceux qui croient que les rapports entre les hommes ne pourront jamais être réglés sans l'Etat ; par ceux qui croient que les réformes ne peuvent venir que de la loi ; par ceux qui affirment l'impossibilité de transformer la société sans faire la conquête des pouvoirs publics ; par ceux qui veulent aider leur action économique par l'action de la loi ; enfin, même par ceux qui cherchent dans une lutte contre tous les Etats, la solution à tous les problèmes de la sociologie.

Cette forme d'action n'oppose pas nécessairement toujours les hommes des classes différentes. Les groupements qui en découlent sont des groupements d'affinités, beaucoup plus que des groupements d'intérêt social immédiat.
C'est ainsi que, sur ce terrain, il peut y avoir des patrons avec des ouvriers, des bourgeois avec des socialistes, des millionnaires avec des pauvres, des riches avec des anarchistes.

Considérée, donc, de ce côté, l'action des ouvriers peut se morceler en autant de fractions qu'il y a de conceptions politiques, car si l'accord est facile entre eux sur la nécessité de se grouper  tous contre le mal patronal qui les frappe présentement, il  est beaucoup plus difficile sur la nécessité d'une transformation sociale.
Voilà les deux actions avec leur caractère particulier et leurs différences.

Peut-on les associer et contracter entre elles une alliance ?
Ici se pose le point culminant du débat.
La conscience politique du prolétariat, quel que soit le degré de son développement et de sa clarté, est antérieure à sa conscience économique. La confiance des ouvriers en les moyens politiques est plus ancienne, et encore aujourd'hui plus étendue – plus étendue quant au nombre – que leur confiance en les moyens économiques. Si, quand le syndicalisme est né dans sa forme et son esprit actuels, il avait trouvé une classe ouvrière unanimement d'accord sur la forme politique de son action, la question serait vite tranchée. Le syndicalisme pourrait contracter l'alliance avec cette forme politique commune à tous les travailleurs, et il n'y aurait alors aucun danger de division ou de scission.

Mais quand notre syndicalisme est venu au monde, il a trouvé la classe ouvrière déjà éparpillée dans divers courants politiques, et ce qui rend son action délicate, ce qui constitue le propre de son caractère particulier, c'est qu'il a à opérer son œuvre au milieu de tous ces ouvriers essaimés dans tant de milieux politiques différents.

Si donc vous alliez le syndicalisme à un courant politique quelconque, étant donnée l'extrême susceptibilité des passions politiques, vous écartez, par là même tous les ouvriers des autres courants politiques, et le syndicalisme manque totalement son but.
D'ailleurs, avec quel courant politique faut-il faire l'alliance ? Avec celui dont l'idéal est le même que l'idéal syndical, nous répondent les socialistes du Textile. Et c'est cette communauté d'idéal, ajoutent-ils, qui implique la communauté d'action et l'entente organisée.

La communauté d'idéal existe, sans doute, entre les syndicalistes parvenus au point d'arrivée, dont l'éducation sociale est à peu près complète, c'est-à-dire entre les militants du syndicalisme et le socialisme. Mais nous savons tous que cette communauté d'idéal n'est pas partagée encore par de nombreux syndiqués et ce sont ceux-là qui m'intéressent et que je serais désolé de voir sortir de nos organisations, car j'ai la conviction que si nous savons les y maintenir par une sage neutralité politique dans notre attitude, avant peu de temps ils aboutiront à notre but et partageront notre idéal.

Mais, du reste, il n'y a pas, en politique, que les socialistes qui partagent notre idéal. Il y a aussi les anarchistes. Et que diraient les socialistes si l'on venait proposer, aujourd'hui, une alliance du syndicalisme avec l'anarchisme ?

Coupat  – Elle est déjà faite, celle-là, citoyen Niel.

Niel. – Si elle est faite, je le déplore ; et tous mes efforts n'auront pas d'autre objet que de la défaire.
Il y a aussi des Universités populaires qui orientent leur éducation vers notre but. Il y a enfin un coopératisme qui poursuit le même but que le syndicalisme. Pourquoi ferait-on l'alliance avec les socialistes parlementaires seuls plutôt qu'avec les autres.

Je sais bien qu'il y a certains socialistes qui verraient aussi d'un bon œil un accord entre la Confédération et la Bourse des coopératives. Il y en a même qui, à l'instar des Belges - et le Nord n'est-il pas limitrophe de la Belgique ? – affirment que l'action du travailleur doit s'exercer simultanément dans le syndicat, dans le groupe politique socialiste et dans la coopérative à base politique. C'est l'opinion du citoyen Jégou qui, dans une assemblée de la Bourse des coopératives socialistes, disait que l'on ne ferait rien tant que ces trois actions ne seraient pas officiellement associées, et qui disait qu'il porterait cette question au Congrès socialiste de Limoges.

J'en profite, camarades, pour vous mettre en garde contre la proposition d'entente avec la Bourse des coopératives socialistes, proposition portée à notre propre Congrès et qui est de nature, il me semble, à éveiller quelques soupçons.
Il semble qu'il y a là un moyen indirect de faire au syndicalisme la déviation qu'il sera impossible de lui faire faire avec le parti socialiste.

Ces mêmes camarades ajoutent : " Le socialisme est un arbre dont les fruits s'appellent : syndicalisme, groupe politique et coopérative. " II résulterait de cela qu'on ne pourrait être ni syndiqué, ni coopérateur, sans avoir déjà une claire conscience socialiste. Je crois que l'image serait beaucoup plus exacte renversée : le socialisme est le fruit d'une bonne éducation préalable dans le syndicat, dans la coopérative et dans le groupe d'opinion. Mais le jour me paraît encore loin où nous pourrons manger ce fruit.

Renard. – Dans le Nord, cela est déjà fait.

Niel. – Et puis, je pose cette question à Renard : Pourquoi voulez-vous faire l'alliance et non la fusion ? Si l'alliance est possible, la fusion complète l'est aussi. En effet, l'alliance n'est possible, nous l'avons vu, qu'à la condition que tous les travailleurs, ou tous les syndiqués, soient socialistes. Si tous les travailleurs sont socialistes, voulez-vous me dire à quoi serviraient, l'un à côté de l'autre, deux groupements ayant mêmes éléments, même caractère, même esprit ? Il n'y a qu'à les fondre l'un dans l'autre et n'en faire qu'un. Ce sera bien plus simple.

Or, vous n'osez pas demander la fusion, parce que vous la sentez impossible. Pour les mêmes raisons, j'affirme que l'alliance est aussi impossible. Vous reconnaissez vous-même que tous les syndiqués ne sont pas encore socialistes, et que les deux actions distinctes sont utiles. Dans l'intérêt de votre thèse, l'alliance n'est pas plus possible que la fusion, parce qu'elle chasserait de bons éléments des syndicats, et l'action syndicale en serait fortement anémiée. Au contraire, n'y a-t-il pas intérêt socialiste, et même révolutionnaire ou anarchiste, à ce que le syndicat puisse recueillir dans son sein le plus grand nombre possible d'ouvriers ?

L'alliance est donc impossible avec le courant socialiste, comme avec tout autre courant politique.
Mais si l'on ne peut pas créer l'état d'alliance avec le parti socialiste, doit-on créer ou entretenir à son égard l'état de guerre ?
Ce n'est pas un secret pour personne qu'il y a guerre, actuellement, entre les deux éléments syndicalistes les plus militants : socialistes et anarchistes. S'il en fallait une preuve nouvelle à toutes celles que je vais donner, on la trouverait dans certaines attitudes et dans certaines paroles de ce Congrès même.

Quand nous nous tournons du côté des anarchistes, on nous dit : " Ce sont les socialistes qui ont commencé ! " Et quand nous nous tournons du côté des socialistes, on nous répond : " Ce sont les anarchistes qui ont commencé ! "
Qui a commencé exactement ? Je n'en sais rien ; et bien malin serait celui qui le pourrait dire. Cette question, c'est l'éternel casse-tête philosophique de la poule et de l'œuf. Est-ce la poule qui a fait l'oeuf ? Est-ce l'œuf qui a fait la poule ? Je ne me charge pas de le débrouiller.

Il me suffit de constater que l'état de guerre est un fait, pour affirmer que ce serait un crime ouvrier de le continuer ; ne pouvant déterminer qui l'a déclarée le premier, il faut absolument, dans l'intérêt supérieur du syndicalisme, que les deux adversaires déposent les armes en même temps.

Les anarchistes entretiennent l'état de guerre, quand ils font de la propagande abstentionniste dans les syndicats. Cette propagande abstentionniste est tellement considérée par les libertaires comme l'exercice d'une opinion politique, que l'un d'eux, ici présent, et non des moins sympathiques, le camarade Monatte, disait hier qu'on avait tort de leur reprocher d'être allé faire de la politique anarchiste dans le Nord, " puisqu'ils n'y étaient pas allés faire de la propagande anti-électorale ".

Ils expliquent le droit de faire cette propagande abstentionniste en disant que leur politique est de principe pur et non de personnes. Que diraient-ils si, en période électorale, et sans s'occuper le moins du monde des candidats, les socialistes, ou les républicains, ou les réactionnaires qu'il peut y avoir dans les syndicats, proposaient au syndicat une simple discussion de principe des divers programmes politiques ?

Les anarchistes entretiennent encore la guerre, quand ils décident ou proposent, avant même de savoir quelle conduite ils tiendront, que tous les syndiqués ayant un mandat politique quelconque, seront exclus de tous les postes de confiance dans le syndicat. Je connais pourtant certains ouvriers, conseillers municipaux, qui font d'excellents fonctionnaires syndicaux. Et ce n'est pas parce que Basly aura eu une attitude dans le syndicalisme minier, qu'il faut jeter l'anathème sur tous ceux de nos camarades ouvriers qui auront un mandat politique. " C'est une mesure préventive ", disent les libertaires, sans se douter peut-être, de tout ce qu'il y a de contradictoire dans ces paroles, pour des hommes qui se plaignent toujours – avec raison – des mesures préventives que les gouvernements prennent souvent contre eux...

La guerre est aussi entretenue par les libertaires, quand ils lancent l'épithète de " politiciens ! " à tout propos, comme la suprême flétrissure à l'adresse de camarades qui ont encore une foi sincère en la politique.

Un délégué. – A vous entendre, on dirait qu'il n'y a que les anarchistes qui soient coupables de tous les méfaits.

Niel. – N'ayez pas peur, le tour des   socialistes va venir !

Le Président. – N'interrompez pas l'orateur, si vous voulez qu'il puisse distribuer aussi aux socialistes leur volée de bois vert.

Niel. – Enfin, les anarchistes entretiennent la guerre, quand ils insultent tous les élus politiques, après s'être servis d'eux pour obtenir des subventions ou des faveurs pour eux ou leurs amis.

Ces camarades prétendent justifier leur attitude en disant que le syndicalisme suffit à tout, et que puisqu'ils consacrent eux-mêmes toute leur activité au syndicalisme, les autres n'ont qu'à faire comme eux et envoyer toute leur politique à la balançoire.

Il serait bon, pourtant, qu'ils se missent d'accord entre eux. L'un d'eux, après avoir narré un fait-divers quelconque, écrivait dans un des derniers numéros du Libertaire : " Ce qui prouve, une fois de plus, que " l'éducation économique " que donnent les syndicalistes ne saurait suffire à préparer des hommes nouveaux, totalement libérés des préjugés sociaux soigneusement entretenus par l'Etat, l'Eglise et l'Ecole dans les cerveaux des malheureux. "

Ce libertaire affirme donc que le syndicalisme ne saurait suffire et que le travailleur doit compléter son éducation ailleurs. Mais alors, chacun doit être libre de compléter son éducation dans le groupe socialiste, le groupe libertaire ou ailleurs. Dans sa misère sociale, l'ouvrier est pris par le ventre, par le cœur et par l'esprit. Que le syndicalisme ait pour principal et plus immédiat objet de lui permettre de se défendre contre la misère du ventre – la plus sensible de toutes – c'est entendu. Mais on ne doit rien reprocher à celui qui cherche à se garantir ailleurs contre les misères du cœur ou de l'esprit.
Mais les socialistes aussi entretiennent la guerre.

Ils l'entretiennent quand ils perpétuent l'œuvre de division de leurs devanciers, en tentant par tous les moyens de noyer le syndicalisme dans leur politique particulière. Ils ne peuvent pas dire qu'ils ne sont pas conscients de la gravité de leur acte, eux qui savent que tous les syndiqués ne sont pas socialistes.

Ils l'entretiennent aussi, quand ils ont l'hypocrisie et la canaillerie de mettre dans leurs propositions d'alliance un alinéa disant que si l'alliance n'est pas possible par en haut, avec la Confédération, les groupes socialistes locaux, les fédérations socialistes départementales, devront user de tous les moyens pour contracter alliance soit avec des syndicats, soit avec les Bourses du Travail soit avec les Fédérations professionnelles. Ainsi, l'œuvre de désorganisation qu'on n'aura pas pu faire par en haut, en haine parfois du syndicalisme qui éclipse quelques vedettes socialistes, on la fera par en bas, en minant souterrainement l'édifice syndical.
Les socialistes entretiennent encore la guerre quand ils insultent à jet continu les militants de la Confédération, en les traitant de " repris de justice ", "  professionnels du cambriolage ". etc., etc.

Une voix. – Les socialistes ne peuvent pas être responsables des fautes d'un seul.

Niel. – C'est entendu. Mais pourquoi les Basly, les Lamendin, et tous les militants du parti ont-ils laissé, sans protester, se produire de telles insultes lancées par un membre de leur parti contre des militants syndicalistes ? Le parti socialiste tout entier aurait dû se lever, au nom des principes syndicalistes qu'il défend, et protester le premier contre de pareilles insultes à l'égard de militants syndicalistes.

Enfin, les socialistes entretiennent la guerre quand, je ne dirai pas par mépris, mais par antipathie chronique, ils essaient de diminuer la valeur sociale de l'action syndicale, qui ne serait qu'une vulgaire œuvre de réforme, par rapport à celle de l'action politique qui, elle, serait une belle œuvre de révolution.
Je ne veux pas animer cette querelle de savoir laquelle de ces deux actions est la supérieure. Je constate seulement que les syndicats sont une des plus précieuses sources qui alimentent et fertilisent tous les partis révolutionnaires, que cette fonction les place à un poste d'honneur, et cela me suffit.

Mais je dois dire que,  considérées dans leur œuvre immédiate,  ces deux actions sont toutes deux réformistes, et considérées dans leur but, elles sont toutes  deux  révolutionnaires.
Voilà l'état de guerre et voilà ce qu'il est urgent de faire cesser. Si on fait l'alliance avec le parti socialiste, ou bien c'est la scission à bref délai, ou bien c'est provoquer les anarchistes à tel point qu'ils auront raison alors de faire leur politique anarchiste dans les syndicats.

Si les anarchistes continuent leur guerre, c'est encore la division à brève échéance, ou bien c'est provoquer les socialistes à un tel point qu'ils auront raison, alors, de faire leur politique socialiste dans les syndicats. Dans un cas, comme dans l'autre, c'est la mort du syndicalisme.
Si les militants sont bien pénétrés de leur rôle et de leurs intérêts, ils établiront une solide neutralité politique, en mettant une sourdine à leurs passions politiques dans les syndicats, surtout maintenant qu'ils savent que cette neutralité doit faire sûrement des adeptes nouveaux à leur opinions sociales.

Comment ! Nous aurions le moyen de faire avec le syndicalisme ce qu'on n'a jamais pu faire sans lui : grouper tous les ouvriers sur un terrain qui les oblige à réfléchir sur l'iniquité sociale et les conduit à nos conclusions, et nous briserions bêtement ce moyen par nos entêtements politiques ? Qui voudrai assumer une telle responsabilité ?
Si l'on ne peut faire ni alliance, ni guerre, que faut-il faire, alors ?
Il faut conserver le statu quo, en lui insufflant un esprit nouveau.

L'esprit nouveau, c'est la reconnaissance publique, revêtue de l'autorité morale d'un Congrès aussi important que le nôtre, que, quelle que soit la différence de leurs opinons politiques, les syndiqués – et à plus forte raison les militants – ne doivent ni se mépriser, ni s'injurier, ni se combattre. L'esprit nouveau, c'est conserver des relations de respect et de cordialité à l'égard les uns des autres, c'est envelopper le syndicalisme d'une atmosphère de sympathie réciproque, et reconnaître que toute autre serait irrespirable. L'esprit nouveau, c'est comprendre que le problème social est le plus complexe des problèmes, et qu'il peut y avoir, à côté du syndicalisme, d'autres actions qui concourent aussi plus ou moins à la solution de ce problème.

L'unité de tactique et de pensée est encore loin d'être réalisée. Il y a des courants nombreux, des divergences nombreuses partout : en politique, en religion, en socialisme, en anarchisme, en coopératisme, en syndicalisme. Cette variété est l'image même de la vie. Aucun homme, aucun groupe, ne peut tout faire. Que chacun œuvre selon son tempérament, dans le milieu qu'il lui plaît.

La division du travail, après tout, est la méthode la plus scientifique et la plus fructueuse.
Il devient tellement évident que l'on peut tirer quelque chose de bon, même des lois, que des libertaires eux-mêmes commencent de le reconnaître, comme l'a fait Pouget dans la Voix du Peuple, à propos du repos hebdomadaire.
Quand cet esprit nous aura suffisamment pénétrés, quand cette atmosphère sera suffisamment répandue, les accords accidentels, nécessités par des circonstances exceptionnelles, se feront mieux que s'ils étaient prescrits par des règlements ou par des décisions de Congrès.

Le syndicalisme ainsi compris, sera la plus haute école d'éducation révolutionnaire du prolétariat.
Nous ne tarderons pas, alors, à recueillir les fruits de nos concessions réciproques sous forme d'adhésions nouvelles, de craintes plus grandes inspirées à nos dirigeants et à nos patrons, de résultats partiels plus rapides et plus nombreux, toutes choses, on en conviendra, de nature à précipiter les événements et à hâter l'avènement du monde nouveau que nous entrevoyons déjà dans nos rêves de suprême justice...

Le Président demande qu'on envoie des noms pour le bureau du lendemain après-midi, la matinée étant consacrée aux réunions des Commissions nommées par le Congrès.

Sont nommés ;
Président : Niel
Assesseurs : Cousteaux et Perraud

 


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