1915

Sources : Rapport d’activité dans le Compte-rendu du Congrès de 1918 (http://gallica.bnf.fr/) et Rosmer : Le mouvement ouvrier pendant la guerre (1936), p. 351-354.

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Conférence nationale de la C.G.T.

C.G.T.

15 août 1915


Motion Merrheim et Bourderon

La Conférence nationale des organisations syndicales françaises : Bourses du travail, Union départementales de syndicats, Fédérations nationales corporatives et d’industries, tenue à Paris le 15 août 1915 :

Affirme qu’il est du devoir, après un an de carnage le plus épouvantable et le plus atroce que les hommes aient connu, de déterminer nettement l’action présente et future des organisations syndicales française vis-à-vis de la guerre et de ses conséquences.

La Conférence déclare :

Cette guerre n’est pas notre guerre !

Guerre de races : Latins contre Germains et Germains contre Slaves ! clament d’aucuns. La Conférence s’élève contre une telle affirmation. Elle la condamne de toute son énergie comme criminelle et néfaste au développement et à l’unité morale et matérielle de l’Internationale ouvrière.

On prétend que cette guerre est faite pour libérer les nations opprimées ; mais, chaque gouvernement, comme ceux qui oppriment leur pensée, prétend apporter aux peuples opprimés antérieurement à la guerre la libération définitive.

C’est contre cette prétention que s’élève la conférence. Elle estime que les Etats belligérants, par cela même qu’ils représentent la société capitaliste, sont impuissants à résoudre ce problème.

Elle rappelle que, conformément aux traditions et aux principes syndicalistes, seule la « lutte des classes », par la victoire du prolétariat, dans chacun des pays opprimés, pourra apporter aux peuples soumis à l’exploitation économique du patronat moderne une libération qui ne sera pas une duperie.

Tandis que la guerre ne peut qu’asservir davantage les travailleurs, surexciter les haines internationales, rendre illusoires leurs espérances les plus humaines et les plus nobles, au plus grand profit du capitalisme et que, pendant que les masses laborieuses se saignent et périssent, pendant que la petite propriété se voit condamner à la ruine, la bourgeoisie capitaliste, dans tous les domaines, profite de la guerre pour accumuler les richesses par la spéculation.

C’est pourquoi la Conférence répète :

Cette guerre n’est pas notre guerre !

Loin d’être exclusivement, comme on ne cesse de nous le clamer, la guerre de l’impérialisme germanique contre l’Europe, elle n’est que le résultat du choc de tous les impérialismes nationaux qui ont intoxiqué tous les Etats, grands et petits, et qui ont pris naissance dans les ambitions démesurées, essentiellement égoïstes, des classes dirigeantes.

Devant le gouffre effroyable ouvert par la guerre, tous les gouvernements en rejettent les uns sur les autres la responsabilité immédiate. Mais, s’il apparaît présentement que c’est l’Autriche et l’Allemagne qui sont les agresseurs immédiats, tant recherchés, la Conférence ne peut oublier que la guerre est l’aboutissant des conflits politico-économiques, qui mûrissaient depuis longtemps au sein de la société capitaliste et dont chaque Etat belligérant a sa part écrasante de responsabilité directe : la France, en se lançant dans l’aventure marocaine ; l’Italie, en faisant la conquête de la Tripolitaine ; l’Autriche-Hongrie, en se jetant sur les marchés balkaniques ; la Russie, en poursuivant son rêve séculaire de conquête de Constantinople ; l’Allemagne et l’Angleterre, par leur permanent conflit industriel et commercial :

« Tantôt sourd, tantôt aigu, toujours prodfond et redoutable », ainsi que le dénonçait éloquemment Jaurès à l’Europe ouvrière le 18 novembre 1909.

La Conférence est convaincue que l’histoire démontrera, un jour prochain, que toutes les convoitises de ces nations n’avaient qu’un objectif : satisfaire les appétits de chacun de leur impérialisme national respectif.

Elle dira que les deux dernières guerres balkaniques furent les conséquences de cette politique de convoitise, et pourquoi, à la conclusion de ces guerres, la Conférence des Ambassadeurs de la Triple Entente et de la Triple Alliance, réunie à Londres, n’a pu trouver les bases d’un accord qui aurait été la garantie certaine de la paix européenne.

Politique criminelle, reconnue et avouée le 30 juillet 1914 – quand il était trop tard – par le ministre des Affaires étrangères anglais, Sir Edward Grey, écrivant à son ambassadeur, Sir E. Goschen :

« Si la paix de l’Europe ne peut être maintenue, et la crise actuelle évitée, mes propres efforts tendront à combiner quelque arrangement auquel l’Allemagne puisse participer et au moyen duquel elle ait la garantie que nulle politique agressive ou hostile sera poursuivie contre elle ou ses alliés, par la France, la Russie et par nous-même, de concert ou séparément. »

La Conférence enregistre ces paroles de Sir E. Grey et en tire la conclusion que, si l’on avait voulu sincèrement, un pacte entre les Etats belligérants était possible et la guerre évitée.

C’est donc, indéniablement, par la faute de tous les gouvernements que, depuis plus d’un an, le sang des travailleurs coule à torrents. Sur les fronts multiples, où le fléau exerce ses ravages, quatre millions de cadavres sont couchés et encore plus de blessés, d’estropiés, de mutilés. Partout des ruines s’amoncellent sur des ruines. Partout des foyers dévastés, des veuves et des orphelins en nombre incalculable s’augmentant effroyablement chaque jour. Tout atteste l’horreur de cette conflagration dans laquelle chacun des camps belligérants s’efforce d’y faire entrer d’autres nations.

Jamais aucune conquête, aucun butin, aucune victoire, aucune contribution de guerre ne pourra compenser toutes ces souffrances morales et matérielles, ni réparer les destructions, les pertes incommensurables déjà faites. Et, après la guerre, c’est encore le prolétariat des villes et des champs qui portera le fardeau immense de la liquidation de cette guerre criminelle.

Au moment où, dans tous les pays, toute pensée humaine est bannie ; au moment où la haine dirige et conduit aveuglément les peuples vers leur extermination, la Confédération nationale des organisations syndicales françaises adresse un suprême appel à la conscience, à la raison des travailleurs français et à l’Internationale tout entière en leur criant :

C’en est assez !

Assez de cadavres ! C’est déjà trop, beaucoup trop que l’Internationale ouvrière syndicale ait supporté la honte ineffaçable d’une année de carnage sans protester. Après une année de guerre, les gouvernants de tous les pays sont acculés dans une impasse qu’aucun ne voudrait avouer. En désespoir de cause, chaque camp belligérant compte sur l’épuisement de l’autre et on a inventé le terme de « guerre d’usure », comme si l’épuisement des uns ne comportait pas l’épuisement des autres.

La Conférence rejette cette formule dont la réalisation conduirait à la saignée complète de l’Europe par l’extermination des forces vives de tous les pays en guerre.

Elle demande à tous ceux que la haine stupide n’aveugle pas, et ayant conservé leur foi en une humanité fraternelle, d’ouvrir les yeux sur cette situation.

La Conférence estime que la C.G.T. a trop ignoré les efforts vers la paix de la minorité socialiste d’Allemagne, de l’Independant Labour Party d’Angleterre, du Parti socialiste italien et de la majorité des socialistes russes, ainsi que l’opposition à la guerre des partis socialistes balkaniques invitant encore tout récemment :

« Les organisations socialistes des Balkans à entreprendre une active propagande en faveur de la paix.»

Pour ces raisons, la Conférence décide que la C.G.T. devra participer à toute action prolétarienne pour la paix ayant pour bases principales :

  1. La libération des territoires envahis, y compris la Belgique ;
  2. Pas d’annexion sans consultation des populations intéressées ;
  3. L’indépendance politique et économique de chaque nation ;
  4. Le désarmement ;
  5. L’arbitrage obligatoire.

D’autre part, la Conférence considère que la vie économique des nations modernes s’internationalise de plus en plus ; que ce n’est pas la guerre économique entre nations, mais un régime de conventions libres, par des concessions réciproques, qui peut créer les conditions les plus favorables pour l’évolution de la lutte économique du prolétariat mondial.

Elle considère que cette attitude rendra plus efficace, plus vigoureuse, plus audacieuse, l’action des minorités qui, dans les autres nations, et notamment en Allemagne, agissent dans ce sens et qu’elle stimulera l’activité salutaire de l’Internationale ouvrière.

Elle réclame la discussion immédiate des conditions de la paix.

Elle dénonce l’union sacrée qui, dans tous les pays, a été le plus sûr moyen de ligoter la partie la plus saine et la plus consciente du prolétariat et réclame le rétablissement des libertés syndicales, de la liberté de la presse et des réunions, etc.

La Conférence déclare qu’à aucun moment la C.G.T. ne devrait renoncer à son objectif principal, sa raison d’être : la lutte des classes.

Quelles que soient les conditions extérieures dans lesquelles se trouve le pays, oublier cette tâche, c’est abdiquer, sacrifier la liberté et les droits des travailleurs au seul profit des capitalistes.

Elle demande à la classe ouvrière organisée de montrer qu’elle restera invinciblement attachée à l’Internationale.

Elle considère qu’ayant été impuissante à empêcher la guerre, il est encore, quand même, du devoir de la C.G.T. de travailler de toutes ses forces à une rapide conclusion de la paix.


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