1998

(...) Ce livre est à propos de ma vie, à propos du passé, mais j’espère qu’il sera aussi une arme dans la longue lutte pour l’avenir.

 

Tony Cliff

Un monde à gagner

Contre-indications

1998

Le renouveau politique

L’effondrement catastrophique de la lutte à partir du milieu des années 70 avait eu un effet collatéral particulier. Elle allait de pair avec un renouveau politique qui s’exprimait dans l’apparition d’un nouveau courant de gauche puissant dans le Labour, centré autour de la personne de Tony Benn. Celui-ci avait été ministre dans les gouvernements travaillistes des années 60 et 70 et représentait un cas unique d’évolution politique. A l’inverse d’une tendance bien établie chez les politiciens réformistes, il avait évolué non pas à droite mais à gauche. Le Bennisme reflétait le fait que beaucoup de militants, confrontés au manque de confiance des travailleurs pour lutter sur le lieu de travail, recherchaient une solution politique en dehors de ce lieu de travail. Ils se tournaient vers un sauveur venu d’en haut – le Labour Party.

Après la défaite électorale des travaillistes en 1979, le parti connut son plus important tournant à gauche en une génération. La conférence spéciale de janvier 1981, tenue à Wembley, dans laquelle le Bennisme dominait, plongea le parti dans l’extase. Pour citer certains de ses journaux :

Tribune : « Une ligne de partage pour la démocratie du Labour Party » [1]
Militant : « Wembley a été une grande victoire pour la base du Labour... Le vote groupé des délégations syndicales à la conférence du Labour Party deviendra une courroie de transmission vitale pour les revendications d’une classe ouvrière réveillée et mobilisée » [2] .
Socialist Challenge : « Quelle journée à Wembley... Une grande victoire pour le mouvement ouvrier » [3] .
Morning Star : « C’est une décision très importante dans la lutte, non seulement pour le retour du Labour au gouvernement aux prochaines élections, mais aussi pour s’assurer qu’un gouvernement travailliste fera la politique des travailleurs » [4] .

Pratiquement tous ceux qui se situaient à la gauche du parti, de l’IMG et de Socialist Organiser aux groupes féministes, furent attirés dans le camp de Benn et dans le Labour Party. En ce qui concerne ce dernier, j’écrivais :

L’afflux de féministes de la classe moyenne dans le Labour Party s’est produit alors que le mouvement des femmes connaissait un déclin rapide et que les défaites industrielles poussaient le mouvement ouvrier vers la droite. Si l’argument général du Nouveau Réalisme était que les grèves ne payaient pas, il prit une forme particulière au sein des féministes. Pour des gens comme l’eurocommuniste Bea Campbell, les grèves et les piquets étaient machos, typiques d’un mouvement ouvrier « anti-femmes » et « dominé par les mâles ». Le centre d’intérêt n’était plus collectif, mais axé sur la femme individuelle considérée comme victime des hommes : sur le viol et autres violences envers les femmes. La théorie du patriarcat – que l’ennemi de la femme est l’homme, que les hommes bénéficient de la subordination des femmes – en vint à dominer. Désormais le mouvement féministe se concentrait sur des solutions personnelles, sur des relations et des modes de vie alternatifs. Ceci exerçait naturellement un attrait sur les femmes de la classe moyenne : les femmes de la classe ouvrière ne pouvaient s’en offrir le luxe.
La recherche de solutions individuelles a mené à la fragmentation et à l’effondrement du mouvement féministe, de telle sorte que ses vestiges passèrent de la politique des mouvements à la politique institutionnelle, en grande partie en direction du Parti travailliste. Protestant contre l’oppression des femmes, produit du capitalisme, sans combattre le capitalisme dans son ensemble, elles convenaient très bien au travaillisme, qui, en même temps qu’il exprime l’opposition des travailleurs au statu quo, émousse cette opposition [5] .

Les élections législatives de 1983 firent un trou dans le ballon benniste. Le Labour ne relégua la coalition SDP-libéraux en troisième place que par un écart minime (27,6% des suffrages contre 25,4%). Malgré tout Benn continuait à s’illusionner, considérant les élections comme un triomphe :

Pour la première fois depuis 1945, un parti politique porteur d’un programme ouvertement socialiste a reçu le soutien de huit million de personnes... le socialisme est réapparu sur la scène nationale... Le manifeste travailliste de 1983 s’est acquis la loyauté de millions d’électeurs, et une tête de pont socialiste démocratique a été établie, à partir de laquelle des avancées plus importantes dans la compréhension et le soutien du public peuvent être réalisées [6] .

Les paroles de Benn n’eurent pas un grand impact, y compris parmi ses partisans. Le Labour avait obtenu sa fraction des suffrages la plus basse depuis 1918. Et comme il y avait moins de candidats travaillistes en 1918, le résultat par candidat de 1983 fut le plus bas jamais réalisé. Et ces résultats étaient la suite de quatre années d’augmentation du chômage de masse et d’attaques sur la protection sociale.

Le moment de vérité, pour la gauche benniste, ne pouvait tarder plus longtemps. Le déclin des luttes avait provoqué un essor politique, mais bientôt le niveau politique du mouvement devait se trouver affecté par le bas niveau de la lutte des classes. Les bennistes étaient obsédés de résolutions, de procédures formelles. Cette obsession faisait le jeu de la droite. Les militants politiques considéraient comme une perte de temps et d’énergie de se relier à la masse des travailleurs qui n’assistaient pas aux meetings où les résolutions étaient votées. Ils tombèrent dans le piège substitutiste consistant à croire qu’ils parlaient au nom des votes groupés qui s’étaient portés sur eux à Wembley. En même temps que les bennistes pouvaient se compter en dizaines de milliers, ils n’avaient pas obtenu un accord actif avec eux de la part des millions de membres. Cette fausse prétention les rendait vulnérables aux coups des médias et de l’aile droite.

La conférence du Labour de 1982 fut le théâtre d’un déclin massif du bennisme. Comme l’a écrit Socialist Worker après la conférence :

La gauche travailliste est en retraite – une retraite qui peut fort bien se transformer en déroute. Le contraste avec la conférence du Labour Party de cette année et celle de l’an passé ne pourrait être plus grand. L’été dernier tout tournait autour de Tony Benn. Sa campagne pour la direction du parti commençait à prendre l’allure d’une procession triomphale, de congrès syndical en congrès syndical, de ville en ville.

En 1981 son vaisseau avait le vent en poupe. Des milliers de personnes affluaient à ses meetings. La droite travailliste, assaillie d’un côté par le « Gang des Quatre » et de l’autre par la gauche, paraissait usée et affaiblie. Beaucoup commençaient à croire – ce que beaucoup désiraient croire – que le Labour Party pouvait vraiment être changé. A la fin de 1982 on pouvait lire dans Socialist Worker :

Un an plus tard le paysage est renversé. On parle aujourd’hui de chasse aux sorcières. La discussion est de savoir qui sera épargné au sein de la gauche. L’aile droite est toute en sourires et confiance...
Ceux qui remplissaient l’an dernier les meetings (de Benn) restent aujourd’hui à la maison. La bulle a éclaté [7] .

La dérive à droite alla encore plus loin à la conférence suivante, en 1983. Socialist Worker disait :

Hattersey, le candidat ouvertement droitier à la direction, non seulement a bénéficié de 67% des suffrages, ce qui est massif, mais il a même eu plus de la moitié des voix dans les assemblées locales. Pourtant, il y a à peine deux ans, celles-ci votaient à quatre contre un pour Tony Benn [8] .

La conférence du Labour Party de 1983 consacra le complet effondrement du camp benniste. Le candidat de gauche au poste de deputy leader était cette fois Eric Heffer. Il réalisa seulement 6,6% des voix des délégués des constituencies, 1,6% des voix des trade unions et 17% du Labour Party parlementaire.

Malgré tout la gauche continuait à vivre sur un nuage rose. Elle ne remarqua pas que l’attaque contre Militant était le cheval de Troie qui ouvrait la voie à la défaite du bennisme. Ils ignorèrent la chasse aux sorcières et se réfugièrent dans un monde de fantaisie. Après la conférence de 1985, Tribune déclarait : « La gauche n’a jamais été aussi forte et la perspective d’un gouvernement travailliste de gauche radicale n’a jamais été plus grande ». Militant écrivait : « La conférence, constituée par des délégués représentant près de 10 millions de travailleurs, est restée ferme sur la politique socialiste radicale » [9] .

La charge sauvage de la folle enragée

En 1974, beaucoup de patrons avaient applaudi la victoire électorale du Labour. En 1979, ils se réjouissaient de sa défaite. Le gouvernement travailliste avait réussi à les protéger de la combativité des travailleurs, ils voulaient désormais un nouveau gouvernement moins dépendant des syndicats. Ils n’avaient plus besoin d’un bouclier défensif derrière lequel se réfugier, mais d’une épée pour lancer l’offensive contre les travailleurs.

Mais Thatcher faisait très attention à la façon dont elle maniait son épée. En 1978, Nicholas Ridley, son confident et conseiller, avait écrit un important document stratégique. Le « Plan Ridley » expliquait que Ted Heath avait fait une erreur grossière en attaquant tous les syndicats en même temps. Ce qu’il fallait, c’était une tactique par tranches – une série de confrontations limitées soigneusement préparées, destinées à briser le pouvoir de syndicats essentiels, en commençant par les industries où le syndicalisme était faible, puis en attaquant des groupes de travailleurs plus puissants, pour finalement se jeter sur les mineurs et les dockers. C’est là la politique que devait suivre Thatcher après son accession au pouvoir en 1979.

La loi devait aussi être utilisée avec précaution, en affaiblissant les syndicats au moyen d’amendes pour persuader les dirigeants de coopérer avec les employeurs et de faire la police dans leurs rangs pour le compte des patrons et du gouvernement. Le plan était une attaque par étapes, avec des sanctions légères au début, suivies par des mesures plus sévères. L’approche progressive devait augmenter la démoralisation des travailleurs, qui avait bien commencé sous le gouvernement travailliste de 1974-1979.

Ce ne fut pas pour le gouvernement une victoire facile. En 1984, une grève des mineurs éclata, et ils combattirent bravement pendant une année entière. Hélas, la longue période du déclin de la combativité eut raison de la grève. Contrairement aux grèves de 1972 et 1974, où il n’y avait pas un seul jaune et donc pas de raison de former des piquets, la situation des puits était complètement différente.

La sectorisation qui avait été encouragée par le gouvernement travailliste en 1977 isolait les mineurs des autres travailleurs. En 1984-85 au moins 10% des mineurs étaient actifs dans les piquets et, contrairement à 1972, ils consacraient une grande partie de leur temps à empêcher les briseurs de grève de passer.

Cette fois-ci, il y avait peu de solidarité des autres travailleurs. L’ampleur des dégâts était évidente. Par exemple, en 1972 les salariés des centres de distribution électrique (power stations) s’étaient organisés en comités de base dans toute l’industrie ; ils étaient impliqués dans une campagne de revendication pour leurs propres salaires, et ainsi toutes les power stations soutenaient les mineurs. En une quinzaine de jours 12 power stations étaient complètement fermées, et 1.400.000 ouvriers avaient dû être mis au chômage technique dans l’industrie. En 1984-85, par contre :

Aucune réunion n’était organisée par la TGWU et la GMBATU entre les shop stewards des power stations et les représentants des mineurs. La première réunion entre Arthur Scargill (le dirigeant des mineurs – NdT) et les shop stewards des power stations du Yorkshire eut lieu seulement au bout de dix mois et demi de grève – le 16 janvier 1985 !

Le 11 avril 1984, les syndicats de la distribution électrique signaient un accord de 13 mois pour une augmentation salariale de 5,2%. Aucun ouvrier ne fut mis en chômage technique pour défaut d’électricité pendant les 12 mois de la grève des mineurs.

Dans tous ces conflits les membres du SWP se jetèrent dans la bagarre. Malgré tout, du fait du manque d’assurance à la base, la bureaucratie syndicale contrôlait tout et n’était pas prête à lancer l’action nécessaire pour gagner. Cela ne signifie pas que les militants acceptaient simplement les limitations. Une anecdote illustre la situation. Au début de la grève des mineurs de 1984-85 la NUM (syndicat national des mineurs, NdT) ne surveillait pas les livraisons de charbon à la sidérurgie comme elle l’avait fait dans des conflits précédents. En Ecosse, par exemple, le syndicat disait qu’il ne fallait pas empêcher les livraisons aux aciéries de Ravenscraig parce que cela aurait porté préjudice à « l’industrie écossaise ». Du coup, la grève des mineurs avait peut d’effets visibles. Des camarades actifs dans les charbonnages de Loth, près d’Edinburgh, firent circuler une lettre ouverte à Mick McGahey, le dirigeant écossais de la NUM, exigeant qu’il appelle à contrôler les fournitures de charbon à Ravenscraig. C’était très difficile d’obtenir des signatures parce que les gens étaient inquiets du fait de l’emprise importante que McGahers et le Parti Communiste avaient encore sur le syndicat. Finalement 18 mineurs signèrent. McGahers était suffisamment gêné par la lettre pour commencer à mettre en place des piquets à Ravenscraig. Malgré tout, nos camarades n’étaient pas en mesure d’influencer la taille ou le développement des piquets après cela, de telle sorte que cette initiative ne déboucha pas sur une amélioration de la tactique gréviste. Malgré nos efforts, le rôle du SWP se réduisit finalement pour l’essentiel à collecter des fonds pour les mineurs. C’était nécessaire pour continuer la grève, mais à l’évidence pas suffisant pour la gagner.

Le dépôt de coke d’Orgreave, près de Sheffield, aurait dû être le Saltley des années 80, mais l’appel du dirigeant des mineurs Arthur Scargill à y rééditer la victoire de 1972 resta sans effet. En 1972, les ouvriers mécaniciens de Birmingham étaient venus au secours des mineurs. En 1984, ceux de Sheffield (qui est beaucoup plus proche du bassin houiller que Birmingham) restèrent passifs. A Saltley, en 1972, les mécaniciens avaient rejoint la ligne de piquet en masse à son cinquième jour. A Orgreave, le piquet commença le mercredi 24 mai 1984 avec un millier de mineurs environ. Les écrans de télévision du pays montrèrent plusieurs milliers de mineurs de la ligne de piquet matraqués par la police les 27 mai, 29 mai, 31 mai et 18 juin. Le 30 mai, Scargill était arrêté, et le 18 juin il fut blessé et dut être hospitalisé [10] . Mais il n’y avait toujours aucun signe de mouvement du côté de Sheffield. Pourquoi ? Pour répondre à cela, il faut considérer la situation des mécaniciens de Sheffield. La Department of Employment Gazette indiquait qu’à Sheffield il n’y avait pas eu d’arrêts de travail importants en 1981, un en 1982 (contre les licenciements) et à nouveau un en 1983 (aussi sur les licenciements) [11] .

La défaite d’Orgreave n’était pas, malgré tout, liée seulement à la faiblesse des mécaniciens de Sheffield. Elle résultait aussi du rôle joué par les dirigeants locaux de la NUM – en particulier Jack Taylor dans le Yorkshire – qui bloquaient les initiatives de Scargill et des militants. A la différence de 1972 et 1974, il n’y eut aucune grève de solidarité. Les grèves des années 70 étaient brillantes. Je me souviens qu’en 1972 quelques mineurs habitaient chez nous à Hackney. Ils allèrent former un piquet à la station de distribution électrique locale, et immédiatement les salariés de la station bloquèrent les fournitures de charbon et de carburant, et la distribution électrique s’arrêta complètement. Un autre exemple : en 1972, une banderole tendue sur un pont au dessus de la voie ferrée, disant « piquet officiel de la NUM » suffisait pour que les trains s’arrêtent et ne la franchissent pas. Les dockers aussi bien que les chauffeurs de poids lourds refusaient à l’époque de transporter du charbon.

Les travailleurs qui manquent de la confiance en eux-mêmes pour s’opposer à leurs propres patrons ne sont en général pas très efficaces lorsqu’il faut agir en soutien d’autres travailleurs. C’était là la cause fondamentale de la tragédie d’Orgreave.

Le manque de succès de la grève des mineurs après des mois de lutte eut son effet sur les membres du parti. Les premiers mois, il y avait l’espoir que, même si la grève n’était pas solide, la victoire sur Thatcher n’était pas trop loin. A cette époque nos camarades étaient très actifs parmi les mineurs dans la tâche politique immédiate qui consistait à construire le soutien pour organiser des piquets de masse. Mais après huit mois et quelque, sans victoire en vue, la ligne à suivre était moins claire. La question de la simple survie pour les familles de mineurs – essentiellement la nourriture – commençait à se poser.

Pour certains de nos jeunes camarades les plus impliqués, c’était une dérive de l’élan politique principal. Ils déversèrent quantité de mépris sur les collectes de nourriture. A leurs yeux, les boites de haricots devaient servir de projectiles contre la police. Quelques camarades, surtout parmi les plus vieux et les plus expérimentés, commençaient à se sentir mal à l’aise avec les mots d’ordre exclusifs de piquets de masse et se rendaient compte qu’il y avait besoin d’un soutien financier et matériel pour les mineurs et leurs familles. Un antagonisme se développa entre les « Jeunes Turcs » et les camarades plus anciens. Les premiers ne voyaient pas clairement qu’un parti révolutionnaire doit être à l’écoute des besoins des travailleurs.

Dans ce domaine Chanie fut rapide et pointue. Elle était très proche depuis le début de la grève des mineurs du Kent et du Yorkshire, dont certains habitaient chez nous pendant de longues périodes. Elle prit brusquement conscience du changement dans le genre de soutien qui était nécessaire un soir où elle était chez un mineur du Yorkshire. Celui-ci était assis avec son fils à la table familiale et sa femme apporta à chacun un plat de petits pois. Lorsque le père dit : « Bon ! Maintenant qu’est-ce qu’il y a pour dîner ? », elle répondit : « Tu viens de le manger ». Chanie fut choquée et se rendit compte que pour que la grève continue, il fallait aider les mineurs à survivre. En d’autres termes, des collectes devaient être organisées, non pas pour des piquets de masse, mais pour acheter de la nourriture.

Quelques mois plus tard, à Noël, les plus enragés sur les piquets de masse collectaient des ours en peluche et autres jouets pour les gosses des mineurs, et des colis d’épicerie pour leurs familles. C’était remarquable à voir, et cela montrait comment la ligne correcte, recoupant les besoins des travailleurs, peut changer même les gens les plus coupés de la réalité. Certains camarades oublient que, en même temps que le parti enseigne aux travailleurs, il doit par dessus tout être à l’écoute, apprendre d’eux.

La réponse du SWP au bennisme

La situation était compliquée et soulevait toute une série de questions. Certains points de référence au passé nous aidèrent dans notre réflexion. L’Independent Labour Party, par exemple, avait été créé en 1893, après la défaite de grèves importantes menées par New Unionism (comme la grève des Manningham Mills à Bradford). Nous savions que ces mouvements étaient comme les ondes qui persistent longtemps après que la pierre lancée dans l’eau ait atteint le fond. Une fois que l’on savait que c’était les vagues, et non la pierre, on était moins impressionné. Un exemple de nos rapports avec le mouvement benniste était ce qu’on a appelé à tort le « débat de la décennie » qui eut lieu à Westminster et qui, quoique dominé par les bennistes, avait un président appartenant au SWP. Tariq Ali déclara que si le prochain gouvernement travailliste n’avançait pas vers le socialisme alors il y aurait besoin d’un parti socialiste indépendant. Duncan Hallas, de la salle, intervint pour dire : « De quel « si » nous parle-t-on ? Nous avons déjà eu cinq gouvernements travaillistes et aucun n’a fait un pas vers le socialisme ! »

Pour nous le problème fondamental était de dire ce qu’il fallait faire, puis d’expliquer ce qui empêchait que cela se réalise. L’obstacle était le travaillisme, la bureaucratie syndicale et l’influence des deux sur les travailleurs. Cela nécessitait un haut niveau d’argumentation et de théorie. Nous nous concentrions sur les trois R : routine (d’intervention), recrutement et rétention.

C’était très différent de ce que nous avions fait dans les années 60 et au début des années 70. Nous n’avions plus d’attentes élevées, ce qui ne signifiait pas que nous pensions qu’il n’y avait rien à faire. Nous parvînmes à retenir les cadres et à améliorer leur qualité – pour fonctionner dans cette situation difficile ils devaient savoir davantage et engager avec confiance des discussions difficiles. Un exemple du changement pouvait être trouvé dans le poids relatif de la vie à l’intérieur et à l’extérieur des cellules. Pendant la période de montée des luttes, nos réunions de cellule étaient essentiellement des occasions de se retrouver pour organiser nos activités à l’extérieur. Les discussions théoriques, même si elles n’étaient jamais absentes, étaient souvent reléguées dans la deuxième moitié de la réunion, après les interventions essentielles. Désormais les réunions commençaient par des introductions politiques plus lourdes et on parlait des activités dans la seconde moitié, qui tendait à être beaucoup plus courte, concentrée sur la routine des ventes du journal. En fait, la réunion de cellule géographique devint bien plus importante qu’elle ne l’avait été dans la vie du parti.

Références

[1] Tribune, 30 janvier 1981.

[2] Militant, 30 janvier 1981.

[3] Socialist Challenge, 29 janvier 1981.

[4] Morning Star, 26 janvier 1981.

[5] T Cliff et D Gluckstein, op cit, pp. 372-373.

[6] The Guardian, 23 juin 1983.

[7] Socialist Worker, 25 septembre 1982.

[8] Socialist Worker, 8 octobre 1983.

[9] Militant, 12 octobre 1985.

[10] Ibid, ch 4.

[11] Department of Employment Gazette, juillet 1982, juillet 1983 et juillet 1984.

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