1903

Publié dans Workers’ Republic, May 1903.
Republished in James Connolly: Lost Writings, (ed. Aindrias Ó Cathasaigh), Pluto Press 1997.
Texte anglais ici. Traduction MIA

connolly

James Connolly

Antipatriotique ?

Mai 1903

Dans tous les pays de la terre où le socialisme s’est enraciné ses défenseurs font face à l’objection que leurs doctrines sont « antipatriotique », que le socialisme est une idée étrangère. Que ce soit en Irlande, en Allemagne, en France, en Amérique, en Angleterre, en Russie, en Italie ou dans tout autre pays, nous trouvons les ennemis du socialisme rabâcher sur ce seul thème, le caractère antipatriotique du mouvement Socialiste. Il convient, par conséquent, que nous examinions et analysions cette théorie afin de comprendre sur quoi elle est fondée, et comment il se fait que dans des pays si éloignés le mouvement Socialiste fait face à une opposition quasiment identique, que ce soit dans l’Irlande conservatrice ou dans l’Amérique cosmopolite.

Il est inutile d’aller très loin dans notre analyse. C’est un axiome accepté par tous les socialistes que c’est la classe qui domine l’industrie qui domine aussi politiquement, et dominera également tous les milieux sociaux et les champs de la pensée.

Jusqu’à ce que l’époque de la révolution arrive les intérêts de la classe qui détient les principaux moyens de production va colorer et modeler l’ensemble de la pensée et des institutions de la société en général ; faisant apparaitre tout ce qui sert ses intérêts comme « patriotique », « de souche » et complètement « irlandais » ou « américain » ou autre en fonction de la nationalité de la classe possédante. Et de la même manière sera estampillé comme « étranger », « antipatriotique », « non irlandais » ou « anti-américain » tout ce qui a la saveur d’un danger pour cette classe possédante. En d’autres termes, la classe possédante s’arroge toujours et partout à elle-même un droit exclusif d’être considérée comme la Nation, et en se fondant sur ce droit d’insister pour que les lois du pays soient dans ses mains pour encadrer et administrer ses propres intérêts qui, nous en sommes cordialement informés, sont les plus hauts intérêts de la Nation.

Ceci est une caractéristique des classes possédantes partout, même là où elles ne sont pas une classe dirigeante. L’agitation de la « Land League » en Irlande, et dans une moindre mesure, la présente « Land agitation », illustrent ce trait. L’agitation de la Land League est centrée autour de la lutte des fermiers pour de meilleures conditions pour leurs avoirs. C’était avant tout une lutte entre locataire et propriétaire.

L’ouvrier agricole n’était aucunement impliqué, en effet il obtient toujours du propriétaire de meilleures clauses que le fermier ; la population urbaine n’avait aucun de ses intérêt directement en jeu, les travailleurs de la ville ne sont pas pris en compte dans les Lois sur la Terre ; tous les marchands, les classes industrielles et professionnelles savaient qu’ils seraient laissés en dehors de l’accord entre les propriétaires et les locataires, si un accord était obtenu ; malgré cela , les fermiers, organisés politiquement et industriellement, et surtout dotés une conscience de classe, c’est-à-dire conscients de l’identité de leurs intérêts de classe, ont réussi à imprimer le caractère de leur mouvement sur toute la vie de l’Irlande.

Le grief de chaque agriculteur est devenu un grief national Irlandais, tout fermier refusant de payer le loyer a été idéalisé comme un patriote luttant non pas pour sa propre bourse, mais pour son pays ; chaque agriculteur expulsé a été acclamé comme un martyr pour son pays ; si un homme a repris une ferme suite à une expulsion, il ne fut pas seulement un voleur de terre ou une tâche sur sa classe, il était un traître à l’« Irlande », et toute personne qui lui parlait, ou contribuait à le nourrir, vêtir ou lui procurer un abri était lui aussi un ennemi de l’Irlande, un traître à son pays natal, un Judas ou Diarmuid Mac Murchadha. Ainsi, les fermiers ont prit le contrôle de la pensée du pays et identifié la lutte de leur propre classe pour ses droits à l’idée de patriotisme irlandais.

Cependant, nous ne soulignons pas ce fait dans le but de le dénoncer. Au contraire, nous considérons que les fermiers ont agi à bon escient dans leurs propres intérêts. Mais nous le signalons afin de souligner notre affirmation selon laquelle un acte particulier ou une doctrine politique sont patriotiques ou antipatriotiques dans la proportion exacte dans laquelle ils servent les intérêts de la classe qui, pour le moment détient le pouvoir politique. Les « Fermiers d’Irlande » ont dénoncé comme antipatriotique tout ce qui ne contribuait pas à servir leurs intérêts de classe, - y compris même la demande de l’ouvrier pour un cottage ; que la classe ouvrière d’Irlande suivre leur exemple, vérifie la sincérité du patriotisme de chaque personne par son dévouement aux intérêts de la Classe Ouvrière. Aux yeux du fermier aucune agitation de drapeau vert ne pourrait faire d’un voleur de terre un patriote : que les travailleurs utilisent le même critère et dénoncent comme ennemi de l’Irlande tous ceux qui croient en la soumission du travail au capital - qu’ils estampillent comme traîtres à ce pays tous ceux qui vivent en dépeçant les travailleurs irlandais.

Pour la classe ouvrière mondiale, la leçon est également claire. Dans tous les pays le Socialisme est étranger, antipatriotique, et il en sera ainsi jusqu’à ce que la Classe Ouvrière embrasse pour son salut et fasse du Socialisme la force politique dominante.

Alors les intérêts de la Classe Ouvrière auront le vent en poupe et le patriotisme de tous hommes sera jaugé par ses services et son dévouement à ces intérêts, donc le socialisme sera patriotique et « de souche » partout, et les défenseurs de la propriété capitaliste seront les antipatriotiques.

Par leur agressivité et l’intolérance des classes possédantes élèvent les principes de leur suprématie capitaliste à la dignité de garants des intérêts de la nation ; dans la mesure où la classe ouvrière infusera dans son organisation politique la même agressivité et la même intolérance, elle obtiendra le succès qu’elle mérite, et fera du Socialiste le seul citoyen bon et loyal.

Archives
Sommaire Début de page
Archive Trotsky