1921

Source : numéro 9 du Bulletin communiste (deuxième année), 3 mars 1921, signé « Amédune ».


Alfred Rosmer

Souvenirs de jadis et de naguère

Amédée Dunois



Format ODT Format Acrobat/PDFTéléchargement
Cliquer sur le format de contenu désiré

On parlait de Rosmer un soir entre camarades et l'on convenait généralement que le représentant de la France au Comité Exécutif de l'I. C. manquait, dans son pays d'origine, de cette notoriété à laquelle atteignent si souvent les intrigants et les cuistres et dont tant d'hommes de valeur sont à jamais exclus. On s'accordait à reconnaître au surplus que si Rosmer est à peu près inconnu, c'est à lui seul qu'on doit s'en prendre, à son extrême modestie, à son manque absolu de préoccupation personnelle, au peu de goût qu'il marque pour la parole publique, à ses habitudes de travailleur obstiné, mais volontiers silencieux et délibérément anonyme.

— La conséquence de tout cela, dit tout à coup le camarade qui semblait diriger cette conversation, c'est qu'on ne connaît pas Rosmer.

— Dis plutôt, interrompit un autre, qu'on ne veut pas le connaître : et c'est une façon comme une autre de le diminuer et de diminuer en lui l'Internationale communiste.

— J'ai fait, dit un troisième, une petite enquête. J'ai posé à des socialistes, à des syndicalistes, à des anarchistes, la même question : « Qu'est-ce que Rosmer ? » Savez-vous ce qu'on m'a répondu ?

« Rosmer, m'ont répondu les socialistes, connaissons pas ! On dit bien qu'il appartint quelque temps à une section de la banlieue parisienne. Possible. En vérité, il n'y a pas laissé de traces et nul ne s'y souvient de lui... N'était-il pas plutôt de ces syndicalistes antiparlementaires groupés avant la guerre autour de la Vie Ouvrière et qui passaient leur temps à critiquer, le Parti ?

« Syndicaliste, Rosmer ? m'ont déclaré avec dédain, ces messieurs de la C. G. T. Allons donc ! « Ni syndiqué ni syndicable ! » Il est vrai qu'il a fréquenté nos milieux : ce n'est pas suffisant pour être un militant syndicaliste. Rosmer d'ailleurs était un pur intellectuel, tandis que nous, comme vous savez, nous sommes des travailleurs : Jouhaux, allumettier ; Merrheim, chaudronnier ; Dumoulin, mineur... Non, Rosmer n'était pas des nôtres. Si donc il se réclame en Russie du syndicalisme français, cela prouve chez lui un joli toupet... Et puis, voyez donc du côté des anarchistes !...

« Connaissez-vous Rosmer ? ai-je demandé en fin de compte aux anarchistes. Ils m'ont bibliquement répondu : « Ni d'Eve ni d'Adam ! »

La conversation en était là, quand je pris la parole à mon tour.

— De tous ceux qui sont ici, dis-je, c'est moi qui suis, presque à coup sûr, le plus ancien ami de Rosmer. J'ai fait sa connaissance au temps où j'étais étudiant, il y a plus de 23 ans, hélas ! Je ne l'ai pour ainsi dire jamais perdu de vue. S'il est sorti de l'ombre où il se complaisait, j'ose me flatter, mes amis, d'y avoir été pour quelque chose !

— Conte-nous ça, dirent d'une seule voix mes interlocuteurs.

Bien que je n'aie pas atteint encore — il ne s'en faut, hélas ! que de bien peu d'années ! — l'âge où l'on se laisse si aisément aller à dévider l'écheveau mélancolique des souvenirs, j'ai conté de bonne grâce comment j'ai connu Rosmer et comment il me fut donné de l'amener au mouvement ouvrier.

À la demande de ceux qui m'écoutaient, je donne à mon récit une forme écrite et je l'offre aux lecteurs du Bulletin Communiste.

* * *

C'était à la fin de l'année 1897. Je venais d'arriver à Paris pour y étudier le droit, l'économie politique et l'histoire. Mais l'enseignement scolaire ne me satisfaisait aucunement. Je fréquentais moins assidûment les facultés que les meetings ; je piochais plus volontiers les minces brochures de propagande que les épais manuels de l'éditeur Sirey. J'ouvrais les yeux autour de moi et regardais ; j'ouvrais les oreilles et j'écoutais. Et je découvrais à mon tour qu'il y a beaucoup plus de choses dans la nature et dans la vie que dans tous les bouquins des philosophes.

De doctrine, mon Dieu, je n'en avais pas l'ombre. J'étais à l'âge magique des négations superbes... et des crédulités totales.

Faire table rase à vingt ans de toutes les idées, de toutes les formules qui composent l'expérience des âges, quelles grisantes délices ! Quand on a formellement réglé ses comptes avec le vieux « principe d'autorité », c'est alors qu'on se trouve en droit de frapper le sol d'un pied libre ! Nous nous croyions plus révolutionnaires que personne : Stirner nous semblait avoir dit le dernier mot de la pensée humaine et nous souscrivions sans réserves aux apologies que les Paul Adam1 et les Mirbeau2 avaient faites de Ravachol. Par contre, c'est à peine si nous connaissions le nom de Marx et quant au mot de lutte de classe, quant au mot de prolétariat, ils n'éveillaient en nous qu'un absolu mépris. Nous étions de petits bourgeois révoltés contre l'injustice sociale et plus encore contre ce qu'un poète a nommé « le règne impur de la bêtise ». Pas de doctrine encore une fois mais de la sensibilité, de la bienveillance, un idéalisme plein de feu, un goût de l'action sociale ne sachant d'ailleurs par quoi commencer, un magnifique dédain de tous les sentiers battus. On savait à peu près ce qu'on ne voulait pas ; ce qu'on voulait était plus malaisé à définir. N'étant pas des politiciens, nous nous estimions dispensés de l'obligation d'avoir un programme ; il nous suffisait, à nous, de posséder un idéal !

L'affaire Dreyfus qui ne faisait que commencer vint donner tout à coup à nos jeunes énergies un aliment qui nous parut digne d'elles. Zola entrait dans la mêlée avec ses lettres retentissantes. Sa Lettre à la Jeunesse conquit nos dîmes à l'évangile de justice et de vérité que prêchait le poète sublime de Germinal quand éclata le tonnerre J'accuse ! Ce fut, dans notre petit groupe, un frénétique emballement. Pendant deux ans, nous fûmes, au rang des simples soldats, de toutes les batailles de l'Affaire.

En cet hiver de 1897-1898, on se retrouvait le soir tantôt dans une réunion publique, tantôt dans la chambre d'un ami, aux murailles tapissées d'affiches. On discutait passionnément, sur tous les sujets de l'heure : littérature, théâtre, peinture, questions sociales, tout y passait. Sur le dernier article de l'Aurore ou la prochaine pièce de l'Œuvre s'engageaient des débats pleins de fougue. Un soir quelqu'un fit l'éloge d'un « club d'art et d'histoire » que Victor Barrucand, père du « pain gratuit », venait d'ouvrir rue de la Montagne-Ste-Geneviève et qui pour cette raison s'appelait la Montagne. Nous décidâmes de nous y rendre en corps. C'est là que pour la première fois, je vis Alfred Rosmer.

Je le revois tel qu'il était alors, presque tel qu'il est aujourd'hui. Grand, maigre, le visage pâle, le front haut, le nez fin, les lèvres minces, les yeux ardents et noirs. Ses cheveux longs et drus lui tombaient, comme on dit, dans le cou. Il était revêtu d'un mac-farlane aux ailes flottantes. Il y avait dans son regard un peu de timidité et beaucoup de décision. Il ne parlait que rarement, mais semblait ne rien perdre des paroles des autres. Un soir qu'un orateur (c'était un étudiant collectiviste) rappelait que la monarchie belge avait deux ou trois ans plus tôt accordé à son peuple le suffrage universel, il l'interrompit d'un mot sifflant que j'entends toujours :

— Quel cadeau !

Il y avait dans ce mot une telle force de sarcasme que l'orateur en parut, sur le coup, interloqué et que je conçus pour l'homme au macfarlane noir une admiration sans mélange.

La Montagne disparut bientôt et je ne revis Rosmer que par intermittences. Je le rencontrai parfois descendant de son pas rapide le boulevard St-Michel ou feuilletant, sous l'Odéon, les revues nouvelles. Il suivait en ce temps-là les cours de l'Ecole d'Anthropologie, que Grave3, des Temps Nouveaux, qui les suivait, je crois, aussi, recommandait à ses lecteurs. Ce n'est qu'en 1900, et par l'intermédiaire d'un ami commun, qui allait devenir son beau-frère, André R..., que nous nouâmes enfin des rapports amicaux.

Il était fils d'un coiffeur de Montrouge chez lequel il habitait. Comme il ne parlait pour ainsi dire jamais de lui, je n'ai jamais bien su quelles études il avait faites ; ce qui est sûr, c'est que Rosmer est un des hommes les plus instruits que je connaisse. A-t-il reçu son instruction dans les écoles, l'a-t-il acquise par lui-même ? Je manque d'informations à ce sujet. Sa sœur, qui partageait ses idées et dont l'intelligence sérieuse révélait une rare distinction, était institutrice de la ville de Paris. Lui, travaillait alors je ne sais où ; c'est seulement plus tard, qu'à la suite d'un concours, il entra comme expéditionnaire à la mairie du XIVe arrondissement.

Il avait deux amis intimes avec lesquels il passait toutes ses soirées, soi futur beau-frère, André R..., qui habite aujourd'hui l'Espagne, et René Durcan, mort de la tuberculose à 20 ans. Tous trois fréquentaient ensemble les bibliothèques, les théâtres, les réunions du groupe des Etudiants socialistes révolutionnaires internationalistes (E.S.I.R.) ; ils lisaient les mêmes livres, s'émouvaient des mêmes enthousiasmes, se communiquaient leurs projets. André R..., signait « Verpré » ou « Hans Aden », des dessins et des articles également remarquables ; c'est grand dommage que le cœur lui ait manqué pour persévérer. J'ai à peine connu René Durcan. Quant à Rosmer, silencieux, un peu taciturne, il ne montrait aucune hâte à se produire. Ce n'est guère qu'en 1903 qu'ayant fait la connaissance de Dagan4, il se laissa persuader à résumer pour l'Œuvre Nouvelle quelques-unes de ses lectures anglaises. Mais l'Œuvre Nouvelle disparut vers 1905. Rosmer de longtemps n'écrivit plus rien.5

Il habitait alors sur le coteau de l'Haÿ-les-Roses une maisonnette qu'il avait meublée dans un goût sobrement délicat. Je ne parlerai pas ici de sa vie intime, mais je crois savoir que les années qu'il vécut à l'Haÿ, puis à Bourg-la-Reine, furent les plus heureuses de sa jeunesse. C'est dire qu'elles n'ont pas d'histoire. Presque tous nos camarades de l'Haÿ, de Bourg-la-Reine et de Sceaux ont familièrement connu Rosmer à cette époque et ont tous été frappés des hautes qualités de son intelligence et de son cœur.

* * *

Comment Rosmer est-il entré dans l'action ? C'est cela qu'il me reste à dire. Vers 1908-1909, je recevais assez fréquemment sa visite ; nous causions chaque fois jusqu'à une heure assez avancée de la nuit. C'était au temps, où sous l'influence des idées marxistes, j'avais évolué de l'anarchisme au syndicalisme révolutionnaire. Où en était alors exactement Rosmer, je ne le sais que très insuffisamment. Je me rappelle qu'un soir où j'affirmais ma foi syndicaliste, il me dit avec un sourire : « Vous savez que je ne vous suis pas dans votre voie. » Il se tut aussitôt comme s'il craignait déjà d'en avoir trop dit. Il mettait une infinie précaution à ne pas parler de lui-même ; mais je compris ce soir-là que le syndicalisme, avec ses violences de pensée et d'action, choquait cette fine nature éprise d'intellectualisme avant tout. Qui m'eût dit à ce moment que Rosmer représenterait un jour le prolétariat français au Comité Exécutif de l'Internationale, je l'aurais irrésistiblement traité de fou !

En octobre 1909, Monatte fonda la Vie Ouvrière sous la forme d'une revue bi-mensuelle. En février suivant, M. Bourget donnait la Barricade. La pièce fit grand bruit : il y était question de la lutte des classes, de la violence prolétarienne, de la révolution sociale. Il fallait que la Vie Ouvriere on parlât. Je fus délégué au soin de le faire en son nom, et même, le « noyau », dans sa munificence, ne voulant pas que j'y fusse de ma poche, me vota la somme de trois francs : de quoi m'offrir une place au poulailler !

Il se produisit je ne sais quel événement qui m'empêcha d'exécuter de suite le mandat dont j'étais investi. Et comme Monatte me pressait, l'idée me vint tout à coup de me faire suppléer par Rosmer. Celui-ci voulut bien répondre à mon appel. Il alla voir la Barricade ; il en écrivit un compte rendu excellent. La connaissance, entre Monatte et lui, était faite : elle n'allait pas tarder à devenir une collaboration particulièrement intime.

De même que j'ai introduit Rosmer à la Vie Ouvrière, c'est moi qui ai fait de lui le journaliste qu'il a été quelque temps. En février 1912, me trouvant dans l'obligation d'abandonner pour quelques semaines la rédaction de la Bataille Syndicaliste, c'est encore à Rosmer que j'eus recours. Il obtint de la ville un congé à court terme et, durant toute mon absence, vint chaque soir travailler au journal ouvrier, habile à toutes les besognes, ne ménageant ni son temps ni sa peine. A mon retour, il reprit son emploi à la mairie du XIVe, mais pour quelque temps seulement. Dans le cours de l'été suivant il l'abandonna de nouveau, définitivement cette fois. La Bataille et la Vie le prirent jusqu'à la guerre tout entier. L'ancien individualiste ibsénien au contact de la vie des masses, à la chaleur du mouvement ouvrier, avait enfin vu clair en lui et hors de lui. L'existence paisible et confortable du petit bourgeois intellectuel qu'il avait été jusque-là lui paraissait la chose la plus fade. Il se mit au service de la classe ouvrière : soyez sûr qu'il y restera jusqu'au bout.

* * *

Parlerai-je de son rôle pendant la guerre ! Ceci, c'est presque une autre histoire : ne pouvant l'écrire tout au long (elle mériterait pourtant de l'être), je me contenterai d'indications rapides.

Le 7 ou le 8 août 1914, Rosmer vint me voir à l'Humanité. J'avais dès le premier jour mis formellement en doute que tous les torts fussent du côté de l'Allemagne, tout le bon droit du côté français ; la fameuse séance du 4 août — où le groupe socialiste que dirigeait le vieux Vaillant avait voté les crédits de guerre sans même appuyer son vote criminel d'une déclaration qui l'eût en quelque sorte atténué — m'avait brisé le cœur. Mais que pouvais-je dire ? Ma voix était faible et n'eût pas eu d'écho. Rosmer vint me voir. C'était le soir où avait paru dans le Temps la correspondance échangée à la veille de la catastrophe entre le kaiser et le tsar. Elle était singulièrement suggestive pour les esprits non aberrés : elle prouvait que la cause de la conflagration européenne n'était pas dans la « volonté de guerre » de l'Allemagne, mais dans la mobilisation russe.

— Il n'y a pas à hésiter, disait Rosmer. L'histoire de l'agression allemande est une énorme duperie. Marcher dans de telles conditions, ce serait capituler.

Moi, je pensais et je dus dire :

— Même s'il y avait agression allemande faudrait-il encore marcher ? La guerre n'est-elle pas un accident quasi fatal du régime capitaliste ? L'intérêt du prolétariat n'est-il pas dans la paix à tout prix ?

Nous nous serrâmes la main, Rosmer et moi. En quelques mots, nous nous étions compris.

Nous nous revîmes fréquemment au cours de ce premier hiver de guerre. Ni lui ni moi, auxiliaires tous deux, n'étions encore mobilisés. A mon retour de Bordeaux où l'Humanité m avait envoyé, je le retrouvai plus ferme, plus résolu que je ne l'avais quitté. Monatte, absent de Paris le 4 août et non encore mobilisé - était en plein accord avec Rosmer : il le manifestait quelques semaines plus tard en quittant bruyamment le Comité confédéral.

De mon côté j'essayais de donner un écho à la pensée de Romain Rolland : tous mes articles de l'Humanité témoignent de mon état d'esprit. Je préparai la publication en brochure de l'inoubliable article du Journal de Genève « Au-dessus de la Mêlée », et j'écrivais à cette intention une préface qui était comme le cri de ma conscience révoltée. Mon bureau à l'Humanité, comme-le local de la Vie Ouvrière, comme plus tard le siège de la Fédération des métaux, était devenu le lieu de rendez-vous de tous ceux qui, par sensibilité humaine ou par conscience internationaliste, se refusaient à joindre leur voix au hurlement des loups. Nous connûmes Guilbeaux, si jeune alors, si ardent, et qui croyait toujours à la paix pour le mois suivant. Nous connûmes Trotsky : il venait d'arriver à Paris et publiait avec Martov le Nache Slovo, qui s'imprimait rue des Feuillantines. Nous étouffions : Trotsky nous apporta l'air excitant du large ; il nous apprit que, partout, les protestations étaient légion, que la trahison n'affectait que les états-majors et que, le socialisme étant demeuré vivant, il s'agissait surtout de reconstruire une Internationale. Quand Robert Grimm vint à Paris (février 1915), il nous rendit visite ; une réunion intime eut lieu à la Vie Ouvrière : j'hésitais à m'y rendre, à cause d'un ancien différend qui m'avait séparé de Monatte : trois télégrammes reçus coup sur coup et signés de Rosmer, de Grimm et de Trotsky eurent raison de mes hésitations ; je me rendis à la Vie Ouvrière : il y avait là Monatte, Rosmer, Merrheim, Trotsky un social-démocrate polonais dont le nom m'échappe et Grimm ; je ne crois pas que j'en oublie. Ah ! nous nous sommes multipliés en France depuis ce lointain soir de février 1915 !

Encore une fois, je ne puis pas m'étendre sur le rôle que dans la guerre a joué Rosmer. Il fut véritablement l'éminence grise de Merrheim ; c'est lui qui publia presque toutes les brochures du Comité pour la reprise des relations internationales ; il rédigeait en même temps l'Union des Métaux qui, en sa qualité d'organe corporatif, jouissait d'une plus grande liberté d'expression que les journaux de grande circulation. Il avait été mobilisé en mai 1915 et l'histoire de ses vicissitudes militaires serait bien amusante à raconter : il eut toutefois la chance de passer à Paris presque toute la durée de la guerre : libre l'après-midi à 5 heures, il pouvait consacrer chaque jour quelques heures de son temps à l'action du Comité.

* * *

J'ai laissé courir ma plume soir le papier au gré de mes souvenirs. Qu'on me pardonne si mon récit n'a rien qui soit sensationnel. Je n'ai pas voulu frapper les esprits par des procédés empruntés au roman. J'ai voulu montrer Alfred Rosmer tel que je le vois, tel que le voient tous ceux qui le connaissent. C'est une intelligence élevée, nourrie, nuancée et fine, une conscience exigeante et droite, un cœur probe et pur. J'ai côtoyé dans la vie bien des hommes de valeur, intellectuellement comme moralement. Je n'en ai pas connu beaucoup qui égalent Rosmer. S'il ne brille pas au premier rang, c'est que sa modestie est sans pareille et qu'aux postes d'honneur, il préférera toujours les postes de dévouement et de travail. L'amitié de Trotsky, qui se connaît en hommes, n'équivaut-elle pas d'ailleurs à une apologie ? Que les prolétaires français apprennent le nom de Rosmer : c'est celui d'un homme qui, sorti de leur classe, est revenu fidèlement à elle ; c'est celui d'un homme qui, s'étant assimilé une très large part du savoir humain, a mis au service de ses frères ouvriers, tout ce qu'il avait de connaissance et d'expérience ; c'est celui d'un révolutionnaire par qui la révolution est grandement honorée et, pour tout dire, d'un véritable communiste.

AMEDUNE.

Notes

1 Ecrivain français (1862-1920), auteur d'un Éloge de Ravachol et boulangiste.

2 Octave Mirbeau (1848-1917), écrivain français, de tendance anarchiste.

3 Jean Grave (1854-1939), militant et auteur anarchiste.

4 Henri Dagan (1870-1912), anarchiste, auteur d’enquêtes sur l’antisémitisme et les Juifs.

5 Je note toutefois un article paru dans les Temps nouveaux en mai 1906 et que je lui avais demandé. Cet article, signé Alfred André, était consacré à Ibsen qui venait de mourir. — Notre ami fut toujours un ibsénien fervent, assidu aux représentations de l'Œuvre. C'est à l'un des principaux drames d'Ibsen qu'il a d'ailleurs emprunté son pseudonyme de Rosmer. (Note de Dunois).


Archives LenineArchives Internet des marxistes
Haut de la page Sommaire