1921

Source : numéro 52 du Bulletin communiste (deuxième année), 24 novembre 1921.


Après un an

Amédée Dunois



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Je viens de lire, d'une traite, et sans en sauter une ligne, la brochure de 62 pages qui contient le rapport que présente au congrès de Marseille le secrétariat général du Parti communiste. — Un an d'action communiste, dit le titre de ce rapport, et de fait, j'ai évoqué à sa lecture toutes les changeantes péripéties de l'année qui s'achève : j'ai revécu non seulement nos actes et nos paroles, qui sont chose publique et sur quoi nous serons jugés, mais nos sentiments aussi, qui sont chose privée, — nos secrètes appréhensions des lendemains de la scission.

Lorsqu'on a cru devoir prendre, comme nous l'avons fait l'année dernière, la lourde responsabilité d'entraîner son parti, contre le gré d'un quart environ de ses troupes et de la presque totalité de son « état-major », hors des sentiers battus du réformisme et de la participation éventuelle au pouvoir, on a le droit de n'être pas froidement rassuré par avance sur les suites que peut comporter pour le Parti, pour le mouvement, une initiative aussi audacieuse. Il est certes beaucoup plus commode de se maintenir, conformément aux lois de la sagesse petite-bourgeoise, dans les voies régulières de la tradition que d'en sortir pour s'efforcer de créer à ses risques et périls une tradition nouvelle.

Mais le prolétariat, comme la fortune, sourit aux audacieux, surtout quand, derrière l'audace, il sent la force d'une grande idée ; après l'expérience d'une année, nous pouvons bien dire que nous n'avons pas à nous repentir de ce que nous avons fait. Félicitons-nous donc d'avoir osé.

Comme Frossard le marque lumineusement dans son rapport, la scission que nous ne voulions pas, mais que voulaient obstinément ceux qui l'ont faite — les hommes de la « résistance socialiste » — nous laissait assez mal en point. Pas d'argent : l'adversaire, en partant, avait vidé la caisse ; pas de cadres, ou fort peu ; presque tous les élus d'une part, la grande majorité des militants expérimentés, propagandistes ou administrateurs, d'autre part, étaient contre nous. Nous avions, il est vrai à nous l'Humanité ; encore nous était-elle disputée par des moyens qui sentaient l'avocasserie bourgeoise d'une lieue.

Tout était à faire ou à refaire. A la vérité, nous avons connu une période plutôt dure ; du moins avons-nous ignoré le désespoir et le découragement. Libre à nos adversaires de montrer au doigt nos erreurs et nos fautes. Nous en avons commis sans nul doute ; il en est une, du moins, où nous ne sommes pas tombés, la pire de toutes : celle du pessimisme, de l'inertie, de la lâcheté et de la peur.

Nous sommes allés partout à la bataille : contre la bourgeoisie, contre les dissidents, contre les majoritaires de la C. G. T. Nous nous sommes multipliés : il en est parmi nous qui n'étaient qu'écrivains, qu'orateurs et qui soudain, se sont mués en administrateurs, participant minutieusement aux plus petits détails de la vie des journaux et de la gestion du Parti. Quelques hommes nouveaux se sont, en outre, révélés, dont il y a tout à attendre dans l'avenir. En province, de même. Si bien qu'à l'heure actuelle, à près d'un an de la scission, si nous souffrons de quelque chose, ce n'est pas d'un déficit de militants qualifiés.

Je sais bien qu'on leur reproche à ces hommes nouveaux, d'être jeunes et de ne pas se montrer avares de leur jeunesse. Cela nous change d'avec l'ancien Parti où les galons ne se gagnaient qu'à l'ancienneté, où c'étaient les vieilles barbes qui, toujours, avaient nécessairement raison. C'est parce que nous sommes jeunes que nous avons osé engager avant-hier la bataille de Charonne, hier la bataille de la Santé — et, parce que nous sommes jeunes, nous les avons gagnées, en dépit des poussiéreux Cassandres de la dissidence qui nous prédisaient la défaite et la honte. En quelques mois, nous avons réuni 180.000 francs pour le Parti, 400.000 pour la Maison du Parti, 1 million 100.000 francs pour nos frères affamés de Russie, tandis que l'Humanité qui aspire, elle aussi, à se mettre dans ses meubles, a maintenant de côté près de 600.000 fr. qui lui permettront d'ici peu de réaliser son vieux rêve d'une imprimerie à elle.

Nous sommes un parti de jeunes, mais pas un parti d'étourdis !

* * *

Est-ce à dire que tout aille à souhait dans notre Parti communiste ? Je m'en voudrais de le prétendre. Nous commençons une carrière, qui sera longue et épineuse. Nous demandons d'être appréciés moins sur ce que nous avons fait que sur ce que nous entendons faire, moins sur ce que nous sommes que sur ce que nous entendons devenir. L'année qui vient de s'écouler ne compte raisonnablement pas : année de réorganisation matérielle, de tâtonnements, de mise au point, de recherches. L'année qui s'ouvre nous offre d'autres perspectives. Il va falloir augmenter nos forces, accroître notre combativité. Il va falloir surtout pousser au plus haut degré l'éducation théorique des camarades du Parti de telle sorte que le plus humble d'entre nous puisse devenir à son tour un agent actif et intelligent de propagande communiste.

On parle beaucoup de la nécessité de recruter des adhérents nouveaux. La quantité est une bonne chose : moins bonne cependant que n'est la qualité, j'entends la qualité intellectuelle. Toute section doit mener de front l'action et la culture, l'une fortifiant l'autre, celle-ci se nourrissant de celle-là. Il y a quarante ans, nos sections s'appelaient : groupes d'études sociales, et c'était, ma foi, un beau nom. On y apprenait le socialisme ; le groupe d'études était l'école du militant.

Nous n'aurons rien fait tant que nous n'aurons pas fait du Parti un vaste foyer d'études sociales. Le socialisme, le communisme est quelque chose qui s'apprend. Le péril vient de ce que trop de nos camarades s'imaginent le savoir, parce qu'ils suivent nos réunions, lisent nos journaux, ont parcouru quelques brochures. Mais les fondements de la doctrine demeurent trop souvent ignorés. Sait-on assez que le communisme a une conception de l'histoire humaine qui n'appartient qu'à lui ? A-t-on clairement pénétré « le secret de l'accumulation capitaliste » ? A-t-on bien mesuré toute l'importance des notions de classe et de lutte de classe, de bourgeoisie et de prolétariat ? Ce n'est pas tout à fait certain. On ne connaît probablement pas mieux l'historique du mouvement socialiste.

Aujourd'hui, le Parti existe. Sa constitution est solide ; son avenir matériel assuré. Ce qu'on attend de lui, c'est qu'il consacre à la propagande toutes celles de ses forces que la bataille politique laissera disponibles ; c'est qu'il fasse des cerveaux et des consciences communistes. Je sais bien que la grande éducatrice, c'est l'action ; mais l'action ne dispense ni de la propagande ni de l'étude. Il n'importe pas de savoir pour savoir ; ce qui importe, c'est de savoir pour agir. Le but de la culture communiste, c'est l'action communiste, la future révolution communiste.

L'année qui s'ouvre doit avoir pour mot d'ordre : De la propagande ! encore de la propagande ! toujours de la propagande ! C'est elle, la propagande, qu'il faut à présent organiser. On nous annonce pour 1922 la création de douze postes de délégués régionaux, dont le rôle consistera moins à discourir en réunions publiques qu'à visiter les groupes et à y faire des conférences éducatives. J'attends beaucoup de ces délégations régionales, si les titulaires en sont bien choisis. J'attends beaucoup aussi de notre Bulletin Communiste amélioré et développé. Et je sais que la Librairie du Parti et de l'Humanité s'apprête de son côté à un sérieux effort d'éditions et de rééditions dont le plan méthodique sera très prochainement établi.

Allez aux masses ! Ce cri lancé par Moscou a été entendu de toutes les sections de la troisième Internationale. Mais aller aux masses ne serait qu'un geste dérisoire, si ceux qui l'accomplissent n'avaient une conscience communiste à la hauteur de la mission qui leur échoit. Avant donc que d'aller aux masses, ou même tout en y allant, formons des militants. Nous en avons déjà beaucoup, plus même que nous ne pensons. En aurons-nous jamais assez ?

Propagande ! Propagande ! Et puis : Etude ! Etude ! Nous avons à faire du Parti une école, un laboratoire, une vaste pépinière de consciences révolutionnaires et de cerveaux communistes. Et nous n'aurons rien fait tant que nous n'aurons pas fait cela.