1848-49

Marx et Engels journalistes au coeur de la révolution...

Une publication effectuée en collaboration avec la bibliothèque de sciences sociales de l'Université de Québec.


La Nouvelle Gazette Rhénane

F. Engels

Premier acte de l’Assemblée nationale de Francfort


n° 23, 23 juin 1848

Cologne, 22 juin

Enfin l'Assemblée nationale allemande a eu un sursaut !

Enfin, elle a pris un décret aux conséquences pratiques immédiates, elle est intervenue dans la guerre austro-italienne [1].

Et comment est-elle intervenue ? A-t-elle proclamé l'indépendance de l'Italie ? A-t-elle expédié un courrier à Vienne avec l'ordre pour Radetzky et Welden de se retirer immédiatement derrière l'Isonzo [2] ? A-t-elle envoyé une adresse de félicitations au gouvernement provisoire de Milan ?

Pas du tout ! Elle a déclaré qu'elle considérait toute attaque contre Trieste comme un casus belli.

Ce qui signifie : l'Assemblée nationale allemande, en complet accord avec la Diète, permet aux Autrichiens de se livrer en Italie aux plus grandes brutalités, de piller, d'assassiner, de lancer dans toutes les villes, dans tous les villages, des fusées incendiaires (voir l'article sur l'Italie [3]) et de se retirer ensuite sur le territoire neutre de la Confédération germanique. Elle permet à tout instant aux Autrichiens de submerger la Lombardie de Croates et de Pandours [4], à partir du territoire allemand, mais elle veut interdire aux Italiens de poursuivre dans leurs tanières les Autrichiens battus. Elle permet aux Autrichiens, venant de Trieste, de bloquer Venise et les embouchures de la Piave, de la Brenta et du Tagliamento; mais elle interdit aux Italiens la moindre hostilité contre Trieste !

L'Assemblée nationale allemande ne pouvait pas se conduire plus fâcheusement qu'en adoptant ce décret. Elle n'a pas le courage de condamner ouvertement la guerre d'Italie. Elle a encore moins le courage d'interdire au gouvernement autrichien de faire la guerre. Dans son embarras, elle adopte - et par-dessus le marché par acclamations, pour étouffer par des clameurs son angoisse secrète - le décret contre Trieste : décret qui ne veut dans sa forme ni approuver ni désapprouver la guerre contre la révolution italienne, mais qui en fait l'approuve.

Ce décret est une déclaration de guerre à l'Italie, déclaration indirecte et par conséquent doublement déshonorante pour une nation de 40 millions d'habitants comme la nation allemande.

Le décret de l'Assemblée de Francfort soulèvera une tempête d'indignation dans toute l'Italie. Si les Italiens ont encore tant soit peu de fierté et d'énergie à dépenser, ils répondront en bombardant Trieste et en marchant sur le Brenner.

Mais l'Assemblée de Francfort propose, et le peuple français dispose. Venise a appelé les Français à l'aide; après cette décision, les Français ne tarderont sans doute pas à franchir les Alpes, et il ne faudra pas longtemps pour que nous les ayons sur le Rhin.

Un député [5] fit à l'Assemblée de Francfort le reproche de chômer.

C'est tout le contraire. Elle a déjà tellement travaillé que nous avons une guerre au Nord et une guerre au Sud, et que sont devenues inévitables une guerre à l'Ouest et une guerre à l'Est. Nous nous trouverons donc dans l'heureuse posture d'un pays qui combat à la fois le Tsar et la République française, la réaction et la révolution. L'Assemblée a veillé à ce que des soldats russes, français, danois et italiens se donnent rendez-vous à l'église Saint-Paul [6] de Francfort. Et on prétend que l'Assemblée chôme ?


Notes

[1] À l'annonce qu'une révolution victorieuse avait éclaté à Vienne, une insurrection éclata à Milan (18-23 mars 1848). Les insurgés obligèrent Radetzky et les 15.000 soldats de l'armée autrichienne à quitter la ville. Un gouvernement provisoire, composé de bourgeois libéraux fut formé le 22 mars. Le mouvement insurrectionnel gagna la Vénétie et la Lombardie, Parme et Modène.

[2] L'Isonzo, fleuve d'Italie qui naît dans le massif du Terglou et se jette dans le golfe de Trieste.

[3] N.G.R., 23 juin 1848, n° 23, p. 4 : « Vicence (détails sur la prise de la ville) ».

[4] Les Croates étaient des soldats de l'armée autrichienne (cavalerie légère et infanterie) qui se recrutaient primitivement chez le peuple croate. Les Pandours constituaient une formation militaire autrichienne c'étaient des troupes d'infanterie particulièrement brutales.

[5] Il s'agit de Kohlparzer, auteur de la proposition tendant à considérer comme casus belli toute attaque contre Trieste.

[6] Église désaffectée où se réunissait l'Assemblée nationale.


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