1848-49

Marx et Engels journalistes au coeur de la révolution...

Une publication effectuée en collaboration avec la bibliothèque de sciences sociales de l'Université de Québec.


La Nouvelle Gazette Rhénane

Friedrich Engels

La dissolution des Associations démocratiques dans le Bade


n° 58, 28 juillet 1848

Cologne, 27 juillet

Les mesures policières réactionnaires contre le droit d'association se suivent coup sur coup. D'abord on supprime l'Association démocratique de Stuttgart, puis celle de Heidelberg. Le succès enhardit ces Messieurs de la réaction; le gouvernement badois dissout maintenant toutes les Associations démocratiques du Bade.

Cette suppression se produit au moment même où la soi-disant Assemblée nationale de Francfort s'occupe de sauvegarder pour l'éternité un des « droits fondamentaux du peuple allemand », le droit d'association.

La condition fondamentale du libre droit d'association, c'est que la police ne puisse dissoudre ou interdire aucune association, aucune société, et que de telles décisions ne puissent intervenir qu'à la suite de la sentence d'un tribunal établissant l'illégalité de l'association, ou de ses actes et de ses buts, et punissant les auteurs de ces actes.

Cette voie est naturellement beaucoup trop lente pour M. Mathy, censeur impatient. De même qu'il trouva fastidieux d'obtenir un mandat d'arrêt ou de se faire au moins nommer commissaire spécial, lorsque, au nom du gendarme qui se cache en son sein, il arrêta Fickler « coupable de haute trahison », de même il trouve aujourd'hui encore tout aussi méprisable et aussi peu pratique la voie judiciaire, la voie légale.

Les motifs de ce nouvel acte de violence policière sont édifiants à l'extrême. Les Associations se seraient affiliées à l'organisation des Associations démocratiques pour toute l'Allemagne, organisation issue, du congrès démocratique de Francfort [1]. Ce congrès « s'était fixé comme but de lutter pour l'établissement d'une république démocratique » (comme si c'était défendu !); « quant aux moyens envisagés pour atteindre ce but, ils ressortent entre autres de la sympathie exprimée dans les résolutions en faveur des émeutiers (depuis quand la « sympathie » est-elle un « moyen » illégal ? ) et aussi du fait que le comité central de ces associations a refusé de reconnaître plus longtemps l'Assemblée nationale allemande, tout en incitant la minorité à une scission formelle pour constituer illégalement une nouvelle Assemblée [2]. » Suivent les résolutions du congrès sur l'organisation du Parti démocrate.

Selon M. Mathy les Associations badoises sont donc responsables des résolutions du comité central, même si elles ne les mettent pas à exécution. Car si ces Associations, à l'instigation du comité de Francfort, avaient réellement rédigé une adresse à la gauche de l'Assemblée et l'avait appelée à s'en aller, M. Mathy ne manquerait pas de l'indiquer. Si d'ailleurs l'appel en question était illégal, ce ne serait pas à M. Mathy, mais aux tribunaux d'en décider. Et pour déclarer illégale l'organisation du parti en cercles, congrès et comité central, il faut vraiment être M. Mathy. Et les associations constitutionnelles et réactionnaires [3] ne s'organisent-elles pas suivant ce type ?

Mais évidemment ! il « semble inadmissible et pernicieux que le fondement de la Constitution soit miné, et qu'ainsi tout l'édifice de l'État soit ébranlé par la force des associations. »

Si le droit d'association existe, M. Mathy, c'est justement pour qu'on puisse « initier » impunément la Constitution sous une forme légale, cela va de soi ! Et si la force des associations est plus grande que celle de l'État, tant pis pour l'État !

Nous lançons une fois encore un appel à l'Assemblée nationale pour qu'elle mette M. Mathy immédiatement en état d'accusation si elle ne veut pas perdre tout prestige.


Notes

Texte surligné : en français dans le texte.

[1] Le premier congrès démocratique se tint du 14 au 17 juillet 1848 à Francfort-sur-le-Main. Des délégués de 89 associations démocratiques et organisations de 66 villes allemandes y participèrent. Le congrès déclara que la république démocratique était le seul régime durable pour l'Allemagne. On y décida de grouper toutes les associations démocratiques, de créer des comités d'arrondissement et, pour les diriger, un comité central ayant son siège à Berlin, Fröbel, Rau, Kriege, Bairhoffer, Schute et Anneke furent élus membre de ce comité central. Mais étant données la faiblesse et l'inconstance de la direction petite-bourgeoise, le mouvement démocratique allemand resta morcelé et inorganisé, même après ces décisions.

[2] Deutsche Zeitung, numéro 206 du 26 juillet 1843.

[3] Les éléments bourgeois modérés d'Allemagne, partisans d'une monarchie constitutionnelle se rassemblèrent en associations et club constitutionnels avec, à leur tête, le club constitutionnel de Berlin, et en associations civiques. Les associations prussiennes avaient un programme réactionnaire pénétré de l'esprit prussien. Dans une série de villes de Rhénanie, il y avait des organisations catholiques, dites associations de Pie IX, qui avaient un programme constitutionnel avec des clauses sociales démagogiques.


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