1982

"Les révolutions vaincues sont vite oubliées. Pourtant, de tous les bouleversements après la Première Guerre Mondiale, ce sont les événements en Allemagne qui ont fait dire au premier ministre britannique Lloyd George : « Tout l'ordre politique, dans ses aspects politique, social, et économique, est mis en question par les masses d'un bout à l'autre de l'Europe. » Voilà que survenait une grande agitation révolutionnaire, dans une société industrialisée avancée, et en Europe occidentale. Sans comprendre sa défaite, les grandes barbaries qui se sont répandus sur l'Europe dans les années 30 ne peuvent pas être compris – car la croix gammée est d'abord entrée dans l'histoire moderne sur les uniformes des troupes contre-révolutionnaires allemandes de 1918-1923, et parce que la défaite en Allemagne a fait tomber la Russie dans l'isolation qui donna à Staline son chemin vers le pouvoir."

Chris Harman

La révolution perdue

Chapitre 13 - L’octobre allemand

1982

A l’été 1923, l’inflation prit des proportions absolument démentielles. Jusque là, la monnaie s’était dépréciée à un rythme hebdomadaire ou mensuel, mais il était encore possible de s’adapter. Désormais, elle perdait de la valeur toutes les heures. En juillet et août, le taux de change du mark contre le dollar était réduit de moitié tous les quatre jours. Et, pour la première fois, le pouvoir d’achat du mark en Allemagne même commença à baisser plus vite que sa valeur sur le marché international.

La masse de la population se trouva véritablement livrée au désespoir.

Sur les marchés de Berlin, le prix des pommes de terre, des œufs et du beurre changeait six fois par jour. (...) Le troc remplaça largement les transactions en monnaie. Les gens offraient leurs derniers bijoux, et leurs derniers meubles, pour avoir leur pain quotidien. (...) Les masses en colère et désespérées se mirent à se révolter, et il y eut des émeutes dans toute l’Allemagne.1

Un changement significatif commença à se produire chez les travailleurs. Il y avait eu, en dehors des zones occupées de la Ruhr, un plein emploi relatif jusqu’au milieu de l’été, même si le petit nombre des chômeurs était vraiment dans la misère la plus complète. Mais à partir de la fin de juillet le boom inflationniste arriva à sa fin, et de nombreuses firmes firent faillite : le temps de porter leur encaisse à la banque, la monnaie valait trop peu pour renouveler les stocks. Le chômage, pratiquement nul au début de l’année, atteignait 6 % en août et 23 % en novembre. Un grand nombre de travailleurs se retrouvèrent en chômage technique partiel.

Mais, au début, le niveau de chômage n’affecta pas la combativité et la confiance des organisations ouvrières dans les usines. A la fin de juillet, une autre vague de grèves commença, semblable à celle de mai et juin, mais sur une bien plus grande échelle, et avec des conséquences politiques autrement plus importantes.

En Saxe, une grève de 20 000 mineurs avait éclaté le 25 juillet. Trois mille mineurs prirent d’assaut les locaux de la fédération patronale et les saccagèrent. Le même jour, les patrons de onze usines de la ville saxonne d’Aue furent obligés d’accepter des augmentations de salaires après des menaces de manifestations armées. A Schneeberg, une semaine plus tard, les Centuries prolétariennes saisirent une grande quantité de produits alimentaires. Le 1er août, les ouvriers des usines de huit villes voisines firent le siège des négociations salariales en cours à Aue. Le 6 août, c’était le tour de 4 000 ouvriers métallurgistes de Pobeln de descendre dans la rue. Les Centuries traînèrent physiquement les employeurs à la table des négociations et les obligèrent à faire des concessions.

Des rapports au Ministre de l’Intérieur du Reich se plaignaient : « La force a été utilisée pour obliger les employeurs à négocier, sans que les dirigeants syndicaux ou la police ne puissent intervenir ».2 A Chemnitz, 150 000 travailleurs défilèrent dans les rues, demandant le renversement du gouvernement.

Dans la première semaine d’août, le mouvement gagna d’autres parties de l’Allemagne. Il y eut de grandes manifestations à Stuttgart. A Stettin, les dockers se mirent en grève. Au Brandebourg, des salariés agricoles en grève commencèrent à se livrer à des pillages. A Magdebourg les ouvriers ruraux cessèrent le travail le 9 août.

Pendant ce temps, dans la région Ruhr-Rhénanie, 200 000 mineurs commençaient une grève du zèle, malgré une augmentation de salaire de 87 % à la fin juin. Celle-ci avait déjà été absorbée par la valse des étiquettes. « Les manifestations et les meetings contre les hausses de prix se multiplièrent. (...) des affrontements avec la police se produisirent après un congrès des sans-emplois et des bénéficiaires d’emplois d’urgence dans les ateliers gouvernementaux, tenu les 28 et 29 juillet ».3 Il y eut trois morts à Oberhausen.

L’inflation commença à causer une pénurie de denrées alimentaires qui à son tour aggrava l’inflation : les paysans n’échangeaient plus leurs produits contre du papier-monnaie ; les magasins tiraient leur rideau parce que les commerçants n’avaient plus les moyens de reconstituer leurs stocks. Au moment où un conseil d’arbitrage du 2 août allouait aux mineurs de la Ruhr des augmentations de salaire de 90 à 110 %, leur valeur avait déjà été réduite à néant.

Dans les mines et l’industrie lourde, les esprits ne se calmaient pas. Des allocations spéciales de salaire furent exigées. C’est en vain que les organisations centrales des travailleurs obtinrent le 9 août une augmentation de 245 %. (...) Les troubles se répandirent.4

Ce n’était pas surprenant. Le prix du charbon quadrupla dans la seule journée du 9 août. Le coût de certains produits de première nécessité avait été multiplié par vingt au cours du même mois. A Berlin, il y avait déjà des grèves sporadiques dans les usines de mécanique au début d’août et des arrêts de travail partiels dans le réseau ferré municipal. Die rote Fahne se fit l’écho d’une grève des cols blancs dans l’industrie mécanique. L’usine de Borsig s’arrêta le 9 août, puis les ateliers du Métro. Mais ce fut la grève des imprimeurs, le même jour, qui porta le mouvement à son sommet.

La grève des ouvriers de l’imprimerie était officielle – mais les dirigeants syndicaux ne voulaient pas impliquer les 8 000 travailleurs des imprimeries gouvernementales. Les communistes réussirent à amener ceux-ci à cesser le travail – frappant le gouvernement là où ça faisait vraiment mal. Car les presses qui déversaient des quantités toujours plus grandes de billets de banque cessèrent de tourner. Tout d’un coup, le flot énorme de papier-monnaie nécessaire pour suivre l’envolée des prix se tarissait. L’économie tout entière était menacée d’asphyxie.

Les dirigeants communistes comprirent enfin la dimension des évènements : ils se mirent immédiatement à faire de l'agitation pour une grève générale pour renverser Cuno et mettre à sa place un « gouvernement ouvrier ». Les immenses ateliers de Siemens, à Berlin, cessèrent le travail à la suite de Borsig, et furent eux-mêmes imités par onze autres grandes usines. Désormais les revendications n’étaient plus seulement économiques, mais exigeaient le renversement du gouvernement. Les transports en commun de la ville s’arrêtèrent complètement, puis les travailleurs de l’eau, du gaz et de l’électricité posèrent eux aussi les outils.

En dehors de Berlin, il y eut un point mort total dans les zones minières saxonnes5, où les organisations armées de travailleurs montrèrent leur force comme jamais auparavant : « Les Comités de Contrôle semblaient dominer les marchés ».6 Dans l’ouest du pays, comme le disait un rapport destiné au Ministre de l’Intérieur :

La grève générale, malgré les syndicats paralyse Solingen, on se bat à Krefeld, Homberg, Aix-la-Chapelle, Clèves, Opladen, Stoppenberg, etc. Chômeurs et grévistes affamés pillent la campagne à la recherche de nourriture. (...) Par douzaines, des plaintes et des appels d’employeurs tombent sur le bureau du Ministre de l’Intérieur. (...) Sur la rive gauche du Rhin les mineurs occupent partiellement les installations et chassent la direction. (...) Dans certaines mines des échafauds sont élevés avec des écriteaux disant : « Ceci est pour vous si vous ne satisfaisez pas nos revendications dans les 24 heures ».7

Le 11 août, une conférence des conseils d’usine et de puits de la Ruhr se réunit à Essen et formula les revendications de la grève dans la région. En même temps que le renversement du gouvernement Cuno et la formation d’un gouvernement ouvrier, la conférence demandait le retour aux salaires réels d’avant-guerre, la journée de six heures dans les puits et la réquisition des produits de première nécessité par les Comités de Contrôle. A Hambourg, les chantiers navals furent paralysés, et il y eut des tirs dans les rues de Hanovre, Lübeck et Neurode.

A Berlin les syndicats ne pouvaient ignorer la pression de leurs membres. Ils furent obligés de donner au moins l’impression de diriger le mouvement. Ils convoquèrent une réunion spéciale de représentants du SPD, de l’USPD croupion et des communistes le 10 août. Les communistes réitérèrent leur appel à la grève générale. Pendant un moment, certains dirigeants syndicaux profondément réformistes semblèrent s’engager, non sans hésitation, dans ce sens. Ils avaient peur de perdre tout respect de leur base s’ils s’opposaient à l’appel ; mais ils craignaient tout autant, s’ils approuvaient le mot d’ordre, la propagation d’un mouvement qu’ils seraient incapables de contrôler. L’un des délégués du SPD était le vieil ennemi de la révolution de 1919, Otto Wels. Il s’exclama que la grève, c’était l’anarchie, l’aventurisme, le chaos – et cela juste au moment, prétendait-il, où le gouvernement mettait en œuvre un ensemble de mesures économiques d’urgence qui allaient commencer à arranger les choses. Son intervention fit pencher la balance au sein des directions syndicales. La grève générale fut rejetée.

Mais les communistes savaient que la base des syndicats n’était pas d’humeur à écouter les avertissements de ses dirigeants. Une circulaire fut envoyée à tous les districts du parti :

Les informations que nous recevons indiquent qu’une situation semblable à celle de Berlin existe dans tout le pays. Partout, il y a des grèves du zèle et des arrêts de travail. Il est nécessaire d’unifier ces mouvements et de leur donner une orientation. Nous devons essayer d’obtenir des comités locaux de l’ADGB [la principale fédération syndicale] qu’ils prennent la tête du mouvement spontané. Là ou cela n’est pas possible, les conseils d’usine doivent diriger et organiser le mouvement.

C’était précisément en vue d’une telle occasion que les communistes s’étaient employés, pendant toute l’année passée, à construire des organisations locales et nationales de conseils d’usine hors d’atteinte du contrôle des bureaucrates syndicaux. Le Comité des Quinze élu lors de la Conférence Nationale des Conseils l’année précédente prit l’initiative d’appeler à une réunion de délégués des conseils d’usine berlinois pour le lendemain (11 août).

« Les grandes salles débordaient de monde », se souvient un des participants :

Les rues (...) débordaient de voitures et de camionnettes que les conseils d’usine avaient réquisitionnées dans les usines pour avoir un moyen de transport rapide pour les travailleurs. Dans les rues avoisinantes, il y avait des voitures de police, mais ils n’osaient pas intervenir.8

Il y a diverses estimations du nombre des présents. L’historien français Broué donne le chiffre de 2 000, l’historien suisse Favez, sur la base de documents officiels, dit que « 10 000 comités d’entreprise étaient représentés »9 et l’Allemand de l’Est Ersil écrit que « s’assemblèrent là près de 20 000 comités d’usine, parmi lesquels des milliers de sociaux-démocrates ».10 Sans s’arrêter aux chiffres, une chose est certaine. Le mouvement des conseils d’usine, qui semblait si faible neuf mois plus tôt, avait généré une force capable d’unir la classe ouvrière indépendamment des bureaucrates syndicaux.

La réunion appela à une grève générale immédiate avec les revendications suivantes : renvoi du gouvernement Cuno ; formation d’un gouvernement ouvrier ; réquisition des produits de première nécessité sous le contrôle des organisations ouvrières ; salaire minimum immédiat de 10 pfennigs-or ; levée de l’interdiction des Centuries prolétariennes.

Le Comité des Quinze donna des orientations à la grève générale – élection de comités de grève, organisation de Comités de Contrôle et de Centuries prolétariennes, désarmement par les Centuries des groupes fascistes, propagande et fraternisation avec les soldats et la police.

La police saisit une édition spéciale de IDie rote Fahne qui était destinée à diffuser l’appel des conseils d’usine. Mais si la répression avait pour but d’empêcher le développement du mouvement, elle en fut pour ses frais. Berlin était complètement paralysée par la grève.

la capitale privée d’eau, de gaz, d’électricité, de journaux – à la fois morte et tendue, où se multiplient les meetings, les cortèges (...)11

L’appel de Berlin donna un élan renouvelé aux mouvements hors de la capitale. A Halle, 1 500 travailleurs participèrent à un congrès local des conseils d’usine – 339 d’entre eux étaient des délégués des puits, qui votèrent par 320 voix contre 19 pour la grève générale. Il y avait dans la majorité favorable à la grève 70 délégués du SPD.12 La grève fut effective à la fois dans la zone de Halle-Merseburg et dans celle, traditionnellement plus social-démocrate, de Magdebourg. Les travailleurs allaient de puits en puits et d’usine en usine, propageant l’action.

La grève générale fut un peu plus lente à gagner la Saxe et en Thuringe – elle ne fut pas réellement engagée avant les 13-14 août. Mais il était toujours possible, le 14, à un certain Dr Weigel de se plaindre, au Landtag, de la « terreur » exercée pendant les négociations salariales, lesquelles se tenaient « régulièrement face à des manifestations locales » qui « menaçaient les dirigeants des employeurs » - par exemple à Aue, Schneeberg et Annsberg.13

En même temps que la grève faisait tache d’huile dans tout le pays, elle mena à une vague de manifestations et de batailles de rue :

Dans toutes les grandes villes ouvrières où la grève s'étend, des bagarres éclatent. (...) Le 12 août, collision entre manifestants et policiers à Hanovre, Rotthausen, Gelsenkirchen : trente morts. Le 13, nouvelles manifestations, nouvelles fusillades, plus graves, un peu partout : six morts à Wilhelmshaven, vingt à Hanovre, quinze à Greisz, dix à Aix-la-Chapelle, vingt à Zeitz, trente à Iéna, un à Breslau, quatre à Crefeld, quatre à Ratibor.14

Il y a eu depuis bien des discussions sur l’échelle exacte du mouvement. Des historiens comme Ersil, Broué et Favez en donnent la représentation d’un soulèvement énorme. Pour l’historien américain Angress, au contraire, ce n’aurait été guère plus qu’une tempête dans un verre d’eau. Il admet que l’appel à la grève « fut suivi d’un effet d’une intensité surprenante dans plusieurs groupes professionnels à Berlin », mais il prétend que « même là, il ne prit pas les proportions d’une grève générale ». Il écrit ailleurs : « L’Allemagne du Sud dans son ensemble et la Ruhr n’en furent pas affectées ».

Mais c’est tout à la fois ignorer la documentation officielle du mouvement de grève citée par Favez et Ersil et traiter la grève générale isolément des arrêts de travail partiels qui l’ont précédée, en particulier dans la Ruhr. Il est clair que ces journées semèrent l’inquiétude dans les sections les plus conscientes du capitalisme allemand. Stresemann, le dirigeant du Parti National du Peuple Allemand, confiait à l’ambassadeur britannique :

[Stresemann] pense que les communistes ne pouvaient pas laisser passer l’occasion présente. (...) Toutes les circonstances sont en leur faveur. Jamais une pareille occasion ne se présentera à nouveau à eux. Stresemann a dit : « J’ai donc peur de deux choses, d'un succès communiste immédiat et d'une réaction nationaliste violente qu’il déchaînerait…’ »15

La grève générale eut lieu alors que le gouvernement était de toutes façons au bout du rouleau. Sa tentative de résoudre la crise de la Ruhr en faisant intervenir les Britanniques venait d’échouer. Il devait faire face à l’inflation. Et maintenant toute la classe ouvrière semblait être tombée sous l’influence des communistes. Cuno, « l’homme fort » huit mois plus tôt, qui caressait des rêves de dictature personnelle, se disait désormais « trop fatigué » pour continuer.

Le capitalisme allemand trouvait des raisons d’être rassuré, comme si souvent par le passé, dans l’attitude de la social-démocratie. Le 10 août, le vote des députés du SPD permit à Cuno de faire passer ses mesures financières. Le 12, la grève générale les faisait changer d’attitude – leur « neutralité bienveillante » ne pouvait plus maintenir Cuno au pouvoir. La question était dès lors de savoir quel genre de gouvernement devait le remplacer. La direction du SPD décida de voter contre Cuno, mais proposa de participer à un gouvernement dirigé par son collègue de parti Stresemann – Stresemann, porte-parole d’un secteur puissant du patronat allemand, le chef d’un parti qui dépendait de l’argent de Stinnes, devint chancelier.

Il était très heureux d’avoir quatre ministres sociaux-démocrates :

Dans certains cercles politiques, on voyait la situation sous le même jour que celle de l’automne 1918 : de même que l’entrée des sociaux-démocrates dans le cabinet du prince Max avait été alors nécessaire, la crise de 1923 exigeait la participation au gouvernement du parti le plus fort de la classe ouvrière.16

La décision de participer au gouvernement provoqua une intensification des discussions dans le parti : 53 des 171 députés SPD s’abstinrent lors du vote de confiance au Reichstag. Pour eux, comme l’écrit l’historien pro-social-démocrate Landauer, « c’était une humiliation de participer à un gouvernement fédéral avec le Parti National du Peuple Allemand ».

Malgré tout, un gouvernement fut ficelé qui unissait tous les partis séparant la gauche révolutionnaire de la droite fasciste – de l’économiste « marxiste », ancien dirigeant de l’USPD, Hilferding à ceux qui rêvaient, comme Stinnes et Cuno, d’une dictature d’extrême droite.

L’accalmie

L’effet immédiat de la constitution du nouveau gouvernement fut de casser la dynamique de la grève générale. Son slogan essentiel était « A bas le gouvernement Cuno » – et le gouvernement Cuno était tombé.

Bien sûr, la revendication était couplée à l’appel à remplacer Cuno par un « gouvernement ouvrier ». Mais satisfaire cette demande signifiait se mesurer à un obstacle que les groupes de grévistes ne croyaient pas pouvoir surmonter : les dirigeants sociaux-démocrates, tous les travailleurs le savaient, refusaient toute perspective de gouvernement ouvrier. Continuer à appeler à un tel gouvernement pouvait être un slogan propagandiste, mettant en évidence l’inclination pro-capitaliste des dirigeants du SPD, mais ne semblait pas constituer, aux yeux de larges couches de travailleurs, un objectif immédiatement réalisable au moyen de la poursuite de la grève.

En même temps, il était assez facile pour les plus gros employeurs individuels de satisfaire un certain nombre de revendications salariales : le taux de l’inflation était tel que des salaires doublés aujourd’hui seraient réduits au quart de leur valeur en moins d’une semaine.

Finalement, les pressions matérielles subies par les travailleurs dans le sens de la reprise du travail furent les plus fortes. Les caisses de grève des sections syndicales et les économies individuelles des travailleurs étaient vidées de toute valeur par l’inflation. Manquer une journée de salaire signifiait ne pas manger – sauf si la grève, devenant plus qu’une grève, menait à la réquisition révolutionnaire de denrées alimentaires. De longues grèves n’étaient plus matériellement possibles. Le choix était la reprise du travail ou la révolution – et personne n’avait encore fait de préparations pour une révolution.

La grève générale commença à s’essouffler à Berlin, raconta Brandler plus tard, malgré les tentatives des communistes de la prolonger « au moins 24 heures » pour en faire une grève contre la nouvelle Grande Coalition.

Même si nous à la Centrale nous avions décidé de ne pas s'arrêter après trois jours, mais de faire grève au moins encore un jour, nos camarades radicaux berlinois n'ont pas pu appliquer la décision, mais reprirent le travail malgré notre décision, parce que la force interne n'était plus là.17

Die rote Fahne du 14 août titrait : « Des millions en lutte ». Mais la reprise continua à Berlin, et dans l’après-midi une édition spéciale appelait à « terminer la grève dans l’unité ». « La grève est terminée », ajoutait-elle, « préparons-nous pour la prochaine ». Ruth Fischer, de la soi-disant « gauche », expliquait dans une réunion des conseils d’usine qu’ils devaient tous reprendre le travail (ce qui ne l’empêcha pas d’attaquer par la suite Brandler pour avoir pris la décision !).

N’y avait-il aucun moyen de continuer la grève ?

Brandler prétend que c’était possible en Allemagne centrale et en Saxe, où la grève n’avait démarré à plein qu’après la chute du gouvernement Cuno. Mais c’était parce que la grève y était beaucoup plus politique qu’à Berlin, et que les travailleurs étaient quasiment prêts à passer à l’offensive révolutionnaire. Mais à Berlin même, disait-il, la grève était encore basée sur des revendications essentiellement « économiques », comme la vague de grèves de mai-juin en Allemagne centrale, en Silésie et dans la Ruhr.

A Berlin, la grève contre Cuno était la continuation des luttes révolutionnaires sur les salaires dans la Ruhr, en Saxe et en Haute Silésie. Mais à Berlin, cette lutte avait une signification autre que dans la Ruhr, la Saxe ou la Haute Silésie. C’est la grève qui causa la crise gouvernementale et la chute du cabinet Cuno. Mais elle ne fut une grève politique que dans ses conséquences, non au sens qu'elle se donnait des buts politiques conscients.
Lorsque la démission de Cuno fut obtenue, l’élan de la grève fut brisé. Personne n'osera prétendre que nous aurions pu continuer cette lutte contre la constitution du gouvernement de coalition.18

A l’inverse, « Les camarades saxons entraient dans une grève qui n’était pas économique mais politique, ce qui signifiait le prélude d’un soulèvement armé ». Mais Berlin n’était pas prête, et la Saxe ne pouvait aller de l’avant toute seule.

La version de Brandler donne sans aucun doute un sens au tour immédiat pris par les évènements. Ce qu’elle suggère, c’est que que le véritable point faible du mouvement était Berlin (et la côte Nord-Ouest) où la stratégie du front unique n’avait été mise en œuvre qu’à contre-cœur par la direction locale, « de gauche », du parti. Mais elle laisse sans réponse une question : les choses n’auraient-elles pas été un peu différentes si le parti était passé (comme Brandler lui-même le suggérait) de la défensive à l’offensive deux ou trois semaines avant le déclenchement de la grève – s’il n’avait pas reculé sur les manifestations de la Journée Antifasciste – et s’il avait lancé un slogan plus clair que celui de « gouvernement ouvrier » ?

En tout état de cause, la suite immédiate de la grève fut une baisse du niveau de combativité. Dans les mines de la Ruhr, par exemple, la lutte sur les salaires se termina rapidement, en dépit du fait qu’une addition de 50 % à l’augmentation de 245 % des rémunérations des mineurs ne suivait pas l’augmentation des prix de 2 000 % par mois.19

La faim et la colère ne disparurent pas. Loin de là. Le niveau de pauvreté augmenta en même temps que les étiquettes étaient libellées en millions et en milliards de marks. Il y eut davantage d’échos de pillage des cultures dans la région de la Ruhr ; les émeutes de la faim firent 13 morts à Aix-la-Chapelle20 ; les 27-28 août, les chômeurs s’emparèrent de l’hôtel de ville de Plauen ; dans la deuxième semaine de septembre, 13 personnes furent tuées lorsque la police de Dresde attaqua une manifestation, d’abord avec des matraques, puis en ouvrant le feu (bien que le chef de la police saxonne fût un social-démocrate « de gauche »).

Mais ces incidents ne se combinaient pas pour former un mouvement national comme du 9 au 13 août. Toute grande grève est suivie d’une inévitable démoralisation : l’euphorie des manifestations et des piquets de masse est remplacée par l’humiliation d’avoir à nouveau à pointer et à obéir au contremaître. Cette fois-ci, la reprise du travail fut accompagnée par une importante augmentation du chômage, la prospérité due à l’inflation s’étant transformée en récession inflationniste. En même temps que les queues devant les bureaux de chômage s’allongeaient et que les travailleurs commençaient à craindre pour leur emploi, les employeurs passaient à l’offensive. Dans la semaine qui suivit la grève générale il y eut 100 000 licenciements – parmi lesquels de nombreux militants.

Les forces de l’Etat elles aussi commencèrent à vouloir prendre leur revanche. Deux cents grévistes furent arrêtés, la presse communiste fut interdite, et le ministre de l’intérieur prussien édicta des décrets mettant hors la loi à la fois le « Comité des Quinze » de l’organisation nationale des conseils d’usine et le comité des conseils d’usine du Grand Berlin. Dans la Ruhr, « l’ennemi » français donna un coup de main, en interdisant cinq journaux communistes.

Vers la révolution ?

Un effet immédiat de la grève contre Cuno fut de d'éveiller l'attention du mouvement communiste international – et les dirigeants du Parti Communiste russe – à ce qui se passait en Allemagne. Déjà, le 15 août, Zinoviev, le président du Comintern, écrivait : « La crise se prépare. (...) Un nouveau chapitre s'ouvre dans l'histoire du Parti Communiste Allemand et, par conséquent, de l'Internationale communiste tout entière. ».21 Trotsky, en congé en Crimée, demanda à voir deux dirigeants communistes allemands résidant à Moscou, Walcher et Enderle, et les interrogea longuement sur la situation. Puis les dirigeants russes se hâtèrent de rentrer à Moscou, où une réunion spéciale du Politburo se tint le 23 août. Trotsky y exprima un point de vue que tous les présents (y compris Radek) semblèrent approuver.

Le moment d’une lutte décisive pour le pouvoir en Allemagne, disait-il, l’Octobre allemand, approchait rapidement. On n’avait que quelques semaines pour s’y préparer, et tout devait être subordonné à cette préparation.

Des dirigeants russes, Staline était le moins optimiste – il pensait qu’il fallait attendre au moins jusqu’au printemps 1924.22

Quelques jours plus tard, les dirigeants les plus importants du parti allemand (parmi lesquels des représentants de la « gauche ») furent invités à Moscou pour y discuter des préparatifs d’une insurrection armée.

La direction allemande était elle-même, à la mi-août, passée de la défensive à l’offensive. Die rote Fahne publia un chapitre d’un livre sur la guerre civile, et conseilla au comité national des conseils ouvriers d’agir en violation de l’interdiction gouvernementale. Puis Die rote Fahne reproduisit l’appel de la direction russe : le 2 septembre, elle publia une adresse du Comintern écrite par Trotsky, qui proclamait : « l'Allemagne est en train de s'acheminer vers la révolution ».

Le président du parti allemand, Brandler, avait des doutes sur la perspective insurrectionnelle. Il prétendit plus tard que Radek partageait ces doutes : « Radek était convaincu de l’irréalité de toutes ces décisions ».23 Mais Brandler fut bientôt intimidé par les arguments de Trotsky et de Zinoviev : « Je ne m’opposai pas aux préparatifs d’un soulèvement en 1923 », écrivit-il plus tard. « Simplement, je ne considérais pas la situation comme étant révolutionnaire, estimant qu’elle devait encore s’aiguiser. Mais dans cette affaire je considérais Trotsky, Zinoviev et les autres dirigeants russes comme plus compétents ».24

Il fut décidé que toutes les forces de l’Internationale et du parti allemand devaient être mises au service de la préparation technique de l’insurrection. Trotsky voulait même qu’on lui assigne une date :

le P.C. ne peut rien commencer en s'inspirant d'une loi historique libérale selon laquelle les révolutions se font, sans être faites, sans pouvoir être fixées à l'avance. (...) C'est juste du point de vue de l'observateur ; du point de vue du chef, c'est un lieu commun. (...) Si le pays traverse une profonde crise, si les antagonismes de classes y sont aggravés à l'extrême, si les masses laborieuses y sont en constante effervescence, si le parti est suivi de la majorité évidente des travailleurs, donc de tous les éléments actifs, conscients et dévoués du prolétariat, le parti doit fixer un moment, aussi proche que possible (...) puis concentrer les forces essentielles à la préparation de la lutte finale, mettre toute la politique et l'organisation courantes au service du but militaire afin d'oser finalement, par la concentration des forces, le coup décisif.25

Brandler et Radek n’étaient pas d’accord avec l’idée d’une date fixe pour la révolution (Trotsky avait suggéré l’anniversaire de la Révolution Russe, le 7 novembre), mais ils étaient suffisamment convaincus par l’approche de Trotsky pour proposer qu’il soit envoyé en Allemagne pour préparer l’insurrection.

La suggestion fut rejetée. Mais le Comintern s’efforça, pour la première fois, de saisir une opportunité révolutionnaire : dans l’histoire subséquente de l’Internationale, seules les interventions en Chine au milieu des années 20 et en Espagne à la fin des années 30 furent d’une plus grande échelle – et elles n’avaient pas pour but d’organiser, comme en Allemagne, une révolution prolétarienne.

Le parti allemand avait déjà une organisation militaire secrète, le M-Apparat (et aussi une organisation d’espionnage, le T – pour Terror – Apparat). Le M-Apparat avait été renforcé l’année précédente avec l’aide d’experts de l’Armée Rouge russe. Un général de l’Armée Rouge, Gorev, fut envoyé en Allemagne pour transformer tout cela en un mécanisme capable de mener à bien une guerre civile. Il divisa l’Allemagne en six commandements politico-militaires, correspondant aux six régions militaires du pays. Ceux-ci furent à leur tour subdivisés en districts et sous-districts. A chaque niveau correspondait une chaîne de commandement, reliant les « détachements de combat » (Kampfleitungen) chargés d’entraîner les Centuries prolétariennes et de les conduire à la bataille.

Un comité révolutionnaire présidait à toute la structure. Il avait à sa disposition à la fois un certain nombre d’officiers russes et quantité d’Allemands ayant connu, soit la Guerre Mondiale, soit les Armées Rouges de 1919 et 1920. Parmi eux, par exemple, se trouvaient Wilhelm Zaisser, plus tard le général Gomez de la guerre civile espagnole, et Albert Scheiner et Hans Kahle, respectivement commandant Schrindler et colonel Hans dans cette guerre.

Le noyau des troupes rouges sur le terrain devait être fourni par les Centuries prolétariennes. Elles étaient fortes, selon Brandler, de 60 000 hommes26 ; de 100 000 hommes, pour la plupart d’anciens combattants du front, d’après l’historien est-allemand Gast.27 Il y avait 300 Centuries distinctes en mai, et 800 en octobre.

Chaque Centurie était basée dans une usine ou un district de la classe ouvrière, et organisée comme un bataillon militaire. L’unité de base était le « groupe » de 12, trois groupes formant une « colonne » de 36 hommes, et trois colonnes, avec ses cyclistes et son équipe médicale, formant une Centurie. La plupart de leurs forces étaient en Saxe et en Thuringe, où elles pouvaient opérer ouvertement : 8 000 hommes défilèrent dans Dresde le 9 septembre ; 5 000 à Leipzig le 16 septembre. Elles étaient essentiellement constituées de communistes ; mais, en Saxe au moins, il y avait des non-communistes et des sociaux-démocrates à tous les niveaux.28

Mais les Centuries ne seraient pas les seules à agir le jour venu. Tout le parti était mobilisé comme pour une guerre, les dirigeants aux niveaux national et local entrant dans la clandestinité pour éviter des arrestations préventives. « Pas une cité du pays », écrivit un communiste français qui était en Allemagne pendant cette période,

où l'on ne se soit consciencieusement préparé à la bataille avec le souci minutieux d'hommes résolus à tout donner. Pas une journée sans âpre labeur, pas une nuit sans tâche spéciale. Pas un problème négligé. Je sais des camarades qui n'ont pendant de longues semaines, pas dormi une nuit complète.29

Le ton de la presse du parti était assez strident. Il y avait des allusions continuelles à la lutte pour le pouvoir : par exemple, un poème qui déclamait : « Formez fièrement les rangs pour la lutte finale – unissez-vous, braves jusqu’à la victoire » ; ou un titre : « La voie de la révolution prolétarienne en Allemagne ». Les journaux étaient interdits – mais parurent assez souvent dans des éditions semi-légales. Et leurs ventes montaient rapidement, malgré le fait que la vente de la presse quotidienne dans son ensemble baissait.

Mais, même à ce stade, tout n’allait pas pour le mieux. Beaucoup de dirigeants ne savaient pas comment relier le but, encore vague et distant, de la prise du pouvoir avec les luttes au jour le jour de la classe. Ils empêchaient les travailleurs de s’engager dans des « actions prématurées » – mais ne comprenaient pas toujours à quoi d’autre ils se préparaient. A la fin août, le principal théoricien du parti, Thalheimer, continuait à écrire :

Il faudra par conséquent parcourir, tant sur le plan politique que celui de l'organisation, un long chemin avant de trouver les conditions qui assureront la victoire de la classe ouvrière.30

Selon Ruth Fischer (un témoin peu fiable), des dirigeants de premier plan disaient :

En aucune circonstance nous ne devons proclamer la grève générale. La bourgeoisie découvrirait nos plans et pourrait nous écraser avant que nous ayons bougé. Il faut au contraire calmer les mouvements spontanés, retenir nos groupes dans les usines et les comités de chômeurs, afin que le gouvernement pense que le danger est passé.31

Le résultat, inévitablement, était un conspirationnisme plus fréquent dans les groupes terroristes que dans les partis révolutionnaires de masse. En même temps, le travail dans la masse des travailleurs tendait à être négligé.

Brandler déclara plus tard que pendant qu’il était à Moscou – une période d’un mois – « il a manquà à ce moment la campagne politique d'alarme du parti ».32 Le fait que Brandler, le leader le plus capable, ait été à Moscou à ce moment crucial ne peut avoir été un facteur positif. Remmele, un dirigeant qui s’opposait à Brandler sur la plupart des questions, était pour une fois d’accord :

Tout les autres travaux du parti, la mobilisation des masses, l'unification des conseils d’usine, furent négligés parce que tout notre appareil et nos permanents ne se souciaient que du problème de l’armement et de l’organisation de l’action de combat. (...) De telle sorte que tous les autres ponts menant au prolétariat furent négligés.33

Pourtant la classe ouvrière était pousée plus à bout que jamais. Le chômage, après avoir doublé en août, passa dans la Ruhr de 110 000 au début de septembre à 160 000 à la fin octobre. A côté des sans-emploi, il y avait cinq ou six millions de travailleurs en chômage partiel. Les prix montèrent comme jamais (ni avant ni depuis) : le coût de la vie augmenta de 165 % entre le 13 et le 19 septembre. Le salaire moyen était estimé à moins de la moitié du niveau de subsistance pour une famille de quatre personnes. A Lübeck, on disait que les salaires étaient tombés à 15 ou 20 % de leur niveau d’avant-guerre.34 Il fallait à un mineur une heure de travail pour pouvoir acheter un œuf.

Les grèves partielles économiques étaient désormais beaucoup moins fréquentes. Le niveau de chômage aboutissait à ce que les licenciements en étaient le résultat le plus probable. Le lock-out devint plus répandu que la grève. Mais la colère pouvait encore exploser dans les rues. Dans la province relativement arriérée de Baden, des émeutes éclatèrent dans la petite ville de Lorrach, avec pillage des marchés de rue et des boutiques. Des travailleurs en grève prirent d’assaut la prison et libérèrent les prisonniers.

Le 14 septembre, la ville était entre les mains de l’extrême-gauche. (...) Les jours suivants les grèves et la violence s’étendirent aux villes voisines, à Mülheim, Sackingen, Heidelberg, Karlsruhe. (...) Les travailleurs de Baden marchèrent avec des drapeaux soviétiques vers Lorrach, où la police d’Etat intervint. La poste et le trafic ferroviaire furent interrompus.35

Dans les territoires occupés, la colère trouva une expression légèrement différente. Des groupes séparatistes rhénans de droite tentèrent, avec l’encouragement des Français, de développer une agitation. Mais des travailleurs dirigés par des communistes se battirent contre la police et les séparatistes, au prix de nombreuses pertes. Ce fut le « Dimanche Rouge » de Düsseldorf (30 septembre).

Le mois de septembre vit des grèves continuelles en Allemagne centrale – en particulier une grande grève du textile en Saxe – et « une grève de 150 000 travailleurs dans les territoires occupés, où l’ajustement des salaires avait perdu tout sens du fait de l’impossibilité de créer une indexation assez rapidement ».36

Un Anglais qui résidait en Allemagne à l’époque décrivit dans son journal intime l’atmosphère générale :

Avec un salaire de 100 milliards, qui est la paye moyenne cette semaine, un homme reste sous-alimenté. (...) Des hommes sont licenciés tous les jours dans les chantiers navals et dans les usines, et l’Etat paie une indemnité de chômage misérable. Des hommes, des femmes et des enfants par centaines sont au bord de l’inanition, et il n’est pas étonnant que les magasins soient pillés et que le bolchevisme recrute des adeptes tous les jours.37

Dans cette atmosphère, il y eut un mouvement perceptible vers la gauche parmi les travailleurs qui demeuraient fidèles aux sociaux-démocrates. Dans le SPD une nouvelle gauche émergea, qui rejetait la Grande Coalition et appelait à la collaboration avec les communistes. Ses leaders les plus connus étaient les anciens dirigeants de l’USPD Crispien et Dittmann, le premier ministre saxon Zeigner, et l’ancien responsable communiste Paul Levi. Mais, de façon plus significative, elle avait l’allégeance des dirigeants ouvriers les plus populaires dans des endroits comme Zwickau et Plauen.

« Cette opposition », rapportait un communiste en octobre

vient d'avoir de grands succès dans tout le Reich. Elle est dominante dans la plupart des districts de l’Allemagne centrale. Son influence pénètre même dans les anciennes organisations de droite à Cologne et Hambourg. La direction du district de Breslau a dû se prononcer (...) pour la dictature de la classe ouvrière. Le 9 septembre, l’opposition a conquis une majorité écrasante à l'assemblée générale du district de Berlin. (...) Le groupe Lipinski [de droite] a vécu dans sa citadelle de Leipzig.38

Les grèves économiques, répandues et généralement victorieuses, de mai-juin et du début d’août étaient reléguées dans le passé par le climat nouveau de chômage de masse, mais une colère aveugle, désespérée persistait dans la classe, pouvant exploser à la première (correcte) étincelle.

Stresemann, la Bavière, la Saxe

A la fin septembre le gouvernement Stresemann semblait en aussi mauvaise posture que le cabinet Cuno qui l’avait précédé. L’inflation faisait rage plus que jamais, accompagnée désormais par une chute rapide de la production. Les ordres du gouvernement central étaient le plus souvent ignorés en Bavière, où l’extrême droite était plus fermement établie que jamais – 100 000 paramilitaires défilèrent devant Ludendorff et Hitler au début du mois. Les injonctions gouvernementales étaient aussi peu respectées par les gouvernements sociaux-démocrates de gauche de Saxe et de Thuringe. Dans les régions de la Ruhr et de la Rhénanie, la tension est telle que « seule une fin rapide de la résistance passive paraît encore capable d'éviter l'explosion ».39

Les grands industriels décidèrent que les choses étaient finalement allées trop loin. « L’arme » de l’inflation se retournait en fin de compte contre eux, et la « résistance »dans la Ruhr était trop coûteuse. Le 21 septembre, Stinnes confia à l’ambassadeur américain : « C’est la fin. La Ruhr et la Rhénanie doivent capituler. » Il ajouta que les ouvriers auraient à travailler plus longtemps et plus dur, et qu’il y avait « besoin d’un dictateur ».40 Helferrich, directeur de la Reichsbank et architecte de la politique de la planche à billets, sentait désormais que « l’effondrement du mark menace la nation d’une catastrophe ».

Stresemann écouta la voix de son maître le 26 septembre et annonça la fin de la résistance passive. Un programme économique d’urgence fut mis en place, dont le but était d’établir une monnaie stable. Pour la première fois, Stinnes et compagnie coopérèrent avec le gouvernement en acceptant le paiement des réparations en nature.

Cette décision représentait un tournant crucial pour la classe dirigeante. L’inflation et l’occupation de la Ruhr continuèrent, mais pour la première fois depuis mars il y eut le sentiment, dans les cercles du pouvoir, qu’une politique cohérente était mise en œuvre, qui pouvait sortir le pays de ses tourments. Et cette confiance en soi était la condition préalable du rétablissement d’une emprise idéologique sur les classes inférieures.

Il y avait encore de délicats problèmes à régler. Les industriels exigèrent, comme prix de leur collaboration dans la politique anti-inflationniste, l’abrogation de la journée de huit heures. La fraction parlementaire social-démocrate savait cela et résista au vote d’une loi-cadre donnant des pouvoirs économiques exceptionnels au gouvernement. Il en résulta une crise mineure, qui se termina par le renvoi de Hilferding du gouvernement. Mais il restait deux ministres sociaux-démocrates et finalement, le 15 octobre, la loi-cadre passa avec le soutien du groupe SPD. Même Angress, qui tend généralement à sous-évaluer la force de la gauche dans la classe ouvrière à cette période, admet que « La base du parti, dans l’ensemble, s’opposa à son adoption. (...) Il y eut de nombreuses manifestations contre le coût de la vie élevé ».41

Mais le premier défi majeur à la décision gouvernementale du 26 septembre vint de l’extrême droite, qui dénonça avec colère la « capitulation devant les Français ». Le gouvernement bavarois décréta immédiatement l’état d’urgence et nomma un dirigeant de droite, von Kahr, « commissaire général » – en fait dictateur – avec le slogan « Loin de Berlin ». Le prétexte de l’investiture de von Kahr avec des pouvoirs dictatoriaux fut fourni par une réunion nazie provocatrice – mais von Kahr désigna ensuite les sections d’assaut d’Hitler comme « police d’exception », prit certaines mesures antisémites et prononça la dissolution des « détachements de sécurité’ sociaux-démocrates.

Le gouvernement national de Berlin répliqua en décrétant l’état d’urgence dans tout le Reich. Mais von Kahr, de la Bavière, refusa de le reconnaître. Lorsqu’il reçut l’ordre d’interdire le journal d’Hitler pour avoir calomnié Seeckt et Ebert, il refusa à nouveau. Il fut rejoint dans sa rébellion par les unités bavaroises de l’armée – le général qui était à leur tête, Lossow, refusa soit d’obéir à Berlin soit de rendre son commandement, et ses unités jurèrent fidélité à von Kahr au lieu du gouvernement de Berlin. Lossow mobilisa les unités de volontaires présentes en Bavière et les plaça sous le commandement d’Erhardt, l’ancien dirigeant du putsch de Kapp, qui s’était évadé de sa prison de Leipzig à peine quatre mois plus tôt et qui était toujours un homme recherché dans le reste de l’Allemagne. Les unités de volontaires furent stationnées le long de la frontière septentrionale de l’Etat, menaçant directement la « Saxe rouge » et prêtes à marcher sur Berlin si elles en recevaient l’ordre.

Pendant ce temps, en Allemagne du Nord, les unités de volontaires d’extrême droite de la « Reichswehr noire » se mutinèrent le 1er octobre, prenant deux forteresses importantes près de Berlin. Mais le gros des officiers de l’armée du nord se rappelait de ses mauvais calculs à l’époque du putsch de Kapp : les mutins furent désarmés et leurs dirigeants mis aux arrêts de rigueur pour une courte période.

L’attitude des personnages clé, tant au gouvernement que dans l’armée, fut de se désolidariser de la tactique d’Hitler, de Ludendorff, du gouvernement bavarois et des volontaires de droite – mais ils pensaient que ce désaccord ne devait pas mener à l’effusion de sang si elle pouvait être évitée, car ils avaient tous intérêt à maintenir un front uni contre la gauche. Le biographe de Stresemann note :

Dans l’opinion de Stresemann, les développements de Saxe et de Thuringe étaient bien plus contrariants que la dispute de Munich. (...) Il considérait les Bavarois, même s’ils étaient mal guidés, comme des Allemands loyaux.42

La Saxe et la Thuringe étaient des épines dans le pied du gouvernement central depuis des mois. Depuis juin, les patrons charbonniers demandaient la « pacification » de la région par l’armée. Pendant les mois de juillet, août et septembre, les Centuries prolétariennes et les Comités de Contrôle étaient devenus de plus en plus puissants, prenant le pouvoir effectif dans des localités entières pendant les grèves et les manifestations.

Les gouvernements sociaux-démocrates de gauche n’étaient pas complètement favorables à ces activités révolutionnaires : ils refusèrent, par exemple, de soutenir un congrès des Centuries en septembre. Mais ils refusèrent aussi de s’attaquer aux Comités de Contrôle et aux Centuries – en partie parce que cela leur aurait fait perdre leur soutien dans la classe ouvrière, mais aussi parce qu’ils ne pouvaient y parvenir sans mettre en mouvement des forces, au sein de l’armée et de la police, dont ils avaient peur. Leur réticence à utiliser les policiers locaux contre les travailleurs était liée à leur échec à purger complètement les rangs de la police : de telle sorte que la police saxonne, par exemple, pouvait toujours agir à sa guise, au nez et à la barbe du gouvernement d’Etat, comme lorsqu’elle tira sur une manifestation au début de septembre à Dresde, faisant 13 morts parmi les travailleurs.

Les ministres de gauche pensaient que le meilleur moyen d’empêcher une intervention de l’armée dans les Länder était de promettre à Berlin qu’ils maintiendraient l’ordre eux-mêmes. Zeigner, par exemple, assurait au cabinet Cuno, le 8 août, que son gouvernement réprimerait le mouvement révolutionnaire « avec une entière détermination » en envoyant la police dans les zones troublées43 ; mais, en pratique, ces détachements policiers étaient rarement envoyés. Brandler prétendit plus tard que « les gouvernements sociaux-démocrates de Saxe et de Thuringe étaient impuissants face aux communistes ».44

Les historiens libéraux et sociaux-démocrates définissent le plus souvent le premier ministre de Saxe Zeigner comme « plein de bonnes intentions » mais « instable ».45 Ils oublient d’ajouter que cette caractérisation a été appliquée à bon nombre de figures historiques, des Girondins de la Révolution Française à Kerensky dans la Russie de 1917, de Dubček en Tchécoslovaquie en 1968 à Allende au Chili : tous ont essayé de conclure des compromis entre des forces politiques se polarisant rapidement. Leurs « bonnes intentions », c’était qu’ils savaient qu’une réaction triomphante (qu’elle soit royaliste, tsariste, stalinienne ou de la CIA) signifierait un bain de sang dans lequel ils perdraient leur propre popularité ; leur « instabilité » consistait dans leur incapacité à adopter une position ferme contre la réaction, essayant plutôt d’atteindre leurs buts par la persuasion de préférence à la violence. Telle était la situation de Zeigner à l’automne de 1923.

Au début d’octobre, il était clair qu’à un moment ou à un autre le gouvernement central allait passer à l’action contre la Saxe et la Thuringe. L’état d’urgence national donnait au gouvernement des pouvoirs accrus qu’il pouvait utiliser contre la gauche. Déjà un général, Müller, avait été nommé commissaire en Saxe, avec des pouvoirs spéciaux qu’il avait utilisés pour mettre sous juridiction militaire les réunions publiques, les publications et le droit de grève. Ce n’était qu’une question de temps avant que le gouvernement d’un Land qui refuserait d’obtempérer à ses injonctions ne soit déposé par la force – que ce soit par les troupes d’Erhardt parties de la Bavière et faisant mouvement vers le nord, ou par celles de Seeckt et de Müller allant vers le sud en provenance de Berlin.

Le projet de prise du pouvoir

Le Parti Communiste passa le mois de septembre à faire des préparatifs militaires pour la prise du pouvoir. Mais la mécanique finale de l’opération ne fut décidée qu’à la fin du mois – à Moscou.

La menace de la droite contre la Saxe et la Thuringe devait fournir l’occasion d’une contre-offensive révolutionnaire. Dans toute l’Allemagne, il y avait des millions de partisans du SPD qui considéraient les gouvernements d’Allemagne centrale comme une alternative positive à la Grande Coalition discréditée. Une attaque de la droite contre ces gouvernements pouvait radicaliser ces partisans, les poussant à l’action révolutionnaire aux côtés des communistes. Ces derniers devaient montrer que la seule façon de briser l’attaque sur la Saxe et la Thuringe était le passage des travailleurs à l’offensive, avec la construction des Centuries prolétariennes et le désarmement des paramilitaires de droite, de la police et de la Reichswehr. Et ce n’était plus seulement un thème de propagande. De tels mouvements défensifs devaient être exécutés au moment même où commencerait l’attaque contre la Saxe et la Thuringe.

Mais même s’ils étaient présentés comme défensifs, ces mouvements étaient également offensifs. L’extrême droite et les unités de la troupe ne pouvaient être désarmées que par des actions militaires contre elles. L’appel à la défense de la Saxe et de la Thuringe était nécessairement un appel à une offensive révolutionnaire massive, culminant dans la mise en place d’un pouvoir nouveau. La base de celui-ci reposerait sur un congrès des conseils d’usine – ce réseau d’organisations ouvrières qui représentait le mieux la partie active de la classe ouvrière, et qui était étroitement lié aux Centuries et aux Comités de Contrôle.

Les groupes communistes locaux, dans tout le pays, furent alors engagés dans une préparation à l’action. Ils devaient établir des plans locaux d’opérations – y compris des projets de réquisition des approvisionnements vitaux, l’élimination des fonctionnaires locaux les plus dangereux, la prise des centres de distribution électrique, des chemins de fer et des télécommunications. Ils devaient surtout trouver des armes pour eux-mêmes – localiser des postes de police et des arsenaux dans lesquels des armes pourraient facilement être saisies.

L’appel à une grève générale nationale contre une attaque de la Saxe et de la Thuringe serait le signal sur lequel tous les groupes locaux devaient mettre leurs plans à exécution. Dans l’ouest, le sud-ouest et l’Allemagne centrale les révolutionnaires devaient prendre le pouvoir, envoyant toutes les unités dont ils pouvaient se passer comme renforts à la bataille pour Berlin. Dans la Ruhr occupée les soulèvements locaux devaient être évités, de peur de conflits prématurés avec l’armée française d’occupation ; mais les Centuries devaient pénétrer dans les zones non occupées et y prendre le pouvoir. Puis autant de forces que possible devaient être déployées le long de la frontière bavaroise, pour prévenir des interventions venues de là tant que la plus grande partie de l’Allemagne n’était pas aux mains des insurgés.

Le rôle clé dans l’insurrection revenait à l’Allemagne centrale, avec sa force légale de Centuries prolétariennes. « Nous pensions pouvoir utiliser l’Allemagne centrale comme zone de déploiement, que nous pouvions passer de la défensive à l’offensive ».46

Un élément du plan fut cause de dissenssion entre Brandler et les dirigeants russes : les communistes devaient entrer dans les gouvernements de Saxe et de Thuringe. Non pas parce qu’ils croyaient qu’un gouvernement socialiste-communiste gérerait mieux le capitalisme qu’aucun autre, mais dans le but de localiser les stocks d’armes de la police afin que les travailleurs puissent les saisir facilement. Ceci, proclamait Zinoviev, devrait les aider à armer « 50 000 à 60 000 hommes ».47 Brandler objectait :

Le gouvernement saxon n’était pas en situation d’armer les travailleurs parce que, depuis le putsch de Kapp, toutes les armes avaient été sorties de Saxe, à tel point que la police elle-même n’était pas armée.48

Il prétendit plus tard qu’il avait averti :

L’entrée des communistes au gouvernement n’insufflera pas une nouvelle vie dans l’action des masses, mais au contraire l’affaiblira : parce qu’alors les masses attendraient des communistes qu’ils fassent ce qu’elles ne pourraient faire elles-mêmes.49

S’il donna effectivement cet avertissement, c’était un étrange renversement des rôles : dans la discussion du mois de décembre précédent, la direction du parti allemand était fortement favorable à des gouvernements communistes-socialistes et c’étaient Zinoviev, Trotsky et Lénine qui étaient plus réservés.

En tout état de cause, après que « Zinoviev ait frappé du poing sur la table » et que « Trotsky ait passé une soirée entière » avec Brandler, essayant de le convaincre,50 Brandler accepta la décision. Il rentra de Moscou en Saxe et, en descendant du train, découvrit dans les journaux qu’il était ministre !

La décision sur la tentative de prise du pouvoir fut suivie par une énorme campagne mondiale de propagande de la part du Comintern. Partout, les partis communistes s’entendaient dire que, de la même manière que dans le passé leur priorité avait été la défense de la Russie ouvrière, désormais c’était le tour de l’Allemagne des travailleurs. De façon caractéristique, l’hebdomadaire communiste français, Bulletin Communiste, qui avait à peine mentionné l’Allemagne depuis des mois, se mit à donner une couverture abondante des évènements d’outre-Rhin. Un éditorial typique proclamait : « Cinq années après la révolution démocratico-bourgeoise d'Allemagne, la révolution prolétarienne est en vue. »51 – malheureusement, l’article parut après la défaite de la révolution.

Nulle part le message ne fut aussi martelé qu’en Russie même. Les journaux, les affiches, les réunions, les manifestations exploitaient le thème de « la révolution allemande qui vient ». La Russie de 1923 était déjà loin de l’enthousiasme prolétarien exubérant et de la démocratie de 1917. La guerre civile avait prélevé une dîme énorme et la démocratie ouvrière avait laissé la place à la pauvreté, la famine, la fermeture de la plupart des usines, et le règne de plus en plus autoritaire d’un parti dont les liens directs avec les travailleurs se décomposaient rapidement. La guerre civile était terminée, pour abandonner le terrain à la « retraite forcée » de la Nouvelle Politique Economique. Le chômage de masse coexistait avec une nouvelle couche privilégiée de petits négociants et de bureaucrates.

En 1923, alors que Lénine, paralysé, se mourait, les pratiques bureaucratiques avaient envahi le sommet même du parti, la fraction stalinienne naissante manœuvrant, avec Zinoviev et Kamenev, contre Trotsky.

Pourtant tout ceci semble oublié dans les brèves semaines de ce début d’automne. L’avance de la révolution allemande insufflait un enthousiasme nouveau parmi ceux qui s’abandonnaient au cynisme ou se bureaucratisaient. Les intrigues dans le parti étaient remplacées par la recherche en commun des moyens de répandre la révolution. En Russie, pendant ces semaines, on peut apercevoir, brièvement, comment cette révolution aurait pu renaître si une Allemagne révolutionnaire avait pu la sauver de l’isolement et de la pauvreté.52

Lorsque Brandler rentra en Allemagne, Trotsky l’accompagna à la gare, l’embrassa sur les deux joues comme le dirigeant d’une révolution saluant le dirigeant certain d’une autre. Staline lui-même, dans une lettre à Thalheimer, faisait montre d’enthousiasme :

La révolution qui approche en Allemagne est l'événement mondial le plus important de notre temps. La victoire de la révolution allemande aura plus d'importance encore pour le prolétariat d'Europe et d'Amérique que la victoire de la révolution russe il y a six ans. La victoire de la révolution allemande fera passer de Moscou à Berlin le centre de la révolution mondial.53

L’Octobre allemand

Désormais les évènements atteignaient rapidement une tension paroxystique. Les communistes avaient déjà, en septembre, menacé de déposer le gouvernement social-démocrate de gauche de Saxe pour son échec à purger la police saxonne, comme l’avaient montré les tirs sur les manifestants à Dresde. Le gouvernement fut remanié avec trois ministres communistes – Brandler, Böttcher et Heckert. De façon significative, cependant, les sociaux-démocrates refusèrent aux communistes le poste qu’ils voulaient le plus – le Ministère de l’Intérieur, avec son contrôle de la police.

Zeigner présenta son nouveau gouvernement au Landtag de Saxe le 12 octobre comme un gouvernement de « défense républicaine et prolétarienne ». Un de ses buts, disait-il, serait de désarmer les formations militaires bourgeoises et de renforcer les Centuries. Le président du groupe du KPD au Landtag exprima clairement l’attitude de son parti : « Préparez-vous partout à la grève générale ! Faites des préparatifs pour stopper les mouvements de la Reichswehr et des gangs armés contre les travailleurs ! »

Frölich, pour les communistes, déclara au Reichstag à Berlin :

Le gouvernement socialiste-communiste est une gouvernement de lutte contre la réaction, contre le séparatisme en Bavière et en Rhénanie, contre la politique d’oppression des grandes puissances économiques en Allemagne. C’est un pas vers la libération du prolétariat allemand.

S’il y a une tentative d’écraser la Saxe, ajoutait-il, « 15 millions de prolétaires décidés se dresseront contre vous ».54

De leur côté, les autorités militaires de Berlin amplifiaient leur pression sur la Saxe. Le général Müller interdit les Centuries prolétariennes et les « organisations similaires », leur donnant trois jours pour rendre les armes.

Le décret fut défié ouvertement. Le même jour, 13 octobre, il y eut un congrès des Centuries saxonnes à Chemnitz, qui constitua un nouveau comité central du mouvement, composé de quatre sociaux-démocrates de gauche et de quatre communistes.55

Les deux partis tinrent des meetings dans toute la Saxe contre les menaces de la Reichswehr. Ils furent renforcés par l’annonce, le même jour, de la constitution d’un gouvernement de coalition socialiste-communiste en Thuringe, engagé à construire « des Comités de Contrôle réquisitionant les produits de première nécessité » et une « Force Républicaine d’Autodéfense ».

A Leipzig, le ministre communiste Böttcher renvoya son ultimatum au visage du général Müller et appela à l’armement immédiat des Centuries. A Berlin, le Centre communiste appela les travailleurs à s’armer pour se préparer à « une bataille pour établir un gouvernement de tous les travailleurs ».

Le général répliqua en édictant un nouveau décret le nommant chef de la police saxonne – ce à quoi la dite police s’empressa d’obéir – et en donnant à Zeigner un autre ultimatum : il avait 48 heures pour se désolidariser de Böttcher. Zeigner refusa, préférant faire un discours destiné à mettre en rage les généraux de Berlin : il donna des détails sur les activités secrètes des groupes paramilitaires attachés à la Reichswehr, la soi-disant « Reichswehr noire ».

Les menaces du général Müller contre ce qui était, après tout, un gouvernement légalement constitué jeta la consternation dans le seul parti du pays qui croyait vraiment à la constitution – le SPD. Même des contre-révolutionnaires endurcis comme Otto Braun et Severing se déclarèrent choqués. Il y eut des protestations dans le cabinet. Une assemblée de délégués syndicaux tenue à Berlin vota par 1 500 voix contre 50 pour une grève générale si la Saxe était touchée. A Berlin, la direction de district du SPD engagea des pourparlers avec les communistes sur la possibilité de former un Comité d’Action unitaire en soutien au gouvernement Zeigner. Le Vorwärts lui-même dénonça l’état d’urgence – disant qu’il avait été décrété sous le prétexte de lutter contre la droite mais était en fait utilisé contre la gauche.

Mais pour les dirigeants sociaux-démocrates de telles protestations étaient des gesticulations à ne pas prendre trop au sérieux. Lorsqu’une déclaration du gouvernement proclama que les unités militaires étaient envoyées en Saxe pour défendre l’Etat contre toute avance des paramilitaires de droite en provenance de Bavière – les sociaux-démocrates firent semblant d’y croire.

Au cabinet Stresemann raconta une autre histoire – mais qui évitait toujours toute allusion au renversement du gouvernement « constitutionnel » de Saxe. Les concentrations de troupes, insistait-il, étaient destinées à « intimider les éléments radicaux et à rétablir l’ordre public » – il n’y avait rien dans cet exercice qui soit de nature à troubler des ministres sociaux-démocrates qui avaient eux-mêmes utilisé les Freikorps pour « intimider » la gauche.

Puis, le 20 octobre, le général Müller proféra son ultime menace. Les quelques soldats déjà en Saxe recouvrirent les murs de l’Etat avec le texte d’une lettre de celui-ci à Zeigner. Müller, disait-elle en substance, avait reçu l’ordre de déployer des unités militaires pour « rétablir l’ordre constitutionnel en Saxe ». Le lendemain matin, de larges contingents de troupes aux armes chargées commencèrent à traverser la frontière saxonne – même si pour l’instant elles évitaient soigneusement toute confrontation avec les travailleurs.56

C’était, pour les révolutionnaires, l'heure de vérité. Ils devaient agir immédiatement, ou reculer et assister au démantèlement de la base de lancement de la Révolution Allemande. Comme l’a dit E H Carr :

La Reichswehr avait fait ce que Brandler n’avait pas osé faire. Elle avait fixé la date à laquelle les communistes devaient soit agir, soit confesser leur impuissance.57

Quelle était l’humeur de la classe ouvrière allemande à ce moment ? Les historiens et les révolutionnaires n’ont cessé depuis lors de débattre sur le degré auquel la majorité des travailleurs était prête à l’action révolutionnaire. Il ne fait aucun doute qu’il y avait dans la classe laborieuse une grande colère. L’hebdomadaire communiste français Bulletin Communiste rapporta qu’entre le 12 et le 18 octobre il y eut des combats dans les rues de Hoesch, Francfort, Hanovre, Leipzig, Bibrich, Gelsenkirchen, Düsseldorf, Cologne, Halberstadt, et que des magasins furent pillés à Berlin.58

La députée social-démocrate de gauche Toni Sender a donné par la suite un récit des évènements de la même semaine à Francfort. Elle décrit comment la nouvelle des mouvements contre la Saxe avait coïncidé avec la fermeture d’une importante usine locale. A sa grande horreur, elle découvrit qu’une réunion des conseils d’usine locaux avait contraint les dirigeants syndicaux à appeler à la grève générale dans cette ville généralement peu combative.59

A Hambourg, les nouvelles de Saxe parvenaient dans le cadre d’un renouveau des luttes sur les salaires. Le 20 octobre, il y avait eu une grève sur les docks qui s’était étendue aux entrepôts, et, le même jour, les chômeurs et la police s’étaient affrontés dans la rue. Le 21, les dockers votèrent pour la grève générale s’il y avait une attaque contre la Saxe – et le lendemain une réunion de représentants syndicaux de toute la ville appela les dirigeants nationaux à déclarer la grève générale.

Au cours des mêmes journées il y eut encore des échauffourées avec des séparatistes rhénans qui tentaient de constituer une république indépendante. Les séparatistes attaquèrent les hôtels de ville de Speier, Bonn, Coblence, Krefeld et Gladbach. Selon un historien de la République de Weimar, il y eut aussi des émeutes, avec des victimes, dans les jours suivants à Aix-la-Chapelle, Berlin, Erfurt, Cassel, Harburg, Essen, Marienburg, Francfort, Hanovre, Beuthen, Lübeck, Braunschweig et Allenstein.60

On peut mesurer l’irritation, dans la classe ouvrière, provoquée par l’attaque contre la Saxe par le fait qu’elle parvint, une quinzaine plus tard, à forcer les très respectables ministres socialistes de Berlin à démissionner de leurs postes.

Mais la question de savoir si cette colère ouvrière pouvait se transformer en combativité ne pouvait être tranchée que par l’action révolutionnaire. Le point était atteint où les travailleurs n’étaient plus disposés à s’engager dans des luttes pour des revendications limitées ou dans des grèves de protestation : en dehors de toute autre considération, le niveau de chômage était tel que les représailles étaient très faciles pour les employeurs. Seule la lutte elle-même pouvait prouver si l’exaspération qui avait fait tomber le gouvernement Cuno s’était transformée en détermination révolutionnaire, ou si, comme le pensait Victor Serge, alors permanent de l’Internationale Communiste, « le chômeur passe, par des gradations brusques, d’une fièvre d’insurgé à une lassitude de résigné ».61

La nécessité de soumettre le sentiment populaire à un test pratique s’appliquait encore plus aux autres couches de la société. Depuis que la « résistance passive » avait été abandonnée, la classe dirigeante avait, pour la première fois depuis le printemps, retrouvé une certaine confiance en elle, et se sentait capable de résoudre la question des réparations et le problème de l’inflation tout en préservant l’unité nationale. Mais il est peu probable que cette humeur nouvelle se fût déjà répandue dans les niveaux inférieurs de la fonction publique et de la petite bourgeoisie, qui étaient plus paupérisés que jamais.

Dans les rangs intermédiaires des forces armées la capitulation dans la Ruhr avait accru, plutôt que diminué le courroux, même si c’était habituellement l’extrême droite qui en bénéficiait. Cela faisait des mois que le Parti Communiste dirigeait sa propagande vers les rangs de l’armée et des fonctionnaires. Mais à elle seule la propagande ne pouvait provoquer des failles réelles dans les forces de l’Etat – seule l’action révolutionnaire en était capable.

La débâcle

Jusqu’au 21 octobre, la direction communiste semblait déterminée à l’action qui seule pouvait mettre à l’épreuve le rapport des forces. Il est vrai que l’initiative du général Müller contraignait les communistes à agir plus tôt qu’ils ne l’avaient souhaité. Ils n’avaient pas été capables, et de loin, d’armer autant d’hommes qu’ils l’avaient espéré – ils avaient seulement 6 000 fusils au lieu des 60 000 annoncés. Il n’avait pas non plus été possible de convoquer un congrès national des conseils d’usine pour donner une légitimité à l’action révolutionnaire ; l’interdiction gouvernementale du mouvement national des conseils d’usine s’était avérée plus gênante que prévu. Mais dans toute l’Allemagne il y avait des centaines de milliers de communistes prêts à l’action. Et il semblait probable que leur démarche serait suivie par une énorme section désorientée de la social-démocratie.

Tôt le matin du dimanche 21 octobre, alors que les troupes de Müller commençaient à pénétrer en Saxe, Brandler expliqua le plan de l’insurrection dans une réunion, tenue à Chemnitz, de représentants de tous les districts du Parti Communiste. Il y aurait le lendemain dans tout le pays une agitation pour la grève générale, au moment où les ouvriers embaucheraient après le week-end. Le mardi, dans le cadre de la grève, les unités révolutionnaires armées exécuteraient les opérations qu’elles prévoyaient depuis un mois et plus – prise de contrôle des postes de police, des casernes, des centres de communication, des gares de chemin de fer et des bâtiments administratifs.

L’appel à la grève générale ne pouvait venir d’un congrès des conseils d’usine pleinement représentatif. Mais il n’y avait pas lieu de s’en soucier. Une conférence de diverses organisations ouvrières de Saxe avait été convoquée conjointement par les ministres sociaux-démocrates et communistes pour le même jour. Elle devait discuter des actions à engager face à la détérioration rapide de la situation économique – une personne sur sept, dans l’Etat, était au bord de l’inanition. Il serait facile d’amener la conférence à prendre en charge l’affaire urgente de la défense contre l’invasion de la Reichswehr et de l’appel à la grève générale.

Les Centuries prolétariennes patrouillaient dans les rues de Chemnitz pendant que les délégués à la conférence arrivaient en ville. Mais elle n’eurent pas besoin d’intervenir. Müller jouait un jeu attentiste rusé, évitant de provoquer les travailleurs d’une manière qui aurait forcé les sociaux-démocrates à réagir. Les 498 délégués s’assemblèrent sans incident – parmi eux 140 venaient des conseils d’usine, 120 de sections syndicales, 79 de Comités de Contrôle, 66 de sections du Parti Communiste, 7 du SPD. Les travaux commencèrent de façon normalement routinière. Il y eut des discours sur la crise économique, la pénurie aigüe de denrées alimentaires et sur la montée catastrophique du chômage par le ministre social-démocrate du travail, Graupe, et par les deux ministres communistes, Böttcher et Heckert. Des délégués intervenant de la salle abordaient les mêmes thèmes, mais certains mentionnèrent les mouvements de la Reichswehr qui faisaient passer au second plan les discussions sur le programme économique du gouvernement. Puis Brandler monta à la tribune.

Il proclama avec insistance que le moment était venu, pour les travailleurs de Saxe, d’appeler à l’aide le reste de l’Allemagne. Autrement, ils seraient écrasés. Leur seule planche de salut était l’appel immédiat à une grève générale nationale de solidarité. Il adjura les sociaux-démocrates de renoncer à leur espoir vain de compromis pacifique avec Berlin. Seul un vote immédiat et unanime pour la grève générale pouvait sauver la situation.

Brandler semble s’être attendu à ce que les dirigeants sociaux-démocrates l’approuvent avec enthousiasme. Au lieu de cela, il essuya un silence stupéfait.

Puis le ministre social-démocrate Graupe prit la parole. La conférence présente, dit-il, ne saurait par elle-même décider de la réponse que les travailleurs saxons doivent donner aux menaces de l’armée. La défense de la Saxe était la tâche du « Gouvernement de Défense Républicaine et Prolétarienne » et de la majorité socialiste-communiste au Landtag. Il serait tout à fait déplacé que la conférence usurpât le pouvoir de ces institutions officielles. Si une motion dans ce sens était déposée, l’ensemble de la délégation social-démocrate quitterait la conférence.

Brandler s’était mis – et la Révolution Allemande avec lui – dans une situation impossible. Il s’était attendu à ce que les sociaux-démocrates de gauche donnent leur accord à un projet dont ils sauraient très bien qu’il signifiait la guerre civile – même s’ils n’étaient pas au courant des préparatifs secrets des communistes. Mais les sociaux-démocrates de gauche restaient, malgré toutes leurs bonnes intentions, des sociaux-démocrates. Ils avaient une foi sans limite dans les possibilités de compromis, et n’étaient pas prêts à abandonner ces possibilités pour un pari révolutionnaire, aussi désespérée que soit la situation. Ils croyaient à moitié aux déclarations du gouvernement selon lesquelles l’armée était en marche pour faire face à la Bavière – et ils n’abandonneraient cette croyance que lorsque l’armée elle-même aurait rendu impossible toute ignorance de ses buts réels. Après tout, se disaient-ils, il n’y avait encore aucune certitude que le rôle des politiciens sociaux-démocrates serait terminé.

Les communistes prirent la menace de Graupe comme un signe que la base des sociaux-démocrates ne soutiendrait pas une offensive révolutionnaire, et se laissèrent convaincre de retirer leur résolution. Brandler se souvenait, 36 ans plus tard :

Après des discussions avec les autres membres de la Centrale je me prononçai contre la proclamation d’une grève générale, et je reçus dans cette démarche l’assentiment de tous les membres de la Centrale présents, y compris Ruth Fischer.62

Dans ce récit Brandler prétend que la situation militaire déterminait sa décision – mais d’autres versions établissent clairement que c’était le refus de combattre des sociaux-démocrates qui avait été décisif :In Chemnitz auf der Konferenz zeigte sich der zweite Teil des Plans zerschlagen, nämlich der gemeinsame Aufmarsch der sozialdemokratischen und kommunistischen Arbeitermassen. Der Antrag auf Proklamierung des Generalstreiks und des bewaffneten Aufstandes in Chemnitz wurde angesichts des Widerstandes der linken S.D. [Sozialdemokratie] gar nicht gestellt ... Die Zentrale entschied sich, jedem Kampfe auszuweichen, aus der Anschauung heraus, daß die Einheitsfront des Proletariats in diesem Kampfe nicht mehr aufzustellen sei, daß es unmöglich sei, sie aufzustellen [wenn die Kommunisten allein vorangingen], und daß in dieser Situation bei den geteilten Kräften des Proletariats und dem Zustand der technischen Vorbereitung der Aufstand unmöglich sei.

A Chemnitz lors de la conférence, la deuxième partie du plan fut battue – c’est-à-dire le soulèvement simultané des masses ouvrières social-démocrates et communistes. La proclamation de la grève générale et du soulèvement armé ne fut même pas proposée à Chemnitz à cause de la résistance des sociaux-démocrates de gauche. (...) La Centrale décida de refuser tout combat en se basant sur l'idée que le front unique du prolétariat ne pouvait pas se construire dans ce combat, qu'il était impossible de le construire [si les communistes continuaient tout seuls] et que dans cette situation, du fait de la division des forces du prolétariat et de l’état de préparation technique le soulèvement était impossible.63

En tout état de cause, quels que soient les détails de la motivation, la décision fut prise, à ce moment précis, d’abandonner la grève générale – et avec elle la Révolution Allemande. L’appel à la grève générale fut remplacé par la mise en place d’un Comité d’Action qui devait sonder l’opinion du « mouvement officiel ».

La conférence avait eu lieu – et l’appel que les révolutionnaires attendaient dans toute l’Allemagne ne fut pas lancé. L’axe central de toute la stratégie révolutionnaire avait cessé d’exister.

Une réunion élargie de la Centrale communiste fut tenue immédiatement après. Elle décida que puisque le plan pour la grève générale était à l’eau, l’insurrection elle-même devait être annulée. Des émissaires furent envoyés dans tout le pays avec des ordres dans ce sens.

Lorsque la Centrale se réunit à nouveau le lendemain, les troupes de Müller avaient investi les rues de Chemnitz. Radek, fraîchement arrivé de Moscou, était présent à la réunion. Il se déclara d’accord avec l’annulation de l’insurrection, acceptant le fait que le parti n’avait pas assez d’armes en Saxe – seulement 600 fusils – et que, la classe étant divisée, la défaite était inévitable. Mais il pensait que les communistes pouvaient encore appeler à une grève générale défensive. « Tous les camarades présents rejetèrent ce plan »64 – y compris les membres de la soi-disant « gauche ».

L’Octobre Allemand, qui avait débuté sous des auspices aussi favorables, s’était terminé par rien du tout. Les troupes de la Reichswehr purent, quelques jours plus tard, déposer et emprisonner Zeigner sans rencontrer la moindre résistance. Elles installèrent un nouveau premier ministre social-démocrate de droite. Les sociaux-démocrates de gauche furent alors d’accord pour une grève générale. Mais les travailleurs ne pensaient plus que la résistance était possible, et la grève ne fut soutenue qu’à moitié.

Mais la révolution n’alla pas pour autant se coucher sans tirer un seul coup de feu. L’ordre annulant l’insurrection n’atteignit jamais Hambourg. A l’aube du 24 octobre, quelques centaines d’insurgés communistes mirent à exécution l’opération qu’ils avaient planifiée méticuleusement depuis des semaines. Ils prirent 12 des 16 postes de police des faubourgs et commencèrent à faire mouvement vers le centre de la ville. Les insurgés croyaient au début qu’ils faisaient partie d’un soulèvement national coordonné. « Dans toute l’Allemagne », déclarait le « Comité Exécutif Provisoire » aux « habitants du district de Schiffbeck », « la classe ouvrière se bat pour le pouvoir. Dans de grandes parties de l’Allemagne, le pouvoir est aux mains des travailleurs ».65

Le soulèvement dura à peine 24 heures. La masse des travailleurs ne s’y joignit pas comme on s’y était attendu. On ne saura jamais si c’était par manque de sentiment révolutionnaire (contrairement à ce qu’on a prétendu plus tard, Hambourg n’était pas un « bastion rouge » – il n’y avait dans la ville que 1 400 communistes, comparés aux 78 000 membres du SPD)66 ou parce qu’ils se rendirent compte que l’insurrection était isolée et vouée à l’échec. En tout état de cause, les insurgés se dispersèrent bientôt dans les banlieues, tenant seulement à Bambeck. Le soulèvement de Hambourg fut ensuite mythifié par le Parti Communiste Allemand – essentiellement à cause du rôle qu’y joua le futur dirigeant stalinien Thälmann. Mais en fait, il était moins significatif et mobilisateur que l’Action de Mars elle-même, et ne fut rien comparé aux luttes à Berlin, Munich et la Ruhr en 1919-1920.

La fin d’un chapitre

La chute de la Saxe prononça la faillite des espoirs en une issue révolutionnaire à « l « année de la faim ». Non seulement la base la plus puissante de la gauche révolutionnaire était désormais occupée par des troupes en armes, mais, ce qui est plus important, elle n’avait vu s’organiser aucune résistance coordonnée. Le gouvernement Zeigner tant vanté avait déguerpi sans lever le petit doigt pour se défendre, et les 250 000 militants communistes avait déserté le champ de bataille tout aussi prestement.

Dans toute l’Allemagne il y avait eu des millions de gens affamés, désespérés, qui avaient espéré, au moins à moitié, que les communistes feraient quelque chose pour mettre en place une alternative. Au lieu de cela, ils se déclarèrent impuissants face au général Müller. Il semblait que rien ne pourrait jamais changer l’ordre ancien, aussi destructif et inhumain que soient son fonctionnement. Ceux-là même qui auraient approuvé avec soulagement un changement révolutionnaire approuvaient aujourd’hui l’intronisation du général Seeckt avec des pouvoirs quasi-dictatoriaux.

Le communiste français Albert (Victor Serge - NdT) exprima ainsi le sentiment général :

On vient de vivre en Allemagne, en septembre, octobre et novembre, une profonde expérience révolutionnaire, encore peu connue et souvent peu comprise. Nous ayons été au seuil d'une révolution. La veillée d'armes a été longue, l'heure H n'a pas sonné (...) Drame silencieux, presque invraisemblable. Un million de révolutionnaires, prêts, attendant le signal pour monter à l'assaut : derrière eux, des millions de sans-travail, d'affamés, de meurtris, de désespérés, tout un peuple douloureux, murmurant : « Nous aussi ! nous aussi ! ». Les muscles de cette foule déjà prêts, les poings déjà serrés sur les Mausers qu'on allait opposer aux autos blindées de la Reichswehr. (...) Et rien ne s'est passé, que la sanglante bouffonnerie de Dresde, un caporal suivi de quelques réîtres chassant de leurs ministères les ministres ouvriers qui faisaient trembler l'Allemagne bourgeoise, quelques flaques de sang — soixante morts au total — sur le pavé des cités industrielles de Saxe.67

Il existe une interprétation mécaniste de l’histoire selon laquelle l’issue des évènements est déterminée à l’avance par l’interaction de « forces objectives ». Elle oublie, comme le souligne Marx, que « la théorie se change, elle aussi, en force matérielle, dés qu'elle pénètre les masses ». Le développement économique, la croissance de la grande industrie, des périodes de pauvreté succédant à des périodes de prospérité, des grandes crises concourent tous à propulser un grand nombre d’hommes et de femmes dans des mouvements sociaux nouveaux. Mais l’avenir de ces mouvements dépend, au delà d’un certain point, de leurs succès ou de leurs échecs dans des combats contre leurs adversaires. Aucune bataille n’est jamais gagnée ou perdue simplement parce qu’un général détermine que ses troupes sont en nombre supérieur ou inférieur à celles de l’autre camp. La psychologie des soldats, leur déploiement au bon endroit au bon moment, la distribution correcte des armes et des munitions, tout cela joue un rôle. Alors que des dizaines de milliers de combattants se déplacent en masse confuse d’un côté à l’autre du champ de bataille, le seul fait de brandir un étendard au bon moment peut faire pencher la balance : des hommes en retraite, épuisés, sont regroupés et menés à la victoire, ou abandonnés à une fuite éperdue. Et ce qui s’applique à de simples batailles s’applique encore plus aux grands conflits sociaux, aux grèves, aux manifestations, aux révolutions.

Quelles qu’aient pu être, ou ne pas être, les chances de victoire réelles de l’Octobre Allemand, l’étendard n’a pas été brandi en Saxe. Et la classe ouvrière, si puissante dans les premières semaines d’août, courut se cacher à la fin d’octobre. Le capitalisme allemand était laissé, sans une égratignure, en possession du champ de bataille.

En termes politiques, cela signifiait un coup de balancier à droite brutal. Le 2 novembre, les ministres sociaux-démocrates démissionnaient du gouvernement central. Ils avaient joué leur partition en maintenant passives d’importantes sections de la classe ouvrière au lendemain de la chute du gouvernement Cuno et pendant les manœuvres contre la Saxe. Désormais le capitalisme allemand pouvait se passer d’eux. Le parti qui avait dominé les cinq premières années de la République de Weimar devait être exclu du pouvoir pendant les cinq années suivantes.

A Munich, Hitler crut son heure venue. Les 8 et 9 novembre, ses sections d’assaut tentèrent de forcer le commissaire spécial de Bavière, von Kahr, et le chef de l’armée bavaroise, Lossow, à se joindre à lui dans une prise du pouvoir préludant à une marche sur Berlin. Mais Lossow était satisfait du tournant à droite à Berlin, et ce qui intéressait von Kahr était le séparatisme, pas le national-socialisme hitlérien. Le fascisme n’était pas encore assez fort pour agir sans le bouclier fourni par la Reichswehr ; et les généraux pensaient qu’ils pouvaient contrôler les choses sans se soumettre à l’arrogant nouveau venu autrichien. Le putsch fut rapidement circonscrit, et Hitler dut subir l’humiliation de six mois en prison.

La bourgeoisie allemande se hâta alors de mettre en œuvre sa solution à la crise. Le mark fut stabilisé par un solide encadrement du crédit, qui provoqua une cascade de fermetures d’entreprises, jusqu’à ce que 28 % des syndicalistes fussent au chômage, et 48 % en temps partiel.68 En même temps, l’acquis principal des luttes de novembre 1918, la journée de huit heures, fut supprimé.

L’année qui pour beaucoup devait être celle de la Révolution Allemande se termina avec les partis de droite et le Haut Commandement militaire dans une position encore plus dominante qu’après les marches des Freikorps en 1919 et 1920.

Le gouvernement du Reich ne pouvait consolider son pouvoir que par l’intermédiaire de la Reichswehr, dont le commandant en chef, le général Seeckt, fut investi d’une autorité exceptionnelle. Sous protection militaire, l’économie fut stabilisée, l’indépendance des cartels mesurée, la journée de huit heures abolie, et l’arbitrage rendu obligatoire.69

Le Haut Commandement n’était pas tout-puissant. Il devait encore s’ajuster aux changements dans le rapport des forces sociales. En particulier, il devait charger la social-démocratie de dompter un mouvement ouvrier indépendant dans lequel on ne pouvait pas empêcher les communistes de jouer un certain rôle. Mais il avait retrouvé une grande partie du pouvoir dont il avait joui aux heures de la Guerre Mondiale.

Pour l’instant, au moins, le rêve d’une Allemagne des travailleurs se joignant à la Russie ouvrière pour remodeler le monde était terminé.

Les leçons d’Octobre

La débâcle en Saxe provoqua immédiatement un énorme débat, dans l’Internationale Communiste, sur la question de la source de l'échec. Malheureusement, on ne peut pas dire qu’il se soit agi d'un débat clair et rationnel. Il survint au moment où l’aggravation du bureaucratisme en Russie y noyait toute discussion rationnelle. Lénine était complètement hors d'état d'y participer, et mourut en janvier 1924. Zinoviev, Kamenev et Staline utilisaient l’autosatisfaction bureaucratique de larges rangs du parti russe pour isoler Trotsky et détruire sa popularité. Désormais ils étendaient les méthodes qu’ils avaient employées en Russie aux discussions dans l’Internationale.

Dans la discussion sur l’Allemagne, Brandler, Thalheimer et Radek défendirent la tactique du parti allemand avec des arguments rationnels et basés sur des faits, même s’ils étaient souvent confus et contradictoires. Mais la plupart de ceux qui les attaquèrent le firent pour des raisons d’animosité personnelle, d’amertume fractionnelle et d’intrigue bureaucratique, choisissant ou rejetant des arguments, inventant même des faits, à leur convenance.

Il n’était pas de mon propos, dans ce livre, d’examiner les polémiques fractionnelles internes qui se sont élevées dans l’histoire du parti russe, ou le cours suivi par la dégénérescence de la révolution russe. Ces questions sont importantes, mais elles ont été traitées par ailleurs de façon satisfaisante.70 Je vais donc me borner à donner quelques rapides exemples des méthodes de discussion qui suivirent la défaite allemande.

Zinoviev et Staline attaquèrent tous deux Brandler, et pendant à peu près un an soutinrent les ultra-gauches Fischer, Maslow et Thälmann contre lui. Pourtant, à l’été de 1923, Staline avait déclaré avec insistance que les Allemands « devaient être retenus », et Zinoviev avait complètement approuvé la décision de ne pas poursuivre la grève générale et l’insurrection. A nouveau, Zinoviev permit à Fischer de cogner à tour de bras sur Brandler et Radek, considérés comme responsables du « gouvernement ouvrier » saxon – pourtant, comme nous l’avons vu, Brandler s’était opposé, en octobre, à l’entrée dans le gouvernement. Finalement, la condamnation de Brandler et Radek lors du Cinquième Congrès du Comintern, en 1924, fut basée sur la définition nouvelle et insensée de la sociale-démocratie comme « aile gauche du fascisme ».

Les véritables « leçons d’octobre » ne peuvent être tirées qu’en ignorant les conclusions des débats de l’Internationale bureaucratisée. Mais certaines des contributions à ces mêmes débats fournissent des indications précieuses de ce qui avait mal tourné.71 Diverses explications furent proposées. En fait, la confusion du débat était telle qu’il n’était pas rare que des individus développent deux ou plusieurs explications contradictoires au cours de la même intervention.

Quatre explications principales furent proposées.

La première proclamait qu’il n’y avait pas, dans l’Allemagne de 1923, de situation révolutionnaire : la majorité de la classe ouvrière, loin de soutenir les communistes, était restée fidèle à la social-démocratie. C’était un élément important de l’argumentation utilisée par la direction brandlérienne pour justifier sa retraite en Saxe :

L’erreur commune de l’Exécutif [de l’Internationale] comme de la Centrale du KPD a été une fausse estimation du rapport de forces entre le SPD et le KPD au sein de la classe ouvrière. (...) La majorité des travailleurs n’était pas encore gagnée au communisme.72
Si, après la conférence de Chemnitz, nous nous étions lancés dans la bataille, nous aurions subi une défaite décisive, qui aurait rendu impossible pour des années toute discussion sur la possibilité d’une victoire pour le prolétariat.73
A la conférence de Chemnitz il était évident que les travailleurs croyaient encore que la marche des troupes en Saxe était dirigée contre la Bavière. (...) Si nous nous étions risqués à la bataille, nous aurions, nous autres communistes, connu une défaite sanglante. (...) Une large section de la petite bourgeoisie était passée dans le camp ennemi.74

Clara Zetkin prétendait avec insistance que la grève contre Cuno n’avait montré aucune véritable tendance révolutionnaire. Au contraire, elle révélait parmi les masses « un grand manque de maturité politique pour la révolte, pour la prise du pouvoir ».75 Pour Thalheimer, la défaite avait des causes « de nature objective, et non imputables à des fautes de tactique du parti ».76

La majorité de la classe ouvrière n’était plus prête à se battre pour la démocratie de Novembre (1918), (...) et pas encore prête à lutter pour la dictature des conseils et le socialisme.77

De ce fait, toute action en octobre aurait opposé des groupes misérablement petits de travailleurs armés aux forces combinées du fascisme, de l’armée et de la police paramilitaire.

De tels arguments ont amené des historiens comme l’Américain Angress à accepter l’évaluation de 1923 comme une situation non révolutionnaire. Pourtant ils sont porteurs de nombreuses faiblesses.

D’abord, ceux qui ont fait valoir ces raisons en 1923 n’en étaient pas eux-mêmes totalement convaincus. Brandler, par exemple, a tenu dans un certain nombre d’occasions ultérieures des propos semblant impliquer, à l’inverse de ce que disait son ami Thalheimer, qu’il y avait en 1923 des possibilités révolutionnaires, mais pas en octobre 1923. Ce n’était pas la définition de l’année comme potentiellement révolutionnaire qui était en cause, mais le mois d’octobre en tant que moment de passer à l’offensive. Cela ressort manifestement de son discours au Cinquième Congrès du Comintern neuf mois plus tard, ainsi que de l’interview qu’il donna, 25 ans après, à Isaac Deutscher :

Lorsqu’on lui demande si aujourd’hui il considère que la situation de 1923 était révolutionnaire, Brandler ne donne pas de réponse claire. Par la façon dont il décrit les évènements on a l’impression que sa réponse est plutôt, dans l’ensemble, affirmative. Mais il ne tire pas de conclusions définitives.78

L’évaluation pessimiste faite en octobre 1923 découlait d’une peur obsessionnelle constante d’une répétition de l’Action de Mars. Brandler disait :

L’Action de Mars 1921 nous a montré que la situation de la classe dans son ensemble, toute la situation objective, n’était pas mûre pour que nous battions le capitalisme par un assaut frontal : les conditions objectives ont mené à ce que nous avons subi une grande défaite après un assaut frontal. Je fus justement rendu personellement responsable de cette défaite. (...) Mais je pense que j'ai la capacité de ne pas faire deux fois la même erreur.79

Mais il était absurde de mettre le signe égal entre l’Allemagne de 1923, année où toute la société était secouée par la crise, et celle de mars 1921, où la crise n’était qu’un produit de l’imagination de Kun, Brandler, Radek et autres.

De plus, ceux qui disaient que la situation n’était pas mûre avaient tendance à surestimer grossièrement la cohésion interne des forces alignées contre la gauche. Ils parlaient de « centaines de milliers » de combattants d’extrême droite qui auraient facilement écrasé les « quelques milliers » de travailleurs en armes, sans reconnaître qu’il y avait encore de puissantes tendances, au sein des forces contre-révolutionnaires, défavorables à une réponse rapide et unifiée à une offensive de la gauche. Bien sûr, le gouvernement central, le commandement de la Reichswehr, les séparatistes bavarois et les supporters de Hitler étaient tous des ennemis de la révolution. Malgré tout, à peine une quinzaine de jours après la débâcle saxonne, ils étaient en train de se quereller entre eux.

Au lieu de reconnaître cela, même après que Hitler ait été mis en prison pour son putsch bavarois, la direction communiste allemande amalgamait les forces de droite sous la qualification de « fascistes ». Dans un remarquable travestissement de l’histoire, la direction brandlérienne déclarait :

La Révolution de Novembre est livrée au fascisme. Le pouvoir est entre les mains de forces militaires déterminées à annihiler les organisations de la classe ouvrière. (...) Alors que la classe ouvrière voyait le centre du fascisme en Bavière, c’est à Berlin que le fascisme s’installe sous la forme de la dictature de Seeckt.80

La surestimation des forces alignées contre la révolution était accompagnée d’une tendance à traiter comme un fait ce qui n’avait pas véritablement été prouvé, à savoir que les sociaux-démocrates restaient la force décisive dans la classe ouvrière. Seule l’action pouvait déterminer quel était l’équilibre réel des forces en octobre 1923 – pourtant la direction du KPD se déroba sur la supposition que ce rapport ne pouvait pas, malgré la crise totale de la société, s’être radicalement modifié.

La seconde explication donnée à la débâcle fut que la date de l’insurrection avait été fixée avant que la situation révolutionnaire ne soit arrivée à complète maturité. Brandler lui-même opte à l’occasion pour ce point de vue : « Je n’ai tout simplement pas considéré la situation comme ayant atteint suffisamment d’acuité révolutionnaire, comptant plutôt sur une intensification ultérieure ».81 C’était également implicite dans les déclarations de Zinoviev et de la direction du Comintern après la défaite, selon lesquelles rien n’avait changé dans le rapport des forces objectif, et « l’Allemagne va, semble-t-il, vers une guerre civile aiguë ».82

L’histoire a elle-même prouvé la fausseté de cet argument. Aucune vague de grèves et de manifestations ne suivit. Les travailleurs étaient démoralisés par le chômage massif et, surtout, par le sentiment que les communistes avaient eu leur chance et avaient refusé de la saisir.

La troisième explication avancée est que la véritable opportunité révolutionnaire avait été antérieure à octobre, mais que le Parti Communiste et l’Internationale n’étaient alors absolument pas prêts. Presque tous les dirigeants communistes acceptèrent en partie cette interprétation (sauf Zinoviev, qui la traitait de « sophisme » – sans doute parce qu’elle impliquait que son exécutif du Comintern était tout autant à blâmer que le parti allemand).

Radek prétendait qu’en avril et mai ni l’exécutif de l’Internationale ni la direction du KPD n’avaient tiré les « conclusions pratiques » de leur évaluation théorique selon laquelle la lutte dans la Ruhr se terminerait en « guerre civile ».83 Clara Zetkin disait qu’à l’époque de l’occupation de la Ruhr

le parti ne prit pas connaissance à temps et avec assez de vigueur de la situation révolutionnaire. (...) Le parti ne considérait pas la lutte pour des revendications partielles comme un moyen de recruter, mobiliser et éduquer le prolétariat pour la lutte de masse pour le pouvoir.84

La version la plus extrême de cet argument affirme qu’en octobre il n’y avait aucune chance de succès pour l’insurrection, parce que le gouvernement Stresemann avait déjà restauré la confiance de la bourgeoisie en mettant fin à la résistance passive et en commençant à prendre des mesures pour lutter contre l’inflation.

Le problème avec ce raisonnement, c’est qu’il suppose que la masse du peuple, y compris la bourgeoisie, acceptait à l’avance que les plans de Stresemann allaient être couronnés de succès. Mais la fin de la résistance passive ne fut pas suivie immédiatement d’un accord avec les Français : le mouvement séparatiste qu’ils soutenaient était encore actif en Rhénanie au moment de la débâcle saxonne. Et l’inflation continua à s’accélérer pendant encore une quinzaine de jours. Il y avait peu de raisons pour que des gens qui avaient déjà assisté à l’échec de trois tentatives gouvernernementales de maîtriser l’inflation se mettent à croire que celle-là allait marcher.

La quatrième interprétation de la défaite fut formulée par Trotsky et ses partisans. Il en existe une version vulgaire, que l’on peut trouver parfois dans la littérature trotskyste, et qui est à l’évidence fausse, selon laquelle il y avait en octobre une situation révolutionnaire que Staline sabota.85 L’argument tombe de lui-même parce qu’il attribue aux jugements désastreux de Staline une influence dans le Comintern qu’ils étaient loin de posséder en 1923.

En tout état de cause, la thèse de Trotsky est beaucoup plus sophistiquée. Elle n’est pas subordonnée à l’acceptation que le succès était garanti en octobre (même si Trotsky le pensait probable). L’idée centrale de Trotsky est que la situation était devenue tellement fluide que seule une offensive des révolutionnaires pouvait révéler le véritable rapport de forces :

C’est à un pédant – et non à un révolutionnaire – qu’il siérait d’analyser maintenant jusqu’à quel point la conquête du pouvoir aurait été « garantie » avec une politique juste.86

Mais le parti allemand n’avait pas su répondre au brusque changement de la situation objective au cours de l’année :

Durant l’été 1923, la situation intérieure de l’Allemagne, en raison surtout de la faillite de la tactique de résistance passive, prit un caractère catastrophique. Il devenait parfaitement clair que la bourgeoisie allemande ne réussirait à sortir de cette situation « sans issue’ »que si le Parti Communiste allemand ne comprenait pas clairement ce fait, et n’en tirait pas pour son action toutes les conclusions révolutionnaires nécessaires. (...)
Pourquoi la révolution allemande n’a-t-elle pas abouti à la victoire ? Les causes de l’échec tiennent entièrement à la tactique et non aux conditions ou au hasard. Nous avons là l’exemple classique d’une situation révolutionnaire manquée. Le prolétariat allemand aurait marché au combat, s’il avait pu se convaincre que, cette fois, le problème de la révolution était nettement posé, que le Parti Communiste était prêt à aller à la bataille, qu’il était capable d’assurer la victoire. Non seulement les droitiers, mais aussi les gauchistes, en dépit de la lutte acharnée qu’ils se livraient, envisagèrent jusqu’en septembre-octobre, avec grand fatalisme, le processus du développement de la révolution.87

Trotsky pensait que la direction du parti allemand avait fait une terrible erreur en n’allant pas de l’avant en octobre 1923. Mais c’était seulement l’expression finale du fait qu’ils avaient été à la traîne des évènements pendant tout l’été.

Le fait que, après les évènements, les réformistes semblaient avoir une emprise aussi ferme sur la majorité de la classe ouvrière ne prouvait pas que les travailleurs n’auraient pas suivi les communistes dans la bataille au sommet de la crise sociale et politique. Car la dérobade des communistes rendrait les masses à la social-démocratie.

Un parti qui a longtemps mené une agitation révolutionnaire en arrachant peu à peu le prolétariat à l'influence des conciliateurs, et qui, une fois porté au faîte des événements par la confiance des masses commence à hésiter, à chercher midi à quatorze heures, à tergiverser et à louvoyer, paralyse l'activité des masses, provoque chez elles la déception et la désorganisation, perd la révolution, mais par contre s'assure la possibilité d'alléguer, après l'échec, le manque d'activité des masses.88

Trotsky cite longuement des déclarations de Bolcheviks – en particulier de Zinoviev et de Kamenev – qui avaient, dans la Russie de 1917, utilisé des arguments contre l’insurrection qui étaient proches de ceux mis en avant en Allemagne en octobre 1923 par Brandler et Radek. Il suggère que si ces raisonnements avaient eu le dessus en 1917, ils auraient semblé corrects après l’événement :

Il n'est pas difficile de se représenter la façon dont on aurait écrit l'his­toire si la tendance à se dérober à la bataille avait triomphé dans le Comité Central. Les historiens officiels, à n'en pas douter, auraient représenté la situation de façon à montrer que l'insur­rection eût été une véritable folie en octobre 1917; ils auraient servi au lecteur des statistiques fantastiques sur le nombre des junkers, des cosaques, des détachements de choc, de l'artillerie "disposée en éventail" et des corps d'armée venant du front. Non vérifiées dans l'insurrection, ces forces eussent apparu beau­coup plus menaçantes qu'elles ne l'étaient en réalité.89

En fait, la révolution aurait échoué, non pas parce qu’elle était impossible, mais parce que le parti aurait omis d’agir au moment décisif. Son hésitation aurait donné le temps à la bourgeoisie de mettre ses troupes en mouvement et de reprendre le contrôle des évènements. Car la révolution se développe jusqu’à un point où, soit le parti révolutionnaire agit, soit l’histoire retombe dans son vieux moule :

La force d'un parti révolutionnaire ne s'accroît que jusqu'à un certain moment, après quoi elle peut décliner devant la passivité du parti, les espoirs des masses font place à la désillusion et, pendant ce temps, l'ennemi se remet de sa panique et tire parti de cette désillusion.90

Trotsky insistait sur la nécessité pour le parti d’agir en octobre. Même si on accepte les arguments de Radek et de Thalheimer – selon lesquels en octobre le moment crucial était dépassé et la bourgeoisie avait à nouveau le contrôle – le diagnostic essentiel de Trotsky tient toujours. A partir de mai, de grandes possibilités n’ont pas connu de test parce que le parti était sur la défensive, et ne répondit pas au changement d’humeur des masses et à la désintégration croissante de la société.

Pour Trotsky, un certain niveau de conservatisme dans le parti était inévitable. Cela provenait du fait que, dans la plus grande partie de la vie d’un parti révolutionnaire, la possibilité objective de prendre le pouvoir n’existe tout simplement pas :

La classe ouvrière lutte et grandit avec la conscience que son adversaire est plus fort qu'elle. C'est ce que l'on observe cons­tamment dans la vie courante. L'adversaire a la richesse, le pou­voir, tous les moyens de pression idéologique, tous les instru­ments de répression. L'accoutumance à la pensée que l'ennemi nous est supérieur en force est partie constitutive de la vie et du travail d'un parti révolutionnaire à l'époque de préparation.D'ail­leurs, les conséquences des actes imprudents ou prématurés aux­quels le Parti peut se laisser aller lui rappellent brutalement cha­que fois la force de son ennemi. Mais il vient un moment où cette habitude de considérer l'adversaire comme plus puissant devient le principal obstacle à la victoire. La faiblesse d'aujourd'hui de la bourgeoisie se dissimule en quelque sorte à l'ombre de sa force d'hier.91

La décision de lutter pour le pouvoir ne comporte pas seulement un changement tactique décidé par l’un ou l’autre des dirigeants du parti, mais une complète transformation dans l’approche par le parti de chacune de ses activités. Il n’est donc pas surprenant, par conséquent, que des sections entières du parti tentent de se dérober au changement :

Chaque période du développe­ment du Parti a ses traits spéciaux et réclame des habitudes et des méthodes déterminées de travail. Un tournant tactique im­plique une rupture plus ou moins importante de ces habitudes et méthodes c'est là qu'est la source directe des heurts et des crises. (...) De là un danger : si le virage a été trop brusque ou trop inattendu et que la période supérieure ait accumulé trop d'éléments d'inertie et de conservatisme dans les organes dirigeants du Parti, ce dernier se montre incapable de réaliser sa direction au moment le plus grave auquel il s'était préparé durant des années ou des dizaines d'années. Le Parti est rongé par une crise et le mouvement s'effectue sans but et va à la défaite.92

La confusion dans le parti a l’effet le plus profond sur la classe :

Sur une seule et même base économique, avec la même différenciation de classe de la société, la corrélation des forces varie en fonction de l'état d'esprit des masses prolétarien­nes, de l'effondrement de leurs illusions, de l'accumulation de leur expérience politique, de l'ébranlement de la confiance des classes et groupes intermédiaires dans le pouvoir étatique, et enfin de l'affaiblissement de la confiance que ce dernier a en lui-même. En temps de révolution ces processus s'effectuent ra­pidement.93

Si le parti fait montre d’une foi dans la stabilité de l’Etat bourgeois que même ceux qui contrôlent cet Etat n’ont pas, il l’aide par inadvertance à maintenir les masses sous sa coupe. Au lieu d’aggraver les conflits internes dans le camp ennemi, au lieu de montrer aux classes moyennes que la révolution leur offre une issue, il finit par les convaincre que leur seul espoir réside dans le statu quo.

Voilà, disait Trotsky, ce qui s’était passé dans l’Octobre Allemand. La direction communiste, après avoir amené la majorité des travailleurs et une section de la classe moyenne à un point où elles appelaient de leurs vœux un dénouement révolutionnaire à la crise sociale, n'accomplit pas sa tâche. Les masses perdirent confiance dans le parti, et les sociaux-démocrates et les partis de droite purent les récupérer.

Les tendances au conservatisme sont inhérentes à tout parti. Mais cela ne signifie pas que Trotsky pensait qu’on ne pouvait rien faire pour le combattre. Il pouvait être évité par une direction qui combinait une précision scientifique stricte dans l’analyse des évènements avec la capacité de répondre à des changements vifs et soudains dans les dispositions des masses – le genre de réponse que Lénine et Trotsky avaient été capables de faire en 1917. Mais une direction semblable ne surgit pas du néant. Le parti devait développer des dirigeants de ce calibre à travers de longues années de lutte, sélectionnant parmi ses membres ceux qui se montraient capables de saisir la relation entre la situation objective et les mutations rapides dans le moral des masses. Ce n’est qu’ainsi que le parti pouvait se préparer à des batailles gigantesques pour changer le monde. L’Octobre Allemand fut réduit à rien parce que le Parti Communiste Allemand ne possédait pas une telle direction.

Une telle interprétation ramène l’analyse de ce qui n’avait pas marché en 1923 à l’appréciation historique de la décennie écoulée.

Nous avons vu, dans les chapitres précédents, comment l’absence fatale d’un noyau stable de parti produisit les défaites dévastatrices de 1919 et l’incapacité de saisir les opportunités révolutionnaires après le putsch de Kapp en 1920. Ces échecs suscitèrent à l’intérieur du parti une impatience qui lui monta à la tête lors de l’Action de Mars 1921. Cette expérience traumatisante préparait à son tour le terrain de la débâcle de 1923.

La direction du parti avait perdu toute confiance en elle-même. Sa fixation névrotique sur mars 1921 l’empêchait de répondre au changement d’humeur des masses en mai 1923. Le parti était déchiré par des querelles intestines, la direction peu sûre d’elle-même, se jurant bien de ne jamais recommencer, alors que l’opposition était encore porteuse de tous les symptômes de la folie de mars. Le parti chercha à se rassurer, non pas dans la lutte en Allemagne même, mais en se tournant pour un conseil tactique vers des hommes de Moscou qui, aussi capables qu’ils fussent (et beaucoup ne l’étaient guère plus que les dirigeants allemands), n’étaient pas en position de juger des changements d’humeur des masses au jour le jour.

1923 fut l’addition de tous les problèmes qui avaient empoisonné la Révolution Allemande depuis le début – ou, plus précisément, de l’impact répété d’un problème majeur : l’absence d’un noyau de parti en novembre 1918. Sans un tel noyau l’expérience de 1918-1919 ne pouvait produire une couche de militants capables de répondre de manière coordonnée au niveau national aux possibilités de 1920. Et cela, à son tour, détermina une combinaison de folle témérité et d’hésitation en 1921 et 1923.

La société allemande produisit des centaines de milliers, et même des millions, d’hommes et de femmes qui voulaient un changement révolutionnaire entre 1918 et 1923. La tragédie de la Révolution Allemande fut qu’un parti capable de canaliser et de coordonner leur énergie ne vit le jour qu’au moment où il était trop tard. L’histoire a souvent été comparée à une locomotive – mais elle n’attend pas que les révolutionnaires veuillent bien monter à bord. Ceux qui ne sont pas à l’heure sont contraints, comme le Juif errant de la légende, de souffrir pour le reste de l’éternité.

Notes

1 Guttman et Meehan, The Great Inflation, p. 31.

2 Résumé de rapports fournis par J C Favez, Le Reich devant l’occupation franco-belge de la Ruhr en 1923 (Genève 1969) p. 291. Traduit de l'anglais.

3 Ibid, p. 291. Traduit de l'anglais.

4 Ibid, p. 295. Traduit de l'anglais.

5 Ibid, p. 293.

6 Ibid, traduit de l'anglais.

7 Ibid, pp. 293-294. Traduit de l'anglais.

8 Erich Hochler, cité in W Ersil, Aktionseinheit stürtzt Cuno (Berlin 1961) p. 245.

9 Pierre Broué, Révolution en Allemagne (Paris 1971) p. 713, et J C Favez, op. cit., p. 294.

10 W Ersil, op. cit., p. 249.

11 J C Favez, op. cit., p. 295.

12 W Ersil, op. cit., pp. 290-295.

13 Michaelis et Schlapper, Ursachen und Folgen vom deutschen Zusammenbruch 1918 bis 1945, zur staatlichen Neuordnung Deutschlands in der Gegenwart, 5. Das kritische Jahr 1923, p. 476. Traduit de l'anglais.

14 P Broué, op. cit. , p. 714.

15 Viscount d’Abernon, cité in Michaelis et Schlapper, op. cit., p. 172.

16 Landauer, European Socialism (Berkeley 1959) p. 974.

17 Die Lehren der deutschen Ereignisse, Présidium de l’Internationale Communiste, juin 1924, p. 30.

18 Ibid.

19 J C Favez, op. cit., p. 306.

20 Ibid, p. 308.

21 Cité par Kuusinen, « Un exposé fallacieux des événements d'Allemagne », Cahiers du bolchevisme, n° 11, 30 janvier 1925, p. 718.

22 P Broué, op. cit., p. 720.

23 New Left Review 105, p. 52.

24 Lettre à Isaac Deutscher, ibid, p. 76.

25 L Trotsky, « Peut-on déterminer l'échéance d'une révolution ou d'une contre-révolution ? », ../../../trotsky/oeuvres/1923/09/lt19230923a.htm

26 Cité in P Broué, op. cit. , p. 732.

27 Helmut Gast, « Die proletarischen Hundertschaften als Organe der Einheitsfront im Jahre 1923 » in Zeitschrift für Geschichtwissenschaft 1956, p. 452.

28 Ibid.

29 A R Albert (pseudonyme de Victor Serge), cité in P Broué, op. cit. , p. 739.

30 Cité ibid , p. 737.

31 Cité ibid , p. 735.

32 Die Lehren der deutschen Ereignisse, p. 34.

33 Ibid, p. 41.

34 Bulletin Communiste, 11 octobre et 6 novembre 1923.

35 J C Favez, op. cit., p. 310. Traduit de l'anglais.

36 Ibid. Traduit de l'anglais.

37 Harold Fraser, cité in Guttman et Meehan, op. cit., pp. 75-76.

38 Heinz Neumann, in Bulletin Communiste , 11 octobre 1923, p. 636.

39 J C Favez, op. cit., p. 370.

40 Cité in Michaelis et Schlapper, op. cit., p. 201. Traduit de l'anglais.

41 Werner Angress, Die Kampfzeit der KPD, 1921-1923, Düsseldorf 1923, S. 468

42 H A Turner, Stresemann and the Politics of the Weimar Republic (Princeton 1963) p. 124.

43 Cité in Raimund Wagner, « Zur Frage der Massenkämpfe in Sachsen vom Frühjahr bis zum Sommer 1923 », Zeitschrift für Geschichtwissenschaft, Cahier 1 (1956) p. 258. Traduit de l'anglais.

44 Cité in I Deutscher, New Left Review 105.

45 Voir, par exemple, Michaelis et Schlapper, op. cit., p. 470.

46 Heinrich Brandler in Die Lehren der deutschen Ereignisse, p. 20.

47 Cité in P Broué, op. cit. , p. 755.

48 Cité par I Deutscher, New Left Review 105, p. 51.

49 Ibid, p. 76.

50 Brandler, cité par I Deutscher, ibid, pp. 50-51.

51 Bulletin Communiste, 1er novembre 1923.

52 Pour une description de l’humeur à Moscou, voir P Broué, op. cit. , p. 722.

53 Die rote Fahne, 10 octobre 1923. Egalement Staline, Сочинения, tome 17, 2004, p. 179, http://grachev62.narod.ru/stalin/t17/t17_115.htm

54 Texte in Michaelis et Schlapper, op. cit., p. 483.

55 H Gast, op. cit., p. 462.

56 La séquence des évènements menant à l’entrée des troupes en Saxe est décrite in : Michaelis et Schlapper, op. cit., pp. 484-492 ; H A Turner, op. cit., pp. 125-131 ; et P Broué, op. cit. , pp. 759-764.

57 E H Carr, op. cit., p. 221.

58 Bulletin Communiste , 25 octobre 1923.

59 Toni Sender, The Autobiography of a German Rebel (Londres 1940).

60 Scheele, p. 73.

61 Victor Serge, Mémoires d’un révolutionnaire (Paris 1951) p. 180.

62 New Left Review 105, p. 75.

63 Karl Radek in Die Lehren der deutschen Ereignisse, op. cit., p. 6. Comparer avec Remmele dans le même ouvrage, p. 42.

64 Radek, ibid, p. 6.

65 Texte in Michaelis et Schlapper, op. cit., p. 494.

66 Die Lehren der deutschen Ereignisse, p. 23.

67 Cité in P Broué, op. cit. , p. 739.

68 Chiffres donnés in : Arthur Rosenberg, Entstehung und Geschichte der Weimarer Republik, Francfort sur le Main, 1988, p. 419.

69 Scheele, op. cit., p. 77.

70 Voir, par exemple: Isaac Deutscher, Le prophète désarmé (Paris 1954); Tony Cliff, Lenin vol 3 (Londres 1977) ; et Moshe Levin, Le dernier combat de Lénine (Paris 1967).

71 En particulier les discours de Radek, Brandler et Remmele in Die Lehren der deutschen Ereignisse, op. cit., et ceux de Brandler, Radek et Clara Zetkin in 5ème congrès de l'internationale communiste (Paris 1924).

72 Thalheimer et Brandler in Michaelis et Schlapper, op. cit., p. 505. Egalement http://www.stmuk.bayern.de/blz/web/100081/06.html#dok5

73 Brandler in Die Lehren der deutschen Ereignisse, op. cit., p. 26.

74 Fifth Congress of the Communist International, Londres, 1924, p. 66.

75 Ibid, p. 80.

76 1923: Eine verpasste Revolution? cité in P Broué, op. cit., p. 785.

77 Thalheimer et Brandler in Michaelis et Schlapper, op. cit., p. 504. Egalement http://www.stmuk.bayern.de/blz/web/100081/06.html#dok5

78 I Deutscher, New Left Review 105, p. 52.

79 Die Lehren der deutschen Ereignisse, p. 256.

80 Thèses du KPD in Bulletin Communiste, 15 novembre 1923. Traduit de l'anglais.

81 Brandler in New Left Review 105, p. 76.

82 Zinoviev in Pravada, 2 février 1924, cité in L Trotsky, L’Internationale Communiste après Lénine, Vol 1 (Paris 1969), p. 201.

83 Die Lehren der deutschen Ereignisse, op. cit., p. 14.

84 Fifth Congress, op. cit., p. 8.

85 Voir par exemple C L R James, World Revolution (Londres 1937) p. 181.

86 L Trotsky, op. cit ., p. 192.

87 Ibid p. 191-192.

88 L Trotsky, « Autour de la révolution d'Octobre » Leçons d'Octobre (1924).

89 Ibidem.

90 Ibidem.

91 Ibidem.

92 « Il faut étudier Octobre », ibidem.

93 « Autour de la révolution d'Octobre », ibidem.

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