1910

 

Rudolf Hilferding

Le capital financier

PREMIERE PARTIE - L’ARGENT ET LE CRÉDIT 

CHAPITRE IV - L'ARGENT DANS LA CIRCULATION DU CAPITAL INDUSTRIEL 

1910



 

Voyons maintenant le rôle que joue l'argent dans la circulation du capital industriel. Laissons de côté l'usine capitaliste avec ses merveilles techniques et dirigeons notre attention vers la monotonie du processus d'échange par lequel, toujours de la même façon, l'argent se transforme en marchandise et celle-ci en argent. Seul l'espoir qu'il sera possible par ce moyen de trouver le secret qui nous fera comprendre comment, du processus de la circulation même, naît cette puissance qui en tant que crédit capi­taliste parvient à dominer les échanges sociaux, peut encou­rager le lecteur à gravir avec patience le chemin de croix que représente le présent chapitre.

Dans la circulation, l'argent serait superflu si le montant de la somme totale des prix restait constant, si par consé­quent masse et prix des marchandises ne variaient pas et si chaque marchandise s'échangeait toujours contre l'autre à sa valeur. C'est une condition irréalisable à l'intérieur d'un mode de production non réglementée, anarchique. D'un autre côté, le règlement conscient de la produc­tion sociale rendrait impossible l'apparition de la valeur en tant que valeur d'échange, par conséquent le rapport social de deux choses et, par là, l'argent. Des bons sur des produits sociaux établis par la société sont aussi peu de l'argent que des billets de théâtre donnant droit à un fauteuil d'orchestre. Bien plutôt, le caractère de la production des marchandises ne fait que rendre l'argent nécessaire en tant que mesure de la valeur et, par là, moyen de circulation 1.

Si l'argent fonctionne comme moyen de paiement, une compensation complète de tous les paiements à un moment donné apparaît d'avance comme un pur hasard, qui en réalité ne se produira jamais. L'argent achève ici spontanément le processus du changement de place de la marchandise. Peu importe quand l'argent reçu en paiement est transforme a son tour en marchandise, et par conséquent la valeur de la première marchandise remplacée définitivement par une autre marchandise. Le lien qui existe dans le processus M-A-M est ici rompu. L'argent doit nécessairement intervenir pour donner satisfaction au vendeur de la marchandise, qui de son côté ne doit pas nécessairement être acheteur d'une autre marchandise.

Mais cette rupture du processus de circulation, qui dans le domaine de la simple circulation des marchandises nous paraît encore fortuit et arbitraire, devient nécessaire dans le domaine de la circulation capitaliste des marchandises. C’est ce que nous montre l'étude de la circulation du capital.

La valeur devient capital en devenant valeur productrice de plus-value. C'est ce qui arrive dans le processus de production capitaliste, dont la condition est le monopole des capitalistes sur les moyens de production et l'existence d'une classe de salariés libres. Ces derniers vendent au capitaliste leur force de travail, dont la valeur est égale à la valeur des moyens de subsistance nécessaires au maintien et à la reproduction de la classe ouvrière. Leur travail crée une nouvelle valeur, dont une partie remplace pour le capitaliste la partie du capital qu'il a avancée pour l'achat de la force de travail - Marx l'appelle la partie variable du capital - tandis que l'autre partie lui revient comme plus-value. Étant donné que dans le processus du travail la valeur des moyens de production - le capital constant - est transférée dans le produit, la valeur que le capitaliste a avancée pour a production s'est accrue, est devenue valeur engendreuse de valeur, s'est avérée comme capital.

Chaque capital industriel passe par un mouvement circulaire, dont seules nous intéressent ici les changements de forme. Car le contenu du processus est la formation de la plus-value, par conséquent la mise en valeur du capital, et celle-ci a lieu dans le processus de la production, qui dans la société capitaliste a une double fonction : il est, comme dans toute forme de société, processus de travail, qui livre des valeurs d'usage, mais il est en même temps, ce qui est caractéristique de la production capi­taliste, processus de mise en valeur où les moyens de production fonctionnent en tant que capital et où est créée de la plus-value. Ce processus, Marx l'a analysé à fond dans le premier tome du Capital. Ce qui nous intéresse ici, c'est seulement le changement de forme de la valeur, non sa formation. Toutefois, ce changement de forme n'a rien à voir avec l'importance de la valeur, dont l'accroissement constitue plutôt le contenu du processus de mise en valeur; si ce changement est du domaine de la production, le changement de forme est, quant à lui, du domaine de la circulation. Mais il n'y a que deux formes que puisse prendre la valeur dans la société productrice de marchandises : celle de la marchandise et celle de l'argent.

Si nous considérons maintenant le mouvement circulaire du capital, nous voyons que chaque capital apparaît, dès son entrée en scène, comme capital-argent. En tant qu'argent qui doit fonctionner comme capital, il est transformé en marchandises (M) d'une certaine sorte, moyens de production (Mp) et force de travail (F). Suit le processus de production (P)... Celui-ci n'implique aucun changement de forme de la valeur: la valeur reste valeur. Mais au cours de ce processus, premièrement - ce qui n'affecte absolument pas la valeur -, la valeur d'usage de la marchandise est changée, et deuxièmement, la force de travail accroît par sa fonction la valeur, qui grandit. En tant que marchandise (M1) dont la valeur est accrue de la plus-value, la marchandise quitte le lieu de production pour subir sa deuxième et dernière transformation en argent (A1).

Le mouvement circulaire du capital se divise par conséquent en stades (A-M et M1 et A1) qui sont du domaine de la circulation et en un troisième, de la production. Dans la circulation, le capital apparaît comme capital-argent et capital-marchandises, dans la production, comme capital productif. Ce capital, qui prend successivement toutes ces formes, est du capital industriel. Le capital-argent, le capital-marchandises, le capital productif, ne caractérisent donc pas ici des sortes de capital indépendantes, mais seulement des formes de fonction particulières du capital industriel.

Il en résulte par conséquent le schéma suivant: A-M-P ... M1 P1.

Chaque capital apparaissant nouvellement en scène se présente d'abord comme capital-argent. Qu'il est capital on ne le voit pas à l'argent 2. Il ne l'est que parce qu'il doit être transformé en les éléments du capital productif. Au début, il n’est qu’argent, ne peut donc exercer que des fonctions d’argent, il n’est que moyen de circulation ou de paiement.

Nous savons déjà que la fonction de l'argent en tant que moyen de paiement peut comporter des rapports de crédit. A-M, le premier stade du processus de circulation du capital se divise en deux parties : A-Mp et A-F. Étant donné que le salarié ne vit que de la vente de sa force de travail le maintien de celle-ci exige une consommation quotidienne et son paiement doit être répété à des échéances très courtes, afin qu'il puisse faire les achats nécessaires à sa subsistance. C'est pourquoi le capitaliste doit lui faire face constamment en tant que capitaliste d'argent, et son capital comme argent 3. Ici, on le voit, le crédit ne joue aucun rôle.

Il en est autrement dans le processus A-Mp. Ici, le crédit peut jouer un rôle plus important. Les moyens de production achetés ont pour but d'être mis en valeur. L'argent qui a été dépensé pour eux n'est pour le capitaliste que prêté, il doit lui revenir, une fois terminée la période de circulation, et, en supposant que tout se passe normalement, il lui revient accru. Comme le capitaliste, par conséquent, ne fait qu’avancer son argent et que ce dernier lui revient, ll peut lui être avancé, prêté, à lui-même. Et c'est là, d'une façon générale, la condition du crédit de production : à savoir que l'argent n'est prêté qu'à celui qui ne le dépense lui-même que de telle sorte qu'il doive - toujours dans des conditions normales - lui revenir. En outre le crédit est fondé ici sur les marchandises, pour l'achat desquelles l'argent a été avancé.

Nous n'avons affaire ici qu'au crédit qui découle de la circulation des marchandises elle-mêmes, du changement de la fonction argent, de la transformation de l'argent, de moyen de circulation en moyen de paiement. Nous ne considérons pas encore le crédit qui découle du fait que la fonction du capitaliste se divise en deux, celle d’un simple propriétaire d'argent et celle d'un entrepreneur. Si l'argent est prêté à l'entrepreneur par le propriétaire d'argent, ce n'est qu'un simple transfert d'argent. Rien n'est encore changé par là à la quantité de l'argent prêté. Mais, dans le cas que nous considérons maintenant, cela peut très bien se produire. Le vendeur des moyens de produc­tion lui crédite la marchandise et reçoit en échange une promesse de paiement, par exemple une traite. Le capitaliste pourra peut-être déjà, au moment de l'échéance, payer avec le reflux hors du processus de circulation du capital qui lui a été avancé. Si c'est le cas, la somme de son capital-argent pourra être inférieure à ce qu'elle devrait être autrement; le crédit a accru la puissance de son capital.

Mais le crédit ne change rien au fait que le capital doit avoir forme d'argent pour pouvoir acheter une marchandise. Il diminue seulement, dans la mesure où des paiements se compensent, la quantité d'argent métallique qui, autrement, serait nécessaire pour l'échange. Mais cette quantité n'est en rien déterminée par le caractère de capital que l'argent possède dans cette transaction, elle n'est soumise qu'aux lois découlant de la nature de la cir­culation des marchandises. Toutes les autres circonstances supposées égales, c'est la somme des prix des marchandises qui doivent être achetées qui décide de la quantité d'argent qui doit être prêtée. Une avance accrue de capital-argent ne signifie par conséquent rien d'autre qu'un achat accru de marchandises destinées à devenir du capital productif (Mp + A), par conséquent quantité accrue de moyens de circulation et de moyens de paiement.

A cet accroissement contribuent deux tendances opposées. Avec l'accumulation plus rapide aux époques de haute conjoncture croît la demande de certaines marchandises et par conséquent leur prix. L'augmentation de la somme des prix rend nécessaire une quantité d'argent accrue. D'un autre côté, le crédit croît en même temps, car c'est une période de haute conjoncture où les reflux se font régulièrement, où la mise en valeur du capital paraît assurée, et où par conséquent il est plus facile d'accorder du crédit. L'expansion du crédit rend ici possible l'expansion rapide au-delà de la base de l'argent métallique.

Cela ne vaut bien entendu que pour le processus A-Mp, et non pour le processus A-F. Bien au contraire, avec l'accroissement du capital variable croît également et dans la même mesure la masse de l'argent supplémentaire servant à l'achat et entrant dans la circulation. Il est clair qu'avec le développement de la production capitaliste la sphère de l'utilisation du crédit s'élargit d'une façon absolue et, plus encore, relative, étant donné qu’au fur et à mesure du progrès vers une plus haute composition orga­nique du capital, l'échange de A-Mp croît constamment par rapport à A-F et par conséquent aussi la sphère du crédit par rapport à celle de l'argent liquide.

On voit que l'étude du mouvement circulaire du capital ne présente encore aucune détermination nouvelle pour le rôle du crédit. Pas d’avantage celle de l'influence qu'exerce la durée du changement sur l'importance du capital-argent. Car il apparaîtra qu'au cours de ce mouvement circulaire des sommes d'argent sont périodiquement libérées. Mais, comme l'argent qui dort ne peut produire aucun profit, on s'efforce d'empêcher le plus possible cette mise en sommeil, tâche qui ne peut être accomplie que par le crédit, lequel reçoit ainsi un nouvelle fonction. Ce sont ces causes nouvelles de formation de rapports de crédit que nous allons étudier maintenant.



LIBERATION PERIODIQUE ET IMMOBILISATION DU CAPITAL-ARGENT



« Le mouvement du capital à travers la sphère de production et les deux phases de la sphère de circulation s'accomplit par ordre successif dans le temps. La durée de son séjour dans la sphère de production constitue son temps de production, celle dans la sphère de circulation son temps de circulation. C’est pourquoi le temps t dans lequel il parcourt son cycle est égal à la somme du temps de production et des temps de circulation 4 .

« Le mouvement circulaire du capital, déterminé non pas comme phénomène isolé : mais comme processus pério­dique, c’est sa transformation. La durée de cette transformation est donnée par la somme de son temps de production et de son temps de circulation. Cette somme de temps constitue le temps de transformation du capital 5. »

Par conséquent, dans notre schéma, le temps qui est chaque fois nécessaire pour accomplir le processus A-A1 constitue le temps de transformation. Le temps de circulation est égal au temps qu’exigent les transactions A<F/Mp et M1-A1, tandis que le temps de production est égal au temps pendant lequel le capital est soumis en tant que capital productif au processus de mise en valeur.

Supposons que le temps de transformation d'un capital soit de neuf semaines, dont six pour le temps de production et trois pour le temps de circulation, et que 1 000 marks de capital soient nécessaires, toutes les semaines pour la production. Pour que celle-ci, à la fin de la sixième semaine, ne soit pas interrompue pendant trois semaines, le capitaliste doit, pendant les trois semaines qui constituent le temps de circulation, avancer un nouveau capital de 3 000 marks afin que la production se poursuive d’une façon ininterrompue. Car, pendant ces trois semaines durant lesquelles le capital reste dans la sphère de circulation, il se trouve en ce qui concerne le processus de pro­duction dans la même situation que s’il n’existait pas 6. Le temps de circulation rend par conséquent nécessaire du capital supplémentaire et ce dernier est par rapport au capital total comme le temps de circulation par rapport au temps de transformation, soit dans notre exemple 3 à 9, ce qui signifie que le capital supplémentaire représente le tiers du capital total.

Le capitaliste doit donc disposer de 9 000 marks au lieu de 6 000, s'il ne veut pas que la production soit interrompue pendant trois semaines. Mais ces 3 000 marks supplémentaires n'entrent en fonction qu'au début du temps de circulation, c'est-à-dire à la septième semaine, et restent par conséquent immobilisés pendant les six premières semaines. Cette libération et immobilisation de 3 000 marks se répètent donc constamment. Les 6 000 marks, qui dans la première période de travail ont été transformés en marchandises sont vendus à la fin de la neuvième semaine. Le capitaliste a maintenant en main 6 000 marks. Mais la deuxième période de travail a déjà commencé et est maintenant à moitié écoulée. Pendant ce temps, le capital supplémentaire de 3 000 marks a fonctionné; il ne faut donc plus que 3 000 marks jusqu'à la fin de la période de travail. Sur les premiers 6 000 marks, 3 000 ont donc été libérés et ce processus recommence toujours à nouveau.

Il a fallu par conséquent un capital supplémentaire, et même du capital-argent, étant donné qu’il doit servir à l'achat de moyens de production et de force de travail, pour maintenir la continuité du processus de la production, lequel ne doit pas être interrompu par la circulation du capital. Ce capital supplémentaire n’engendre pas lui-même continuellement de la plus-value, et par conséquent ne fonctionne pas comme capital, mais est toujours libéré pour un temps par le mécanisme de la circulation afin de pouvoir fonctionner pendant un autre temps.

« Le capital social global considéré, une partie plus ou moins importante de ce capital supplémentaire se trouvera toujours pour longtemps à l'état de capital-argent 7, et cette partie libérée du capital est égale, à la partie du capital qui doit combler l'excédent de la période de circulation sur une période de travail ou sur un multiple de périodes de travail 8. »

« Cette intervention du capital supplémentaire (de 3 000 marks) nécessaire pour transformer le temps de circulation de capital I (de 6 000 marks) en temps de production n’accroît donc pas seulement la grandeur du capital prêté et la longueur du délai pour lequel le capital global est nécessairement prêté, mais elle accroît d'une façon spécifique la partie du capital prêté qui a été mise de côté comme réserve d'argent, par conséquent se trouve en état de capital-argent et possède la forme de capital-argent potentiel 9. »

Mais ces 3 000 marks n'ont absolument pas besoin de représenter la somme totale du capital-argent immobilisé à un moment donné. Supposons le cas 10 où notre capitaliste emploie ces 6 000 marks, nécessaires pour la production, de façon à en dépenser la moitié pour l'achat de moyens de production et l'autre moitié pour les salaires. Mais il paye les ouvriers toutes les semaines, ce qui signifie que, sur ces 3000 marks nécessaires jusqu'à la fin de la sixième semaine, une partie, qui diminuera chaque semaine de 500 marks, sera toujours immobilisée. De même, il est possible aussi qu’une partie des moyens de production, par exemple le charbon, ne soit pas achetée immédiatement au début pour toute la période de production, mais seulement au cours de cette période. (Réciproquement, il pourrait aussi arriver que les conditions du marché et les habitudes de livraison obligent à acheter pour plus d'une période de production. Il deviendrait alors nécessaire de transformer un plus grand capital-argent en marchandises.)

Du fait, par conséquent, que dans le processus A<M/Mp l’argent n'est pas transformé immédiatement en force de travail et en moyens de production, il se forme du capital-argent immobilisé, même sans tenir compte du capital II supplémentaire. Une partie de l'argent accomplit l'acte A-M, tandis qu’une autre partie reste à l'état d'argent pour servir, mais seulement à un moment déterminé par les conditions du processus même, à des actes A-M simultanés ou successifs. Il n'est que provisoirement retiré de la circulation pour entrer en action, exercer sa fonction à un moment déterminé. Cette immobilisation est alors un état ou l’argent exerce une de ses fonctions en tant que capital-argent. En tant que capital-argent, car dans ce cas l'argent resté momentanément en repos est lui-même une partie du capital-argent C, qui est égal à la valeur du capital productif, d'où part le mouvement circulaire. D'autre part, tout l'argent retiré de la circulation se trouve sous forme de trésor. « La forme de trésor de l'argent devient par conséquent ici fonction du capital-argent, tout comme dans A-M la fonction de l'argent en tant que moyen d'achat ou de paiement devient fonction du capital-argent, et cela parce que la valeur du capital existe ici en forme d'argent, l'état d'argent est, par le lien du mouvement circulaire, un état déjà décrit du capital industriel dans un de ses stades. Mais il apparaît ici de nouveau que le capital-argent à l’intérieur du cycle du capital industriel n'exerce d’autres fonctions que des fonctions d'argent, et celles-ci, rien que par leur lien avec les autres stades de ce cycle, ont en même temps la signification de fonctions de capital 11. »

Une troisième cause très importante d’immobilisation du capital-argent provient de la façon dont le capital sort du processus de mise en valeur, et il faut ici mentionner de nouveau deux causes principales de formation de capital-argent immobilisé.

Le capital industriel, considéré du point de vue de sa transformation se divise, comme on sait, en deux parties. Une partie de ce capital est pendant chaque période de cette transformation entièrement consumée et sa valeur passe dans le produit. Dans une filature, par exemple, où l'on produit mensuellement 10 000 livres de fil, qui sont vendues à la fin du mois, la valeur correspondante de laine, huile de graissage, gaz d'éclairage, charbon et force de travail, est consommée pendant ce mois, valeur que le capi­taliste récupère au moment de la vente du produit. Cette partie du capital, qui est remplacée en une période de transformation, est le capital circulant. D’un autre côté, la production a exigé des bâtiments, des machines, etc., qui continuent, après la fin d'une période de transformation, à fonctionner dans le processus de production. De leur valeur, par conséquent, seule une partie, correspondant à l'usure moyenne pendant une période de transformation, a été transférée dans le produit. Si leur valeur est, disons, de 100 000 marks, leur durée de fonction de cent mois en moyenne, 1 000 marks reviendront par la vente du fil, pour l'amortissement des bâtiments et des machines. Cette partie du capital, qui fonctionne pendant toute une série de périodes de transformation, constitue le capital fixe.

Il devient par conséquent au propriétaire de la filature constamment de l'argent de la circulation en remplacement de son capital fixe, qu'il doit conserver sous forme d'ar­gent, jusqu'à ce qu'il ait atteint, au bout de cent mois, le montant de 100 000 marks, nécessaires pour acheter de nouvelles machines. Ici aussi par conséquent il y a for­mation de trésor, qui est lui-même un « élément du pro­cessus de reproduction capitaliste, reproduction et stockage sous forme d'argent de la valeur du capital fixe ou de ses différents éléments jusqu'au moment ou le capital fixe est épuisé, ce qui signifie qu'il a transféré toute sa valeur dans les marchandises produites et doit être remplacé en nature 12. »

En même temps, nous voyons qu'une partie des capitalistes retirent constamment de l'argent de la circulation pour remplacer la valeur du capital fixe usé. La forme d'argent est ici essentielle; la valeur du capital fixe ne peut être remplacée qu'en argent, parce que le capital fixe en tant que tel continue à fonctionner dans le processus de production et par conséquent n'a pas besoin d'être remplacé en nature. C'est donc la sorte déterminée du mode de reproduction du capital fixe qui rend ici l'argent nécessaire. Ce que l'argent permet seulement ici, c'est la séparation et l'autonomie de la circulation de valeur du capital fixe par rapport au maintien de sa fonction technique dans le processus de production.

La façon dont le capital fixe revient provoque par conséquent des stockages et, par là, des immobilisations périodiques de capital-argent.

Une dernière cause de libération de capital-argent est encore le genre d'accumulation capitaliste. Pour que la plus-value puisse fonctionner comme capital, employé soit pour l'extension d'entreprises déjà existantes, soit pour fondation d'entreprises nouvelles, il faut qu'elle ait atteint une certaine grandeur, dont les dimensions dépend des conditions techniques et économiques des entreprises en question. Mais, à chaque achèvement d'un cycle, un morceau de plus-value, au début sous forme d'argent, est réalisé. Normalement, il faut qu'un certain nombre de ces cycles soient accomplis jusqu'à ce que les sommes de plus-values réalisées soient suffisantes pour pouvoir être transformées en capital de production. Ainsi des sommes d'argent sont constamment mises en réserve par les différents capitalistes, sommes représentant la plus-value réalisée pour eux, jusqu'à ce qu'elles soient devenues suffisantes pour être employées d'une façon productive. Nous avons affaire ici à du capital-argent immobilisé, qui provient du processus de mise en valeur et doit être stocké pendant un certain temps jusqu'à ce qu'on puisse l'employer d'une façon productive.

Le stockage peut déjà avoir lieu dans la simple circulation des marchandises. Il suffit pour cela que, dans le processus M-A-M, la seconde partie A-M ne se réalise pas, que par conséquent le vendeur de la marchandise n’achète pas de nouveau, mais mette l'argent en réserve. Toutefois, une telle conduite n'est que fortuite et arbitraire. Dans la circulation du capital, un tel stockage n’est qu’une nécessité découlant de la nature du processus lui-même. La différence par rapport à la simple circulation de marchandises est en outre celle-ci, que ce ne sont pas seulement des moyens de circulation qui sont libérés, mis en réserve, mais du capital-argent, de l'argent qui était en même temps un stade du processus de mise en valeur et qui doit s'efforcer maintenant de rentrer de nouveau dans ce processus, devenir de nouveau capital-argent ; il exerce par conséquent une pression sur le marché de l’argent. .

Ainsi naît, du mécanisme même de la circulation du capital, la nécessité que du capital-argent en plus ou moins grande quantité soit immobilisé pour un temps plus ou moins long. Mais cela signifie que pendant ce temps-la il ne peut pas donner de profit, ce qui est un péché mortel du point de vue capitaliste. Toutefois, les dimensions dans lesquelles le capital commet ce péché dépend, comme c’est le cas de presque tous les péchés, de facteurs objectifs, que nous allons examiner maintenant.





DIMENSIONS VARIEES DU CAPITAL IMMOBILISE ET LEURS CAUSES



Nous savons déjà que, pendant le temps de circulation du capital, un certain capital-argent supplémentaire est nécessaire pour continuer la production, capital-argent qui est périodiquement immobilisé. Si maintenant, dans notre premier exemple, le temps de circulation est ramené de trois à deux semaines, 1 000 marks deviendront superflus et seront mis en réserve sous forme de capital-argent. En tant que tel, il entre dans le marché de l'argent et constitue une partie supplémentaire des capitaux qui y fonctionnent. Les 1 000 marks supplémentaires n’existaient jusqu’alors sous forme d'argent qu'en partie, celle qui servait au paie­ment de la force de travail, 500 marks en revanche ayant été employés à l'achat de moyens de production et existant par conséquent sous forme de marchandise. Maintenant ils sont retirés entièrement, et sous forme d’argent, du processus de circulation de ce capital.

« Les 1 000 marks ainsi retirés sous forme d'argent constituent maintenant un nouveau capital-argent à la recherche de placement, une nouvelle partie du marche de l'argent. Certes, ils se trouvaient déjà périodiquement sous la forme de capital-argent libéré et de capital productif supplémentaire, mais ces états latents étaient eux-mêmes la condition de l'accomplissement, parce que de la continuité, du processus de la production. Maintenant ils ne sont plus nécessaires dans ce but et constituent donc un nouveau capital-argent et une partie du marché du capital, quoiqu’ils ne forment ni un élément supplémentaire de la réserve d'arpent sociale existante (car ils existaient déjà au début de l’affaire et ont été jetés par elle dans la circulation), ni un trésor nouvellement accumulé 13. On voit ici par conséquent comment, avec une même réserve d'argent, ce n’est que par une réduction du temps de circulation du capital que naît une offre accrue de capital-argent. Car l'argent est prédestiné par sa fonction antérieure en tant que capital à devenir de nouveau du capital.

Si, au contraire, le temps de circulation se prolonge, disons, de deux semaines, il faudra un capital supplémentaire d’un montant de 2 000 marks, qui devront être tirés du marché de l’argent pour entrer dans le circuit du capi­tal productif (où est toujours compris le temps de circulation). Sur ces 2 000 marks, la moitié sera transformée peu à peu en force de travail, l’autre moitié peut-être immédiatement en moyens de production. L'allongement de la transformation a donc pour effet un accroissement de la demande sur le marché de l'argent.

Les facteurs les plus importants qui affectent la période de transformation elle-même sont les suivants : « Dans la mesure où la durée plus ou moins grande de la période de transformation dépend de la période de travail au sens propre, c'est-à-dire celle qui est nécessaire pour rendre le produit prêt pour le marché, elle repose sur les conditions matérielles de production données des différents placements de capital, qui, dans l'agriculture, ont davantage le caractère de conditions naturelles de la production, et, dans la manufacture et la plus grande partie de l'industrie extractive, varient à mesure que se développe le processus de production lui-même 14. »

Ici, deux tendances se manifestent. Le développement de la technique raccourcit la période de travail : le produit est fabriqué plus rapidement, sort plus rapidement de la fabrique pour venir sur le marché et, s'il s'agit de produits discrets, en plus grandes quantités, on fabrique davantage qu'avant, un capital plus important se transforme donc plus rapidement ; le progrès technique raccourcit la période de travail, permettant ainsi une transformation plus rapide du capital circulant et de la plus-value. Mais en même temps ce progrès signifie un accroissement du capital fixe, dont la période de transformation est plus longue, englobe toute une série de transformations du capital circulant. Cet accroissement du capital fixe progresse à une allure plus rapide que celui du capital circulant. Une partie de plus en plus grande du capital global ralentit ainsi sa transformation. Abstraction faite du crédit, il y aurait ainsi dans le ralentissement de la transformation une autre raison - la première est l'allongement de l'échelle de la production en tant que telle - à une avance accrue de capital-argent, dont une plus grande partie également resterait disponible.

« Dans la mesure où la durée de la période de travail repose sur l'importance des livraisons (les quantités dans lesquelles le produit en tant que marchandise est jeté sur le marché), cela a un caractère conventionnel ; Mais la convention elle-même a pour base matérielle l'échelle de la production et n'est par conséquent fortuite que dans le détail. » Ici aussi croît en général la quantité et avec elle l'avance de capital. Cependant il faut tenir compte que plus grande quantité, par suite du progrès technique, peut signifier moindre prix et rendre par conséquent nécessaire une avance d'argent moins importante.

« Dans la mesure enfin où la durée de la période de transformation dépend de la durée de la période de circulation, cela est déterminé en partie par les changements qui surviennent constamment dans la situation du marché, la facilité plus ou moins grande des transactions et la nécessité qui en découle de jeter une partie du produits sur un marché plus proche ou plus éloigné. Abstraction faite de l'importance de la demande, en général, le mouvement des prix joue ici un rôle essentiel en ce sens qu'en cas de baisse des prix les ventes sont volontairement réduites, tandis que la production se poursuit; au contraire, quand les prix montent, la production et la vente vont de pair, celle-ci parfois précédant la première. Cependant Il faut considérer comme base matérielle particulière la distance qui sépare du marché le lieu de production 15. »

Comme le profit naît dans la production, qu’il n’est réalisé que par la circulation, on s'efforce constamment de transformer dans la mesure du possible tout capital en capital de production. D'où la tendance à réduire au minimum les frais de circulation en remplaçant l'argent métallique par de l'argent-crédit et à réduire le temps de circulation lui-même en développant la technique commerciale au moyen de la vente la plus rapide possible des produits. A quoi s'oppose une tendance contraire : l’élargissement des marchés et le développement de la division internationale du travail. Tendance dont l'effet est atteint par le développement des moyens de transport.

Enfin, il nous faut signaler encore que la durée du temps de transformation du capital est un facteur décisif pour la rapidité avec laquelle la plus-value peut être à son tour transformée en capital ou stockée. Plus le temps de transformation est court, plus la réalisation de la plus-value sous forme d'argent et sa transformation en capital sont rapides.

Tous ces facteurs susmentionnés : la composition organique du capital, en particulier le rapport du capital fixe au capital circulant, le développement de la technique commerciale, qui raccourcit le temps de circulation, de développement des moyens de transport, qui agit dans le même sens, la tendance contraire qui découle de la recherche de marchés toujours plus éloignés, la différence dans le rythme des reflux du capital due aux fluctuations de la conjoncture, enfin le rythme plus ou moins rapide de l'accumulation productive, tous ces facteurs exercent leur influence sur la masse du capital immobilisé et sur la durée de cette immo­bilisation.

A cela s'ajoute l'influence des changements de prix des marchandises. Si le prix des matières premières baisse, le capitaliste que nous avons pris pour exemple n'a pas besoin, pour maintenir la production au même niveau, d'avancer 1 000 marks par semaine, mais, disons, 900 marks seulement, et par conséquent, pour toute la période de transformation de son capital, non plus 9 000 marks, mais seulement 8 100 marks, tandis que 900 marks sont libérés. « Ce capital-argent ainsi rendu disponible et inoccupé, capital cherchant par conséquent un placement sur le marché de l'argent, n'est qu'une partie du capital de 9 000 marks initialement avancé comme capital-argent, partie qui, par suite de la baisse du prix des éléments de la production, d'où il revient périodiquement transformé, est devenue superflue si l'affaire n'est pas élargie, mais maintenue sur les mêmes bases que précédemment. Si cette baisse des prix n'était pas due à des circonstances fortuites (récolte particulièrement abondante, augmentation des importations, etc.), mais à un accroissement de la capacité productrice dans la branche qui fournit les matières pre­mières, ce capital-argent serait un supplément absolu au marché de l'argent et, d'une façon générale, au capital disponible sous la forme de capital-argent, parce qu'il ne constituerait pas une partie intégrante du capital déjà employé 16. »

Réciproquement, une hausse des prix des matières premières exige un capital-argent supplémentaire, ce qui a pour effet un accroissement de la demande sur le marché de l'argent.

Il est clair que tous les facteurs ci-dessus considérés sont d'une grande importance pour le développement du marché de l'argent pendant les fluctuations périodiques provoquées par les changements de la conjoncture. Au début de la période de prospérité, les prix sont bas, les reflux du capital sont encore rapides, le temps de circulation court. Pendant la haute conjoncture, les prix montent et le temps de circulation s'allonge. Les besoins de crédit pour la circulation augmentent, de même que pour la production élargie. L'allongement du temps de circulation tout comme la hausse des prix rendent nécessaire un capital supplémentaire, qu'il faut aller chercher sur le marché de l'argent et qui diminue par conséquent la quantité de capital de prêt disponible.

Le progrès de la composition organique du capital s'accompagne en général d'un allongement du temps de transformation du capital. Non seulement s’accroît l’importance du capital employé, mais aussi le temps pendant lequel il fonctionne dans le processus de la production. Le temps nécessaire jusqu'à ce que le capital avancé revienne à son point de départ s'allonge. Le capitaliste doit par exemple avancer 10 000 marks si le temps de transformation de son capital est de dix semaines. S'il emploie une nouvelle méthode de production, qui rend nécessaire une avance de 60 000 marks, et si le temps de transformation est main­tenant de trente semaines, il faut retirer 60 000 marks du marché de l'argent. Un capital six fois plus important devrait maintenant être avancé pour un temps trois fois plus long.

Plus le temps de transformation du capital est long, plus il faut attendre jusqu'à ce que la contre-valeur des marchandises retirées du marché (moyens de production et moyens de subsistance pour les ouvriers) revienne sous forme de marchandises sur le marché. On retire donc, des marchandises du marché, contre lesquelles on ne met a sa disposition que de l'argent. Celui-ci n'est pas ici une forme provisoire, mais une forme de valeur permanente pour les marchandises retirées du marché. Sa valeur est devenue indépendante par rapport aux marchandises. La valeur des marchandises est ici remplacé absolument par l’argent, étant donné que le remplacement par d'autres marchandises ne peut avoir lieu qu'à un tout autre moment.

« Supposons que la société n’est pas capitaliste, mais communiste. Dans ce cas le capital-argent disparaît complètement et de même les déguisements des transactions qui ont lieu grâce à lui. L'affaire se réduit simplement a ceci, que la société doit calculer d'avance la quantité de travail, de moyens de production et de subsistance qu’elle doit consacrer sans aucune interruption à des branches d'activité telles que l'installation de voies ferrées, par exemple, qui pendant longtemps, un an ou d’avantage, ne pourront fournir ni moyens de production, ni moyens de subsistance, ni aucun effet utile quelconque, mais qui soustraient à la production globale annuelle du travail des moyens de production et de subsistance. Dans la société capitaliste, en revanche, où la raison sociale ne se fait toujours valoir que post festum, de grandes perturbations peuvent et doivent ainsi se produire constamment. D'une part, pression sur le marché de l'argent tandis qu'au contraire la légèreté de ce marché fait naître de son côté de telles entreprises en masse, donc précisément les circonstances qui ensuite ont provoqué la pression sur le marché de l’argent. D’autre part, pression sur le capital productif disponible de la société. Comme des éléments du capital productif sont constamment retirés du marché et qu’en échange seul un équivalent d'argent est jeté sur ce marché, la demande solvable s'accroît sans livrer d'elle-même un élément quelconque d'approvisionnement. D'où hausse des prix, tant des moyens de subsistance que des matières premières nécessaires à la production. A cela s’ajoute que pendant ce temps on triche régulièrement, que de grands transferts de capital ont lieu ... 17. »

Ici, la différence de la transformation devient un facteur de trouble dans la proportionnalité de la reproduction et par là - nous le verrons -, un élément de crise.

Il résulte de ce qui précède, premièrement qu'une partie du capital global social fonctionnant dans la production est constamment immobilisée sous forme de capital-argent, et deuxièmement que l'importance de ce capital-argent immobilisé est soumise à de fortes variations et que ces variations doivent exercer une influence directe sur le marché du travail, sur l'offre et la demande de capital-argent.

Mais cette immobilisation de capital est en contradiction avec la fonction du capital, qui est de produire du profit. On s’efforce donc de réduire cette immobilisation au minimum, tâche qui constitue une nouvelle fonction du crédit.





TRANSFORMATION PAR LE CREDIT DU CAPITAL-ARGENT INACTIF EN CAPITAL PRODUCTIF





La façon dont cette tâche peut être accomplie est très claire. Nous savons déjà que du capital-argent est périodiquement libéré du processus de circulation du capital Mais ce capital-argent tiré du circuit d'un capital individuel eut fonctionné comme capital-argent dans le circuit d'un autre capital s’il est mis par le crédit à la disposition de cet autre capitaliste. Ainsi la libération périodique du capital constitue une base importante pour le développement des conditions de crédit.

Toutes les causes par conséquent qui ont mené à l'immobilisation du capital deviennent maintenant autant de causes de formation de rapports de crédit et tous les facteurs qui agissent sur la masse du capital immobilisé déterminent maintenant l'expansion et la contraction de ce crédit.

Si par exemple des pauses se produisent dans le processus de transformation d'un capital, avec comme résultat l'interruption de ce processus, de telle sorte que le capital reste fixé en tant que capital-argent, il se crée un capital-argent latent qui est mis maintenant par l'intermédiaire du crédit à la disposition d'autres capitalistes. C'est le cas avec des processus de production discontinus, ceux qui par exemple dépendent de la saison, que ce soit par suite des conditions naturelles (agriculture, pêche au hareng, production sucrière, etc.), ou par suite de circonstances conventionnelles, tels les travaux saisonniers. Mais chaque libération de capital-argent signifie la possibilité d'emploi de ce capital-argent par l'intermédiaire du crédit à d'autres fins productives en dehors du circuit du capital individuel qu'il libère 18.

Si en revanche le circuit est interrompu à d'autres stades, où aucun capital-argent n'est libéré, alors au contraire, pour maintenir la production en état de marche, un fonds de réserve est nécessaire, qui doit être conservé également sous forme d'argent, ou faire appel au crédit.

D'une part, donc, la nature du processus de circulation donne la possibilité de procurer du crédit de capital. Mais, comme l'argent représente toujours des frais de circulation et que la production capitaliste a tendance à développer tout son potentiel de façon à ne pas accroître dans les mêmes proportions le capital-argent, ce crédit devient une nécessité.

D'autre part, toute perturbation dans le processus de circulation, toute prolongation des processus M-A ou A-M fait apparaître la nécessité d'un capital supplémentaire, d'un capital de réserve, en vue de maintenir la production en état de marche. Nous avons vu que, toutes choses égales d'ailleurs, la quantité de l'argent dépend de la somme des prix des marchandises en circulation.

Si par conséquent des changements de valeur interviennent dans le processus de la production, la masse du capital-argent s'en trouve affectée. Si les prix montent, on utilise du capital-argent supplémentaire, s'ils baissent, du capital-argent est libéré. « Plus les perturbations sont grandes, plus est important le capital-argent que le capitaliste industriel doit posséder pour pouvoir attendre que les choses reprennent leur cours normal et, comme dans le développement de la production industrielle l'échelle de chaque processus de production individuel et, par là, l'importance minima du capital à avancer s'élargissent, cette circonstance vient s'ajouter aux autres pour transformer de plus en plus la fonction du capitaliste individuel en un monopole de grands capitalistes d'argent, isolés ou asso­ciés 19. »

Mais le crédit qui s'édifie sur la libération du capital-argent se distingue essentiellement du crédit de paiement, lequel, sur la base de la simple circulation des marchandises, ne découle que du changement de fonction de l'argent. C'est là un point qui nécessite de plus amples explications.

 

 

Notes

 

 

1 Dans une lettre à Rudolf Mayer, Rodbertus écrit : « L'argent métallique n'est pas simple mesure de valeur et moyen de paiement - dans ce sens, il ne correspond qu'à l'idée de l'argent, dans laquelle il n'est pas nécessaire que cette quittance, « bon sur une valeur de marchandises », soit inscrite sur une matière aussi chère que l'est le métal noble - mais sert aujourd'hui également de régulateur de la production et ne joue ce rôle que grâce à la matière précieuse dont il est fait. Vous devriez également pouvoir dire à chaque entre­preneur combien il doit produire si vous voulez introduire le bon de marchandises. L’idée de ce bon de marchandises porte sur le point le plus intéressant de l'économie politique mais, en tant que moyen de circulation permanent (et pas seulement de bon de caisse provisoire), il n’est possible, que si la valeur des marchandises est fondée sur le travail et si le bon de marchandises est libellé sur la valeur des marchandises fondée sur le travail. Je ne mets pas en doute la possibilité d’une telle monnaie mais, pour qu'elle soit l’unique moyen de circulation, cela suppose la suppression de la propriété du sol et du capital » (Lettres et études politico-sociales du Dr Rodbertus-Jagetzow, éditées par le Dr Rudolf Meyer, Berlin, 1811, t. II, p. 441). Ce passage, parmi d'autres semblables, montrent qu'Engels a été injuste envers Rodbertus en le mettant dans le même sac que les autres utopistes petits-bourgeois de l'argent-travail, les Gray, Bray, etc., qui croyaient possible un argent-travail sans contrôle social de la production.

2 La difficulté que comporte la notion de capital, comme les notions économiques en général, provient de l'apparence qu'elles sont inhé­rentes aux choses elles-mêmes, alors qu’elles ne font que refléter des rapports sociaux déterminés, dans lesquels ces mêmes choses jouent des rôles tout à fait différents. Ainsi, l'or en tant que mon­naie ne reflète, d'une part, que le rapport d'une certaine époque dans le développement de l’échange des marchandises, il est moyen de circulation ; mais, sous un autre rapport, il est capital. C'est pourquoi la question de savoir si l’or est ou non du capital est une question mal posée. Dans certains cas il est monnaie, dans d'autres il est capital. Mais capital, cela signifie qu'il ne peut en tant que tel qu’accomplir des fonctions monétaires et qu'il n'est que forme moné­taire du capital, à la différence de sa forme de marchandises. Vouloir attribuer à certaines choses déterminées le caractère de capital est aussi faux que de considérer l'espace comme inhérent aux choses. Seule notre vision donne aux choses la forme spatiale, comme seuls des stades déterminés du développement social donnent aux choses forme d'argent ou de capital.

3 Marx, Le Capital, II, p. 12.

4 Ibidem, II. p. 97.

5 Ibidem, p. 133.

6 Ibidem, p. 243.

7 Ibidem, p. 248.

8 Ibidem, p. 262.

9 Ibidem, p. 248. L'exemple chiffré est chez Marx différent de celui que nous avons adopté, pour rendre les choses plus simples.

10 Nous ne pouvons mentionner ici que les facteurs les plus importants. Dans le tome II du Capital, Marx a étudié le problème jusque dans les détails, que des pédants pourraient du reste multiplier encore. Mais on a négligé jusqu’ici l’importance fondamentale de ces études pour la compréhension des rapports de crédit.

11 Marx, Le Capital, II, p. 52.

12Ibidem, p. 449.

13 Ibidem, p. 274.

14 Ibidem ,pp. 303 et 304.

15 Ibidem, p. 304.

16 Ibidem, p. 277.

17 Ibidem, p. 302.

18 C'est là-dessus que repose l'activité compensatrice de ces banques qui dirigent vers les secteurs industriels le capital-argent libéré dans les secteurs agricoles, dont les besoins d'argent varient constamment. Quelle influence peut exercer d'autre part la convention, c'est ce que montre l'exemple suivant tiré de la fabrication moderne de la chaussure. Que dans cette industrie le capital circulant ne se transforme pas plus de deux fois par an, quoique le processus de fabrication d'une chaussure ne dure en moyenne que trois à quatre semaines, cela s’explique par le fait que les principales commandes en cours d'année se font autour de Pâques ou de la Pentecôte. La marchandise est fabriquée dans l'intervalle et est entreposée, car elle n'est pas retirée avant la date fixée pour la livraison ou tout au moins l'obligation, de paiement du commerçant en chaussures ne prend effet qu'à cette date (voir Karl Reke, La Grande Industrie allemande de la chaussure, Iéna, 1908, p. 55). Ces circonstances exercent également une influence déterminante sur l'utilisation du crédit. « Les particularités des affaires saisonnières dans l'industrie de la chaussure obligent aussi les fabriques de chaussures à travailler avec des banques. Les sommes qui affluent après la saison principale sont transférées dans les banques, qui de leur côté mettent, le reste de l'année, à la disposition des fabriques les sommes nécessaires pour le paiement des salaires et autres dépenses d'entretien et se chargent également du paiement par virements ou chèques, des matières premières » (op. cit., p. 57).

19 Marx, Le Capital, II, p. 84. Ici est prédite par conséquent la domination des banques sur l'industrie, le phénomène le plus impor­tant des temps modernes, alors que les germes de cette évolution étaient à peine visibles.

 




R. Hilferding
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