1971

"(...) le prolétariat mondial, le prolétariat de chaque pays, abordent une étape décisive de leur histoire : il leur faut reconstruire entièrement leur propre mouvement. La crise du stalinisme (...) s'ampliie au moment où le mode de production capitaliste pourrissant s'avance vers des convulsions mortelles, qui riquent d'entrainer l'humanité toute entière dans la barbarie. (...) De cette crise des appareils naissent les possibilités de reconstruire la IV° Internationale."


Stéphane Just

Défense du trotskysme (2)

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L'Impérialisme, la bureaucratie du Kremlin, les États-Unis Socialistes d'Europe


L'impérialisme allemand, l'Ouest et l'Est de l'Europe

La multiplication des rapports commerciaux, des échanges entre les pays capitalistes européens et l'Europe de l'Est, U.R.S.S. incluse, ne constitue pas un rapport neutre. Elle indique, au contraire, qu'une fois encore l'impérialisme tend à “ unifier ” l'Europe à sa manière, à y réorganiser la division du travail selon ses besoins. La nécessité historique se fait sentir. La bataille entre les différents impérialismes européens à l'intérieur du Marché Commun, comme à l'extérieur de celui‑ci, est indissociable de la poussée vers l'Europe de l'Est et l'U.R.S.S. Selon la puissance acquise au sein du Marché Commun, en Europe occidentale, dans le reste du monde, la pénétration en Europe de l'Est et en U.R.S.S. bénéficiera à tel ou tel impérialisme au détriment des autres ‑ quoi que tous les impérialismes aient un commun intérêt à la pénétration du capital dans ces pays ‑ et renforcera sa force au sein du Marché Commun. Une véritable bataille s'engage entre eux. La “ guerre des crédits ” l'illustre : en 1962 le japon franchit le seuil des crédits accordés pour un délai de plus de cinq ans, afin de vendre des navires à l'U.R.S.S. ; en 1963 il accorde des crédits de huit ans ; ensuite, ce fut le tour de l'Italie et de la France ; en janvier 1969 le groupe Mannesseman‑Thyssen vend des tubes à l'U.R.S.S. Bonn garantit des crédits sur dix ans ; il est question que la Roumanie achète en Occident une centrale à énergie nucléaire, les crédits qui lui seraient accordés porteraient sur quinze ans. Le rédacteur du journal “ Le Monde ” qui rapporte ces faits commente avec regret :

“ On assiste donc à un regain de cette “ guerre des crédits ” qui depuis dix ans, oppose régulièrement les pays occidentaux. La surenchère à laquelle se livrent les états membres du Marché Commun est particulièrement regrettable et révèle les limites des efforts entrepris depuis quelques mois par les Six pour harmoniser leur politique commerciale à l'égard des pays du camp socialiste. A quoi sert en effet d'imposer une sorte d'imprimatur communautaire avant de conclure le moindre petit accord commercial tant qu'un des éléments les plus importants des relations économiques avec l'Est, à savoir le crédit à l'exportation, échappe totalement à ce contrôle. ”

Le brave homme ne semble pas plus comprendre que Janus‑Germain­-Mandel la nature des relations au sein de l'Europe des Six, de l'Europe occidentale et du monde en général, dans le cadre du système impérialiste. Comme élément de la lutte sur le marché mondial, au sein de la division internationale du travail, l'Europe, et finalement l'Europe de l'Est comme de l'Ouest, est l'enjeu des différents impérialismes. “ L'unification de l'Europe ” ne signifie rien d'autre, pour les différents impérialismes, et surtout pour les plus forts. En réponse aux exigences de “ l'unification ” des forces productives en Europe, de la rationalisation de la division internationale du travail, le capitalisme de l'époque impérialiste ne porte en lui aucune autre solution que celle de la soumission de l'Europe à l'impérialisme le plus fort. La “ guerre des crédits ” est un épisode de cette guerre plus générale, qui unifient et opposent les impérialismes européens, en vue de la pénétration, de la soumission, de l'Est de l'Europe et de l'U.R.S.S., au capital.

L'exemple de l'Allemagne occidentale démontre avec le plus de clarté cette lutte de l'impérialisme mondial, en raison de la puissance du capital allemand, du fait qu'il subit le plus douloureusement la conséquence de la division de l'Europe en deux et de sa défaite. L'Allemagne occidentale est une monstruosité que ne peut cacher son prodigieux relèvement, bien au contraire. Dépendant politiquement de l'impérialisme américain et dans une certaine mesure des impérialismes anglais et français, profondément pénétré par le capital américain, amputé de l'est de l'Allemagne, ramassé sur une surface un peu plus grande que la moitié de la France, le capitalisme allemand constitue la seconde puissance capitaliste mondiale. Il est le plus grand exportateur de marchandises et de capitaux des Six du Marché Commun. Après le capitalisme américain, il investit le plus de capitaux à l'extérieur de ses frontières au sein du Marché Commun. Son extension (nullement pacifique) en Europe Occidentale, son commerce avec l'ensemble des pays capitalistes ou soumis à l'impérialisme, ne fait que le renforcer en vue du “ drang nach Osten ”. Il lui faut s'étendre à l'Est et il y travaille. La pénétration du capital américain en Allemagne de l'Ouest rend plus pressante encore cette nécessité. En cas de crise économique, la dépendance politique du capitalisme allemand, les fils économiques que tirent en Allemagne de l'Ouest le capital américain, auraient pour lui l'effet d'une catastrophe sans précédent, aggravée, multipliée, par la coupure de l'Est de l'Allemagne et de l'Europe de l'Est. La surabondance de capitaux sous les trois formes, marchandises, moyens de production, capital argent, rend impérieuse la pénétration du capital allemand en Europe de l'Est. Une fois de plus, l'histoire met face à son destin l'impérialisme allemand, mais dans des conditions considérablement plus difficiles par suite de ses deux échecs successifs.

Le Marché Commun, l'élargissement du Marché Commun à la “ zone de libre échange ”, la réintégration dans son giron de l'est de l'Allemagne, la pénétration de ses capitaux et de ses marchandises en Europe de l'Est, sont les voies complémentaires qui s'ouvrent à l'impérialisme allemand pour tenter une fois encore de forcer le cours de l'histoire. Il s'y prépare... sous la haute surveillance de l'impérialisme américain. Qu'il y parvienne est une autre affaire.

Nous sommes loin de la douceâtre bouillie de “ l'interpénétration des capitaux ” et des “ échanges ” qui s'accroissent gentiment entre les capitalismes d'Europe occidentale et le “ bloc oriental ”.


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