1971

"(...) le prolétariat mondial, le prolétariat de chaque pays, abordent une étape décisive de leur histoire : il leur faut reconstruire entièrement leur propre mouvement. La crise du stalinisme (...) s'ampliie au moment où le mode de production capitaliste pourrissant s'avance vers des convulsions mortelles, qui riquent d'entrainer l'humanité toute entière dans la barbarie. (...) De cette crise des appareils naissent les possibilités de reconstruire la IV° Internationale."


Stéphane Just

Défense du trotskysme (2)

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"Nouvelles avant-gardes" ? Non ! Reconstruction de la IV° Internationale !


La seule conclusion : reconstruire la IV° Internationale

Considérée à sa véritable dimension la théorie de la révolution permanente est une condamnation sans appel de ses faux amis qui ont découvert la division du monde en trois ou quatre zones, la croissance sans limite des forces productives sous l'égide du « néo‑capitalisme », les réformes de structures, l'intégration au système capitaliste du prolétariat dans les pays économiquement développés, l'auto‑réforme de la bureaucratie du Kremlin et des bureaucraties satellites, la révolution politique « pacifique », qui ont vu en les directions bourgeoises et petites bourgeoises des pays économiquement arriérés les agents de la révolution permanente, ainsi que dans les tenants de « la construction du socialisme dans un seul pays »; qui ont « découvert » de nouvelles forces sociales; qui, après avoir pratiqué « l'entrisme sui généris », s'émerveillent devant les « nouvelles avant-gardes »; qui combattent la politique de Front Unique de classe; en bref, ceux qui n'ont pas de programme, parce qu'ils ont trahi le programme de la IV° Internationale, les ennemis ouverts et les liquidateurs de la IV° Internationale, les pourvoyeurs en « théories » de tous genres à usage des regroupements petits bourgeois, gauchistes, centristes.

Le prolétariat mondial, le prolétariat de chaque pays, abordent une étape décisive de leur histoire : il leur faut reconstruire entièrement leur propre mouvement. La crise du stalinisme, de son appareil international, des organisations politiques qui représentent la grande majorité de la classe ouvrière s'amplifie au moment ou le mode de production capitaliste pourrissant s'avance vers des convulsions mortelles, qui risquent d'entraîner l'humanité "toute entière vers la barbarie. Ce n'est pas un hasard : face à cette situation ils sont historiquement dans l'impasse. De cette crise des appareils naissent les possibilités de reconstruire la IV° Internationale et de construire ses partis. Mais le prolétariat n'est pas sans bagages. Il possède un acquis considérable duquel il tirera toutes les ressources nécessaires à résoudre ses tâches historiques. Encore faut‑il dégager cet acquis. Lorsque, traitant du parti révolutionnaire, les renégats de la IV° Internationale écrivent « qu'il n'y a pas d'avant-garde autoproclamée », « qu'aucun courant ne possède aujourd'hui de programme » (de programme révolutionnaire), que « la classe ouvrière est spontanément stalinienne », ils s'efforcent de détruire l'acquis du prolétariat, ils dénaturent l'essence de la théorie de la révolution permanente.

Loin d'être « spontanément stalinien », loin « d'accorder une délégation de pouvoir aux appareils bureaucratiques », le prolétariat est foncièrement opposé au stalinisme et aux appareils bureaucratiques. La contradiction est constante. Elle existe même lorsque dans son ensemble le prolétariat fait confiance aux appareils bureaucratiques. Les millions de prolétaires et de militants qui acceptèrent, et ceux qui acceptent encore, d'être dirigés par l'appareil international du stalinisme pensent être dirigés par les représentants de la Révolution d'Octobre. Ils croyaient ou croient que la bureaucratie du Kremlin et son appareil international les guideront sur les voies de la révolution prolétarienne, vers le socialisme. Ils acceptent le stalinisme en croyant répondre à l'appel du prolétariat russe, du parti bolchévique, de la IlI° Internationale, de Lénine. Sans cette conviction de millions de travailleurs et de militants, jamais l'appareil international de la bureaucratie du Kremlin n'eût réussi à contrôler et a dévoyer les luttes de millions de prolétaires. Parallèlement jamais les partis social-démocrates n'auraient conservé leur influence sur d'autres millions de prolétaires et de militants si ceux‑ci n'avaient eu la conviction que les partis social-démocrates étaient des instruments de lutte contre le capitalisme et le stalinisme. La constitution et la force des appareils bureaucratiques s'expliquent par le mouvement du prolétariat vers son émancipation qui n'est pas linéaire, mais est fait de flux et de reflux, de victoires et de défaites.

L'émergence de la bureaucratie du Kremlin, l'emprise du stalinisme sur des secteurs décisifs du prolétariat, comme en contrepoint, le maintien de l'influence des appareils social-démocrates, sont les conséquences des défaites du prolétariat au cours des luttes de classe qui ont suivi la première guerre impérialiste et la révolution russe. De ces défaites, du reflux du prolétariat, a surgi du sein des organisations du prolétariat la bureaucratie du Kremlin et son appareil international comme tendance à l'adaptation à la société bourgeoise. Une fois constitués, les appareils bureaucratiques s'efforcent de canaliser, de contrôler, de dévier la lutte de classe du prolétariat en fonction de leurs intérêts spécifiques dépendant du maintien de la société bourgeoise.

Lorsqu'à la fin de la seconde guerre impérialiste, le prolétariat d'Europe notamment s'engouffra dans les brèches ouvertes du système impérialiste mondial, élargit ses brèches, reprit sa marche en avant, l'appareil international du stalinisme parvint à limiter et à déformer ses luttes aux premières étapes, et à en tirer parti. La bureaucratie du Kremlin et l'appareil international du stalinisme atteignirent le sommet de leur puissance au moment où se constituaient les conditions de leur destruction. Alors naquit le pablisme.

A l'origine du pablisme, il y a le rejet de la méthode de la théorie de la Révolution Permanente, de la méthode du marxisme, du matérialisme dialectique : le mouvement objectif du prolétariat devait un jour aboutir à ce que la IV° Internationale reçoive cette fameuse « délégation de pouvoir ». En termes plus clairs, cela s'appelle « la direction de rechange », qui se constitue « idéologiquement », à côté, en dehors de la lutte de classe. Il s'agit de « commenter » la lutte de classe du prolétariat, et non de combattre pour y intervenir, y participer et l'organiser. D'un côté, il y a la lutte de classe, de l'autre, le parti révolutionnaire : l'un et l'autre finiront bien un jour par se rencontrer. Le matérialisme vulgaire « objectiviste » et l'idéalisme se côtoient. Au lieu du rapport dialectique entre la lutte de classe et la construction des partis révolutionnaires et de l'Internationale, « la direction de rechange », « la direction révolutionnaire » se tenaient prêtes à recevoir la fameuse délégation de pouvoir. Malheureusement, elle ne vint pas.

Au plus fort de la « guerre froide », la « direction de rechange » en conclut que « le prolétariat était spontanément stalinien ». Il ne lui restait plus qu'à abandonner le programme de la IV° Internationale, à s'adapter à la réalité apparente, « la division du monde en blocs », à se mettre à la remorque de ceux qui détenaient cette merveilleuse délégation de pouvoir. Tour à tour ou conjointement, la bureaucratie du Kremlin et son appareil international, les directions petites bourgeoises, furent reconnues comme ces heureux élus.

La crise du stalinisme et des appareils bureaucratiques démontre que la contradiction entre les besoins et aspirations du prolétariat et ceux du stalinisme et des appareils bureaucratiques vient à maturité. Le développement de cette crise, et sa solution positive dépendent de la fonction du prolétariat et du programme de la révolution prolétarienne mondiale. Le prolétariat doit briser le carcan des organisations politiques traditionnelles qu'il charge d'un contenu qu'elles n'ont plus, qui le constituèrent comme classe, mais qui sont devenues les instruments des bureaucraties stalinienne et réformiste. Au cours de ce processus, la direction révolutionnaire, de nouvelles organisations politiques, la IV° Internationale et ses partis, ont à se construire. Mais leur construction n'est pas automatique du fait des luttes inéluctables du prolétariat. Les organisations qui ont assumé la continuité de la IV° Internationale, le Comité International de la IV° Internationale, ont à engager cette bataille comme une des catégories de la lutte de classe : la catégorie déterminante mais inséparable de l'ensemble de la lutte de classe. Les enseignement de la lutte de classe au cours de ces vingt‑cinq dernières années, ceux de la crise qui disloqua la IV° internationale, confirment la théorie de la révolution permanente qui nous enseigne : l'unité des luttes du prolétariat mondial dans le temps et dans l'espace; la continuité organiquement différenciée de l'histoire de la lutte pour la révolution prolétarienne mondiale, le rapport entre le mouvement profond du prolétariat, les organisations syndicales et politiques qui se constituèrent au cours de la lutte séculaire du prolétariat et le combat pour la construction de la direction révolutionnaire, la IV° Internationale et ses partis.

Plus de quarante années de stalinisme, la crise de la IV° internationale, pèsent sur la lutte de classe du prolétariat mondial et du prolétariat de chaque pays.

Il serait vain et faux de le masquer. Mais c'est sur les tendances profondes du prolétariat et de la jeunesse qu'il faut faire fond pour reconstruire la IV° Internationale et construire ses partis. La reconstruction de la IV° Internationale exige la lutte impitoyable contre le stalinisme, les idéologies de la petite bourgeoisie, dont le pablisme. Cette lutte n'est pas un combat idéologique, il faut la comprendre, la mener comme une lutte de classe. Le Comité International reconstruira la IV° Internationale et détruira le stalinisme, le réformisme, le révisionnisme petit-bourgeois et liquidateur sur le terrain de la lutte des classes, s'il sait par sa politique, ses mots d'ordre, les formes d'organisation qu'il propose, associer au combat contre l'impérialisme et la bureaucratie du Kremlin, les jeunes et les militants, les travailleurs qui cherchent la voie de la révolution prolétarienne.

Il n'y a pas de « nouvelles avant-gardes ». La jeunesse est une couche particulièrement mobile qui possède flamme et enthousiasme. Elle subit plus brutalement que les vieilles générations les contraintes, l'impasse, auxquelles la condamnent l'impérialisme la bureaucratie du Kremlin, les appareils bureaucratiques. Elle n'est pas marquée par les échecs ou les déformations des vieille générations de travailleurs et de militants. Elle est appelée à jouer un rôle de premier plan au cours des luttes de classe qui s'annoncent. Il lui faut s'organiser et combattre sur son propre plan. La construction d'organisations révolutionnaires de la jeunesse dans chaque pays, de l'Internationale Révolutionnaire de la jeunesse est liée à ces combats et leur donne leur sens. Mais la jeunesse ne constitue pas une « nouvelle avant-garde ». Son combat s'intègre à celui du prolétariat dans son ensemble et la construction des organisations révolutionnaires de la jeunesse, de l'I.R.J., à la construction des partis révolutionnaires et à la reconstruction de la IV° Internationale. L'avant-garde d'aujourd'hui est l'avant-garde de toujours parce qu'issue de la même classe, le prolétariat, dont la jeunesse est une aile marchante.

La IV° Internationale se reconstruira, les partis de la IV° Internationale se construiront, pour autant que seront associés, en une lutte commune, les militants et travailleurs qui rompent avec le stalinisme et les organisations traditionnelles, qu'autant que les organisations du C.I. et le C.I. interviendront dans la crise du stalinisme et des organisations traditionnelles pour faire mûrir ces crises et leur donner une issue positive. Mais là non plus il n'y a pas de solution miracle. Il faut répondre aux problèmes de la lutte des classes. La grève générale de mai-juin 68 en France, le processus de révolution politique en Tchécoslovaquie, réaffirment que les prolétariats des pays économiquement développés, et en premier lieu le prolétariat européen, sont au centre de la lutte des classes mondiale; les luttes des prolétariats des pays économiquement arriérés en reçoivent une nouvelle impulsion et ont du même coup de nouvelles et grandioses possibilités. Les tâches de reconstruction de la IV° Internationale sont inséparables des perspectives d'organisation et de combat que le C.I. ouvrira aux travailleurs, à la jeunesse, aux militants qui sont aux prises avec l'impérialisme et la bureaucratie du Kremlin, son appareil international, les bureaucraties réformistes et syndicales.

L'Organisation Communiste Internationaliste (pour la reconstruction de la IV° Internationale) a défini son orientation et sa stratégie de reconstruction de la IV° Internationale dans un document publié par « La Vérité » n° 545 (octobre 1969). Le chemin est encore long et difficile. Les formidables luttes de classes qui s'annoncent mettront à nouveau à l'épreuve les programmes et les organisations. « La révolution en permanence » jusqu'à la prise du pouvoir par le prolétariat du monde entier, jusqu'au socialisme, est le mot d'ordre de Marx, est celui de la lutte pour la reconstruction de la IV° Internationale.

La seule justification de cet ouvrage est de contribuer à cette lutte. Ainsi, en réponse aux questions qu'il posait au début, le mieux est donc de le conclure en reprenant le document de l'O.C.I. sur la reconstruction de la IV° Internationale.


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