1977

"(...) Les « fronts populaires » sont à l'ordre du jour lorsque se prépare une crise révolutionnaire, que la révolution prolétarienne s'avance et surgit : ils en sont le contraire, sa négation. (...)"

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Fronts populaires d'hier et d'aujourd'hui

Stéphane Just (avec Ch. Berg)

Le Front populaire en pratique : hier

France : juin 1936­ - 30 novembre 1938


C'est la grève

La classe ouvrière, elle, n'attend pas. Prenant appui sur sa victoire électorale, elle exige immédiatement et dans un mouvement spontané que ses revendications, que dégage son propre mouvement et qu'aucun programme n'a antérieurement formulées, soient satisfaites. A cet égard, le programme du Front populaire est entièrement vide, il ne contient pas grand-chose et surtout pas les revendications de la classe ouvrière. Mais la classe ouvrière a voté P.C.F.-P.S. pour des raisons précises : en finir avec les gouvernements du capital et que ses revendications soient satisfaites.

En effet, ce qu'il est convenu d'appeler le « programme social du Front populaire » est très modeste et très abstrait. Il se réduit en tout et pour tout à cela :

« 1. - RESTAURATION DE LA CAPACITÉ DACHAT SUPPRIMÉE OU RÉDUITE PAR LA CRISE
Contre le chômage et la crise industrielle :
Institution d'un fonds national de chômage.
Réduction de la semaine de travail sans réduction du salaire hebdomadaire.
Appel des jeunes au travail par l'établissement d'un régime de retraites suffisantes pour les vieux travailleurs.
Exécution rapide d'un plan de grands travaux d'utilité publique, citadine et rurale, en associant à l'effort de l'Etat et des collectivités l'effort de l'épargne locale.
Contre la crise agricole et commerciale :
Revalorisation des produits de la terre, combinée avec une lutte contre la spéculation et la vie chère, de manière à réduire l'écart entre les prix de gros et les prix de détail.
Pour supprimer la dîme prélevée par la spéculation sur les producteurs et les consommateurs : création d'un office national interprofessionnel des céréales.
Soutien aux coopératives agricoles, livraison des engrais au prix de revient par les offices nationaux de l'azote et des potasses, contrôle et ratification de la vente des superphosphates et autres engrais, développement du crédit agricole, réduction des baux à ferme.
Suspension des saisies et aménagement des dettes. Mise au point de la révision des billets de fonds de commerce.
En attendant l'abolition complète et aussi rapide que possible de toutes les injustices que les décrets-lois comportent, suppression immédiate des mesures frappant les catégories les plus touchées dans leurs conditions d'existence par ces décrets. »

La classe ouvrière ne respecte pas le programme du Front populaire. Elle engage rapidement le combat pour ses revendications qui vont se préciser.

Le lundi 11 mai, la grève éclate à l'usine Bréguet du Havre : les travailleurs exigent qu'on revienne sur le licenciement de deux ouvriers qui ont fait grève le 1er Mai. La direction refuse de négocier : les travailleurs occupent l'usine, organisent un service de ravitaillement. Le lendemain, la direction cède : le droit de grève du 1er Mai est admis, les deux ouvriers réintégrés, les jours de grève payés. Pour les mêmes motifs, une grève éclate aux usines Latécoère de Toulouse : là aussi, les ateliers sont occupés, et les travailleurs obtiennent satisfaction sur toutes les revendications. Le 14 mai, grève avec occupation des locaux aux usines Bloch à Courbevoie : la direction avait refusé d'examiner un cahier de revendications comportant un relèvement des salaires et l'aménagement des horaires de travail. Le lendemain, elle cède.

L'Humanité comme Le Populaire minimisent ces événements.

Au Comité du rassemblement populaire, l'idée d'une grande manifestation célébrant la victoire du Front populaire est retenue. Mais les radicaux s'opposent à ce que la date retenue soit le 24 mai et le lieu le mur des Fédérés. La « Commune de Paris » et le « Front populaire », ce sont en effet deux termes qui s'excluent l'un l'autre. La S.F.I.O. et le P.C.F. le reconnaissent pleinement : la manifestation est donc prévue pour le 14 juin.

Mais la tradition des partis ouvriers ne leur permet pas d'annuler la manifestation du 24 mai.

Exprimant les véritables rapports de force, le 24 mai, au Père-Lachaise, des centaines de milliers de travailleurs manifestent pour commémorer la Commune. La classe ouvrière se sent forte : un formidable mouvement d'une ampleur inconnue commence.

Le 28 mai, les 33 000 ouvriers de chez Renault partent en grève, occupent l'usine, hissent le drapeau rouge. Dans les heures qui suivent, la grève fait tache d'huile dans toute la métallurgie parisienne : Fiat, Chausson, Talbot, Citroën, Gnome et Rhône...

M. Lehideux, administrateur de chez Renault, commente en ces termes la signification de ce mouvement : « La grève est le résultat d'une contagion qui a pour déterminante un problème politique. »

Intervenant au Sénat, pour s'expliquer sur son action, Sarraut, président du Conseil, décrira en ces termes la réponse des patrons à une éventuelle intervention de la troupe pour faire évacuer les usines : « Non, surtout pas cela... Pas d'usage de la police... Nous risquons le conflit sanglant... C'est du sang qui rejaillira sur nous et cela nous interdira peut-être de reprendre la direction de nos usines. » (Sénat, 7 juillet 1936.)

Le 27 mai, Marceau Pivert écrit dans Le Populaire son célèbre article : « Tout est possible. »

 « Tout est possible. » Quoi, tout ? La satisfaction des revendications, un gouvernement des partis ouvriers, l'expropriation du capital ? Marceau Pivert est extrêmement vague. Tout est possible, certes, mais à quelques conditions cependant. Briser le carcan du Front populaire, s'orienter vers la construction d'un parti révolutionnaire, ne distiller nulle illusion tant à l'égard de la S.F.I.O. que du P.C.F. Ce n'est pas l'orientation de la « Gauche révolutionnaire » et de Marceau Pivert. Il affirme :

 « TOUT EST POSSIBLE
Qu'on ne vienne pas nous chanter des airs de berceuse : tout un peuple est désormais en marche, d'un pas assuré, vers un magnifique destin.
Dans l'atmosphère de victoire, de confiance et de discipline qui s'étend sur le pays, oui TOUT EST POSSIBLE aux audacieux !
Tout est possible, et notre parti a ce privilège et cette responsabilité, tout à la fois, d'être porté à la pointe du mouvement.
Qu'il marche ! Qu'il entraîne ! Qu'il tranche! Qu'il exécute ! Qu'il entreprenne ! Et aucun obstacle ne lui résistera !
Il n'est pas vrai que nos amis radicaux puissent, ou même désirent s'opposer à certaines revendications d'ordre économique, comme la nationalisation du crédit, de l'énergie électrique ou des trusts. Il n'est pas vrai qu'ils soient destinés à servir de terre-neuve aux compagnies d'assurances ! Le goût du suicide politique n'est pas tellement développé sous la pression croissante des masses vigilantes.
Il n'est pas vrai que nos frères communistes puissent, ou même désirent retarder l'heure de la révolution sociale en France pour répondre à des considérations diplomatiques d'ailleurs dignes d'examen. On ne freinera pas, on ne trahira pas la poussée invincible du Front populaire de combat.
[...]
Si, par hasard, des personnes trop prudentes voulaient nous mettre en garde, sous prétexte de ne pas gêner le gouvernement, nous leur répondrions que c'est là méconnaître la volonté de combat qui inspire le parti, depuis le plus modeste militant jusqu'à ses chefs les plus éminents. Cette volonté de combat, à elle seule, est un élément dynamique dans la bataille qui s'engage ; il faudra que le congrès l'exprime en termes catégoriques et concrets. Les mauvais serviteurs du socialisme ne seraient pas ceux qui, quoi qu'il arrive, entendent conserver leur franc-parler, mais ceux qui voudraient transformer en couvent silencieux un grand parti de démocratie prolétarienne ouvert à toutes les idées, et tout entier dressé dans un décisif combat de classe.
CAR TOUT EST POSSIBLE, avec un tel parti fidèle à son objet, à sa structure et à ses principes. »

Quant à Jouhaux, Frachon, Blum et Thorez, ils ne veulent absolument pas que tout ce qui est possible soit fait, que soit porté au pouvoir un gouvernement des partis ouvriers sans ministre représentant les partis bourgeois, que toutes les revendications soient satisfaites, que le capital soit exproprié.

Le 2 juin, plus de 100 000 métallos parisiens sont en grève, le mouvement se développe en province. De nouvelles corporations entrent dans l'action : travailleurs de l'Exposition universelle, mineurs, ouvriers boulangers, chauffeurs de taxi. Le 4 juin, les vendeurs de journaux entrent à leur tour dans la grève et décident de ne diffuser que Le Populaire, L'Humanité et L'Œuvre, quotidien du parti radical...

Les dirigeants de la C.G.T. réformistes et staliniens sont submergés par la grève générale, mais l'appareil n'est pas ébranlé. La grève par son ampleur et son contenu soulève les questions politiques du gouvernement, du pouvoir, de qui est le maître, dans le pays, dans les entreprises, sans pourtant leur donner une claire réponse et encore moins les résoudre. La digue des appareils syndicaux submergée par la vague sert néanmoins de brise-lames.

Jouhaux reconnaîtra que l'appareil a été débordé, lorsque, faisant l'historique de la grève, il déclarera le 16 juin devant le C.N. de la C.G.T. : « Le mouvement s'est déclenché sans qu'on sût ni comment ni où... »

François Lerbettes, leader de droite, écrit : « Ce qui est à nos portes, c'est la révolution communiste dont les tentatives d'installation en France ont déjà fait couler des flots de sang, dans les trois printemps tragiques de 1794, 1848 et 1871. »

En effet, pour la première fois depuis la Commune de Paris, la classe ouvrière entre nationalement et dans tous les secteurs dans l'action, avec ses revendications, ses délégués, ses comités de grève.

Le paysage politique vire au rouge.

Le 4 juin, on dénombre plus de 12 000 grèves, dont 9 000 avec occupation d'usine...

La grève est calme et ordonnée. Elle est aussi « fraîche et joyeuse ». La bourgeoisie est, quant à elle, plus qu'inquiète, angoissée. La grève, son ampleur, l'ont surprise. La classe ouvrière, en cessant le travail, paralyse le pays. Les travailleurs occupent les usines. Les militants ouvriers chassent les vendeurs de journaux d'extrême droite. L'ordre bourgeois est remis en cause. Un nouvel ordre ne va-t-il pas surgir : l'ordre ouvrier ?

 « C'est la grève, c'est le rassemblement au grand jour des opprimés contre les oppresseurs, c'est le début classique de la révolution » a écrit Trotsky.

Des milliers d'ouvriers « anonymes » sortent du rang, élus par leurs camarades, ils se font organisateurs, orateurs, parlent haut et fort au patron.

En quelques jours, tout a changé : les opprimés prennent conscience de leur force, de la puissance de l'unité.

Mais la grève est aussi pleine d'illusions : illusions dans les dirigeants ouvriers, illusions dans le fait que la puissance du mouvement, l'occupation des usines, suffisent... La victoire est au bout, contre les patrons et leur gouvernement.

La C.G.T. s'efforce de reprendre le contrôle du mouvement. Elle appelle à la grève générale là où elle est déjà déclenchée : dans les mines du Nord et du Pas-de-Calais ; dans le bâtiment. Les dirigeants de la C.G.T. courent après le mouvement pour tenter de le « coiffer », de le canaliser.

C'est en ces termes que le comité régional du Nord et du Pas-de-Calais des mineurs appelle à la grève : « Pour maintenir l'ordre et le calme, et faciliter la tâche du gouvernement... »

Le gouvernement ? Quel gouvernement ?

Légalement, le gouvernement Sarraut doit continuer son « action » jusqu'à ce que la Chambre ait accordé l'investiture au gouvernement que doit former Léon Blum.

Le 4 juin, Sarraut remet sa démission au président de la République, Lebrun, qui immédiatement supplie Léon Blum de constituer son gouvernement pour se mettre au travail. Blum proteste : il faut respecter les usages et la Constitution, et convoquer la Chambre pour obtenir l'investiture...

Mais Lebrun insiste : l'heure n'est pas à ce légalisme. Le 4 juin à 18 h 15, le ministère Blum est constitué. Salengro, ministre de l'Intérieur, et Lebas, ministre du Travail, entrent immédiatement en fonctions.

 « A ce moment, dans la bourgeoisie et en particulier dans le monde patronal, on me considérait, on m'attendait comme un sauveur. Les circonstances étaient si angoissantes, on était si près de quelque chose qui ressemblait à la guerre civile, qu'on n'espérait plus que dans une sorte d'intervention providentielle, je veux dire l'arrivée au pouvoir de l'homme auquel on attribuait sur la classe ouvrière un pouvoir suffisant de persuasion pour qu'il lui fît entendre raison et qu'il la décidât à ne pas user, à ne pas abuser de sa force. » (Léon Blum au procès de Riom.)

Dès la présentation du gouvernement, Lebrun entraîne Léon Blum à l'écart et lui demande d'intervenir immédiatement à la radio : « Dites-leur que le Parlement va se réunir, que dès qu'il sera réuni vous allez lui demander le vote rapide et sans délai de lois sociales... Ils vous croiront et alors peut-être le mouvement s'arrêtera-t-il ? »(Léon Blum au procès de Riom.)

Le 5 juin, Blum s'adresse par trois fois aux grévistes : le gouvernement n'a toujours pas « eu le temps » d'obtenir l'investiture de la Chambre. C'est l'illégalité au service des intérêts de... la légalité du profit.

Les 6 et 7 juin, la grève gagne la plupart des villes de province, les « cols blancs » se joignent aux travailleurs manuels.

La panique du grand patronat est directement proportionnelle avec l'ampleur du mouvement ; oui, Trotsky a raison : la révolution française a commencé.

Sur ce point, Lebrun, Blum, Thorez, Daladier, Jouhaux, sont d'accord.

Il faut donc enrayer le processus, faire rentrer la grève, faire accepter à la classe ouvrière qu'elle reprenne la vie quotidienne, respecte la propriété, la légalité, l'ordre bourgeois. En un mot, céder quelque chose pour éviter le pire.

Les accords Matignon

La Confédération générale de la production française (ancêtre du C.N.P.F.) n'y va pas par quatre chemins. Vendredi 5 au matin, Alexandre Lambert-Ribot, délégué général du Comité des Forges, collègue de Blum au Conseil d'Etat, le fait prévenir qu'il souhaite lui parler. Lambert-Ribot déclare au chef du gouvernement que la C.G.P.F. désire que « sans perdre une minute » soit organisée une rencontre entre représentants des syndicats et ceux du patronat.

Tout va aller très vite. Le 7 juin, à 15 heures, Léon Blum, Jouhaux, Frachon, Belin, Serrat, Cordier, Milain pour la C.G.T. Duchemin, Richemond, Dalbonge, Lambert-Ribot pour la C.G.P.F. s'assoient à la table des négociation..

La première discussion dure jusqu'à 20 heures. Puis reprend à 23 heures. A 0h40, l' « accord Matignon » est signé et communiqué à la presse.

 « Ils ont cédé sur tous les points », dira Frachon.

Non. Mais pour maintenir la propriété privée des moyens de production, pour maintenir l'ETAT, pour éviter l'explosion, l'affrontement direct à un niveau supérieur entre les masses ouvrières et le grand capital, le patronat « lâche » en cette journée plus qu'en trente ans.

Les résultats sont loin d'être négligeables :

Les revendications arrachées n'ont rien de commun avec les formules creuses du programme de Front populaire.

Le patronat concède des revendications considérables pour conserver l'essentiel : la propriété privée des moyens de production. Les tendances fondamentales du mouvement des masses vont vers l'appropriation des moyens de production. Spontanées mais confuses, elles trouvent çà et là une expression plus claire. Les métallos sont à l'avant-garde du mouvement. C'est eux qui dégagent le plus clairement la tendance du mouvement. Un délégué de Rateau déclare : « Les camarades sauront bien organiser le travail sans les patrons. »

Les ouvriers de l'aéronautique proposent à Cot, ministre de l'Air, de nationaliser les usines d'armement et d'en prendre le contrôle direct.

Les grévistes se tournent vers « leurs » ministres du Front populaire en disant : « Nous sommes prêts ! Donnez les consignes, les directives, nous agirons. »

Usines occupées, grands magasins, banques, compagnies d'assurances, le temple du profit, la Bourse elle-même, est menacée par la grève...

Signe de la profondeur de la crise : la police est atteinte dans son « moral ». L'Etat bourgeois dont elle est une composante va-t-il tenir ? Comme toujours en ces cas-là, elle perd sa superbe, son assurance, sa certitude d'être la force, donc le droit. Elle se sent « plus près du peuple ».

Les accords Matignon sont salués par la presse des organisations et partis ouvriers comme une formidable victoire.

L'Humanité titre : « La victoire est acquise. » Le Populaire écrit : « Victoire ! Victoire ! Les patrons ont capitulé !... Les patrons ? Quels patrons ? Tous ! [...] Victorieux, les ouvriers peuvent reprendre le travail... »

Le 8, Jouhaux déclare à la radio, après avoir analysé la portée des « accords » : « Dans chaque entreprise la grève doit cesser si le patron déclare adhérer à l'accord du 7 juin [...]. La C.G.T. s'est formellement engagée à favoriser ce processus d'apaisement. »

Les travailleurs en grève comprennent que ce que le patronat lâche témoigne de sa peur de perdre beaucoup plus, sinon tout. Mais les accords Matignon sont l'accord de la trahison, le nœud coulant que l'on veut passer autour de la gorge de la classe ouvrière pour faire cesser la grève. Les travailleurs en ont l'intuition : ils refusent de cesser la grève, de reprendre le travail, la vie quotidienne de l'exploitation.

Non seulement la grève ne cesse pas, mais de nouvelles corporations vont entre le 7 et le 12 juin entrer dans l'action, encouragées par les accords signés à Matignon. Dans le Nord, le Midi, en Afrique du Nord, des centaines de milliers de prolétaires faites passent à l'action, « relevant » ceux qui rentrent dans la région parisienne.

Dans la banlieue, les métallos renâclent. Confusément, la classe ouvrière sent qu'elle peut aller plus loin. Le mardi 9 juin, 700 délégués des usines en grève se réunissent salle Mathurin-Moreau. Les dirigeants de la C.G.T. demandent aux travailleurs de se prononcer sur la fin de la grève : les délégués interviennent et exigent que toutes leurs revendications - dépassant l'accord de Matignon - soient honorées !

Les métallos ne reprendront pas le travail : la C.G.T. s'incline.

Le 10 juin, après avoir enregistré le refus de, patrons, la C.G.T. fait son compte rendu devant une nouvelle assemblée de délégués : la colère gronde et les travailleurs commencent à envisager une manifestation de rue...

Ils décident de continuer la grève : la CGT s'incline à nouveau...

Le 11, après de nouvelles négociations, où le patronat recule, nouvelle assemblée présidée par Frachon. Malgré les concessions enregistrées, les délégués exigent au nom de leurs camarades que toutes les traites soient payées. Les métallos ne cèdent pas, malgré les appels de Frachon et d'Henaff. Certains délégués reprennent les propositions d'organiser une manifestation pour « descendre sur Paris ».

Le 12, le patronat cède sur tous les points.

Ainsi, malgré les illusions, les incertitudes de la classe ouvrière, Trotsky a-t-il raison d'écrire : « La révolution française a commencé. »

Thorez : « Il faut savoir terminer une grève »

Depuis sa fondation en 1921, le parti communiste français a connu jusqu'en 1934 bien des vicissitudes, Au moment de la scission, il était largement majoritaire et comptait plus de 100 000 membres. En revanche, la C.G.T.U., née de la scission que l'appareil réformiste avait imposée afin le courant révolutionnaire ne devienne majoritaire, était restée minoritaire. La politique tour à tour opportuniste, puis sectaire et aventuriste, que l'I.C. stalinisée devait imposer jusqu'en 1934 au P.C.F. l'avait réduit à quelque dix à vingt mille adhérents en 1933, la C.G.T.U. n'étant plus qu'un squelette. 1934 va voir se modifier cette tendance. Si la grande masse des travailleurs regarde du côté de la S.F.I.O., si celle-ci voit croître ses effectifs, si par milliers les ouvriers d'avant-garde y entrent et cherchent à se constituer en courant révolutionnaire, aux yeux des masses l'U.R.S.S. reste le pays de la révolution d'Octobre, l'I.C. et le P.C.F. ses représentants.

Au fur et à mesure où de 1934 à 1936 s'affirme la marche à la crise révolutionnaire, les masses et les militants se tournent de plus en plus nombreux vers le parti qui leur semble être celui de la révolution. De 1934 à 1936, le P.C.F. reconstitue son cadre militant. Il reste minoritaire par rapport au P.S., mais ce sont déjà plusieurs dizaines de milliers de militants qui le rejoignent. Ils vont être les cadres organisateurs des couches profondes et décisives du prolétariat en mouvement en juin 1936.

Selon Lefranc, les effectifs du P.S. et du P.C.F. évoluent de la façon suivante : « En avril 1936, les effectifs de la S.F.I.O. dépassent ceux de la S.F.I.C. (114 000 contre 106 000). En mai 1936, la S.F.I.O. est distancé  : elle compte 127 000 adhérents contre 131 000 au parti communiste. »

Dans les mois suivants, la S.F.I.O. atteindra 200 000 adhérents environ. Au comité central du 22 février 1937, la direction du P.C.F. affirme son parti est passé de 80 000 adhérents au congrès de Villeurbanne en janvier 1936 à 220 000.

Une grande masse de travailleurs adhèrent à la section française de la III° Internationale, voyant dans le P.C.F. le parti héritier de la révolution d'Octobre, de Lénine, du combat pour le socialisme. Les masses le chargent de leurs espoirs, de leurs espérances.

La nature du P.C.F. n'est pas identique à celle de la S.F.I.O. L'un et l'autre sont des partis ouvriers. bourgeois contre-révolutionnaires. Mais la S.F.I.O. est directement liée à sa bourgeoisie, au système impérialiste. Le P.C.F. dépend entièrement de la bureaucratie du Kremlin : il est un rouage de son appareil international, et c'est par sa médiation qu'il est lié à l'impérialisme au maintien du capitalisme, de l'ordre bourgeois international. Les masses, malgré sa politique, sentent que ce parti n'est pas identique à la vieille S.F.I.O.

Le P.C.F. ne participe pas au gouvernement de Léon Blum, il se borne a le soutenir. Ce qui contribue à le faire apparaître comme un parti « différent » de la S.F.I.O. passée depuis 1914 du côté de l'ordre bourgeois avec toute la social-démocractie internationale.

Mais, en réalité, c'est le P.C.F. qui va en 1936 s'opposer le plus férocement, le plus directement, et déjà le plus efficacement, au mouvement des masses, à leurs aspirations révolutionnaires.

Thorez prononce en 1936 toute une série de discours au cours desquels il « tend la main aux catholiques et aux Croix-de-Feu ». Le 6 août, il concrétise au cours d'un discours au gymnase Huyghens ce que cela signifie, il appelle à la « consti­tution du Front des Français » de Thorez à Paul Reynaud.

 « Malheureusement, nos partenaires du Front populaire n'acceptèrent pas nos propositions du Front des Français, et il fallut les retirer », écrit Jacques Duclos.

C'est encore Thorez qui mène l'offensive, au premier rang, contre le processus révolutionnaire en cours ; c'est que la poussée des masses place les militants du P.C.F. dans les entreprises dans une situation contradictoire : suivre le bureau politique qui freine les grèves et les occupations, ou les masses qui combattent et cherchent une direction, et se tournent naturellement vers les militants du P.C.F., considérés comme des militants d'un parti révolutionnaire. A. Ferrat, ancien dirigeant des J.C., membre du C.C., proteste contre la politique suivie depuis le pacte d'unité d'action de 1934 et propose au C.C. que le P.C.F. prenne la tête des mouvements pour dépasser le Front populaire.

Ferrat ne fait qu'exprimer de manière assez confuse la position de nombreux militants du rang qui espèrent que le processus révolutionnaire engagé par des millions d'ouvriers ira jusqu'à son terme : la prise du pouvoir.

A. Ferrat est immédiatement exclu du P.C.F. Thorez, Duclos, Frachon, Gitton, ne badinent pas avec la défense de l' « ordre social », c'est-à-dire l'ordre du profit.

En réponse au célèbre article de Marceau Pivert « Tout est possible », Marcel Gitton écrit dans L'Humanité du 26 mai : « Tout n'est pas possible [...]. Il n'est nullement question de chambardement ni d'anarchie [...]. Non ! Non ! Marceau Pivert, il n'est pas question pour le gouvernement de demain d' "opérations chirurgicales". »

Les positions sont claires, la puissance du mouvement, le débordement de la C.G.T. conduisent Maurice Thorez, lors du rassemblement des militants du P.C.F. au gymnase Jean-Jaurès à Paris, à préciser la politique contre-révolutionnaire dictée par Moscou : « Notre but reste le pouvoir des soviets, mais ce n'est pas pour ce soir, ni pour demain matin [...]. Alors, il faut savoir terminer une grève dès que satisfaction a été obtenue. Il faut même savoir consentir un compromis si toutes les revendications n'ont pas encore été acceptées, mais que l'on a obtenu la victoire sur les plus essentielles des revendications. »

Reprenant « en main » les militants qui se laissent aller aux « tendances gauchistes », Thorez prend l'exemple des métallos parisiens. Il jette toute la force du P.C.F., auréolé de la gloire du parti de la révolution victorieuse en U.R.S.S. dans la lutte contre la révolution montante.

Dès le lendemain de ce célèbre discours, un mot d'ordre, revient dans tous les discours, toutes les interventions des dirigeants du P.C.F. : « Il faut savoir terminer une grève... »

L'offensive contre les masses est menée par les dirigeants du P.C.F., en liaison avec le gouverne. ment de Front populaire, qui le 12 juin au soir fait saisir à l'imprimerie le journal des trotskystes Lutte ouvrière qui titre : « Dans les usines et dans les rues, le pouvoir aux ouvriers. »

Le 12 juin, le groupe parlementaire radical fait savoir par Daladier qu'il est « très inquiet » devant les événements. Le gouvernement enregistre, et engage des poursuites contre les dirigeants trotskystes. Salengro affirme que le cas échéant, l'ordre sera maintenu par la force.

Les radicaux sont inquiets ?

Jacques Duclos, qui est partisan du langage clair, les rassure dans un article publié le 27 juin dans L'Humanité, sous le titre « Les radicaux ont raison ».

La citation suivante exprime le véritable contenu du Front populaire, comme programme et comme alliance au service des intérêts du grand capital. En lisant ces lignes, on s'étonne même du cynisme de Duclos qui, au mépris des plus élémentaires principes d'indépendance de classe du prolétariat, crie à tue-tête : « Nous sommes là pour maintenir l'ordre ! »

 « Les radicaux ont raison, quand ils proclament que ce qu'ils ont voulu en prenant place dans les rangs du Front populaire, c'est faire cesser le chômage démoralisant, assurer aux ouvriers dans la sécurité qui garantit l'avenir un salaire suffisant pour mener une vie digne, calme et heureuse.
 « Les radicaux ont raison, quand ils déclarent avoir voulu, en adhérant au Front populaire, réaliser une union nationale capable de faire face à la menace que fait peser sur nous l'ardeur guerrière des dirigeants d'un grand pays voisin. Cette préoccupation est en somme identique à celle qui nous a poussés, nous, communistes, à lutter pour l'union du peuple français, pour une France libre, forte et heureuse, dont le destin sera digne de son passé glorieux.
 « Les radicaux ont raison quand ils déclarent n'accepter aucune menace contre la propriété privée et nous n'hésitons pas, nous, communistes, à proclamer que c'est là également notre souci en ajoutant que ce qui menace aujourd'hui la propriété, c'est la puissante domination économique des deux cents familles contre laquelle nous nous dressons de toutes nos forces.
 « En résumé, les radicaux ont raison de rappeler que les réformes sur lesquelles se sont mis d'accord les partis du Front populaire ne sont, somme toute, en gros, que la reproduction du vieux Programme du Parti radical-socialiste [1] »

La classe ouvrière résiste

Malgré ce matraquage politique, cette mobilisation forcenée des dirigeants du P.C.F. et de la S.F.I.O. le mouvement de grève connaÎt encore de redoutables flambées. Si la grève décroÎt dans la métallurgie parisienne et dans les grands centres industriels, elle s'étend dans les campagnes : les ouvriers agricoles de, grosses fermes occupent les propriétés des hobereaux et montent le drapeau rouge. Au Sénat, c'est l'indignation ; Salengro, socialiste, ministre de l'Intérieur, vient faire amende honorable et rassurer les « pairs » de la République : « Si demain, des occupations de magasins, de bureaux, de chantiers, d'usines, de fermes, étaient tentées, le gouvernement, par tous les moyens appropriés, saurait y mettre un terme. » (Sénat, 7 juillet 1936.)

Grâce à la politique du P.C.F. et de la S.F.I.O., la droite relève la tête et commence, notamment, au Sénat, à se manifester. L'année précédente, les « B.L. » (bolcheviques-léninistes) ayant été exclus de la S.F.I.O., la « Gauche révolutionnaire » avait canalisé les aspirations révolutionnaires de milliers d'adhérents de ce parti. Marceau Pivert était devenu colla­borateur du gouvernement Léon Blum en tant que délégué à l'Information à la présidence du Conseil.

Dans le même temps, à la S.F.I.O., les courants gauche commençaient à être menacés de sanction pour leurs prises de position.

Le mois de juillet voit la grève s'étioler, se diviser, se fragmenter. Le patronat respire : le pire a été évité. Au moment où « tout était possible », les dirigeants du P.C.F. et de la S.F.I.O. ont mobilisé leurs énergies pour faire appliquer le « vieux programme du parti radical-socialiste ».

Nous l'avons vu, le Comité du rassemblement populaire avait prévu une manifestation le 14 juin pour célébrer la victoire du Front populaire. Mais, à cette date, la grève générale est au plus fort.

 « A l'initiative du comité de grève des usines Hotchkiss se sont réunis une première fois des délégués de 33, puis de 250 entreprises de la région parisienne : les 350 présents à la réunion du 12 juin " jugent très utile de former un comité d'entente entre les usines qui permette d'envisager demain de nouvelles victoires ". Qu'est-ce donc sinon l'embryon d'un soviet [2] »

Ce sont les métallos de la région parisienne qui devant le refus du patronat d'accorder satisfaction à leurs revendications, qui dépassent de beaucoup les « accords Matignon », parlent de « marcher sur Paris ». Dans ces conditions, la manifestation est reportée au 14 juillet.

Le 14 juillet 1936, des centaines de milliers de travailleurs défilent devant la tribune dressée place de la Nation.

Ils sont submergés par leurs illusions, ils croient « à la victoire ». Alors que cette tribune est la tribune où siège l'état-major du Front populaire, barrage à la révolution. Daladier déclare : « Le parti radical­socialiste m'a donné mandat de déclarer ici qu'aucune réforme ne saurait l'inquiéter. »

C'est le moins qu'on puisse dire.

L'Espagne

Le vendredi 17 juillet, une rébellion militaire éclate au Maroc espagnol. Le gouvernement Blum, soutenu par le P.C.F., va montrer son « sens des responsabilités ».

Le coup d'Etat fasciste est préparé et réalisé pour tenter de prévenir la révolution qui monte, renverser le gouvernement de Front populaire, jugé incapable de la juguler, et instaurer une dictature militaire. Il va provoquer la révolution et disloquer l'Etat bourgeois espagnol. Le prolétariat, les masses paysannes d'Espagne font échouer le coup d'Etat.

La guerre civile commence. Les masses espagnoles appellent à l'aide. En un premier temps, Blum va livrer quelques armes au gouvernement républicain déliquescent.

Le gouvernement anglais proteste immédiatement, alors que l'Allemagne et l'Italie commencent à acheminer ouvertement armes et troupes pour aider Franco dans sa croisade anticommuniste. L'Eglise se mobilise contre les « rouges ».

Les ministres radicaux menacent de démissionner.

 « Le Front populaire osera-t-il armer le Front populaire espagnol ? » demande Raymond Cartier - déjà lui... - dans L'Echo de Paris.

Non, malgré les cris qui fusent des rassemblements populaires, le 7 août le gouvernement fait savoir qu'il se rallie à la thèse de la « non-intervention », à une attitude de neutralité.

Maurras exulte dans L'Action française : « Blum-la-guerre a reculé. »

La non-intervention est à n'en pas douter une machination bourgeoise internationale contre la révolution prolétarienne que le coup d'Etat militaire de Franco a déclenchée en réaction. Certes, les gouvernements républicains en place et qui vont se succéder sont des gouvernements bourgeois, mais ils sont par rapport aux masses d'une extrême faiblesse ; l'Etat bourgeois est disloqué, partout ont surgi des embryons plus ou moins développés d'un pouvoir ouvrier, le gouvernement républicain ne tient que directement appuyé sur les appareils des organisations syndicales U.G.T., C.N.T., et des partis ouvriers P.S.O.E., P.C.E., de la F.A.I., du P.O.U.M., etc.

Les gouvernements des partis bourgeois « démocratiques » d'Europe n'ont aucune confiance dans la capacité des gouvernements républicains à rétablir et à assurer l'ordre bourgeois en Espagne en cas de victoire sur Franco. Malgré les rapport de Franco, Hitler et Mussolini, ils préfèrent la victoire de Franco, garantie certaine du maintien de l'ordre bourgeois en Espagne à partir de l'écrasement du prolétariat et des masses d'Espagne. Les gouvernements « démocratiques » qui ont inventé la « non-intervention » laissent Hitler et Mussolini, qui ont signé le pacte de non-intervention, accroître leur aide militaire à Franco.

En un premier temps, la bureaucratie du Kremlin approuve la non-intervention. La chaîne de la contre-révolution enserre l'Espagne révolutionnaire. Comment le gouvernement de Front populaire n'aurait-il pas été un des maillons de cette chaîne ? Secondairement, l'Espagne sera un terrain d'expérience du matériel militaire que mettent au point Hitler et Mussolini, une occasion de roder les troupes fascistes. Il en est ainsi d'ailleurs pour le matériel militaire de l'U.R.S.S.

Les dirigeants du P.C.F., après avoir mollement protesté lorsque le Kremlin participait à la non-intervention, vont par la suite mener grand tapage sur les mots d'ordre : « Des canons, des avions pour l'Espagne. » Ce ne sera qu'une couverture « gauche » qui les aidera à mieux étouffer la crise révolution en France et à faire taire les voix qui s'élèvent contre l'assassinat légal des dirigeants de la révolution d'Octobre.

Le 19 août, s'ouvre à Moscou le premier procès des dirigeants bolcheviques. Ils sont 16, parmi lesquels Zinoviev et Kamenev. Tous les accusés, révolutionnaires chevronnés, vont s'accuser des pires crimes contre-révolutionnaires, des complots les plus invraisemblables. La technique stalinienne pour obtenir les « aveux » est désormais parfaitement rodée. Les glapissements de Vichinsky sont repris par L'Humanité. A travers les accusés, la bureaucratie stalinienne juge et condamne la révolution d'Octobre, le parti bolchevique, l'internationalisme prolétarien, et Trotsky qui symbolise par son action politique cet héritage que Staline doit détruire. Le 23 août, les 16 accusés sont condamnés à mort. La droite exulte. Thorez et Duclos approuvent. Pivert proteste, Trotsky dénonce Thermidor et ses assassinats. C'est dans cette situation internationale que Thorez lance ridée du « Front des Français », de « Thorez à Paul Reynaud », des communistes aux Croix-de-Feu... La signification politique de cette prise de position est de viser à réaliser l' « union nationale » par-delà les classes...

La contre-offensive

Septembre 1936. Les masses sont rentrées ; la grève n'a pu déboucher politiquement grâce aux chefs de la S.F.I.O. et du P.C.F. La classe ouvrière a conquis des droits et des positions, mais l'ordre social n'est pas modifié. Le canon tonne en Espagne, et les masses françaises sont désarmées devant cette situation. Le désenchantement est perceptible. Si elles ne savent pas où elles veulent aller, en l'absence d'un parti révolutionnaire qui exprime en un programme leurs aspirations et leurs besoins, et le traduise en termes d'action et d'organisation politiques, les masses sentent que l'essentiel leur a échappé. La droite recommence à agir. La Cagoule se manifeste. Les patrons s'organisent pour la contre-offensive. La hausse des prix réduit jour après jour les « conquêtes » des accords Matignon. La fuite des capitaux organisée par le grand capital aggrave les conséquences du déficit de la balance du commerce extérieur. Le 25 septembre, le franc est dévalué. Le gouvernement de Front populaire refuse de mobiliser les masses, d'instituer le contrôle des changes et des mouvements de capitaux. Il s'aligne sur les intérêts de la classe dominante.

Blum propose l'échelle mobile des salaires pour lutter contre les conséquences de la dévaluation. Mais l'opposition se déchaîne, soutenue par de nombreux députés radicaux. Le Front populaire se désagrège. Blum recule. Finalement, cette capitulation est sanctionnée par un vote, les radicaux « de droite » votent contre le gouvernement, les communistes acceptent de voter le texte gouvernemental...

Le patronat qui s'est organisé lance le mot d'ordre : « Patrons, soyez des patrons. »

Des fonds importants sont mis à la disposition des journaux, des partis de droite, pour orchestrer une campagne dans tout le pays contre la classe ouvrière et la C.G.T.

A chaque occasion, Blum tergiverse, louvoie et donne finalement gain de cause au patronat. La hiérarchie catholique entre en scène, les cinq cardinaux français déclarent le 31 octobre :

 « Notre pays, il faut l'avouer, a connu peu d'heures aussi graves [...]. Les principes naturels du droit à la propriété, du droit à la liberté, du respect de la parole donnée et des contrats consentis qui constituent les fondements de la civilisation, nous les voyons aujourd'hui systématiquement violés, et, ce qui est plus grave encore, on les regarde comme des préjugés qu'il faut définitivement écarter [...].
 « La vraie cause, nous ne le redirons jamais assez, c'est l'athéisme pratique auquel notre pays semblait s'être résigné pour la vie nationale. Car, Dieu, chassé officiellement de partout, est devenu pour les masses le " Dieu inconnu ", et du même coup l'ordre moral et social dont il est le nécessaire fondement devait chanceler et tomber [... ].
 « Oui, il faut chasser de nos écoles ces virus révolutionnaires [...] »

L'Eglise et la droite, main dans la main, entretiennent une campagne de haine, dénonçant la guerre civile que selon elles le Front populaire veut provoquer, alors que toute la France bourgeoise applaudit aux victoires de la soldatesque fasciste de Franco.

Le 7 octobre, pour la première fois, une entreprise - la Chocolaterie des Gourmets - occupée par des grévistes est « libérée » par la police.

Avec stupeur, les masses voient le gouvernement qu'elles considéraient comme le « leur », après avoir limité et contenu leurs revendications, finalement s'y opposer brutalement.

Au congrès des radicaux, à Biarritz, les délégués condamnent « l'occupation des usines, des magasins et des fermes qui constitue une atteinte à la liberté ».

De toutes leurs forces, les radicaux invitent le gouvernement de Front populaire, les partis ouvriers du Front populaire, le P.S. et le P.C.F., à réaliser la politique du Front populaire et de passer de la phase où le mouvement des masses a été contenu à celle où il faut le faire reculer et commencer à le réprimer. Ils se préparent dès cet instant, lorsque le Front populaire aura rempli sa fonction, à le liquider.

Maurice Thorez continue à souhaiter un gouvernement « de tous les Français », alors que les 40 heures, votées par la Chambre, ne sont toujours pas appliquées et que le chômage n'est toujours pas résorbé.

Enfermées dans le carcan du Front populaire, les masses ouvrières, la jeunesse, sont neutralisées, bloquées, sans initiative, sans parti en mesure de leur ouvrir la voie de la solution ouvrière, alors que la bourgeoisie attaque dans tous les domaines et cherche à reconquérir politiquement le terrain gagné par l'action du prolétariat.

La presse bourgeoise et fasciste tire à boulets rouges sur les ministres socialistes.

Blum est le « You-pain-cher » pour L'Action française, et mange dans de la vaisselle d'or. Mais l'attaque se concentre contre Roger Salengro, ministre de l'Intérieur, accusé par L'Action française d'avoir déserté en 1914-1918.

Le matin du 18 novembre, Salengro est trouvé mort dans son appartement : il s'est suicidé. Une foule énorme assiste à son enterrement ; le gouvernement envisage de... réprimer la diffamation par voie de presse. Léon Blum avait été plus rapide à faire saisir Lutte ouvrière...

L'année 1936 s'achève dans la grisaille. La classe ouvrière résiste à l'offensive de la bourgeoisie, qui n'a été rendue possible que par la politique de collaboration des partis ouvriers avec le parti radical et les autres partis bourgeois du Front populaire sur un accord de défense de la propriété privée et de l'Etat.

En janvier 1937, à la conférence nationale du parti communiste à Montreuil, Maurice Thorez célèbre les vertus du Front populaire et affirme : « Nous resterons les animateurs et les meilleurs défenseurs du Front populaire. Le mot d'ordre des communistes a été, reste et restera : tout pour le Front populaire, tout par le Front populaire. »

En clair, et ce langage nous rappelle d'autres formules - « Tout pour le programme commun, tout par le programme commun ! » - Thorez .réaffirme : tout pour la défense de la propriété privée et du grand capital, tout pour la défense de l'Etat...

La « pause »

L'année commence bien pour le patronat. Le 24 février 1937, le bulletin quotidien du Comité des Forges écrit : « La production a continué, dans les dernières semaines, à bénéficier du regain d'activité qui depuis l'automne s'est manifesté dans les branches essentielles... »

La dévaluation favorise la reprise, donc le patronat, mais rend plus difficile les conditions d'existence des masses laborieuses, alors que les capitalistes continuent à exporter les capitaux, spéculant contre le franc.

La bourgeoisie sent son heure venir, de toutes parts, les « économistes » du grand capital « expliquent » la nécessité de restreindre la consommation intérieure, d'accroître la productivité, de remettre en cause les 40 heures...

Le 13 février, Léon Blum s'adresse aux fonctionnaires, il admet que leurs revendications sont légitimes, mais estime qu' « un temps de pause est nécessaire ».

Au conseil national de la S.F.I.O., Blum s'explique plus clairement : « Nous sommes obligés d'agir avec prudence, d'avancer pas à pas. Désormais s'affirme la nécessité d'une pause ; nous allons traverser la période la plus difficile, au bout de laquelle nous repartirons, s'il y a lieu, avec un nouveau programme. »

La « pause », c'est la mise au rancart des revendications des travailleurs des villes et des campagnes, la « pause », c'est tout simplement l'arrêt des mesures minimales que le programme du Front populaire s'était engagé à réaliser pour les vieux et contre le chômage.

Les dirigeants du P.C.F. appuient, avec des réserves de forme, cette politique, et proposent qu'à l'occasion de la « pause », on élargisse le gouvernement vers la droite.

Pivert refuse cette politique et démissionne de ses fonctions au secrétariat général à la présidence du Conseil.

Dans l'organe de la « Gauche révolutionnaire » qu'il anime, Marceau Pivert écrit : « Le rassemblement populaire n'a pas été créé pour faire avaler la pilule des crédits militaires et de l'union nationale. Non ! Je ne serai pas un complice silencieux et timoré. Non ! Je n'accepte pas de capituler devant le militarisme et les banques. Non ! Je ne consens ni à la paix sociale ni à l' " union sacrée ". »

Eh bien, si : le rassemblement populaire a été créé pour faire avaler la pilule des crédits militaires et de l'union nationale, pour faire barrage à la révolution sociale, la faire refluer, et l'écraser. Il faudrait rompre avec la bourgeoisie, la politique des fronts populaires, ouvrir la perspective d'un gouvernement des partis ouvriers sans représentants des organisations et partis bourgeois, et Pivert maintient le cordon ombilical qui l'attache au Front populaire et à sa politique.

Ainsi, Marceau Pivert s'indigne des résultats d'une politique, sans aller aux origines extirper ses racines, et contribue de cette façon à sa poursuite. On ne peut cautionner comme courant révolutionnaire une politique qui vise à maintenir la « paix sociale », la paix du capital. Cautionner même de façon « critique », le Front populaire, c'est finalement le renforcer.

Les prix grimpent en flèche, les salaires ne suivent pas. A Moscou, les procès se suivent et se ressemblent - la lutte contre le « centre trotskyste anti-soviétique » bat son plein.

Mais la classe ouvrière tente de préserver les positions acquises.

Les travailleurs de l'Exposition des arts et des techniques se mettent en grève.

Léon Blum, Léon Jouhaux et Marcel Gitton secrétaire du P.C.F. se rendent sur le chantier, pour convaincre les ouvriers de reprendre le travail.

Ces derniers les reçoivent aux cris de : « Nos 15 % ! »

Léon Blum déclare : « L'Exposition sera le triomphe de la classe ouvrière, du Front populaire et de la liberté ; elle démontrera que le régime de la liberté est supérieur à la dictature [...]. Ni le retard ni encore moins l'échec ! La bonne renommée du Front populaire est en jeu. Et, maintenant, je vous le dis franchement : le travail du samedi et du dimanche est nécessaire. »

Cris dans la foule : « Non ! Non ! Nos 15 % ! »

Le 5 mars, Léon Blum place à la tête du Fonds d'égalisation des changes le gouverneur de la Banque de France, Emile Labeyrie, qui réduit les crédits consacrés aux grands travaux, décide de financer les dépenses d'armement par un emprunt spécial de la Défense nationale.

Ainsi, les capitaux seront à l'abri des fluctuations de la monnaie, alors que l'échelle mobile des salaires a été refusée aux travailleurs.

Le Temps commente : « On ne peut qu'approuver. »

Paul Reynaud jubile : « Le gouvernement sacrifie la théorie du pouvoir d'achat à l'équilibre budgétaire. »

Le massacre de Clichy

Le 16 mars 1937, le parti social français (ex-Croix-de-Feu) décide d'organiser une réunion à Clichy. Le gouvernement de Front populaire se refuse à l'interdire.

A l'appel du maire S.F.I.O. de Clichy, Charles Auffray, du conseiller général Naile, communiste, et du député également communiste Honel, une contre-manifestation est organisée. La police du ministre socialiste Marx Dormoy ouvre le feu. Bilan : 5 morts et des centaines de blessés.

Quatrième Internationale de mars 1937 rapporte :

 « Dormoy et Blum accourus en smoking du gala de l'Opéra sont conspués avec violence par les travailleurs : "Dormoy assassin ! Dormoy démission !" Des dizaines de barricades ont été dressées, puis décimées par la garde mobile de Dormoy et Daladier. Thorez, accouru à l'appel du député de Clichy Honel, n'ose dire mot. "Sales trotskystes", lance-t-il seulement aux travailleurs qui se défendent avec acharnement.
 « A Asnières, tout proche, des mouvements analogues se produisent. Sous les coups de feu des fascistes et de la police deux travailleurs sont grièvement blessés. Dans la nuit même du 16 au 17, la nouvelle se répand dans le prolétariat. Une émotion profonde souleva tout le prolétariat parisien à l'annonce par les journaux du massacre de Clichy. Il comprit que c'était son avant-garde, son corps même qui avait été mitraillé par l'ordre de M. Blum. Dans la journée du mercredi 17 une série d'entreprises commencèrent la grève. Dans une série d'usines (Renault, entre autres), les ouvriers arrêtés arrêtaient le travail, préparaient des réunions pour le midi et le soir, exigeaient la grève générale et commençaient à chasser les fascistes (surtout des contremaîtres et des chefs de service). Les directions syndicales d'usine se réunirent d'urgence. Dans la soirée, l'union régionale du bureau confédéral était saisie de centaines de résolutions exigeant une réponse foudroyante. Mais l'objectif de la grève restait incertain. Et c'est là-dessus que jouèrent les chefs réformistes pour briser le mouvement.[3] »

Léon Blum prend la défense du ministre de l'Intérieur : il argumente. Le gouvernement défend les libertés, il a protégé la réunion du P.S.F., il condamne l'initiative des élus du Front populaire de Clichy.

Aucune sanction ne sera prise contre les responsables de la fusillade.

L'émotion dans la classe ouvrière est immense

 « Comment est-il possible que le gouvernement de Front populaire puisse faire tirer sur les travailleurs que les élus du P.S. et du P.C.F ont mobilisée pour protester sinon empêcher la tenue d'une réunion fasciste dans une ville ouvrière ? » L'union des syndicats de la région parisienne décide une grève qui est limitée à la matinée du jeudi 18 mars. Le 21 mars, un immense cortège suit les corps des victimes de la fusillade dans la plus pure réconciliation, sous l'égide du Front populaire qui les a assassinées. Mais l'U.D. C.G.T. de la région parisienne, que dirigent les militants du P.C.F., laisse déployer le drapeau de la IV° Internationale.

A la Chambre, Jacques Duclos, le 23 mars, propose un ordre du jour de confiance. Les députés communistes sont bien sûr parmi les 362 députés qui votent la confiance au gouvernement des fusilleurs de Clichy !

Seuls les pivertistes et les trotskystes dénoncent les « assassins de Clichy ». La Jeune Garde, organe des jeunesses S.F.I.O. dirigées par des militants gagnés en partie au trotskysme, sort un numéro spécial sous le titre : « Huit milliards pour l'emprunt - Cinq morts à Clichy - L'argent de la bourgeoisie se paie avec le sang des ouvriers. »

Vingt-deux militants dirigeants des J.S. sont exclus, et l'organisation de jeunesse dissoute. Quant à la « Gauche révolutionnaire », elle est dissoute lors du conseil national du 18 avril.

Les dirigeants du P.C.F. continuent leur travail de matraquage politique, avec cynisme et obstination. Alors que le capital, utilisant les élus de droite qui se regroupent, se prépare à frapper, Thorez conforte, réconforte la bourgeoisie, démobilisant le prolétariat :

 « Nous sommes les partisans décidés de la tranquillité et de la concorde. Nous l'avons montré dans des circonstances où personne n'a osé prendre les responsabilités que nous avons prises. Nous avons eu le courage de dire, nous, aux ouvriers en grève tout n'est pas possible !
 « Nous nous refusons, surtout en considérant les événements d'Espagne, à accepter la perspective de deux blocs dressés irréductiblement l'un contre l'autre et aboutissant à une guerre civile dans des conditions qui seraient pour notre pays encore plus redoutables que pour l'Espagne, ne serait-ce qu'en raison des menaces d'Hitler.
 « Nous aimons la France.
 « Nous le déclarons très nettement : la plupart des dirigeants des ligues fascistes sont devenus les hommes de l'étranger. En eux, revit l'esprit de Coblenz.
 « Le parti communiste a quelques titres, en effet, à la reconnaissance des classes moyennes.
 « Le front unique, c'était le rassemblement des forces du prolétariat. C'est le parti communiste qui a lancé, à Ivry, le mot d'ordre d'élargissement du front unique antifasciste afin que celui-ci englobe les classes moyennes. »

Le stalinien Maurice Thorez a raison : s'opposant au front unique ouvrier - l'unité des partis ouvriers contre les partis bourgeois - le P.C.F. a dressé le front populaire opposé aux intérêts des masses, obstacle à la marche de la révolution socialiste.

La chute

Malgré la résistance confuse mais farouche des masses, en l'absence d'un parti révolutionnaire, la politique des chef, de la S.F.I.O. et du P.C.F. a sauvé la bourgeoisie et désarmé la classe ouvrière. La révolution n'a pas été vaincue par la bourgeoisie, mais disloquée de l'intérieur du mouvement ouvrier par les Blum et les Thorez. La classe ouvrière a cherché obstinément une voie pour changer la société. Elle s'est, naturellement, tournée vers les partis se réclamant du socialisme, du communisme. Ces partis l'ont conduite, de recul en recul, jusqu'à la démoralisation.

Le 21 juin, le gouvernement Blum tombe, battu, mis en minorité au Sénat.

Le gouvernement Blum va-t-il faire appel aux masses pour chasser le Sénat réactionnaire ?

Non. Le gouvernement démissionne dans une relative indifférence.

Le radical Chautemps - membre du gouvernement Blum - forme un nouveau gouvernement de Front populaire. Le P.C.F. qui avait refusé d'entrer dans le gouvernement Blum offre cette fois d'y participer... Chautemps refuse. Son cabinet est constitué par des radicaux et par des socialistes.

Le mouvement qui a explosé en juin 36 reste cependant vivant à la fin 1937, et début 1938 il va resurgir, mais bien différent de ce qu'il était en juin 36. C'est, après quelques mouvements en septembre, la grève de décembre 1937. Voici quelques extraits d'un rapport fait par Marceau Pivert sur la grève de l'entreprise Goodrich :

 « La goutte d'eau ...
Le 9 décembre, on chasse, pour « faute professionnelle », un ouvrier électricien (communiste) sous prétexte qu'un brouillage sur une ligne téléphonique n'a pas été réparé. La section syndicale réagit vigoureusement et obtient, le vendredi, l'assurance que la sanction ne serait pas appliquée.
Mais, entre le vendredi et le lundi, on trouve un autre prétexte : l'ingénieur-conseil Gaestel, fasciste forcené, obtient et annonce le maintien du licenciement.
Alors, le 15 décembre, les ouvriers occupent l'entreprise. Ils sont appuyés par la section syndicale, par la fédération des produits chimiques, par l'union des syndicats. Les ouvriers ont raison à cent pour cent. Ils marchent à cent pour cent pendant huit jours, on ne prête guère attention à cette occupation dans la presse ouvrière. Une nouvelle erreur de calcul en résulte pour le gouvernement. C'est ici que l'affaire révèle très exactement, comme un réactif sensible et sûr, la position réelle des forces sociales antagonistes.
La journée du 23 : les gardes mobiles
Les grévistes se sont parfaitement organisés les trente membres du comité de grève se partagent les tâches ; le contrôle du roulement des équipes est rigoureux : chacun passe deux nuits sur trois chez lui, mais revient à 6 heures à l'usine. Cartes blanches, cartes jaunes, cartes roses, états de pointage, services de garde, etc.
A 5 heures, ce matin-là (une heure avant le retour des équipes extérieures), cent gardes mobiles entourent l'usine. Aussitôt, les sirènes sont actionnées : elles appelleront, deux heures durant, à l'aide, et la solidarité ouvrière sera immédiate et formidable. Toutes les usines qui tournent jour et nuit, celles qui commencent à ouvrir, toutes, sans exception, débraient dans toute la région et envoient des délégations. Comme les gardes mobiles empêchent tout contact avec les grévistes, les équipes extérieures (accourues dès le premier signal) passent dans les usines voisines, Alsthom, Erikson, Gnome et Rhône, Lobstein, Lorraine, et, par-dessus les murs, regagnent leur poste de combat au milieu de l'usine Goodrich. Celle-ci est mise en état de défense, jets de vapeur prêts, et tout ce qu'on peut imaginer... Les délégations arrivent bientôt de chez Renault, Nieuport, Lioré-Ollivier... toute la métallurgie est sous pression. L'évacuation par la force devait avoir lieu à midi : elle est retardée à 5 heures ; 30 000 personnes sont sur les lieux et l'opération s'avère difficile.
Politique syndicale (suite)
Un mot... et toute la région parisienne est dressée... un autre mot et tout le territoire se met à l'unisson... et cette fois il est possible de parler clair au patronat provocateur, d'en finir avec les trusts spoliateurs, de reprendre la suite du mouvement de juin 36...
Non. L'esprit d'offensive et la volonté de victoires révolutionnaire sont absents (du moins chez les « responsables », quant aux masses, elles n'ont pas dit leur dernier mot). Les autorités syndicales donnent l'ordre de reprendre le travail dans les usines occupées par solidarité, cela sans même demander le retrait préalable des forces de police hors de la ville...
Les délégations auprès du gouvernement se multiplient. On sait la suite : il faut toute l'autorité des responsables syndicaux pour arracher la décision de l'évacuation. La neutralisation de l'usine est obtenue jusqu'au règlement du conflit. Mais quel sera le résultat de l'arbitrage Chautemps ?
L'attitude du parti communiste
La direction des syndicats est sous l'influence du parti communiste (fédération et union des syndicats) ; la solidarité dans la lutte joue incontestablement au départ : le déclenchement s'effectue en plein accord avec les militants communistes. Mais les ouvriers observent avec amertume qu'au moment où l'extension du conflit devenait considérable, au moment où la contagion analogue à celle de juin 1936 allait se développer à une allure vertigineuse, le coup de frein brutal a été donné. Il est apparu avec la proposition d'évacuation : « Prenez la responsabilité de ce qui arrivera ensuite, a-t-on dit au comité de grève, nous, nous ne le pouvons pas. »
Or, une bataille de classe ne peut pas s'engager victorieusement dans de telles conditions. La ligne générale du P.C. est à la pause, à la main tendue et à la défense de la démocratie... capitaliste... Tout le reste s'explique facilement !
L'attitude du gouvernement dit de Front populaire
Les ministres socialistes ont promis aux délégations de ne pas utiliser la force contre les ouvriers. Mais comment les gardes mobiles sont. ils venus ? Il y a un préfet de police, un ministre de l'Intérieur responsables de ce « contact » possible, et particulièrement insupportable aux militants, entre la police et les ouvriers.
A-t-on mesuré, du côté des ministres socialistes, les répercussions d'une attitude de compromis à l'égard d'un conflit de cet ordre ? Sans doute, ils ont dû mettre en garde leurs collègues radicaux, mais dans quel langage ? Il n'y en a qu'un qui soit efficace : « Ou bien la police restera hors de cause, ou bien les ministres socialistes s'en iront. » Nous avons le droit d'affirmer que ce langage n'a pas été tenu ; qu'on a accepté volontiers tiers de « passer la main » au président Chautemps pour prendre les mesures impopulaires et prononcer les menaces les plus graves.
Observons qu'on n'a pas hésité à demander des camions militaires à Daladier pour briser la grève des transports ! D'ailleurs, les délégations ouvrières qui ont vu Chautemps et Février en audience n'ont à aucun moment eu l'impression que le ministre socialiste défendait la position des ouvriers... il était au contraire utilisé par Chautemps peut faire admettre par les ouvriers la position « d'arbitrage et de respect de la légalité » du président du Conseil. Celui-ci invoqua naturellement la « paix sociale ». les pertes énormes causées au Trésor public... il accusa les ouvriers de « poignarder la patrie » (!). Le gouvernement chargé des intérêts de la classe dirigeante était dans son rôle. NOS CAMARADES MINISTRES ÉTAIENT-ILS DANS LE LEUR ?
L'attitude du parti socialiste
Elle souligne d'abord le rôle essentiel que devrait avoir le secrétaire à la coordination pour les Amicales rattachées à une section. Aucune liaison, en effet, n'a été établie avec la fédération avant le jeudi après-midi, et encore par un de nos camarades, G.R., sans mandat. Pourtant, Boyer, adjoint socialiste au maire de Colombes, et Daniel Mayer, du Populaire, étaient dans l'usine dès le matin. Mieux - dès que Just, envoyé par la fédération, arrive sur les lieux, les ouvriers lui refusent l'entrée... Nous ne commentons pas : ce geste mesure le degré de considération des travailleurs à l'égard du permanent des Amicales. On imagine les commentaires qui peuvent circuler au sein des entreprises contre le parti socialiste associé à une telle politique : derrière les gardes mobiles on voit nos ministres ! Et la propagande antisocialiste en est singulièrement renforcée ; d'où la difficulté de développer notre organisation dans de telles conditions... On ne peut pas tout avoir - les « avantages » ( ? !) des délégations au gouvernement et les avantages, réels ceux-ci, d'une position de classe devant la prolétariat en lutte.
Comprendra-t-on maintenant un peu mieux pourquoi nous voulons dégager notre parti d'une coalition ministérielle de plus en plus au service du sauvetage du régime ? Et pourquoi aussi nous voulons prendre en main la direction dune fédération où peut se jouer l'avenir du parti et du prolétariat, selon que nous y déploierons largement le rouge drapeau du socialisme ou que celui-ci sera bafoué et ridiculisé par les radicaux « nationaux » et les forces capitalistes tirant les ficelles dé Georges Bonnet ?[4] »
Le 9 janvier, les dirigeants de l'U.D. de la région parisienne imposent aux grévistes une instance arbitrale qui rejette la plupart de leurs revendications : « Le licenciement prévu est confirmé. La question des cadences et du système Bedeau est renvoyée à un arbitrage ultérieur.[5] »

La mort dans l'âme, les travailleurs de chez Goodrich reprennent le travail le 10.

Ce n'est pas le seul conflit. Le 29 décembre, se déclenche à l'improviste la grève des services publics qui ne sont pas entrés en grève en juin 36 : Paris est privé de gaz, d'eau, d'électricité, de transports. Ce mouvement est condamné par le gouvernement qui affirme sa volonté de « remplir son devoir et d'assurer en dépit de toute résistance la reprise des services publics et le maintien de l'ordre ». Daniel Mayer dans Le Populaire condamne également le mouvement. Mais le gouvernement recule et accorde l'indemnité de vie chère de 1200 F que les travailleurs des services publics réclament ; le travail reprend.

Mais le premier gouvernement Chautemps est en crise. Le P.C.F. décide de s'abstenir au Parlement. Chautemps réplique : « M. Ramette demande sa liberté. C'est son droit. Quant à moi, je la lui donne. »

Le groupe socialiste décide dans ces conditions de retirer ses ministres ; le gouvernement démissionne. La S.F.I.O. refusera de participer à un gouvernement que Georges Bonnet aurait présidé.

Blum va s'efforcer de répondre aux vœux du P.C.F. en constituant un gouvernement d' « union nationale », sinon sous sa direction, au moins sous celle d'Herriot. Le projet échoue. Paul Reynaud veut qu'il s'étende encore plus loin... à droite, jusqu'aux fascistes avérés. Chautemps forme alors un nouveau gouvernement auquel la S.F.I.O. ne participe pas. Au conseil national de la S.F.I.O., la proposition Blum-Paul Faure d'y participer a été rejetée. A la chute de ce gouvernement, Blum fera une nouvelle tentative pour constituer un gouvernement d'union nationale qui échouera. Pour répondre à l'Anschluss, il constitue alors un gouvernement qui ne durera que vingt-six jours, du 13 mars au 10 avril 1938.

Une nouvelle vague de grèves prend naissance dans la métallurgie. Elle débute le 24 mars aux usines Citroën, elle va s'étendre, à l'initiative des cellules du P.C.F., à de nombreuses entreprises de la métallurgie parisienne au cours de la fin du mois de mars. Mais bientôt, la direction du P.C.F. freine. L'article de Pierre Broué et Nicole Dorey qui rapporte ces informations cite : « André Blumel dit aux responsables des amicales socialistes d'entreprise :

« Si lundi 28 mars la grève n'est pas terminée, Blum s'en va et vous aurez Pétain"; Doury et Timbaud, dirigeants communistes des métaux, répondent à la section d'Alsthom-Lecourbe qu'ils tiennent de Vincent Auriol que le gouvernement démissionnerait si la fédération des métaux lançait elle-même la grève. »

Les mêmes rapportent : « Le 7 avril, sous la signature de Marceau Vigny, militant du P.C.F. et secrétaire de la section C.G.T. Renault, L'Humanité affirme : "Les ouvriers sentent nettement la volonté du patronat d'imposer la grève chez Renault. Des milliers et des milliers de tracts signés de la IV° Internationale appelant les ouvriers à l'action sont distribués chaque jour aux portes de l'usine." Et de conclure que la section "fera le maximum pour lutter contre la démagogie fasciste" et que ses délégués ont demandé au gouvernement" de prendre, les mesures nécessaires". »

Lorsque le mouvement commence à refluer, après chute du gouvernement Blum, la section syndicale fera débrayer le 13 avril Renault pour bien prendre le mouvement en main. Très rapidement, morceau par morceau, la grève est liquidée sans obtenir de revendications substantielles : quelques rajustements du taux horaire.

La classe ouvrière politiquement battue par le Front populaire assiste impuissante à l'irrésistible montée de la réaction. L'Espagne républicaine agonise, les armées allemandes sont entrées à Vienne, la Cagoule multiplie les attentats et les complots. A Moscou, Staline continue à briser le parti de Lénine.

Blum est accueilli au Sénat aux cris de « Voleurs ! », à l'Assemblée nationale, Xavier Vallat lance : « A bas les juifs, la France aux Français. » Les radicaux dénoncent le P.C.F., qui n'est plus un parti national... C'est l'hallali. Le 8 avril, Blum démissionne mis en minorité au Sénat.

Mais le Front populaire continue...

Le 10 avril, Daladier constitue un gouvernement de radicaux, de centristes catholiques et de « modérés ». La présence de Paul Reynaud, Sarraut, Ramadier, a une signification politique précise : c'est le ministère de la « revanche » sur la classe ouvrière. Faire payer à la classe ouvrière la « grande peur » de mai-juin 1936, voilà l'objectif de ce gouvernement qui se présente avec un programme bien défini :

Le Front populaire continue : fait sans précédent, le gouvernement Daladier-Reynaud est investi par 575 voix contre 5. Les groupes S.F.I.O. et P.C.F. ont voté la confiance...

Nouvelle dévaluation, retour à la politique des décrets-lois, blocage des salaires, augmentation des impôts atteintes au droit de grève et à l'exercice de l'activité syndicale. Daladier ne lève plus le poing, il l'abat, contre la classe ouvrière, au nom du Front populaire...

La S.F.I.O. s'épure. La fédération de la Seine est dirigée par la « Gauche révolutionnaire » qui y a gagné la majorité. Elle distribue en mars un tract qui soutient les grévistes contre Le Populaire et la direction du parti. Le 18 mars, elle envoie aux autres fédérations un texte qui déclare « le parti en danger ». Le 11 avril, la commission des conflits suspend pour trois ans Marceau Pivert, pour deux ans tous les autres membres du bureau fédéral. La direction de la fédération de la Seine se maintient et ses militants occupent ses locaux. La scission est inévitable. Le congrès de Royan (4-7 juin) exclura la « Gauche révolutionnaire » qui constituera le parti socialiste ouvrier et paysan (P.S.O.P.).

Au P.C.F., c'est également l'épuration. A la vérité, l'épuration est permanente depuis les années 1924-1925 dites de la « bolchevisation », c'est-à-dire de l'asservissement du P.C.F. au Kremlin par la construction et la sélection d'un appareil entièrement subordonné à Moscou. L'histoire de ces épurations ne rentre pas dans le cadre de cet ouvrage. Depuis 1934, après Doriot et le rayon de Saint-Denis qui allaient complètement dégénérer pour finir par constituer le Parti Populaire français, mais qui en 1934 se prononçaient pour le front unique du P.C. et du P.S., jusqu'à Ferrat exclu du C.C. du P.C. F. en juin 1936 pour s'être opposé à la politique de liquidation de la grève générale, pour aboutir en 1938 à l'exclusion de nombreux militants de la métallurgie qui n'acceptent pas la liquidation de la grève de mars-avril Le 19 mai, L'Humanité publie une lettre du député de Clichy Honel, lequel fait écho au malaise des militants du P.C.F. de l'usine Citroën qui réclament un « front ouvrier », ou un « front révolutionnaire ». C'est l'abcès de fixation qui va permettre l'épuration.

Cependant, tout n'est pas encore dit. En septembre, Daladier tente, sans succès, d'obtenir l'accord de la fédération des métaux C.G.T. et du bureau confédéral pour en finir officiellement avec les 40 heures. Il décide de passer outre, mais Frossard et Ramadier (U.S.R.) y sont hostiles, ils démissionnent. Anatole de Monzie et Pomaret les remplacent. La crise qu'Hitler a ouverte en exigeant l'incorporation des Sudètes au III° Reich évolue vers son dénouement : Munich.

Les accords de Munich sont signés entre Hitler, Mussolini, Chamberlain et Daladier le 30 septembre : le territoire des Sudète, dont la population est allemande est rattaché à l'Allemagne. Les accords de Munich laissent les mains libres à Hitler contre la Tchécoslovaquie. Un jeu politique s'affirme qui va se poursuivre jusque pendant la « drôle de guerre » : les impérialismes français et anglais s'efforcent d'engager Hitler sur la voie d'une guerre contre l'U.R.S.S., de rester en dehors de la guerre pour finalement arbitrer. A son retour, Daladier obtient la confiance de la Chambre : 535 voix pour, les 78 députés du P.C.F. votent contre. L'orientation de la politique de l'impérialisme français devient inacceptable pour le P.C.F.

Le gouvernement Daladier demande les pleins pouvoirs : il n'obtient plus que 331 voix contre 78, celles des députés du P.C.F. Il y a 203 abstentions, dont celles des députés S.F.I.O. La majorité gouvernementale n'a donc plus rien à voir avec celle de juin 1936. Le congrès annuel du parti radical se tient le 28 octobre à Marseille, il vote la résolution suivante : « Le parti communiste, par l'agitation qu'il entretient à travers le pays, par les difficultés qu'il a créées aux gouvernements qui se sont succédés depuis 1936, par son opposition agressive et injurieuse de ces derniers mois, a rompu la solidarité qui l'unissait aux autres partis du Rassemblement populaire. Le parti radical donne mandat à ses délégués au comité national de prendre acte de cette rupture, dont le parti communiste porte seul la responsabilité, et d'indiquer sa volonté de continuer sa collaboration avec les partis de la démocratie. »

Le 1er novembre, Paul Reynaud est devenu ministre des Finances à la place de Marchandeau. Le 13 novembre, il publie une première série de décrets-lois. Il déclare : « C'en est fini de la semaine des deux dimanches. »

La classe ouvrière doit produire le plus de jours possible, le plus d'heures qui soient. Les cheminots sont tenus d'effectuer des travaux relevant de la Défense nationale. Paul Reynaud commente : « Le régime capitaliste étant ce qu'il est, pour qu'il fonctionne, il faut obéir aux lois. »

Pour bien se faire comprendre, le gouvernement recrute 1500 gendarmes...

Tout n'est cependant pas joué. En septembre et octobre, des grèves ont eu lieu. La classe ouvrière reste disponible et mobilisable. Justement, le congrès de la C.G.T. se tient du 14 au 17 novembre à Nantes. Ce congrès ne décide d'aucune riposte, ne lance aucun mot d'ordre d'action. Il donne seulement mandat à la C.A. et au bureau confédéral « de préparer sans retard toute l'action nécessaire, y compris la cessation collective du travail dans le cas où celle-ci s'avérerait indispensable à la défense des réformes sociales ».

Dirigeants ex-confédérés et ex-C.G.T.U. se mettent d'accord sur toutes les résolutions. Le fait démontre que les uns et les autres mènent par rapport à la classe ouvrière la même politique.

Mais, dès le 21 novembre, des grèves se produisent, surtout dans la région parisienne. Le 23, les travailleurs de chez Renault débraient, occupent les usines de Billancourt qu'ils organisent militairement. Le maire S.F.I.O. Morizot et le député du P.C.F. Costes les appellent à évacuer l'usine. Le gouvernement a massé d'énormes forces de police autour de chez Renault : 200 pelotons de gardes mobiles, plus de 1500 policiers. Profitant des flottements, la police attaque l'usine et la fait évacuer : 285 ouvriers sont condamnés pour « violences ». Ce n'est que le 25 novembre que le bureau confédéral décide une grève de 24 heures... pour le 30, sans occupations d'usine ni manifestation. Le travail, précise le communiqué, devra reprendre le 1er décembre. Lefranc affirme que le bureau de la C.G.T. estimait que « des conversations demeuraient possibles. Elles s'engageront entre un membre du bureau confédéral et les deux ministres U.S.R. de Monzie et Pomaret qui eux-mêmes agissaient près de Daladier. Un compromis était en vue. Le mardi soir 29 novembre, il fut abandonné devant le refus de Paul Reynaud d'y consentir ».

En fait, le gouvernement amusait la galerie tandis qu'il mettait au point toutes les mesures pour casser la grève. Les fonctionnaires et les travailleurs des services publics sont réquisitionnés. Paris est mis en état de siège.

La grève du 30 novembre : les masses sont responsables

Le combat demeure possible. Il faut mobiliser, galvaniser, organiser. Mais dirigeants réformistes et staliniens tergiversent, reculent, zigzaguent. Ils donnent l'impression à la classe ouvrière de ne pas vouloir combattre tout en donnant l'ordre de grève. Les soldats occupent les carrefours, baïonnettes au canon, le gouvernement a massé à Paris des troupes considérables, et cherche l'affrontement avec la classe ouvrière.

La grève est inégalement suivie. Mais militants et travailleurs, dans les secteurs décisifs du prolétariat, combattent.

Le patronat et le gouvernement frappent : les militants sont licenciés, arrêtés, pourchassés. La répression est extrêmement dure : des milliers et des milliers de licenciements. L'ordre patronal règne à nouveau dans les usines et les entreprises, comme en 1934­-1935.

CETTE DEFAITE, LA CLASSE OUVRIÈRE N'EN PORTE PAS LA RESPONSABILITÉ.

Les chefs du P.C.F. et de la S.F.I.O. sont responsables de cette situation. C'est la conclusion classique et normale des fronts populaires, alliance des partis ouvriers et des partis bourgeois contre la révolution prolétarienne.

Les radicaux ont parfaitement tenu leur rôle. Garantie dans le Front populaire que l'ordre serait respecté, ils constituent le relais, le pont entre la collaboration avec les partis ouvriers, quand les conditions l'exigent, et l'instrument de lutte contre les partis ouvriers quand les conditions le permettent.

Après le Frente Popular en Espagne, la révolution française est frappée par le Front populaire.

Le 26 septembre 1939, Daladier, qui défilait le 14 juillet 1936 aux côtés de Maurice Thorez et de Léon Blum, décide la dissolution du parti communiste français.

Le 10 juillet 1940, la Chambre de Front populaire amputée des députés communistes vote avec le Sénat les pleins pouvoirs à Pétain, par 569 voix pour, 80 contre et 17 abstentions : bien sûr, les deux tiers des radicaux ont voté pour Pétain.

Tirant le bilan de son action à la tête du gouvernement, Léon Blum déclarera au procès de Riom intenté par le régime de Vichy : « J'ai été le gérant loyal des intérêts de la bourgeoisie. »

Terminé par la défaite du 30 novembre1938, le Front populaire de 1935 prend aujourd'hui sa véritable signification - non pas politique, mais historique : c'est la première fois que dirigeants de la S.F.I.O et du P.C.F s'unissent avec des partis bourgeois, sur un programme bourgeois, contre la classe ouvrière, qui ouvre par son action les conditions de la révolution prolétarienne.

La question n'est pas de savoir si « la révolution était possible ». La crise révolutionnaire était ouverte - il fallait tout mettre en œuvre pour qu'elle aboutisse.

S'adressant en 1935 aux bolcheviques-léninistes, Trotsky écrit à propos du Front populaire :

 « Il est parfaitement explicable qu'au cours des premières semaines, certaines oscillations se soient également manifestées dans nos propres rangs : la situation est complexe, le Front populaire était pour beaucoup d'entre nous un phénomène nouveau et par conséquent un problème nouveau. Mais le fait que certains camarades, aujourd'hui encore, après une expérience relativement importante du Front populaire et les importants articles qui ont été publiés dans notre presse, se révèlent partisans de la politique du Front populaire, me paraît un symptôme extrêmement inquiétant. Sur cette question, il faut élever à temps la protestation la plus sévère, car il ne s'agit ni plus ni moins que de la ligne de clivage entre le bolchevisme et le menchevisme.
 « On dit qu'il serait faux d'exiger l'élimination des radicaux du Front populaire : les masses devraient d'abord faire leur expérience des radicaux. C'est pourquoi il serait préférable d'exiger la prise du pouvoir par le Front populaire dont la seule carence inciterait les masses à accepter nos enseignements, etc. Cette façon de penser est intégralement mencheviste. »

Menchevisme ou bolchevisme, socialisme ou barbarie, tels sont les problèmes posés par la politique de front populaire.


Notes

[1] C'est nous qui soulignons.

[2] Article de Pierre Broué et Nicole Dorey dans Le Mouvement social en France, janvier-mars 1966.

[3] Cité par Pierre Naville, in L'Entre-deux-guerres, éd. EDI..

[4] Marceau Pivert, sur observations directes des militants socialistes de Goodrich, Les Cahiers rouges, janvier 1938.

[5] P. Broué et N. Dorey, op. cit.


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