1980

"Le rassemblement au grand jour des opprimés contre les oppresseurs"
Un exposé de formation publié dans "La Vérité" n°592 (Juin 1980)


La grève générale et la question du pouvoir

Stéphane Just


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Un rôle déterminant dans les processus révolutionnaires à l’époque impérialiste

La révolution russe de 1905 peut être considérée non seulement comme la répétition de la révolution russe de 1917, mais encore comme la préface à l'époque de la révolution prolétarienne mondiale. Dans toutes les révolutions prolétariennes qui ont eu lieu depuis, la « grève de masse », la grève générale, a joué un rôle déterminant dans le processus révolutionnaire. A chaque fois, elle a été l'indispensable « rassemblement des opprimés contre les oppresseurs ».

La Grève Générale en Février 1917 et Novembre 1918

A propos de la révolution de février 1917, Trotsky écrit :

« Le 23 février, c'était la "Journée internationale des femmes". On projetait, dans les cercles de la social-démocratie, de donner à ce jour sa signification par les moyens d'usage courant : réunions, discours, tracts. La veille encore, il ne serait venu à la pensée de personne que cette « Journée des femmes » pût inaugurer la révolution. Pas une organisation ne préconisa la grève ce jour‑là. Bien plus, une organisation bolcheviste, et des plus combatives, le comité du rayon essentiellement ouvrier de Vyborg, déconseillait toute grève. L'état d'esprit des masses, d'après le témoignage de Kaïourov, un des chefs ouvriers du rayon, était très tendu et chaque grève menaçait de tourner en collision ouverte. Mais comme le comité estimait que le moment d'ouvrir les hostilités n’était pas encore venu ‑ le parti n'étant pas encore assez fort et la liaison entre ouvriers et soldats étant trop insuffisante ‑ il avait donc décidé de ne point faire appel à la grève, mais de se préparer à l'action révolutionnaire pour une date indéterminée. Telle fut la ligne de conduite préconisée par le comité à la veille du 23, et il semblait que tous l'eussent adoptée. Mais le lendemain matin, en dépit de toutes les directives, les ouvrières du textile quittèrent le travail dans plusieurs fabriques et envoyèrent des déléguées aux métallos pour leur demander de soutenir la grève. C'est "à contre‑cœur", écrit Kaïourov, que les bolcheviks marchèrent, suivis par les ouvriers mencheviques et socialistes‑révolutionnaires. Mais, du moment qu'il s'agissait d'une grève de masse, il fallait engager tout le monde à descendre dans la rue et prendre la tête du mouvement : telle fut la résolution que proposa Kaïourov, et le comité de Vyborg se vit contraint de l'approuver. " L'idée d'une manifestation mûrissait depuis longtemps parmi les ouvriers mais, à ce moment, personne ne se faisait encore une idée de ce qui en sortirait." Prenons bonne note de ce témoignage d'un participant, très important pour la compréhension du mécanisme des événements. »

Le mouvement est lancé. La grève générale alimente les manifestations. Les manifestations étendent la grève générale. Mais ce ne sont là que les moyens de la mobilisation au grand jour des opprimés. Mouvements de masse, combats partiels avec le patron, début d'armement des masses en lutte, contacts avec les soldats, amènent à la victoire de la révolution lorsque les soldats s'insurgent et passent ouvertement du côté de la révolution. Ainsi, en cinq jours, la monarchie est balayée. L'ouvrier a fait sa jonction avec le paysan sous l'uniforme.

Tout au cours de la révolution russe, en avril, en juin, en juillet, grèves générales et manifestations immenses rassemblent à nouveau les masses à la tête desquelles marche le prolétariat. Ainsi les masses fusion­nent, deviennent un corps, le prolétariat se constitue en classe s'exprimant et agissant. En octobre, l'insurrection bolchevique a l'aspect d'une opération militaire, d'un coup d'État. Mais elle est la plus haute forme de mobilisation ordonnée du prolétariat comme classe. Elle inclut par conséquent la grève générale bien qu'elle la dépasse de loin.

La révolution allemande de novembre 1918 est également précédée de grèves de masse en 1917. La révolution combine soulèvements de métallos et de soldats, grève générale, manifestations de masse, assauts contre les prisons.

« Dans la soirée, les hommes de confiance du parti social‑démocrate dans les entreprises présentent leurs rapports aux responsables : ils sont unanimes à affirmer que, dans toutes les usines, les ouvriers sont prêts à passer à l'action le 9 novembre, et qu'il ne saurait être question de chercher désormais à les retenir. Les appels au combat vont parvenir à des hommes décidés à se battre de toute façon.
La révolution est désormais lancée. Ceux qui la voulaient et cherchaient à la préparer, ceux qui la désiraient mais qui n'y croyaient pas et souhaitaient qu'elle soit provoquée, ceux qui ne la voulaient pas et l'avaient jusqu'au dernier moment combattue, vont, ensemble, prendre le train en marche. Les nouvelles qui parviennent de toutes les régions d'Allemagne dans la nuit du 8 au 9 le confirment : ici les marins, là les soldats lancent des manifestations, tandis que les ouvriers se mettent en grève. On désigne des conseils d'ouvriers et de soldats. Les prisons sont prises d'assaut. Le drapeau rouge, emblème de la révolution mondiale, flotte sur les édifices publics. » (Pierre Broué ‑ Révolution en Allemagne).

Désormais toute véritable crise révolutionnaire verra la combinaison de la grève de masse, de la grève générale, des manifestations, des combats de rue, de l'armement du prolétariat, de la dislocation de l'armée, sinon du passage des soldats du côté de la révolution, cela à des degrés divers.

Ici, il est utile de remarquer que grève générale et grève de masse ne sont pas nécessairement identiques. Rosa Luxemburg montre que, dans la Russie des années précédant la révolution de 1905 et pendant cette révolution, de nombreuses grèves de masse déferlent, qui ne mettent en mouvement qu'une partie ou un secteur du prolétariat. Par contre, en janvier et en octobre 1905 , il s'agit d'authenti­ques grèves générales. Mais les grèves de masse s'intègrent dans le processus révolutionnaire. Elles préparent la grève générale ou la prolongent. Là où, tel un bouillonnement, les grèves de masse déferlent, la grève générale n'est pas loin, bien qu'il se peut qu'elle ne se produise pas. Inverse­ment, toute grève générale n'est pas obligatoirement précédée de grèves de masse. Il est important de ne pas pro­céder par schéma. Une chose est certaine : lorsque des centaines de mil­liers de prolétaires se mettent en mou­vement, que déferlent les grèves de masse, c'est que tout le prolétariat bouillonne, c'est qu'il se produit une fermentation générale à l'intérieur de la classe ouvrière : grève générale et révolution sont à l'ordre du jour.

La grève générale contre le coupo d’État de Kapp

Dans un pays aussi industrialisé que l'Allemagne, la grève générale mon­trera sa redoutable puissance en mars 1920. Elle brisera le coup d'État mili­taire que le général von Lüttwitz a organisé avec la participation de l'état­-major et du représentant des junkers prussiens et des hauts fonctionnaires impériaux. Pierre Broué rapporte :

  « Les insurgés lancent un ultima­tum qui exige la démission d'Ebert et l'élection d'un nouveau président, la dissolution du Reichstag et de nouvelles élections, et, en attendant, un cabinet de techniciens avec un géné­ral au ministère de la Guerre. Noske, qui convoque les chefs militaires non liés au complot dans son bureau à 1 h 30, s'entend répondre qu'il n'est pas question de résister les armes à la main. Le conseil des ministres, réuni à 3 h, décide finalement d'évacuer la capitale, n'y laissant que deux de ses membres, dont le vice‑chancelier Schiffer : avant l'aube, la quasi-totalité du gouvernement et plus de deux cents députés ont pris la route de Dresde, où ils pensent trouver protection auprès du général Maercker.
Aux premières heures de la matinée, les hommes d'Ehrhardt occupent Berlin, hissant le drapeau impérial sur les édifices publics. Installé à la chancellerie, Kapp promulgue ses premiers décrets, proclame l'état de siège, suspend tous les journaux, nomme commandant en chef le général von Lüttwitz. A midi, il peut considérer que tous les états‑majors et toutes les forces de police de la région militaire de Berlin se sont ralliés à son entreprise. Inquiets de l'attitude du général Maercker, les membres du gouvernement ont repris la route, cette fois dans la direction de Stuttgart, où ils pensent pouvoir compter sur le général Bergmann. Au soir du 13 mars, il semble que le putsch l'ait emporté sans effusion de sang puisque, nulle part, ni l'armée ni la police ne font mine de s'y opposer, et les autorités du Nord et de l'Est reconnaissent le nouveau gouvernement.
Pendant que le gouvernement prend la fuite, la résistance s'organise pourtant. Dès le matin, Legien réunit la commission générale des syndicats : à 11 heures, celle‑ci lance le mot d'ordre de grève générale. De son côté, Wels, un des rares dirigeants social‑démocrates à être resté sur place, fait rédiger et imprimer une affiche, qu'il fait suivre des signatures des ministres social-démocrates ‑ qu'il n'a évidemment pas consultés ‑ et qui appelle à la grève générale sur le thème de l'union contre la contre‑révolution et pour la défense de la république. Le parti social‑démocrate indépendant appelle aussi les ouvriers à la grève générale "pour la liberté, pour le socialisme révolutionnaire, contre la dictature militaire et le rétablissement de la monarchie".
Dès le 14 mars, qui est pourtant un dimanche, il est possible de mesurer l'emprise et l'ampleur du mouvement. Les trains s'arrêtent les uns après les autres. A Berlin, à 17 heures, il n'y a plus ni trams, ni eau, ni gaz, ni électricité. Un peu partout éclatent des bagarres entre militaires et ouvriers. La veille, il y a déjà eu des réactions : à Chemnitz, à l'initiative des communistes que dirige Brandler, constitution d'un comité d'action comprenant les syndicats et tous les partis ouvriers : il prend les devants, en l'absence de troupes, constitue une milice ouvrière, l'Arbeiterwehr, qui occupe la gare, la poste, l'hôtel de ville. A Leipzig, les négociations sont entamées entre partis ouvriers, mais les communistes refusent de signer le texte préparé par les autres organisations pour appeler à la grève générale. Dans la nuit du 13 au 14, les premiers incidents violents se produisent à Dortmund, entre la police et des manifestants ouvriers. Le 14, les premiers combats commencent dans la Ruhr. Le général von Watter donne à ses troupes l'ordre de marcher sur Hagen, où les ouvriers s'arment : social‑démocrates et indépendants lancent un appel commun à la grève générale. A Leipzig, les hommes des corps francs ouvrent le feu sur une manifestation ouvrière : il y a vingt‑deux morts, et les combats se poursuivent. A Chemnitz, les organisations ouvrières décident la constitution immédiate d'une milice ouvrière de 3 000 hommes.
( ... ) En fait, dès le 15 mars, le gouvernement Kapp‑Lüttwitz est complètement paralysé. Le socialiste belge Louis De Brouckère écrit :
"La grève générale ( ... ) les étreint maintenant de sa puissance terrible et silencieuse."
Tout est mort dans Berlin, où le pouvoir ne parvient pas à faire imprimer une seule affiche. Au contraire, dans la Ruhr, où le corps franc Lichtschlag s'est mis en mouvement, il a été tout de suite attaqué par des détachements d'ouvriers armés. On se bat, de même, à Leipzig, à Francfort, à Halle et à Kiel. Les marins de Wilhelmshaven se sont mutinés, et arrêtent l'amiral von Leventzow et quatre cents officiers.
( ... ) Dans la Ruhr, un phénomène comparable, mais qui entraîne des masses ouvrières plus nombreuses, donne naissance à ce qu'on appellera l'« armée rouge » : un comité d'action formé à Hagen sous l'impulsion des militants indépendants Stemmer, un mineur, et Josef Ernst, métallo, crée un « comité militaire » : en quelques heures, 2 000 travailleurs en armes marchent sur Wetter, où les ouvriers sont aux prises avec les corps francs.
Le 16 mars, il semble qu'on se batte ou qu'on s'y prépare dans l'Allemagne entière, sauf peut-être dans la capitale, où la supériorité militaire des troupes semble écrasante. L'« armée rouge » des ouvriers de la Ruhr marche sur Dortmund. Les corps francs et la Reichswehr tiennent le centre de Leipzig contre des détachements ouvriers improvisés. A Kottbus, le major Buchrucker donne l'ordre de fusiller sur place tout civil porteur d'armes. A Stettin, où s'est constitué un comité d'action sur le modèle de Chemnitz, c'est dans la garnison qu'on se bat entre partisans et adversaires du putsch.
A Berlin, Kapp, aux abois, négocie avec le vice‑chancelier Schiffer, qui représente le gouvernement Bauer. Kapp accepte dans l'intérêt commun que le général Groener tente une médiation auprès du président Ebert. Mais Ebert ne se presse pas. Kapp, aux prises avec la grève générale, lutte en réalité "contre des problèmes qui dépassent les forces humaines", selon l'expression de Benoist‑Méchin. Son gouvernement est en quelque sorte suspendu dans le vide. Le pain, la viande, commencent à manquer dans la capitale. Le directeur de la Reichsbank refuse de payer les dix millions de marks que lui réclame Kapp. Le 16 mars, à 13 heures, celui‑ci donne l'ordre "de fusiller les meneurs et les ouvriers des piquets de grève à partir de 16 heures". Cette fois, c'est le grand patronat lui-même qui s'émeut devant une mesure qui risque de déclencher la guerre civile; à la tête d'une délégation, Ernst von Borsig en personne assure à Kapp qu'il faut renoncer à la force :
"L'unanimité est si grande au sein de la classe ouvrière qu'il est impossible de distinguer les meneurs des millions d'ouvriers qui ont cessé le travail."
Les ouvriers de la Ruhr ont repris Dortmund à 6 heures du matin. Dans la nuit du 16 au 17, un régiment de pionniers se mutine à Berlin même, emprisonne ses officiers. Il faut l'intervention du fer de lance du putsch, la brigade de marine Ehrhardt, pour obtenir leur libération. Si les putschistes s'obstinent, la guerre civile est inévitable et la victoire ouvrière probable, tant sur eux que sur le gouvernement, dont la base et les possibilités d'action se restreignent d'heure en heure, puisque l'armée, putschiste ou "neutre", a cessé désormais d'être sûre.
Le 17 mars, Kapp, qui a pris conscience de sa défaite, choisit la fuite. Pressé par des officiers plus politiques que lui de mettre fin à l'aventure, le général von Lüttwitz l'imite à quelques heures de distance, laissant même au vice‑chancelier Schiffer le soin de rédiger sa lettre d'explication. Ses adjoints, qui ne répondent déjà plus de leurs troupes, demandent que le commandement soit remis à un général qui ne se soit pas compromis dans le putsch : von Seeckt sera cet homme providentiel. Au total, le putsch n'a pas duré plus d'une centaine d'heures, et il a bel et bien été écrasé par la réaction ouvrière, au premier chef la grève générale.
Mais les conséquences n'en sont pas épuisées. Le même jour en effet éclatent à Berlin les premiers combats armés : échange de coups de feu à Neukölln, construction de barricades par les ouvriers à la porte de Kottbus. A Nuremberg, la Reichswehr tire sur une manifestation ouvrière, faisant vingt‑deux morts et déclenchant en contre‑coup une véritable insurrection. A Suhl, les milices ouvrières s'emparent d'un centre d'entraînement de la Reichswehr et y mettent la main sur un important stock d'armes et de munitions. A Dortmund, la police, contrôlée par les social-démocrates, se range du côté de l'armée rouge, contre les corps francs. Partout la grève générale se poursuit. La question est désormais de savoir si la fuite précipitée de Kapp va permettre de l'arrêter, et à quel prix, ou bien si la vague révolutionnaire imprudemment soulevée par les kappistes conduit à une nouvelle guerre civile. »

La faiblesse et les erreurs du Parti communiste allemand, les hésitations du Parti social‑démocrate indépendant, le rôle que la direction réformiste des syndicats a joué dans le déclenchement de la grève générale permettront que le mouvement soit finalement canalisé et que la grève générale cesse le 22 mars. Un nouveau gouvernement social‑démocrate est formé, que préside Hermann Müller.

Ce même gouvernement Müller confiera au général von Watter le soin de rétablir l'ordre dans la Ruhr et d'y écraser l'« armée rouge ». P. Broué écrit :

« Le 3 avril, les troupes de von Watter se mettent en marche. Elles ne rencontrent qu'une résistance sporadique, le chaos et la discorde entre dirigeants paralysant toute velléité de coordination de la défense. Le comportement des troupes pendant cette récupération du bassin est tel qu'il provoque l'indignation de Severing lui-même. Bientôt les tribunaux militaires vont frapper de lourdes peines de prison les militants ouvriers accusés de crimes ou de délits de droit commun, en réalité mesures de réquisition ou de combat. Un mois après l'écrasement du putsch par la grève générale, les complices des putschistes prennent dans la Ruhr une bonne revanche. »

Legien, le vieux leader syndical réformiste ayant maintes fois condamné le recours à la grève générale, a déclenché la grève générale contre le coup d'État de Kapp. A ce titre, elle mérite que l'on s'y arrête car elle présente un cas particulier, illustrant notamment les contradictions du réformisme, qui peut être caractérisé comme classique. Le même Legien se refuse à lever le petit doigt pour empêcher le massacre de l'« armée rouge » et des ouvriers de la Ruhr par la Reichswehr, alors qu'ils ont joué un rôle considérable au cours de la grève générale qui a écrasé le coup d'État de Kapp.

La grève par « vagues » de 1920 en France

Au cours de toute cette période, la grève générale est un des chaînons dans tous les processus révolutionnaires plus ou moins développés qui se produisirent en Autriche, en Hongrie, en Italie, en Espagne, etc. Il n'est pas possible de s'y arrêter dans le cadre de cet article. Il faut cependant signaler le mouvement gréviste de 1920 en France et la grève générale en Angleterre en 1926.

Au début de l'année 1920, en France, une première grève des cheminots éclate à la suite de la mise à pied de deux jours infligée au cheminot Campanaud pour s'être absenté de son travail afin de se rendre à une réunion syndicale. L'ordre de grève est donné sur le PLM et la compagnie du PLM révoque 500 cheminots. La fédération lance l'ordre de grève générale des cheminots. E. Dolléans écrit :

« A l'appel de grève générale, tous les réseaux, à l'exception de celui du Nord, ont répondu. Au bout de quel­ques jours, l'arrêt du travail est pres­que complet sur toutes les lignes. Le gouvernement décide la mobilisation militaire des cheminots, mais n'ordonne d'abord que celle de trois classes du service actif. La fédération des mineurs, celle des métaux, les dockers votent des ordres du jour de solidarité avec les cheminots; dans les mines de houille du Pas‑de‑Calais, éclatent des grèves partielles. Le gou­vernement ne poursuivit pas jusqu'au bout le geste qu'il avait ébauché. L'enjeu ne lui parut pas justifier le risque. Il décida de faire un geste lui permettant de détacher du bloc gré­viste la majorité des cheminots. Celle-ci ne pouvait se laisser séduire par l'exécution des promesses si longtemps différées. Pour dénouer une grève qu'elle n'avait pas voulue, A. Millerand s'adresse à la fédération des cheminots. La CGT, de son côté, estime le mouvement de grève préma­turé son Conseil économique du travail n’ayant pas encore mis au point un plan de gestion des services publics. Sur l'injonction du président du conseil, la commission Tissier, sortie de son sommeil, a préparé les bases d'un accord éventuel entre les cheminots et les compagnies. M. Millerand offre sa médiation. La fédération des cheminots et les compagnies l'acceptent. Le 1° mars, l'accord est signé et les représentants des cheminots demandent à la commission administrative de la CGT d'y souscrire.
Quelles étaient les conditions de l'arbitrage ? La détermination rapide  des échelles de salaires par la com­mission Tissier, la promesse de fixer le statut des délégués syndicaux. Enfin et surtout, la grève n'entraînera pas de révocations. L'ordre de reprise du travail est lancé; les syndicalistes révolutionnaires critiquent la fédération des cheminots, "la grande responsable   de l'échec de la grève générale". Par contre, ils ménagent la CGT. Même, le 2 mars, le comité de grève fait appel au bureau confédéral et Georges Dumoulin pour qu'il vienne, aux côtés de Monmousseau, affirmer la victoire des cheminots et recommander la reprise du travail. »

Mais, en réalité, la prudence du gouvernement lui est commandée parce que la grève générale des chemi­nots est annonciatrice d'une grève générale de l'ensemble des corporations.

« En avril, au congrès des cheminots, à la salle Japy, le bureau fédéral est mis en cause et condamné. Les conditions de l'accord de mars n'avaient pas été respectées par les compagnies : d'où une irritation naturelle qui explique le vote d'un ordre du jour adressant au gouvernement une mise en demeure. Le président du conseil, alors à San Remo, répond aussitôt en refusant de réviser l'accord signé. Le congrès décide donc la grève immédiate et pose comme revendications : la nationalisation des chemins de fer, la réintégration des cheminots, l'abandon des poursuites judiciaires et la reconnaissance du droit syndical.
  La décision des cheminots, portée à la connaissance de la CGT, est un appel au concours de l'administration confédérale. Les rédacteurs de l'ordre du jour espèrent pouvoir ainsi entraîner les grandes organisations syndicales, "déclencher les vagues successives d'assaut". Mais il faut obtenir l'assentiment de la CGT, car le second ordre du jour a été voté par une majorité plus faible. Une troi­sième motion, votée le 25 avril à Aubervilliers, décide la grève géné­rale de tous les réseaux, mais en lais­sant au nouveau bureau fédéral le soin d'en fixer la date et d'examiner, en accord avec la CGT, si le I° mai doit être le pivot de l'action.
  Le 28 avril, Jouhaux déclare à la commission administrative : « il y a un saut à faire : il faut le faire coura­geusement. Il ne saurait être question  de tendances. Les responsabilités devront être partagées, quelle que soit l'issue de la lutte. La CGT entend se réserver la direction du mouvement ainsi que ses conclu­sions. » En fait, par 28 voix contre 22, le comité fédéral des cheminots avait voté la grève générale pour le 30 avril. Le comité fédéral met ainsi la CGT devant le fait accompli, puisque les ordres de grève sont lancés avant que la commission administrative de la CGT se soit réunie.
Le 1° mai 1920 est fêté par toute la France d'une façon exceptionnelle. Il est suivi de grèves de solidarité dans la région lyonnaise en faveur des che­minots; du 11 au 16 mai, chômage général pour les tramways, à Lyon et à Saint‑Etienne, et dans le bâtiment; dans les mines de Saint‑Etienne, de Montceau‑les‑Mines, chez les métal­lurgistes de Lyon. Grève générale des ouvriers imprimeurs à Lyon; du 17 au 23 mai, les quotidiens n'ont pas paru.
La grève des cheminots se déve­loppe. Des manifestes adoptés par la fédération des cheminots et la CGT réalisent l'accord sur la tactique de la grève, la tactique des vagues successi­ves : mineurs, marins, dockers doi­vent entrer dans la lutte afin de paralyser la vie économique. »

Cela signifie que le bureau confédé­ral est contre la grève générale et en sabote la possibilité au moyen d'une « tactique » qui sera reprise plus tard par les staliniens en novembre­-décembre 1947 (voir dans le n° 589 de « La Vérité » l'article sur la grève Renault).

La grève des cheminots s'effrite. Le 15 mai, la commission administrative de la CGT invite les cheminots à reprendre le travail. La grève est battue ides centaines et des centaines de révocations sont prononcées, des militants syndicalistes‑révolutionnaires sont arrêtés dès le 3 mai. Pierre Monatte, ensuite Levesque, Midol et Monmousseau, le 19 mai. Millerand, l'ancien ministre « socialiste » du gouvernement Waldeck‑Rousseau, intente des poursuites contre les secrétaires confédéraux et demande au parquet la dissolution de la CGT.

Les grèves de 1920 ont une grande importance en ce qu'elles marquent une étape de la lutte des classes en France. Pour la première fois depuis la Commune, un mouvement prolétarien d'une si vaste ampleur a lieu; pour la première fois en termes réels de lutte de classe et non de résolutions et de discours gauchistes de congrès, la grève générale est à l'ordre du jour. Mais aussi l'éclatante démonstration est faite de comment une direction ouvrière peut, au nom de la grève générale, trahir la grève générale.

La Grève Générale en Angleterre

De cela, la grève générale anglaise fournit un autre exemple. Comme souvent, cette grève générale est venue de loin. Ses origines profondes sont dans la crise qui étreint l'impérialisme anglais, qui était encore avant la guerre l'impérialisme dominant et dont la dégringolade est commencée et se précipite. (Voir « Où va l'Angleterre ? » de Trotsky.) Mais il se bat pour conserver sa position et en faire supporter les conséquences à la classe ouvrière anglaise. En septembre 1919 éclate la grève des 500 000 cheminots anglais. En lançant l'ordre de grève, J. H. Thomas, secrétaire du syndicat des cheminots, déclare :

« C'est le jour le plus triste de ma vie. J'ai tout fait pour trouver un moyen de conciliation et j'ai échoué. »

Edouard Dolléans écrit dans son « Histoire du mouvement ouvrier (1871‑1936) » :

« Le 27 septembre, le trafic est complètement paralysé. Mais des navires de guerre viennent mouiller à l'embouchure de la Tamise; des soldats, baïonnette au canon, parcourent les rues de Londres. Les cheminots ont fait appel à la solidarité ouvrière. A Leeds, 1 500 postiers refusent de participer au transport des lettres par automobiles. L'opinion générale des grandes corporations ouvrières est favorable aux cheminots. Les compagnies font appel au recrutement de volontaires; seulement, le 1° octobre, il n'y a que huit cents trains en service, soit 2 % du service normal. Des usines sont obligées de fermer, faute de charbon; des mines cessent de travailler, parce que le charbon n'est pas enlevé.
J.‑H. Thomas a voulu conserver à la grève son caractère corporatif; il a refusé l'aide des employés de tramways et omnibus de Londres, celle aussi des électriciens. Cependant, peu à peu, la grève a une tendance à se généraliser. Le 1° octobre, les organisations des transports, des postiers, de l'industrie du livre, des mécaniciens‑constructeurs de navires, à la suite d'une réunion, décident d'envoyer une délégation au Premier ministre. Celui‑ci pose, comme condition préalable à toute négociation, la reprise du travail. Les cheminots refusent. Une nouvelle réunion des grandes corporations ouvrières a lieu. Leur pression amène le gouvernement a trouver un compromis. La grève avait duré neuf jours et n'avait été qu'une grève corporative, qui n'avait pas permis d'amorcer la grève générale. »

Mais celle‑ci est à l'ordre du jour. L'industrie minière a été une des composantes de la domination de l'industrie britannique au XIX° siècle. Au lendemain de la Première Guerre mondiale, elle est en pleine crise, entre les mains de centaines de sociétés privées, et incapable de supporter la concurrence étrangère. Les 800 000 mineurs réclament la nationalisation des mines. Pendant l'hiver 1920, ils se prononcent, par 524 000 voix contre 346 000, pour la grève générale.

« Mais, le 11 mars 1920, le congrès syndical extraordinaire réuni à Londres pour obliger le gouvernement à procéder à la nationalisation des mines écarte la proposition de grève générale soumise par les mineurs. A l'action syndicale comportant la grève générale, que préconisent Frank Hodges, secrétaire de la fédération des mineurs, et Tom Mann, secrétaire de la société des mécaniciens, le congrès, à une grosse majorité, préfère l'action parlementaire préconisée par J.‑H. Thomas, appuyé par Tom Shaw, des textiles, et J.‑R. Clynes, des ouvriers non qualifiés. Ceux‑ci justifient leur attitude par le revirement de la majorité syndicale anglaise :
"Au lendemain des élections générales kaki, les mineurs avaient eu avec eux, pour la grève générale, la masse syndicale, le centre qui suit tantôt un courant, tantôt un autre. Aujourd'hui, après la série des succès électoraux travaillistes aux élections partielles, le centre est contre eux et suit les politiciens partis à la conquête de la Chambre des communes.
Pourquoi l'aventure risquée d'une grève générale, quand nous avons à notre portée un moyen plus simple, moins coûteux et certainement pas aussi dangereux ? Nous devons montrer aux travailleurs que la voie saine, c'est d'user intelligemment du pouvoir que leur offre la Constitution la plus démocratique du monde et qui leur permet d'obtenir tout ce qu'ils désirent." (J.‑H. Thomas.)
J.‑H. Thomas, par son influence, fait échec aux syndicalistes qui escomptaient le succès d'une grève générale grâce au jeu de la triple alliance. » (La triple alliance est composée des fédérations des cheminots, des mineurs et des transporteurs. NDLR.)

En 1921, à nouveau les mineurs sont prêts à la grève. Les compagnies décident en effet de substituer aux négociations nationales sur les salaires des négociations régionales. Pour prévenir la grève, elles décident le lock‑out. Une fois encore, les mineurs font appel à la « triple alliance ». Mais les dirigeants « négocient » avec le Premier ministre et refusent d'appeler à la grève générale. Ou plutôt :

« Après avoir lancé l'ordre de grève générale le vendredi 15 avril 1921 ( ... ), le secrétaire général des cheminots J.‑H. Thomas recule et annule cet ordre. Nouvel échec qui aboutit à l'écrasement des mineurs, laissés à leurs propres forces. »

En 1926 la charge accumulée va exploser. Les compagnies houillères veulent imposer une baisse des salaires. En même temps, la commission d'enquête sur la situation des mines concluait au rachat des compagnies minières, à leur fusion et à leur gestion sous le contrôle du gouvernement. A.J. Cook, alors secrétaire général de la fédération des mineurs, lance le slogan : « Ni un penny sur la paie, ni une seconde sur la journée », et rejette le rapport de la commission. C'est notamment pour maintenir la parité-or de la livre que le gouvernement et le patronat se livrent à une offensive anti‑ouvrière qui touche plus particulièrement les mineurs, mais aussi toutes les corporations. Les masses veulent la grève générale. Le Trade union council (TUC) décide alors de lancer l'ordre de grève générale. Mais, dès le départ, comment agit‑il ? Retenons le témoignage de Henry Pelling dans son « Histoire du syndicalisme britannique », précisément parce qu'il est favorable à la direction du TUC.

« Le conseil général n'avait commencé ses préparatifs qu'une semaine avant la cessation du travail. Cependant, les dispositions prises étaient au fond raisonnables, et on ne peut mettre leur succès en doute. En plus du million de mineurs déjà en grève, un million et demi d'ouvriers cessèrent le travail. C'étaient tous les ouvriers des transports, les imprimeurs de livres et de journaux, certains ouvriers du bâtiment, ceux du fer et de l'acier, des produits chimiques lourds et de la production d'énergie. Parmi ceux qui furent autorisés à poursuivre le travail, on trouve les ouvriers du textile et les employés des postes. Les ouvriers de l'industrie mécanique et des chantiers maritimes ne cessèrent le travail qu'au bout d'une semaine.
Ce n'était donc pas à proprement parler une "grève générale", et le conseil général refusa de lui donner ce nom : néanmoins, du fait qu'elle était beaucoup plus "générale" que toutes les grèves précédentes ou à venir, on l'a toujours appelée ainsi. »

Ainsi donc, le conseil général du TUC limite le plus qu'il lui est possible l'étendue de la grève générale. Pourtant :

« Il n'y avait pratiquement ni bus, ni trams, ni métros; les docks, les hauts fourneaux et les centrales électriques devinrent aussi silencieux que les puits de mines. Les journaux avaient fermé leurs portes, et le gouvernement dut d'abord compter sur la BBC pour la diffusion des nouvelles : bientôt fut publié un journal officiel appelé "British Gazette". Dans les régions non industrielles du pays, la vie n'était guère changée, mais, dans tous les grands centres, c'était une expérience étrange et même irréelle. »

Un seul journal paraît, le « British Worker », que publie le Trade union council. Le gouvernement s'organise comme pour une guerre civile. Mais de l'autre côté, les membres du conseil général

« n'avaient aucun dessein révolutionnaire, ils redoutaient tout autant que le gouvernement une situation de chaos politique; et, à mesure que le temps passait et que le gouvernement continuait à assurer le transport des produits essentiels, ils ne voyaient pas d'autre solution que la reprise des négociations. Plusieurs d'entre eux, J.‑H. Thomas en particulier, avaient peur de perdre le contrôle de leurs partisans et d'être entièrement dépassés par les événements; ils étaient donc d'autant plus soucieux de saisir n'importe quelle occasion de reprendre contact avec le cabinet ».

Plus haut, Henry Pelling explique :

« Au début, le conseil général avait essayé d'exercer un contrôle global sur la grève pendant qu'il siégeait en session plénière au bureau du TUC, à Eccleston Square. Mais, dans les vingt‑quatre heures, Ernest Bevin, bien qu'il fût nouveau venu au conseil, avait pris l'initiative de persuader ses collègues de confier diverses responsabilités à des sous‑commissions, sous le contrôle suprême d'un petit comité d'organisation de la grève. Lui-même, en tant que secrétaire général du syndicat clé, la Transport and General workers union, faisait partie de ce comité.
Pendant ce temps, dans toutes les villes et cités de province, des comités de grève locaux voyaient le jour, généralement sous l'égide des conseils de métier. Souvent ils adoptèrent le titre militant de "comités d'action ". Les communications entre eux et Eccleston Square étaient maintenues grâce à des messagers et aussi, à partir du 5 mai, par un journal spécial publié par le conseil général, le "British Worker". »

Henry Pelling poursuit :

« Cette occasion fut fournie par le retour de l'étranger de Sir Herbert Samuel, président de la commission royale de 1925. Samuel se mit en rapport avec Thomas et avec les membres du cabinet; et bientôt il rencontrait un comité de négociation du conseil général et essayait de mettre au point une solution acceptable pour les deux parties. Il dressa un mémorandum pour le règlement de la grève des mineurs selon les directives de ce comité; et le comité accepta. Malheureusement, aucun responsable des mineurs ne faisait partie du comité : le comité exécutif de la fédération des mineurs avait quitté Londres, et ce ne fut que plus tard qu'il eut l'occasion de voir le mémorandum de Samuel : ils le rejetèrent, comme on pouvait s'y attendre. Cela n'empêcha pourtant pas le comité de négociation de poursuivre ses efforts dans la même direction; au contraire, ayant découvert que l'attitude des mineurs était complètement négative, ses membres se sentirent dégagés de l'obligation de les consulter à l'avenir. En fait, ils se hâtèrent de persuader le conseil général d'arrêter la grève sur la base du rapport de Samuel; et, sans s'assurer que le gouvernement avait pris des engagements avec lui, ils envoyèrent immédiatement une délégation au 10, Downing Street, pour annoncer cette décision au Premier ministre. Bevin, qui faisait partie de cette délégation, mais n'était pas membre du comité de négociation, essaya d'obtenir des engagements concernant la réintégration des grévistes et la suppression des lock‑out par les propriétaires des mines; mais les réponses de Baldwin furent délibérément vagues, et Bevin commença à comprendre que la reprise du travail n'était en somme qu'une reddition sans conditions. En sortant, il dit à ses collègues J.‑H. Thomas et Arthur Pugh, président du conseil général : "Il y a quelque chose qui ne va pas. " Mais il était trop tard pour reculer : la décision avait été prise. C'était le 21 mai, le neuvième jour de la grève.
L'ordre de reprendre le travail surprit de nombreux grévistes, mais le comité de négociation essaya de dissimuler le fait qu'il s'agissait d'une reddition. Le "British Worker" publia ce "chapeau" trompeur : "Les conditions de paix : les mineurs ont eu un contrat honnête." Ceux qui reprenaient le travail subirent bientôt des brimades, si bien que l'étonnement fit place à la colère : ils se mirent en grève à nouveau, et, pendant quelques jours, la situation du pays fut aussi instable qu'auparavant. Peu à peu, les ouvriers comprirent que leurs neuf jours de solidarité s'étaient terminés par une défaite humiliante. Quant aux mineurs, ils restèrent en grève, se sentant trahis tout comme en 1921. »

La grève des mineurs britanniques s'est prolongée plusieurs mois : jusqu'à épuisement. A bout de ressources, les mineurs ont dû reprendre le travail. Il faut signaler ce que Trotsky écrit dans « L'Internationale communiste après Lénine » à propos du comité que la direction des syndicats de l'URSS avait constitué avec la direction du TUC :

« La grève générale avait pour but d'exercer, par la force de cinq millions d'ouvriers, une pression unie contre les industriels et l'État, puis­que la gestion de l'industrie charbonnière était le problème le plus important de la politique de l'État. A cause de la trahison de la direction, la grève fut sabotée dès la première étape. C'était une grande illusion que de croire qu'après cet échec la grève économique des mineurs, seule, isolée, obtiendrait ce que la grève générale n'avait pas obtenu. C'est en cela que résidait la force du conseil général. Par un froid calcul, il mena les mineurs à la défaite; et des masses considérables d'ouvriers auraient dû se convaincre que les directives des Judas du conseil général étaient "justes" et "raisonnables" !
Le maintien de la coalition amicale avec le conseil général et l'aide don­née en même temps à la grève écono­mique des mineurs contre laquelle il intervenait paraissaient des manœuvres calculées pour que ceux qui se trouvaient à la tête des Trade unions pussent se tirer, avec un minimum de pertes, des épreuves les plus pénibles.
Les syndicats russes, du point de vue révolutionnaire, jouèrent un rôle très désavantageux et vraiment piteux. C'était un devoir évident d’aider à la grève économique, même quand elle fut isolée; entre révolu­tionnaires, il ne peut y avoir là‑dessus d'opinions divergentes. Mais ce secours devait avoir non seulement un caractère financier, mais aussi un caractère révolutionnaire et politi­que. La direction syndicale russe devait dire franchement à la fédéra­tion des mineurs et à la classe ouvrière anglaise que la grève des mineurs n'avait de sérieuses chances de réussite que si, par son obstina­tion, sa ténacité, son envergure, elle était prête à frayer la voie à une nou­velle explosion de la grève générale. On ne pouvait arriver à un tel résultat qu'en luttant directement et ouverte­ment contre le conseil général, agence du gouvernement et des patrons char­bonniers. La lutte pour la transfor­mation de la grève économique en grève politique aurait dû signifier une guerre furieuse contre le conseil géné­ral sur le terrain de la politique comme sur celui de l'organisation; le premier acte devait en être la dispari­tion du Comité anglo‑russe, devenu un obstacle réactionnaire, un boulet que l'on traînait au pied.
Aucun révolutionnaire qui pèse ses paroles n'affirmera que dans cette voie la victoire était assurée. Mais ce n'est que dans cette voie qu'elle était possible. La défaite éventuelle aurait été une défaite essuyée sur un chemin qui pouvait par la suite conduire au triomphe. Une telle défaite instruit, c'est‑à‑dire renforce les idées révolutionnaires dans la classe ouvrière. Au contraire, en ne soutenant que financièrement une grève corporatiste, qui traîna en longueur et finit par apparaître comme sans issue (corporatiste dans ses méthodes, elle était révolu­tionnaire et politique par ses buts), on ne fit qu'amener de l'eau au mou­lin du conseil général, qui attendait tranquillement que la grève s'achevât par épuisement pour prouver qu'il avait "raison". »

D'autres grèves, comme la grève générale de juin 1936 en France, présentent un intérêt considérable. Il n'est pas nécessaire d'en reprendre l'analyse : un important matériel existe à son propos que les militants peuvent étudier dans « Fronts populaires d'hier et d'aujourd'hui ». La révolution espagnole de 1936 s'est annoncée par de puissantes grèves de masse dans les villes et des occupations de terres à la campagne. Le coup d'État militaire de Franco l'a précipitée. Sur ce point un important matériel existe, notamment « La Révolution et la guerre d'Espagne » de Pierre Broué et Emile Témine.

Certes, la grève générale n'est pas la seule voie qui débouche sur la révolution prolétarienne. Pendant la Deuxième Guerre mondiale, le mouvement des partisans yougoslaves, en 1947‑1950, la guerre révolutionnaire en Chine, la guerre révolutionnaire que le Parti communiste vietnamien a dirigée contre l'impérialisme français de 1946 à 1954 et ensuite contre l'impérialisme américain, participaient des méthodes et des moyens de lutte contre l'impérialisme et la bourgeoisie. La grève générale n'a pour autant rien perdu de son importance décisive du point de vue de la mobilisation des masses, de l'ébranlement et de la dislocation de la société et de l'État bourgeois. La guerre révolutionnaire n'exclut pas la grève générale, ni la grève générale la guerre révolutionnaire. Les grèves de masse en mars 1943 et en mars 1944 en Italie du Nord ont annoncé la chute du fascisme et engagé le puissant mouvement révolutionnaire qui a secoué l'Italie à la fin de la guerre, tandis que se constituait un important mouvement de partisans. D'autres exemples existent.


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