1919

Source : numéro 26/27 du Bulletin communiste (première année), 26 août 1920. Une version anglaise de ce texte a été publié dans The call en septembre 1919.


Le Japon et la Russie soviétiste

Sen Katayama


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L'Oriental Economist de Tokio, le seul journal avancé et populaire du Japon, a publié une série d'articles sur le gouvernement bolchevik russe qu'il sera intéressant pour les socialistes de connaître. Ce journal n'a jamais attaqué le gouvernement soviétiste ; au contraire, à maintes reprises, il a fait des tentatives énergiques pour déterminer le Japon à reconnaître ce gouvernement. C'est ainsi que dans le numéro du 25 juillet, on peut lire un article, intitulé : « Reconnaissez le gouvernement bolchéviste ». « N'oubliez pas que la Russie doit renaître ! ». Le numéro du 15 août contient un article intitulé : « Les armées alliées évacuent Vladivostok ». Dans cet article, ce journal se livrait à une critique sévère de la politique du Japon et des Etats-Unis à l'égard de la Sibérie et posait cette question : « Quels sont les Russes qui acceptent avec joie le secours des alliés ? » Le 15 septembre ce même journal oubliait un article intitulé : « Retirez nos armées de Sibérie ! » Ce journal s'est toujours opposé à l'intervention japonaise en Sibérie : il s'est constamment prononcé pour la reconnaissance du pouvoir soviétiste. Nous estimons utile de faire connaître à nos lecteurs le contenu d'un article publié dans le numéro du 5 avril et intitulé : « Le dépérissement de l'armée japonaise en Sibérie » :

Lors de l'attaque lancée contra les bolcheviks, les pertes ont été de 301 soldats tués et 158 blessés. Un bataillon fut complètement anéanti.
Contre l'intervention, un fort mouvement se manifeste actuellement dans les masses populaires du Japon. Nos soldats périssent par centaines sur les champs de bataille de Sibérie. L'échec de notre politique sibérienne est complet. Nos troupes doivent être rappelées a tout prix. Nous avons commencé par prêter main forte aux Tchéco-Slovaques ; ce but atteint, notre politique passa à l'offensive et se donna un nouveau but : le renversement du gouvernement bolchéviste. Nous prétendons que cela signifie bien une intervention dans les affaires intérieures russes.
M. Ouchida, ministre des Affaires Étrangères, a déclaré au Parlement : « Le premier but assigné à nos armées est atteint, mais nous ne pouvons pas les rappeler aussi longtemps qu'elles n'auront pas rétabli l'ordre et la tranquillité dans les régions occupées ». Qu'entend-on par le rétablissement de l'ordre et de la tranquillité ? M. Ouchida s'est exprimé ainsi : « Notre politique ne représente nullement une intervention dans la politique intérieure de la Russie, mais il est indispensable pour rétablir l'ordre et la paix de chasser les bolcheviks ». Quelles sont les régions occupées par nos armées ? Le ministre de la Guerre a donné cette réponse : « Nos armées maintiennent l'ordre et assurent la garde de la voie ferrée sur un front de 4 000 milles anglais ; elles continueront à assumer cette tâche dans l'avenir le long de cette ligne ainsi que dans les régions attenantes ; notre but est de reconstituer la Russie en soutenant le gouvernement d'Omsk1. Nous considérons que les partisans de ce dernier sont des modérés et que le soutien qui leur sera accordé contribuera au maintien de l'ordre. Toute résistance opposée à nos années sera pour ces raisons, réprimée par la force ».
C'est l'évidence même que notre politique sibérienne se résume en un soutien militaire du gouvernement d'Omsk. Nous nommons ceux que nous reconnaissons des « modérés », et ceux qui sont contre eux, des bolchéviks. Notre façon de rétablir l'ordre et la légalité consiste à chasser les bolcheviks. Et malgré tout cela, le ministre des Affaires Etrangères affirme que nous n'intervenons pas dans la politique intérieure de la Russie. Que fait donc notre armée, si ce n'est, en réalité, une intervention armée dans la politique intérieure de la Russie où ses opérations militaires se développent sur une étendue de 4 000 milles. Dans toute cette région aucune politique intérieure russe n'est tolérée. Et il n'est pas un seul Russe ici qui ne nous considère comme ses ennemis et qui ne nous soit hostile.
Qu'est-ce que tout cela, sinon une intervention dans la politique intérieure russe ? Partout, il y a et il y aura toujours des mécontents. Et les modérés dont parle notre ministre ne sont rien de plus que des mécontents, car la majorité de la population russe est bolchevique. Plus notre armée prolongera son séjour en Sibérie, plus les Russes nous seront hostiles. Nous ne pouvons faire mieux que de rappeler le plus vite possible notre armée de Sibérie. D'ailleurs il nous suffira de la rappeler pour que le gouvernement d'Omsk soit immédiatement renversé par les bolcheviks. Au cours de cette intervention, nos soldats périssent pour une cause qu'ils ne comprennent pas ; les frais militaires de cette entreprise c'est de l'argent perdu. Les partes que nous subissons du fait de notre politique nous affligent profondément. En rappelant notre armée, en évitant une effusion de sang inutile, nous mettrons fin par cela même à l'hostilité de la Russie a notre égard.

C'est ainsi que les meilleurs éléments de la population japonaise envisagent la situation.

La politique sibérienne du gouvernement japonais est soutenue par tous les alliés, y compris l'Amérique. C'est la politique de la pire des violences.

Pour MM. les Alliés le peuple russe se compose exclusivement de la classe bourgeoise, en lutte contre les bolcheviks, et qui fait tout son possible pour vendre la Russie aux capitalistes étrangers. Il est un proverbe japonais qui dit que : « la voix du peuple fond l'acier » ; ces paroles montrent la force de l'opinion publique ; en échange il en est un autre qui dit : « la foi triomphe de tout ».

Afin d'induire en erreur l'opinion publique, au cours des deux dernières années, les bruits les plus ineptes et les pires calomnies ont été systématiquement répandus dans le monde entier sur la république soviétiste et sur les événements de Russie. Tous ces mensonges habilement combinés par les capitalistes et leurs laquais, les journalistes « ces serviteurs de la vérité » et ces adeptes du Christ, peuvent pendant un certain temps tromper quelques esprits peu clairvoyants, mais ils sont pareils à un édifice bâti sur le sable ou à un nuage voilant le soleil. Ils s'effondreront rapidement et se disperseront sous l'action de la vérité. En dépit de toutes ces calomnies mensongères, l'humanité apprendra bientôt la vérité sur la Russie et la République soviétiste. Nous savons que toutes les belles phrases sur le but et l'idéal élevé de la guerre et de la paix actuelles basées sur le droit des peuples à se gouverner eux-mêmes, ne sont que des paroles creuses. Les gouvernements capitalistes et leurs diplomates sont incapables d'établir une paix durable entre les peuples. C'est un fait établi. La seule paix durable possible est celle qui fut proposée par les bolcheviks par la voix de Lénine et de Trotsky lorsqu'il créèrent le gouvernement soviétiste. Telle est du moins l'opinion unanime de la grande majorité des peuples et je suis heureux de pouvoir affirmer que les socialistes japonais en sont fermement convaincus. Ils connaissent parfaitement le vrai peuple russe et sont prêts à le soutenir par tous les moyens en leur pouvoir.

Note

1 Le gouvernement contre-révolutionnaire de l'amiral Koltchak.


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