1920

Source : numéro 44/45 du Bulletin communiste (première année), 25 novembre 1920, précédé de l'introduction suivante : « Afin de faire la lumière sur la tactique des communistes allemands pendant le coup de main militaire de von Kapp, nous publions trois documents importants, trois lettres des camarades Paul Lévy (alors emprisonné), Clara Zetkin, E. Meyer, tous les trois membres influents du Comité central du Parti communiste allemand.
La passion dont elles sont empreintes — et surtout celle du camarade Lévy qui, soulignons-le, écrivait entre les quatre murs d'une cellule, — est bien compréhensible.
Nos ennemis se réjouiront certainement des désaccords survenus alors au sein du Parti communiste allemand. Grand bien leur fasse ! Les communistes n'ont jamais craint de se critiquer eux-mêmes.
La critique publique des fautes du Comité central du Parti communiste allemand ne pourra que faciliter aux membres du Parti ouvrier communiste allemand la fusion avec nos camarades au sein d'un Parti communiste unique. »

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Sur la   « déclaration  de   loyalisme » du  Parti  Communiste

Ernst Meyer

Lettre ouverte au Comité Exécutif de l'Internationale Communiste


Chers camarades,

Du fait que vous avez été mis au courant des désaccords de tactique survenue au sein du Comité Central du Parti Communiste Allemand, au cours de la « semaine de Kapp » et attendu que de semblables désaccords ont une importance énorme pour le stade donné de la révolution prolétarienne dans chaque pays, je crois de mon devoir de vous communiquer brièvement la substance des discussions qui s'élevèrent à ce sujet.

Il est un fait certain que la faiblesse d'organisation du Parti Communiste à Berlin fut une des causes pour laquelle le Comité Central dans son manifeste du 13 mars, annonça qu'il renonçait à participer à la grève générale déclarée par les syndicats et par le gouvernement de Noske. Mais seuls quelques camarades du Comité Central assistaient à la discussion qui eut lieu lorsqu'il s'est agi de fixer le texte de ce manifeste.

Bien que dans l'Allemagne centrale, à Erfurt, le parti même fût faible, les camarades précités entraient immédiatement en action avec les mots d'ordre :« Grève générale », « armement du prolétariat », « élection des Soviets Ouvriers ». Déjà le 14 mars, les membres du Comité Central qui, au début étaient pour une politique expectante, comprirent eux-mêmes leur faute, et dans un autre manifeste préconisèrent la participation à la grève générale, son renforcement, de même que la création des Soviets Ouvriers. Il n'est pas possible de nier que le refus erroné de prendre part à la lutte contre Kapp eut des conséquences défavorables. Cela devint évident lorsqu'à la fin de la première semaine de la grève, le syndicat unifié (Leghien et ses partisans, et la commission berlinoise des syndicats, dirigée par l'indépendant Rull) conseillèrent d'arrêter la grève.

Cette trahison des leaders des syndicats se produisit juste au moment où les ouvriers du bassin de la Ruhr obtenaient de grands succès militaires, qui correspondaient, il est vrai, à la gêne dans leurs foyers de même qu' « au front » où ils souffraient de la pénurie des vivres. Ainsi il fallait empêcher la jonction des unités de la garde blanche en prolongeant la grève à Berlin et en la reprenant en province (dans l'Allemagne dru Sud, la Saxe et dans les ports de Hambourg, de Lübeck, de Brème). On pouvait obtenir ce résultat à l'aide de la grève seule, sans avoir recours à un soulèvement armé. Au Comité Central de grève, dans lequel entraient les représentants du Parti Socialiste Indépendant, du Parti Communiste Allemand et du Parti Communiste Ouvrier, seuls quelques camarades isolés menèrent une vive polémique contre la gauche du Parti Ouvrier Indépendant au sujet de ses objections contre l'entrée de la droite dans son gouvernement « purement socialiste ».

Les camarades affirmèrent que :

  1. Il est impossible de continuer la grève ;

  2. La grève a déjà amené un changement si profond dans la corrélation des forces entre les masses ouvrières et les patrons, que la formation d'un gouvernement de coalition bourgeois-socialiste n'est plus possible et qu'un gouvernement purement socialiste refléterait d'une façon adéquate la nouvelle corrélation des forces ;

  3. La formation d'un gouvernement purement socialiste dépend uniquement de cette question : est-ce que la gauche du Parti Indépendant Socialiste réitérera ses objections contre l'entrée de la droite dans le gouvernement ? C'est pourquoi le Comité Central du Parti Communiste Allemand doit influencer le Parti Socialiste Indépendant en « déclarant son loyalisme ».

Ces trois affirmations péchaient par la base, et c'est ce qui découle du développement ultérieur des événements.

  1. Il n'est pas douteux qu'il eût été possible de continuer la grève à Berlin jusqu'au mardi de la seconde semaine du mouvement gréviste, lorsque la décision du Comité Central du Parti Socialiste Indépendant vint surprendre les ouvriers en grève. Après cela seulement, le Soviet Ouvrier bérlinois (assemblée générale des Soviets révolutionnaires industriels, élus car les groupes industriels, c'est-à-dire par l'assemblée des Soviets de fabriques) dédire par l'assemblée des Soviets de fabriques) décida à une majorité insignifiante la cessation de la grève. En province, les rapports des courriers signalaient que dans nombre d'endroits, les ouvriers étaient prêts à recommencer la grève en faveur des ouvriers russes.

    Dans la plupart de ces localités, la grève n'avait pas duré plus de 2 à 3 jours et c'est pourquoi au moment en question les forces pour une longue lutte n'étaient pas encore épuisées. A Erfurt, la grève se prolongea deux semaines encore en dépit de la défaite militaire ;

  2. Par suite de la cessation de la grève, la corrélation des forces se montra défavorable aux ouvriers. En province, l'armement des ouvriers ne fut que des cas isolés. En Bavière, la réaction de Kapp (le ministère Kopp) remporta une victoire complète. Des forces contre-révolutionnaires se concentraient dans toute l'Allemagne du Sud et dans la Prusse orientale. Les socialistes de droite et les syndicats cherchaient obstinément a maintenir la coalition avec la bourgeoisie, coalition masquée par le remplacement des anciens ministres par les représentants des ouvriers. Ainsi un gouvernement « purement ouvrier » succéda à la coalition bourgeoise socialiste.

    Mais, pour la formation d'un gouvernement « purement socialiste » il ne manquait précisément que les « prémisses indispensables », c'est-à-dire l'armement des masses ouvrières et le renoncement à la coalition avec la droite du Parti Socialiste . Justement, l'examen par le Comité Central du Parti Communiste allemand de la question de la formation du gouvernement détourna les ouvriers de leur tâche principale : la continuation de la lutte. Les ouvriers appartenant au Parti Socialiste indépendant déclarèrent au Comité Central de grève au début de la deuxième semaine du mouvement gréviste qu'avant de donner plus d'ampleur à la lutte, ils voulaient attendre le résultat des pourparlers du Comité Central du Parti Socialiste indépendant avec les syndicats concernant la formation du gouvernement afin de trancher ensuite la question soulevée par la proposition Meyer ;

  3. Tout ce qui vient d'être exposé au § 2 est démenti par l'affirmation du Comité Central (§ 3) que l'objection de la gauche fut le principal obstacle à la formation d'un gouvernement « purement socialiste ». Tandis que la droite du Parti Socialiste Indépendant s'efforçait de maintenir l'intégrité de ce Parti au moyen de concessions à la gauche, nos camarades s'employaient à empêcher la scission menaçante du Parti Socialiste Indépendant, en conseillant amicalement à la droite d'accepter le point de vue démocratico-parlementaire de la droite ; les camarades supposaient que la droite en entrant dans le gouvernement allait se compromettre et qu'elle provoquerait ainsi la scission du Parti Socialiste Indépendant, mais ils ne tenaient pas compte que la droite acquerrait de ce chef un prestige moral, tandis que la gauche serait mise dans l'entière dépendance de la droite.

    Et effectivement, a partir de ce moment, la gauche devint bien plus faible, elle perdit son ancienne influence et sa volonté ferme pour une activité énergique.

Les objections contre « la déclaration de loyalisme » peuvent se résumer ainsi :

  1. Le moment de la « déclaration de loyalisme », ne fut pas exactement fixé ;

  2. La « déclaration » loin d'amener à la formation d'un gouvernement purement socialiste et d'accélérer cette formation, la retarda plutôt ;

  3. Le Parti Communiste ne se donnait pas pour tâche de détourner les ouvriers des buts réels de la lutte (armement des ouvriers et désarmement de la bourgeoisie) avant la fin de celle-ci et d'affaiblir l'activité des ouvriers en alléguant le prochain, déplacement des forces : formation d'un nouveau gouvernement ;

  4. Par suite de l'exacerbation de la lutte de classe en Allemagne, il est tout a fait invraisemblable que la formation de quelque chose de moyen (Mittelding) entre la dictature du prolétariat et la bourgeoisie sous forme d'un « gouvernement purement socialiste » puisse en général s'effectuer et être viable. Après l'expérience faite avec le Soviet des Délégués du Peuple pris au sein du Parti Socialiste Allemand et du Parti Socialiste Indépendant, aux mois de novembre et de décembre 1918. il fallait s'attendre à ce que la bourgeoisie répondit à la formation d'un gouvernement pareil par la lutte de classe sur tous les fronts. Les masses révolutionnaires ouvrières, y compris la plus grande partie du Parti Socialiste Indépendant, sont plus qu'incrédules quant à la coalition avec le Parti Socialiste Allemand. Il devient ainsi évident, que le moment de répit pour l'action pacifique du Parti Communiste Allemand, répit dont il est question dans la « déclaration de loyalisme », ne se produira pas :

  5. Le Parti Communiste Allemand considère qu'il n'entre nullement dans ses devoirs d'inciter les autres partis ouvriers à remplir leurs tâches historiques temporaires telles que la lutte contre les illusions parlementaires, bourgeoises et démocratiques. La tâche du Parti Communiste Allemand doit être d'indiquer la route qui mène au-delà des limites du stade révolutionnaire contemporain. Les appels peuvent naturellement avoir un caractère provisoire, mais ils ne doivent nullement entrer en contradiction avec les principes du communisme, comme par exemple, le principe du gouvernement « purement socialiste » opposé à la dictature des Soviets. Mais en revanche les mots d'ordre suivants sont tout à fait de mise : « La liberté de la presse révolutionnaire », « armement des masses ouvrières », « démobilisation de toutes les troupes bourgeoises » « paix avec la Russie des Soviets », etc.

Le Comité Central et le Congrès du Parti ont condamné presque unanimement « la déclaration de loyalisme », et dans le centre du Parti, dans une séance plus nombreuse, la majorité ne se prononça pas en faveur de cette déclaration. Malgré tout la question n'a rien perdu de son importance.

Salut Révolutionnaire.

Ernst Meyer


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