1917

«Pravda» n° 174, 13 novembre (31 octobre) 1917
Conforme au texte de la «Pravda»

Œuvres t. 26, pp. 278-282, Paris-Moscou,


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Lénine

Réunion des représentants des régiments de la garnison de Pétrograd

29 octobre (11 novembre) 1917 [1]

Compte rendu de presse


 

un

RAPPORT SUR LA SITUATION ACTUELLE

Il convient de ne pas s'arrêter longuement sur la situation politique. La question politique est aujourd'hui très étroitement liée à la question militaire. Il n'est que trop clair que Kérenski a recruté les korniloviens ; en dehors d'eux, il n'a personne sur qui s'appuyer. A Moscou, ils se sont emparés du Kremlin ; mais la banlieue, où vivent les ouvriers et en général la partie pauvre de la population, n'est pas en leur pouvoir. Au front, Kérenski n'a personne pour lui. Même les éléments hésitants, comme par exemple les membres du syndicat des cheminots, se sont prononcés en faveur des décrets sur la paix et sur la terre.

L'immense majorité des paysans, des soldats et des ouvriers est pour une politique de paix.

Ce n'est pas la politique des bolchéviks, ce n'est pas, d'une manière générale, une politique «de parti», mais la politique des ouvriers, des soldats, des paysans, c'est-à-dire de la majorité du peuple. Nous n'appliquons pas le programme des bolchéviks et, dans la question agraire, notre programme est emprunté en entier aux mandats impératifs donnés par les paysans.

Ce n'est pas notre faute si les socialistes-révolutionnaires et les menchéviks sont partis. Nous leur avons proposé de partager le pouvoir, mais ils veulent attendre que la lutte soit terminée avec Kérenski.

Nous avons invité tout le monde à participer au gouvernement. Les socialistes-révolutionnaires de gauche [2] ont déclaré qu'ils voulaient soutenir la politique du gouvernement des Soviets. Ils n'ont pas même osé avouer leur désaccord avec le programme du nouveau gouvernement.

Dans les provinces, on fait confiance aux journaux du genre du Diélo Naroda. Ici, tout le monde sait que les socialistes-révolutionnaires et les menchéviks sont partis parce qu'ils se trouvaient en minorité. La garnison de Pétrograd le sait. Elle sait que nous voulions un gouvernement soviétique de coalition. Nous n'avons exclu personne du Soviet. S'ils ne voulaient pas travailler en commun, tant pis pour eux. La masse des soldats et des paysans ne suivra pas les menchéviks et les socialistes-révolutionnaires. Je suis convaincu qu'à n'importe quelle réunion d'ouvriers et de soldats, les neuf dixièmes se prononceront pour nous.

La tentative de Kérenski est une aventure tout aussi pitoyable que la tentative de Kornilov. Mais aujourd'hui l'heure est difficile. Des mesures énergiques sont indispensables pour remettre en ordre le ravitaillement, pour faire cesser les calamités de la guerre. Nous ne pouvons pas attendre, nous ne pouvons pas tolérer un seul jour le soulèvement de Kérenski. Si les korniloviens montent une nouvelle offensive, il leur sera répondu commune il a été répondu aujourd'hui au soulèvement des élèves officiers. Que les élèves-officiers s'en prennent à eux-mêmes. Nous avons pris le pouvoir presque sans effusion de sang. S'il y a eu des victimes, c'est seulement de notre côté. Le peuple tout entier voulait précisément la politique que mène le nouveau gouvernement. Ce gouvernement l'a empruntée non pas aux bolchéviks, mais aux soldats du front, aux paysans des campagnes et aux ouvriers des villes.

Le décret sur le contrôle ouvrier doit paraître incessamment. Je le répète : la situation politique se confond aujourd'hui avec la situation militaire. Nous ne pouvons pas tolérer la victoire de Kérenski : il n'y aurait alors ni paix, ni terre, ni liberté. Je suis convaincu que les soldats et les ouvriers de Pétrograd qui viennent de réaliser une insurrection victorieuse, sauront écraser les korniloviens. Il y a des insuffisances chez nous. Impossible de le nier. C'est pourquoi nous avons eu des pertes. Mais on peut remédier à ces insuffisances. Sans perdre une heure, sans perdre une minute, il faut nous organiser, organiser un état-major ; il est indispensable de le faire aujourd'hui même. Une fois organisés, nous saurons nous assurer la victoire en quelques jours et peut-être même plus vite.

Le gouvernement créé par la volonté des députés ouvriers, soldats et paysans ne supportera pas que les kornilovions se moquent de lui.

La tâche politique et la tâche militaire consistent à organiser un état-major, à concentrer les forces matérielles, à assurer aux soldats tout le nécessaire ; c'est ce qu'il faut faire sans perdre une heure, sans perdre une minute, pour que tout marche aussi victorieusement que jusqu'à présent.

 

deux

Intervention sur la question de l'armement des unités

Fini le temps de la grande désorganisation. Un chef d'état-major est désigné. Ce fait sera notifié. La période des hésitations est passée. L'absence d'ordre à l'armée et le manque de communications ont été durement ressentis par nous. Aujourd'hui, il y a dans les unités beaucoup de cohésion et d'allant. Il faut que vous sous mettiez vous-mêmes à l'œuvre, que vous vérifiez par vous-mêmes chaque action, que vous contrôliez si les missions ont été exécutées, si les rapports sont établis avec les organisations ouvrières, etc. Les ouvrions vous viendront en aide dans ce domaine. Je me permets de vous donner un conseil : vérifiez par la commission de contrôle ou par les représentants des régiments chaque compte rendu, sans vous reposer sur personne, vérifiez si les ordres ont été exécutés, si les renseignements concernant les stocks sont exacts. Mettez-vous vous-mêmes à l'œuvre, vérifiez tout vous-mêmes, tenez compte de chaque stock, de chaque mesure prise, - c'est la meilleure garantie du succès.

 

trois

Intervention sur la question du rétablissement de l'ordre dans la ville

Je m'associe pleinement à l'opinion émise : les ouvriers doivent se charger d'une partie du travail pour protéger la ville. Dans ce travail en commun, les soldats apprendront aux ouvriers à manier les armes. Notre tâche, que nous ne devons pas perdre de vue un seul instant, c'est d'armer tout le peuple et de supprimer l'armée permanente. Si la population ouvrière est gagnée, le travail sera plus facile. La proposition des camarades de se réunir tous les jours est pratique. Il est juste que la révolution russe apporte beaucoup de nouveautés qu'aucune révolution ne présentait. Il n'existait pas d'organisme tel que les Soviets des députés ouvriers et soldats. Vous devez vous mêler aux ouvriers ; ils vous donneront tout ce que la bourgeoisie donnait à peine jusqu'ici. Chaque unité doit se préoccuper, avec les organisations ouvrières, de mettre en réserve tout ce est nécessaire pour votre guerre, sans attendre un ordre d'en haut. Il faut dès cette nuit s'atteler à cette tâche. Qu'on n'attende pas les instructions de l'état-major, mais que les unités fassent elles-mêmes des propositions. Vous possédez une ressource que jamais la bourgeoisie n'a eue : elle n'a qu'une ressource : acheter, mais vous, vous pouvez vous appuyer sur les ouvriers qui produisent tout ce qu'il vous faut.


Notes

Les notes rajoutées par l’éditeur sont signalées par [N.E.]

[1]. La réunion des représentants des régiments de garnison de Pétrograd, 29 octobre (11 novembre) 1917, convoquée par le Comité révolutionnaire militaire, fut consacrée à la question de la défense de Pétrograd contre les forces contre révolutionnaires. Elle groupait 40 personnes. Son ordre du jour comprenait les points suivants : 1. Information ; 2. Constitution d'un état-major ; 3. Armement des unités ; 4. Instauration de l'ordre dans la ville. La communication sur la situation au front fut suivie d'une intervention de Lénine sur la situation politique. Lénine prit également part à la discussion d'autres questions inscrites à l'ordre du jour. Les participants à la conférence informèrent les délégués de l'état des choses sur place. La conférence adopta à l'unanimité un appel aux soldats de Pétrograd les invitant, à lutter pour les conquêtes de la Révolution. [N.E.]

[2]. Le Parti des socialistes-révolutionnaires de gauche (internationalistes) prit corps à son 1er congrès, tenu du 19 au 28 novembre (2-11 démembre) 1917 à partir de l'aile gauche du parti s.-r. qui s'était formée pendant la première guerre mondiale et qui avait à sa tête M. Spiridonova, B. Kamkov et M. Natanson (Bobrov). L'aile gauche des s.-r. vit grossir ses rangs après les événements de juillet 1917. Ce processus était le résultat de l'évolution des paysans vers la gauche. Au mois d'août, le comité de Pétersburg du parti des s.-r et le journal Znanmia Trouda, qui devint par la suite l'organe central du parti, rejoignirent les socialistes-révolutionnaires de gauche.

Au IIe Congrès des Soviets de Russie, ils constituaient la majorité de la fraction s.r. La question de la participation au congrès provoqua la scission de la fraction. Les s.-r. de droite, en vertu des instructions de leur C.C., quittèrent le congrès. Les s.r. de gauche y restèrent et votèrent avec les bolchéviks les questions essentielles inscrites à l'ordre du jour du congrès. Jugeant nécessaire de former un bloc avec les s.-r. de gauche qui comptaient à cette époque de nombreux partisans dans la paysannerie, les bolchéviks leur proposèrent de faire partie du gouvernement soviétique, les s.r. refusèrent, préconisant la formation d'un «gouvernement socialiste homogène» qui comprendrait les menchéviks, les s.-r. de droite et, d'autres groupes et partis. Après de longues hésitations, les s.-r. de gauche, soucieux de sauvegarder leur influence dans la paysannerie, acceptèrent de collaborer avec les bolchéviks. A l'issue des pourparlers entre les bolchéviks et les s.-r. de gauche qui eurent lieu en novembre et au début de décembre 1917, un accord fut réalisé sur la participation de ces derniers au gouvernement. Les s. r. de gauche s'engagèrent à suivre la politique générale du Conseil des Commissaires du peuple ; ils firent partie de plusieurs départements des commissariats du peuple.

Tout en acceptant de coopérer avec les bolchéviks, les s. r. de gauche n'étaient pas d'accord avec ces derniers sur les questions fondamentales de la construction du socialisme et se prononçaient contre la dictature du prolétariat. En janvier-février 1918, le C.C. du parti des s.-r. de gauche engagea la lutte contre la conclusion du traité de paix de Brest-Litovsk. Après sa signature et sa ratification par le Ive Congrès des Soviets, en mars, les s.-r. de gauche quittèrent le Conseil des Commissaires du peuple, tout en gardant leurs postes dans les départements des Commissariats et les organes locaux du pouvoir. En juillet, le C.C. des s.-r. de gauche fit assassiner l'ambassadeur d'Allemagne à Moscou, Mirbach, et organisa un soulèvement armé contre le pouvoir soviétique pour torpiller la paix de Brest-Litovsk et faire renaître la guerre entre la Russie des Soviets et l'Allemagne. Après l'écrasement de l'émeute de juillet, le Ve Congrès des Soviets de Russie décida de chasser des Soviets les s.-r. de gauche qui partageaient les vues de leurs dirigeants. Privés de tout soutien des masses, le parti des s.-r. de gauche engagea la lutte armée contre le pouvoir soviétique. Une fraction des s.-r. de gauche qui préconisait la coopération avec les bolchéviks forma le parti des « communistes populistes » et le parti des «communistes révolutionnaires ». De nombreux membres de ces partis adhérèrent par la suite au Parti communiste. [N.E.]


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