1917

«Izvestia du comité exécutif central» n° 235, 25 novembre 1917
Conforme à l'exemplaire dactylographié du procès-verbal, collationné sur le texte des «Izvestia du comité exécutif central»

Œuvres t. 26, pp. 356-362, Paris-Moscou


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Lénine

Discours prononcé au 1er congrès de la marine de guerre de Russie [1]

Le 22 novembre (5 décembre) 1917


 

Procès - verbal

Au nom du Conseil des Commissaires du peuple, le camarade Lénine salue à travers ce congrès l'armée des marins, combattants d'avant-garde qui ont fait preuve de vaillance dans la lutte pour l'émancipation des classes laborieuses.

Ensuite, le camarade Lénine examine le moment présent. Après avoir fait remarquer que la politique conciliatrice pratiquée par le gouvernement Kérenski, - qui ne visait pas à satisfaire les besoins des larges masses populaires, et avait pour principe de sauvegarder l'inviolabilité absolue des intérêts de la bourgeoisie, de la classe des oppresseurs, devait inéluctablement mener à la faillite de ce gouvernement, l'orateur déclare :

Mais, à côté du Gouvernement provisoire il y avait les Soviets des députés ouvriers et soldats, issus de l'activité révolutionnaire du peuple insurgé et qui, au cours des événements, ont groupé autour d'eux des couches de plus en plus larges des masses laborieuses. C'est seulement grâce aux Soviets que le peuple a créé et appuyé en Russie un gouvernement véritablement populaire, ce qu'aucune révolution en Europe n'avait réussi. Devant les masses opprimées se posait une tâche ardue au plus haut point : édifier elles-mêmes leur Etat. Vous voyez avec quelle force la bourgeoisie s'est ruée sur nous, comment on s'emploie à saper notre activité par des sabotages, quels flots de mensonges et de calomnies on déverse sur nous à tout propos et hors de propos.

On répand sur nous une grêle d'accusations : nous agirions par la terreur et la violence. Mais ces attaques ne nous troublent pas. Nous disons : nous ne sommes pas des anarchistes, nous sommes des partisans de l'Etat. Oui, mais l'Etat capitaliste doit être détruit, le pouvoir capitaliste doit être anéanti. Notre tâche est d'édifier un nouvel Etat, un Etat socialiste. C'est dans ce sens que nous travaillerons inlassablement et aucun obstacle ne nous intimidera ni nous arrêtera. Les premières mesures prises par le nouveau gouvernement en ont déjà fourni la preuve. Mais le passage à un nouveau régime est un processus extrêmement complexe et pour faciliter ce passage, un pouvoir politique ferme est indispensable. Jusqu'ici le pouvoir a été entre les mains des monarques et des suppôts de la bourgeoisie. Tous leurs efforts, toute leur politique visaient à tenir les masses populaires sous la contrainte. Quant à nous, nous disons : il faut un pouvoir inébranlable, il faut de la violence et de la contrainte, mais nous les dirigerons contre les capitalistes, qui ne sont qu'une poignée, contre la classe bourgeoise. Pour notre part, nous répondrons toujours par des mesures de contrainte aux tentatives de résistance au pouvoir des Soviets, tentatives d'ailleurs insensées, vouées à l'échec. Et dans tous les cas, la responsabilité en retombera sur ceux qui opposent cette résistance.

Passant ensuite à la question de l'organisation de l'appareil d'Etat qui, dans l'intérêt du peuple, doit être exempt de toute bureaucratie, qui doit assurer pour les forces créatrices du pays la plus vaste possibilité de se manifester, le camarade Lénine dit :

- La bourgeoisie et les milieux intellectuels bourgeois sabotent, par tous les moyens le pouvoir populaire. Les masses laborieuses ne doivent compter que sur elles-mêmes. Sans aucun doute, les tâches qui s'imposent au peuple sont extrêmement difficiles. Mais il faut avoir foi en ses propres forces, il faut que tout ce qui a germé au sein du peuple, tout ce qui est susceptible de s'épanouir, s'incorpore aux organisations actuelles et à celles que les masses laborieuses vont créer. Dispersées, les masses sont impuissantes ; unies, elles sont fortes. Les masses ont pris conscience de leurs forces et, sans se laisser troubler par les persécutions de la bourgeoisie, ont commencé à gérer elles-mêmes l'Etat. Au début, des difficultés peuvent surgir, une préparation insuffisante peut se faire sentir. Mais il faut apprendre pratiquement à administrer le pays, se rendre maître de ce qui était naguère le monopole de la bourgeoisie. A cet égard, nous voyons dans la marine un exemple éclatant des possibilités créatrices des masses laborieuses ; à cet égard, la flotte s'est révélée comme un détachement, d'avant-garde.

Ensuite, le camarade Lénine éclaircit les questions les plus importantes de l'heure - celles de la terre, de la politique ouvrière, du problème des nationalités et de la paix, et il examine en détail chacune d'elles.

Le II° Congrès des Soviets des députés ouvriers et soldats de Russie a pris un décret sur la terre, dans lequel les bolchéviks reprennent intégralement les principes indiqués dans les mandats des paysans. Ce décret s'écarte du programme des social-démocrates, car les mandats s'inspirent du programme des socialistes-révolutionnaires, mais cela prouve que le pouvoir populaire ne voulant pas imposer sa volonté au peuple s'efforce d'aller au-devant, d'elle.

Quelle que soit la solution de la question agraire, quel que soit le programme qui servira de base à la réalisation du passage de la terre aux paysans, cela n'empêchera pas l'alliance étroite des paysans et des ouvriers. La seule chose importante c'est que le droit de propriété sur la terre doit être aboli, puisque telle est l'aspiration séculaire des paysans.

Après avoir ensuite indiqué que la question agraire est étroitement liée à la question de l'industrie, que parallèlement à la révolution agraire il faut briser radicalement les rapports capitalistes, l'orateur souligne l'importance extrême de l'alliance solide des ouvriers et des paysans.

Le développement de la révolution russe a montré que la politique servile de conciliation avec les propriétaires fonciers et les capitalistes a crevé comme une bulle de savon. Ce qui doit dominer, c'est la volonté de la majorité ; cette volonté sera réalisée par l'union des travailleurs, par une honnête coalition entre les paysans et les ouvriers, sur la base de leurs intérêts communs. Les partis changent et disparaissent, mais les travailleurs demeurent, et l'orateur invite à se préoccuper avant tout de la solidité de cette alliance.

Que la marine, dit-il, consacre toutes ses forces à faire de cette alliance la base de la vie de l'Etat ; si cette alliance est inébranlable, rien n'empêchera le passage au socialisme.

Quand on aborde la question nationale, dit Lénine, il faut noter surtout la diversité des nationalités en Russie, où les Grands-Russes ne constituent qu'environ 40% de la population et où la majorité appartient à d'autres nationalités. Sous le tsarisme, l'oppression à l'égard de ces dernières était d'une cruauté et d'une stupidité incroyables, elle accumulait chez les nationalités, privées de droits égaux, la haine la plus profonde contre les monarques. Rien d'étonnant si cette haine envers ceux qui interdisaient même l'usage de la langue maternelle et condamnaient les masses populaires à l'analphabétisme se reportait sur tous les Grands-Russes. On pensait que ces derniers voulaient, en tant que privilégiés, garder pour eux les prérogatives que Nicolas II et Kérenski leur conservaient pieusement.

On nous dit que la Russie sera morcelée, désagrégée en républiques distinctes, mais nous n'avons rien à craindre de ce côté. Quel que soit le nombre de républiques indépendantes, nous ne nous en laisserons pas effrayer. Pour nous ce qui importe, ce n'est pas l'endroit où passe la frontière de l'Etat, c'est de préserver l'union des travailleurs de toutes les nations pour lutter contre la bourgeoisie de quelque nation que ce soit.(Vifs applaudissements.)

Si la bourgeoisie finlandaise achète aux Allemands des armes pour les braquer contre ses ouvriers, nous proposerons à ces derniers l'union avec les travailleurs russes. Laissons la bourgeoisie manigancer de sordides querelles, des marchandages pour des questions de frontières, les ouvriers de tous les pays et de toutes les nations ne se diviseront pas sur ce terrain immonde. (Vifs app1audissements.)

Aujourd'hui, nous faisons la «conquête» de la Finlande (j'emploie un mot détestable), non comme le font les capitalistes, les rapaces internationaux, mais, en offrant à la Finlande la liberté totale de s'unir à nous ou à d'autres pays, nous garantissons le soutien total aux travailleurs de toutes les nationalités contre la bourgeoisie de tous les pays. Cette union repose non sur des traités, mais sur la solidarité entre les exploités contre les exploiteurs.

Nous sommes témoins aujourd'hui d'un mouvement national en Ukraine, et nous disons : nous sommes partisans sans réserve de la liberté totale, illimitée du peuple ukrainien. Nous devons venir à bout de ce passé sanglant et sordide, où la Russie des oppresseurs capitalistes jouait le rôle de bourreau des autres peuples. Nous balayerons ce passé dont nous ne laisserons pas pierre sur pierre. (Vifs applaudissements.)

Nous dirons aux Ukrainiens : en tant qu'Ukrainiens, vous pouvez organiser chez vous la vie à votre guise. Mais nous tendrons une main fraternelle aux ouvriers ukrainiens et nous leur dirons : avec vous, nous lutterons contre votre bourgeoisie et contre la nôtre. Seule l'union socialiste des travailleurs de tous les pays écartera tout prétexte de persécutions et de discordes nationalistes. (Vifs applaudissements.)

- Je passe à la question de la guerre. Nous avons entrepris une lutte résolue contre la guerre provoquée par le conflit entre les rapaces à la chasse de profits. Tous les autres partis ont jusqu'ici parlé de cette lutte, mais ils ne sont pas allés au-delà de paroles hypocrites. Aujourd'hui, la lutte pour la paix est commencée. Cette lutte est difficile. Celui qui pensait qu'il était aisé d'obtenir la paix, qu'il suffisait d'y faire une simple allusion pour que la bourgeoisie nous l'apporte sur un plateau, celui-là est un homme bien naïf. Ceux qui prêtaient ce point de vue aux bolchéviks trompaient le peuple. Les capitalistes se sont pris à la gorge pour partager le butin. Il est clair que supprimer la guerre, c'est vaincre le capital, et c'est dans cet esprit que le pouvoir des Soviets a amorcé la lutte. Nous avons publié et nous continuerons à publier les traités secrets. Aucune haine, aucune calomnie ne nous arrêtera sur cette voie. Messieurs les bourgeois fulminent parce que le peuple voit pour quelle raison on l'a mené à la boucherie. Ils cherchent à effrayer le pays par la perspective d'une nouvelle guerre, dans laquelle la Russie serait isolée. Mais cette haine furieuse que la bourgeoisie manifeste à notre égard, à l'égard de notre mouvement en faveur de la paix, ne nous arrêtera pas. Qu'elle essaie d'opposer les peuples les uns aux autres pour une quatrième année de guerre ! Elle n'y parviendra pas. Ce n'est pas seulement chez nous, c'est aussi dans tous les pays belligérants que mûrit la lutte contre les gouvernements impérialistes. Même en Allemagne, que les impérialistes ont pendant des dizaines d'années tenté de transformer en camp retranché, où tout l'appareil gouvernemental vise à tuer dans l'œuf la moindre manifestation d'indignation populaire, là aussi on en est arrivé à une mutinerie ouverte dans la flotte. Il faut connaître le degré inouï de l'arbitraire policier en Allemagne pour comprendre la portée de ce soulèvement. Mais la révolution ne se fait pas sur commande ; elle est engendrée par l'explosion de l'indignation des masses populaires. S'il a été si facile de venir à bout de la clique de dégénérés, tels que Romanov et Raspoutine [2], il est infiniment plus difficile de lutter contre la bande puissante et organisée des impérialistes allemands, couronnés ou non. Mais on peut et on doit travailler, la main dans la main, avec la classe révolutionnaire des travailleurs de tous les pays. C'est dans cette voie que s'est engagé le Gouvernement soviétique quand il a publié les traités secrets et a montré que les gouvernements de tous les pays sont des brigands. C'est une propagande par des actes et non en paroles. (Vifs applaudissements.)

Abordant dans la conclusion la question des pourparlers de paix, l'orateur déclare :

Lorsque les Allemands ont répondu évasivement à notre demande de ne pas transférer leurs troupes sur les fronts d'Occident et d'Italie, nous avons rompu les pourparlers que nous renouvellerons dans quelque temps. Quand nous en aurons ouvertement informé le monde entier, il ne se trouvera pas un seul ouvrier allemand qui ne sache que nous ne sommes pas responsables de la rupture des pourparlers. Au cas où la classe ouvrière allemande marcherait avec son gouvernement d'impérialistes rapaces, et que nous soyons obligés de poursuivre la guerre, le peuple russe, qui a su verser son sang sans murmurer, qui, sans savoir pourquoi ni à quelles fins, a exécuté les ordres d'un gouvernement qui l'écrasait, ce peuple irait alors sans aucun doute au combat avec une énergie décuplée, avec un héroïsme décuplé, car il s'agirait de lutter pour le socialisme, pour la liberté, contre laquelle seraient dirigées les baïonnettes de la bourgeoisie internationale. Mais nous avons foi en la solidarité internationale des masses laborieuses qui surmonteront tous les obstacles et toutes les barrières sur la route du socialisme. (Vifs applaudissements.)


Notes

Les notes rajoutées par l’éditeur sont signalées par [N.E.]

[1]. Le 1er Congrès de la marine de guerre de Russie se tint du 18 au 25 novembre (1er-8 décembre) 1917. A l'ordre du jour figuraient les questions suivantes : la situation présente et le pouvoir ; l'activité du Centre-flotte : la réforme dans l'administration navale, etc. Lénine présenta au Congrès le rapport sur la situation présente. Le congrès désapprouva l'activité du Centre-flotte qui avait trahi ses mandataires et salua le Comité révolutionnaire de la marine de guerre qui procéda à la dissolution du Centre-flotte. Il approuva le schéma organisant l'administration navale et élut vingt délégués au Comité exécutif central de Russie du Soviet des députés ouvriers, soldats et paysans. Le congrès salua le Conseil des Commissaires du peuple et lança un appel à toute la Russie. [N.E.]

[2]. Romanov Nicolas II (1868-1918), dernier empereur de Russie qui régna de 1894 jusqu'à la Révolution démocratique bourgeoise de février 1917. Fut fusillé le 17 juillet 1918 à Ekatérinbourg (Sverdlovsk) en vertu d'un arrêté du Soviet régional des députes ouvriers et soldats de l'Oural.

Raspoutine G. E. (1872-1916), aventurier qui jouissait d'une grande influence à la cour de Nicolas II. Il était issu d'une famille de paysans de la province de Tobolsk. Son nom était devenu le symbole de l'obscurantisme, de la tyrannie, de la corruption morale qui caractérisaient la clique gouvernante de la Russie tsariste. Raspoutine fut tué à Pétrograd par un groupe de monarchistes qui croyaient sauver ainsi la dynastie et étouffer la révolution montante. [N.E.]


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