1913

Un ouvrage qui est encore discuté aujourd'hui...


L'accumulation du capital

Rosa Luxemburg

II: Exposé historique du problème

I° polémique : Controverse entre Sismondi – Malthus et Say - Ricardo - Mac Culloch.


13 : Say contre Sismondi

L'article de Sismondi paru dans le cahier de mai 1824 de la Revue Encyclopé­dique et dirigé contre Ricardo attira enfin sur la scène publique le « prince de la science économique »  [1] de l'époque, le prétendu représentant, héritier et vulgarisateur de l'école de Smith sur le continent, Jean-Baptiste Say. Au mois de juillet de la même année, Say, après avoir déjà polémiqué dans ses lettres à Malthus contre la doctrine de Sismondi, répliqua dans la Revue Encyclopédique par un article intitulé « Balance des consommations avec les productions », article auquel Sismondi répondit à son tour par une courte réplique. La succession des joutes polémiques était donc dans l'ordre inverse de la succession des dépendances théoriques ; c'était Say en effet qui, le premier, avait communiqué à Ricardo sa doctrine de l'équilibre voulu par Dieu entre la production et la consommation et, par l'intermédiaire de Ricardo, l'avait trans­mise à Mac Culloch. Dès 1803, Say écrivait, dans son Traité d'économie politi­que, livre I, chapitre 22 : « Des débouchés », la formule lapidaire suivante : « L'argent ne remplit qu'un office passager dans ce double échange. Les échanges terminés, il se trouve qu'on a payé des produits avec des produits. En conséquence, quand une nation a trop de produits dans un genre, le moyen de les écouler est d'en créer d'un autre genre  [2]. » Nous trouvons dans cette phrase la formulation la plus connue de la mystification qui fut acceptée tant par l'école de Ricardo que par les économistes vulgaires comme la pierre angulaire de la doctrine de l'harmonie  [3]. L’œuvre maîtresse de Sismondi constitue au fond une polémique continuelle contre cette phrase. A pré­sent, dans la Revue Encyclopédique, Say renverse la vapeur et accomplit un revire­ment déconcertant : « ... Que si l'on objectait que chaque société humaine, au moyen de l'intelligence de l'homme et du parti qu'il sait tirer des agents que lui fournissent la nature et les arts peut produire de toutes les choses propres à satisfaire ses besoins et à multiplier ses jouissances, une quantité supérieure à ce que la même société peut en consommer, je demanderais alors comment il arrive que nous ne connaissions aucune nation qui soit complètement approvisionnée, puisque, même chez celles qui passent pour florissantes, sept huitièmes de la population manquent d'une multitude de produits regardés comme nécessaires, je ne dirai pas dans une famille opulente mais dans un ménage modeste ? J’habite en ce moment un village situé dans un des cantons les plus riches de France. Cependant sur vingt maisons, il en contient dix-neuf où je n'aperçois en y entrant qu'une nourriture grossière et rien de ce qui sert de complé­ment au bien-être des familles, aucune de ces choses que les Anglais nomment confortables...  [4] »

Il faut admirer l'effronterie de l'excellent Say. C'était lui qui affirmait qu'il ne peut y avoir aucune difficulté dans l'économie capitaliste, aucun excédent, aucune crise, aucune misère ; puisque les marchandises s'achètent les unes les autres, il suffit de produire toujours davantage pour tout résoudre pour le mieux. Grâce à lui ce principe est devenu le dogme de la doctrine de l'harmonie chère aux économistes vulgaires. Sismondi, par contre, avait élevé une protestation sévère contre cette affirmation et en avait montré l'inconsistance ; il avait souligné qu'il n'est pas possible d'écouler n'im­porte quelle quantité de marchandises, mais que la réalisation des marchandises trouve sa limite extrême à chaque instant dans le revenu de la société, c'est-à-dire v + pl. Or les salaires des ouvriers étant réduits au strict minimum vital et la capacité de consommation de la classe capitaliste ayant également ses limites naturelles, l'exten­sion de la production conduit, écrit Sismondi, à des engorgements du marché, à des crises et à la misère accrue dans les masses populaires. La réplique de Say est magistrale dans sa feinte naïveté : mais si vous affirmez qu'on peut produire trop de produits d'une façon générale, comment se fait-il qu'il y ait dans notre société tant d'indigents, tant d'affamés, tant de gens qui ne sont pas vêtus ? « Explique-moi, comte Oerindur, cette contradiction de la nature ? » La force de la position de Say réside dans le fait qu'il ignore la circulation monétaire et qu'il opère par un échange direct de marchandises ; il insinue maintenant que c'est son adversaire qui parlerait d'un sur­plus de produits, non pas par rapport aux moyens de paiement de la société, mais par rapport à ses besoins réels ! Or précisément sur ce point cardinal de ses déductions, Sismondi n'avait vraiment laissé aucune ambiguïté. Ne dit-il pas expressément au livre II, chapitre 6 de ses Nouveaux Principes :

« Alors même que la société compte un très grand nombre d'individus mal nourris, mal vêtus, mal logés, elle ne veut que ce qu'elle peut acheter, et elle ne peut acheter qu'avec son revenu. » (II, p. 460.)

Un peu plus loin Say l'admet lui-même, mais en même temps il impute une autre thèse à son adversaire :

« Ce ne sont donc point les consommateurs qui manquent dans une nation, mais les moyens d'acheter. M. de Sismondi croit que ces moyens seront plus étendus, quand les produits seront plus rares, conséquemment plus chers, et que leur production procurera un plus ample salaire aux travailleurs  [5]. »

Voici comment Say essaie de dégrader, en l'adaptant à son propre système de pensée vulgaire ou plus exactement à son système de bavardage, la théorie de Sismondi qui attaquait les bases mêmes de l'organisation capitaliste, l'anarchie de la production et tout son mode de distribution : il travestit les Nouveaux Principes en un plaidoyer en faveur de la « rareté » des marchandises et de la cherté des prix. Par contre il entonne un hymne à la gloire de l'accumulation capitaliste ; si la production est plus animée, affirme-t-il, la main-d'œuvre plus nombreuse et la production élargie, « les nations seront mieux pourvues et plus généralement pourvues », il vante la situation des pays développés industriellement, les opposant à la misère du Moyen Age. Au contraire il estime les « maximes » de Sismondi très dangereuses pour la société bourgeoise.

« Pourquoi appelle-t-il l'examen sur les lois qui pourraient obliger le maître à garantir la subsistance de l'ouvrier qu'il emploie ? Un pareil examen paralyserait l'es­prit d'entreprise; la seule crainte que le pouvoir n'intervienne dans les conven­tions privées est un fléau et nuit à la prospérité d'une nation  [6]. »

Sismondi, sans se laisser troubler par les discours bavards de Say à la gloire du capitalisme, ramène la discussion sur son terrain fondamental :

« Mais certes, le n'ai jamais nié que la France ait pu doubler sa population, et quadrupler sa consommation depuis le temps de Louis XIV, comme il me l'oppose; seulement j'ai prétendu que la multiplication des produits était un bien quand elle était demandée, payée, consommée; qu'elle était un mal au contraire, quand n'étant point demandée, tout espoir du producteur était d'enlever un consommateur aux produits d'une industrie rivale. J'ai cherché à faire voir que la marche naturelle des nations était l'augmentation progressive de leur prospérité, l'augmentation en consé­quence de leur demande de nouveaux produits, et de leur moyen de les payer. Mais que la conséquence de nos institutions, de notre législation, ayant été de dépouiller la classe travaillante de toute propriété et de toute garantie, l'avait en même temps poussée à un travail désordonné, qui n'était point en rapport avec la demande ni avec les moyens d'acheter, et qui aggravait en conséquence sa misère. » (II, p. 462-463.)

Et il conclut le débat en invitant le prophète de l'harmonie à réfléchir sur les conditions « ... que représentent les nations opulentes, où la misère publique ne cesse de s'accroître avec la richesse matérielle, et où la classe qui produit tout, est chaque jour plus près d'être réduite à ne jouir de rien. » (Il, p. 464.) C'est sur cette disso­nance aiguë à propos des contradictions capitalistes que s'achève la première polémique autour du problème de l'accumulation du capital.

Un aperçu sur le déroulement et les résultats de cette première controverse nous oblige à deux constatations :

  1. Malgré toute la confusion qui règne dans son analyse, la supériorité de Sismondi à l'égard de l'école de Ricardo comme à l'égard du prétendu chef de file de l'école de Smith est manifeste : Sismondi considère les choses du point de vue de la reproduction, il cherche à saisir les notions de valeur (capital et revenu) et les éléments concrets (moyens de production et moyens de consommation) pour autant qu'il le peut, dans leurs rapports réciproques, dans l'ensemble du processus social. Sur ce point, c'est d'Adam Smith qu'il est le plus proche, à la seule différence que les contradictions du processus global, qui chez Smith apparaissent comme théoriques et subjectives, sont délibérément présentées par Sismondi comme la clé de son analyse, et qu'il traite du problème de l'accumulation du capital comme en étant le point crucial et la difficulté principale. En ceci Sismondi marque un progrès incontestable par rapport à Smith, tandis que Ricardo et ses épigones, ainsi que J.-B. Say, s'en tiennent tout au long du débat aux notions de la circulation simple des marchandises ; ils ne connaissent que la formule M - À - M (marchandises - argent - marchandises), l'altérant encore en la réduisant à un échange direct de marchandises ; ils croient ainsi avoir épuisé, avec cette maigre sagesse, tous les problèmes du processus de reproduc­tion et de l'accumulation. C'est un recul par rapport à Smith et, en face de cette vision bornée, Sismondi marque un avantage décisif. Lui, le critique social, témoigne de bien plus de compréhension pour les catégories de l'économie bourgeoise que les avocats passionnés de celle-ci ; de même plus tard le socialiste Marx devait faire preuve d'une clairvoyance beaucoup plus aiguë, et jusque dans les détails, que tous les économistes bourgeois à l'égard de la différence spécifique du mécanisme écono­mique capitaliste. Lorsque Sismondi s'écrie (dans le livre VII, chapitre 7), à l'adresse de Ricardo : « Quoi, la richesse est tout et les hommes ne sont rien ? », ce n'est pas simplement le « moralisme » chatouilleux du petit bourgeois qui s'exprime ici, opposé à l'objectivité strictement classique de Ricardo, mais aussi la pénétration du critique rendue plus vive par une sensibilité aux corrélations sociales vivantes de l'économie donc à ses contradictions et à ses problèmes ; vision qui contraste avec l'étroitesse rigide de la conception abstraite de Ricardo et de son école. La contro­verse a seulement souligné le fait que ni Ricardo ni les épigones de Smith n'étaient capables de comprendre et encore moins de résoudre l'énigme de l'accumulation posée par Sismondi.
  2. L'énigme était de prime abord insoluble du fait que toute la discussion avait été placée sur une voie de garage et s'était concentrée autour du problème des crises. L'apparition de la première crise dominait tout naturellement le débat mais empêchait de la sorte les deux parties de comprendre que les crises ne constituent pas le véritable problème de l'accumulation, mais en sont simplement la ferme extérieure spécifique, un élément dans la figure cyclique de la reproduction capitaliste. En con­sé­quence le débat ne pouvait qu'aboutir à un double quiproquo : une partie déduisant des crises l'impossibilité de l'accumulation, l'autre déduisant de l'échange de mar­chandises l'impossibilité des crises. L'évolution ultérieure du capitalisme devait démontrer l'absurdité des deux conclusions.

Cependant la critique de Sismondi, première mise en garde théorique contre la do­mi­nation capitaliste, reste d'une importance historique extrême : c'est un symptôme de la décomposition de l'économie classique, incapable de résoudre les problèmes qu'elle avait elle-même posés. L'épouvante de Sismondi devant les conséquences de la domination capitaliste n'était certainement pas le ,fait d'un réactionnaire au sens où il rêverait par exemple de conditions précapitalistes, même s'il prêchait à l'occasion les avantages des formes de production patriarcales dans l'agriculture et l'industrie comparés à la domination capitaliste. Il proteste vigoureusement, à plusieurs reprises contre une telle assertion par exemple dans l'article paru dans la Revue Ency­clopédique :

« J'entends déjà qu'on se récrie que je me refuse au perfectionnement de l'agricul­ture, au perfectionnement des arts, à tous les progrès que l'homme peut faire ; que je préfère sans doute la barbarie à la civilisation, puisque la charrue est une machine, que la bêche est une machine plus ancienne encore ; et que, selon mon système, il aurait fallu sans doute que l'homme labourât la terre avec ses seules mains.
« Je n'ai jamais rien dit de semblable, et je demande la permission de protester, une fois pour toutes, contre toute conséquence qu'on suppose à mon système et que je n'ai point tirée moi-même. Je n'ai été compris ni de ceux qui m'attaquent ni de ceux qui me défendent, et j'ai eu plus d'une fois à rougir de mes alliés comme de mes adversaires.
« ... Je prie qu'on y fasse attention ; ce n'est point contre les machines, ce n'est point contre les découvertes, ce n'est point contre la civilisation que portent mes objec­tions, c'est contre l'organisation moderne de la société, organisation qui, en dépouillant l'homme qui travaille de toute autre propriété que celle de ses bras, ne lui donne aucune garantie contre une concurrence, contre une folle enchère dirigée à son préjudice, et dont il doit nécessairement être victime. » (II, p. 432-433.)

Il ne fait pas de doute que l'intérêt du prolétariat est à la base de la critique de Sismondi, et il n'a pas tort de définir sa tendance principale de la manière suivante :

« Je souhaite seulement chercher des moyens de garantir les fruits de leur travail à ceux qui accomplissent le travail, à faire obtenir le bénéfice de la machine à ceux qui font marcher la machine. » Pressé de décrire de plus près l'organisation sociale qu'il souhaite, il s'esquive cependant, et reconnaît son incapacité : « Mais ce qui reste à faire est une question d'une difficulté infinie que nous n'avons nullement l'intention de traiter aujourd'hui. Nous voudrions pouvoir convaincre les économistes aussi pleinement que nous sommes nous-mêmes convaincus que leur science suit désor­mais une fausse route. Mais nous n'avons point assez de confiance en nous pour leur indiquer quelle serait la véritable ; c'est un des plus grands efforts que nous puissions obtenir de notre esprit que de concevoir l'organisation actuelle de la société. Quel serait l'homme assez fort pour concevoir une organisation qui n'existe pas encore, pour voir l'avenir comme nous avons déjà tant de peine à voir le présent ? » (Il, p. 448.)

Il n'était certes pas honteux pour Sismondi, d'avouer publiquement son incapacité à envisager l'avenir au-delà du capitalisme, en 1820, à une époque où le règne du capitalisme, de la grande industrie venait seulement de passer le seuil historique et où l'idée du socialisme n'était possible que sous une forme utopique. Comme cependant Sismondi ne pouvait ni aller au-delà du capitalisme, ni revenir à un stade antérieur, la seule voie ouverte à sa critique était le compromis petit-bourgeois. Sceptique à l'égard de la possibilité du plein épanouissement du capitalisme, donc des forces productives, Sismondi se voyait obligé de souhaiter le ralentissement de l'accumulation, la modé­ra­tion de l'expansion impétueuse du capitalisme. Et c'est là l'aspect réactionnaire de sa critique  [7].


Notes

[1] En français dans le texte.

[2] J.-B. Say. Traité d'économie politique, Paris, 1803, tome I, p. 154.

[3] En réalité le seul mérite de Say est d'avoir formulé de manière prétentieuse et dogmatique une idée émise par un autre. Comme le fait observer Bergmann dans son Histoire des théories des crises (Stuttgart, 1895), on trouve déjà des idées analogues sur l'identité de l'offre et de la demande ainsi que sur l'équilibre naturel des deux facteurs chez Josiah Tucker (1752), chez Turgot dans ses notes, dans l'édition française du pamphlet de Tucker, chez Quesnay, Dupont de Nemours et d'autres encore. Malgré cela, ce « pleurnichard » de Say - comme Marx l'appelle une fois - réclame pour lui, le théoricien de l'harmonie, l'honneur d'avoir découvert la « Théorie des débouchés » et il compare modestement son oeuvre avec la découverte de la théorie de la chaleur, du levier et des pIans inclinés ! (Voir son Introduction et sa table des matières pour la 6° édition de son Traité en1841 : « C'est la théorie des échanges et des débouchés - telle qu'elle est développée dans cet ouvrage - qui changera la politique du monde. » pp. 51 et 626.) James Mill développe les mêmes points de vue dans son Commerce defended, paru en 1808. Marx l'appelle le véritable père de la théorie de l'équilibre naturel entre production et débouchés.

[4] Revue Encyclopédique, tome 23, juillet 1824, p. 20.

[5] Revue Encyclopédique, ibid., p. 21.

[6] Revue Encyclopédique, ibid., p. 29. Say accuse Sismondi d'être l'ennemi juré de la société bourgeoise dans la péroraison pathétique que voici : « C'est contre l'organisation moderne de la société, organisation qui, en dépouillant l'homme qui travaille de toute propriété que celle de ses bras, ne lui donne aucune garantie contre une concurrence dirigée à son préjudice. Quoi, parce que la société garantit à toute espèce d'entrepreneur la libre disposition de ses capitaux, c'est-à-dire de sa propriété, elle dépouille l'homme qui travaille ! Je le répète : rien de plus dangereux que des vues qui conduisent à régler l'usage des propriétés. » Car « les bras et les facultés » « sont aussi des propriétés ! »

[7] Marx ne fait que très brièvement allusion à Sismondi dans son histoire de l'opposition à l'école de Ricardo et de sa désagrégation. Il écrit : « Je n'étudie pas Sismondi dans cet exposé historique, parce que la critique de ses opinions rentre dans une partie que je n'étudierai que plus tard : la concurrence et le crédit. » (Histoire des doctrines économiques, VI, p. 82.)
Un plus loin cependant, Marx consacre un bref passage à Sismondi parallèlement à Malthus, mais sans épuiser aucunement le sujet : « Sismondi a le sentiment intime que la production capitaliste est en contradiction avec elle-même ; que par ses formes et ses conditions elle pousse au développement effréné de la force productive et de la richesse ; ces conditions sont d'ailleurs conventionnelles ; que les contradictions entre valeur d'usage et valeur d'échange, marchandise et argent, achat et vente, production et consommation, capital et travail salarié, etc., ne font que s'accentuer à mesure que la force productive se développe. Il sent notamment la contradiction fondamentale : d'une part le développement effréné de la force productive et l'accroissement de la richesse qui, formée de marchandises, doit dire transformée en argent, d'autre part comme fondement, la limitation de la masse des producteurs aux subsistances nécessaires. C'est pourquoi les crises ne sont pas pour lui, comme pour Ricardo, de simples accidents, mais des explosions essentielles, des contradictions immanentes se produisant sur une grande échelle et à des périodes déterminées. Il hésite constamment : faut-il que l'État entrave les fortes productives afin de les rendre adéquates aux conditions de production ? ou faut-il que l'État entrave les conditions de production afin de les rendre adéquates aux forces productives ? Il se réfugie bien des fois dans le passé, se fait laudator tempori acti et voudrait par une autre réglementation du revenu par rapport au capital ou de la distribution par rapport à la production, faire disparaître les contradictions, ne se rendant pas compte que les conditions de distribution ne sont qu'un autre aspect des conditions de production.
Il juge fort bien les contradictions de la production bourgeoise mais il ne les comprend pas et ne peut donc comprendre le processus de leur solution. (Comment aurait-il pu le faire puisque cette production était seulement au stade de sa formation ? R. L.). Mais il soupçonne qu'aux forces productives développées au sein de la société capitaliste, aux conditions matérielles et sociales de la création de la richesse doivent correspondre des formes nouvelles d'appropriation de cette richesse ; que les formes bourgeoises d'appropriation de cette richesse ne sont que des formes transitoires et contradictoires où la richesse n'a toujours qu'une existence contradictoire et se présente partout comme sa propre antithèse. C'est de la richesse qui s'oppose toujours à la pauvreté, et elle ne se développe qu'en développant celle-ci. » (Op. cit., tome VI, pp. 86-87.)
Dans la Misère de la Philosophie, Marx cite à plusieurs passages Sismondi pour en arguer contre Proudhon, mais il ne s'exprime au sujet de Sismondi lui-même que dans la courte phrase suivante : « Ceux qui, comme Sismondi, veulent retourner à la juste proportionnalité de la production, tout en voulant maintenir les bases actuelles de la société, sont réactionnaires puisque, pour être conséquents, ils doivent aussi tendre au rétablissement de toutes les autres conditions de l'industrie existant au temps jadis. »
Dans la Critique de l'économie politique, Sismondi est deux fois mentionné brièvement : une première fois Il est mis en parallèle, comme dernier classique de l'économie politique bourgeoise en France, avec Ricardo en Angleterre ; dans un autre passage Marx constate que Sismondi a insisté, contre Ricardo, sur le caractère spécifiquement social du travail qui crée des valeurs. Dans le Manifeste communiste, enfin, Sismondi est nommé comme le chef de file du socialisme petit-bourgeois.


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