1948

Tan Malakka, "Le partisan et sa lutte militaire, politique et économique"

Source : « Quatrième Internationale, Vol. 9 Mai-juillet 1951 »

Tan Malakka

Le partisan et sa lutte militaire, politique et économique

mai 1948

La rédaction de QUATRIEME INTERNATIONALE est heureuse de pouvoir présenter à ses lecteurs, pour la première fois en français, un texte authentique du grand révolutionnaire indonésien TAN MALAKKA. Il s'agit d'un premier extrait de la brochure "Le Partisan et sa lutte militaire, politique et économique" (GERPOLEK) écrite par Tan Malakka en mai 1948 quand il se trouvait en prison par décret de la délégation néerlandaise en Indonésie, servilement exécuté par le gouvernement conciliateur de la République indonésienne. Cette brochure nous est parvenue en langue malaise; la traduction en fut faite d'abord en néerlandais, puis en français. Nous ne pouvons donc pas assurer qu'elle soit très stricte en tous points.

La brochure de Tan Malakka a été écrite pour les combattants des formations de partisans luttant dès 1947 contre les forces de l'armée néerlandaise dans l'archipel indonésien. Elle expose en détail les conceptions de l'auteur sur la guerre des partisans. Pour Tan Malakka, la conduite des opérations militaires, l'orientation politique à suivre, les discussions diplomatiques à engager, les mesures économiques à exécuter, constituent un tout cohérent tendu vers un seul et même but : la conquête de l'indépendance totale de l'Indonésie et l'émancipation sociale des masses indonésiennes. Ecrite pour un mouvement de libération nationale d'une colonie et se présentant comme l'expression du nationalisme conséquent d'un peuple opprimé, la brochure de Tan Malakka pousse aux conséquences ultimes de ce nationalisme révolutionnaire, en lui donant un sens de classe prolétarien absolument net. Dans ce sens, elle est parfaitement conforme à la théorie de la révolution permanente, sans la mentionner ou sans utiliser un vocabulaire identique. Il faut que le peuple travailleur ait un véritable intérêt à mener la guerre contre l'impérialisme, et cet intérêt il ne l'acquerra que si au moins 60% des possédants des moyens de production sont expropriés : cette idée se trouve comme un leitmotiv dans tout le texte. En certains endroits, Tan Malakka s'exprime avec une netteté encore plus grande :

"Les plans élaborés par des douzaines de "brain trusts" dans l'esprit d'une collaboration avec le grand capital étranger aboutiront à l'exploitation et à l'oppression des ouvriers et paysans indonésiens... Les prolétaires doivent remettre l'exécution d'un plan économique de grande envergure jusqu'à ce que la révolution se soit terminée par la victoire du prolétariat."
Pour ce nationaliste conséquent, les intérêts de classe du prolétariat ne sont nullement diluées dans une phraséologie de "démocratie nouvelle", mais restent nettement à l'avant-plan des considérations quelle que soit l'étape concrète de la révolution coloniale qu'il étudie et quelles que soient les tâches concrètes imposées par cette étape.

Brillante et simple à la fois - on sent chez Tan Malakka des capacités énormes d'éducateur de masses arriérées auxquelles il arrive à expliquer les problèmes les plus compliqués de la stratégie militaire - la brochure de Tan Malakka se borne aux problèmes de la lutte anti-colonialiste en Indonésie. Les problèmes internationaux ne sont qu'effleurés, et seulement en relation directe avec les questions de la révolution indonésienne. C'est pourquoi Tan Malakka ne traite pas la question du stalinisme et se limite à quelques constatations générales justes. Mais quand il aborde des prises de positions concrètes, il se différencie chaque fois de façon très nette des positions staliniennes. Pour l'Indonésie, le programme révolutionnaire qu'il propose s'oppose à la tactique opportuniste de collaboration de classe et de conciliation avec l'impérialisme poursuivie par les staliniens jusqu'à leur aventure putschiste criminelle de 1949 à Madioen. Quand il traite de la question de l'O.N.U., il combat toutes les illusions selon lesquelles l'O.N.U. pourrait garantir l'indépendance indonésienne, tout en expliquant correctement que le mouvement révolutionnaire indonésien doit exploiter à son profit les contradictions entre les différents groupes de puissances, membres de l'O.N.U. Quand il parle du danger de guerre, il signale que ce danger subsistera aussi longtemps que le capital subsiste. Quand il parle de l'Allemagne vaincue dans la deuxième guerre mondiale, il parle d'un peuple opprimé par ses vainqueurs. Isolé du monde dans sa prison, coupé des sources d'information les plus élémentaires, Tan Malakka s'oriente avec un instinct de classe remarquable même dans les questions internationales et on ne peut qu'admirer la clarté de cet instinct.

Depuis que la brochure de Tan Malakka a été rédigée, la situation a été à nouveau profondément modifiée en Indonésie [1]. Quand les armées impérialistes néerlandaises lancèrent pour la seconde fois une attaque militaire contre le territoire de la République, les masses indonésiennes ripostèrent par une levée en masse de partisans qui, bientôt, risqua de jeter les impérialistes à la mer. Acculé par la menace d'une défaite certaine, le gouvernement des Pays-Bas transféra la souveraineté aux Etats-Unis d'Indonésie et commença d évacuer ses troupes. En échange, la bourgeoisie indonésienne reconnut le droit de propriétés des impérialistes sur toutes leurs anciennes possessions, et s'associa aux Pays-Bas dans une "Union Néerlandaise" sous la couronne de la maison d'Orange-Nassau. La puissance de la montée révolutionnaire a depuis lors transformé les Etats-Unis d'Indonésie en une seule République centralisée et menace aujourd'hui directement la propriété capitaliste. Le PARTAI MURBA qu'inspirent les idées de Tan Malakka combat à l'avant-garde de la révolution indonésienne.

Le manque de place nous empêche de publier la brochure dans son ensemble. Nous publierons dans ce numéro toute la première partie qui a trait aux problèmes politiques de la révolution indonésienne. A cette partie succède un chapitre traitant des problèmes généraux de la stratégie militaire qui ne présente pas un intérêt particulier pour le lecteur occidental. Dans le prochain numéro de notre revue, nous reproduirons de larges extraits des troisième et quatrième partie de la brochure, traitant des problèmes militaires spécifiques de la guerre de partisans et des questions économiques de la révolution Indonésienne.

Q. I.

Note

[1] Voir à ce sujet l'article de Th. Van der Kolk : "L'Indépendance de l'Indonésie" (numéro de décembre 1949-janvier 1950 de Quatrième Internationale).

Introduction

Nous sommes acculés à l'abîme. Nos possibilités sur les plans politique, économique, financier et militaire sont réduites à l'extrême. Voilà le résultat de deux ans de négociations. L'unité du peuple dans la lutte contre le capitalisme et l'impérialisme est brisée.

Une grande partie du territoire indonésien est isolée, soumise à l'autorité de l'ennemi, dominée de nouveau par les Pays-Bas. Plusieurs Etats fantoches ont été créés et dressés les uns contre les autres. L'économie et lés finances des territoires encore administrés par la République se trouvent dans le plus grand désordre. La politique de "reconstruction et rationalisation" de l'armée menace de transformer celle-ci en une armée coloniale, c'est-à-dire une armée constituée avec l'argent des masses mais séparée de celles-ci et destinée à les maintenir dans un état de sujétion.

Tel est le chemin parcouru depuis la révolution ! Quand celle-ci éclata, 79 millions d'Indonésiens s'unirent dans la lutte contre le capitalisme et l'impérialisme. Toutes les sources de l'autorité se trouvèrent entre les mains des masses. La population tout entière prit l'initiative de constituer une armée et des services de défense qui s'étendaient tout le long des côtes et englobaient toutes les villes et tous les villages. Fermement unie elle organisa sa défense et se montra prête à tous les sacrifices.

Est-il possible de retrouver l'élan du 17 août 1945 ? L'histoire seule pourra répondre à cette question. Mais si l'histoire détermine le cours des événements, nous ne pouvons rester impassibles devant les dangers qui menacent le pays et risquent de le mener à sa perte. J'estime qu'une des mesures qui peuvent le plus contribuer à sauver le pays, c'est la formation sur terre et sur mer, partout, de guérillas. C'est pour exprimer mes opinions sur ce sujet que, j'ai écrit cette brochure. Certes il est regrettable que l'auteur ne soit pas un expert de l'art militaire; cependant il a eu certains contacts, tant à l'étranger qu'en Indonésie, avec des militaires et il s'est toujours senti attiré par la science de la guerre. Les connaissances dont il est fait usage dans ce travail sont nées de conversations avec des militaires et de la lecture, entreprise il y a quelques années, de livres et de revues consacrés aux problèmes de l'armée. Ces connaissances sont le résultat d'une étude qui m'a pris plus de 3 ans. Le désir de l'auteur, quand il était jeune et se trouvait en Europe, de devenir officier se heurta à de nombreuses objections et à, des obstacles importants; mais il eut pour résultat de concentrer, au cours de la dernière guerre mondiale, son attention sur des livres et des revues consacrés à des problèmes militaires. La formation ainsi acquise, ne fut pas perdue ultérieurement, bien que les longues années passées à l'étranger modifièrent certaines conceptions.

Entre les quatre murs de pierre et derrière les barreaux de fer, l'auteur ne dispose d'aucun ouvrage qui lui permette de vérifier l'exactitude de ses opinions. Dans ces conditions, il est possible que certaines des règles militaires qu'il formule apparaissent peu satisfaisantes. J'espère et je suis convaincu que les experts et les combattants le compléteront et élimineront les erreurs et les développements inutiles qu'il comporte. J'espère et je suis convaincu qu'ils me pardonneront mes erreurs et mes lacunes. Mais l'auteur, dans son isolement forcé, ne désire pas régler tous les problèmes militaires, aspects essentiels de la révolution; mais uniquement attirer l'attention sur leur importance.

Je souhaite que mes camarades de combat, qui connaissent mieux que moi les questions militaires, prennent l'initiative de rédiger un ouvrage sur l'art de la guerre. Pareil ouvrage est nécessaire si l'on veut populariser l'art militaire parmi les masses et la jeunesse. Les sujets techniques et le problème de l'instruction n'ont pas été abordés.

Dans ce cas j'estime que l'instruction japonaise de 2 à 3 ans et plus spécialement l'instruction et la technique de conduite de la guerre développée au cours de 2 à 3 ans de combats sur les champs de bataille indonésiens suffisent et sont bien connus de dizaines de milliers de soldats.

Je ne veux attirer l'attention que sur quelques préceptes militaires qui me paraissent importants. Ce sont ces principes qui, à côté d'autres sujets politiques et économiques, doivent être assimilés par les partisans, qu'ils soient officiers ou soldats. La technique des partisans espagnols qui désorganisa les armées de Napoléon; celle des quelques combattants Boers qui tinrent en échec la forte armée moderne des Anglais; celle des partisans russes qui au cours de la deuxième guerre mondiale qui vient de s'achever décontenança complètement les forces motorisées allemandes. Cette tactique est l'une des armes les plus importantes de la lutte des peuples opprimés et mal équipés contre un ennemi disposant d'un armement moderne.

Je souhaite que cette brochure, rédigée hâtivement dans les circonstances les plus difficiles, puisse être utile aux jeunes gens, aux héroïques combattants du prolétariat de la Grande Indonésie.

I. – La République indonésienne
Aspects de sa politique intérieure et extérieure

Deux périodes révolutionnaires

Depuis sa naissance, le 17 août 1945, jusqu'à aujourd'hui 17 mai 1948, la République a subi bien des changements. Durant ces deux ans trois quarts d'existence, elle n'a fait que reculer tant au point de vue économique, politique, militaire et diplomatique que moral.

Nous pouvons diviser l'histoire de la République en deux périodes, une période de luttes victorieuses et une période d'échecs diplomatiques.

La première période, celle des luttes victorieuses, commence le 17 août 1945 et se termine le 17 mars 1946. Son début est marqué par la proclamation de l'indépendance, sa fin par l'arrestation des dirigeants du Front populaire à Madioen.

La période des échecs diplomatiques dure depuis le 17 mars 1946 jusqu'à aujourd'hui. Elle a débuté par les arrestations de Madioen et continue encore, toujours marquée par des conversations diplomatiques.

Quelle est au point de vue politique la base de cette division en deux périodes ?

L'arrestation des dirigeants du Front populaire traduit le désir du gouvernement de la République de transformer la lutte des masses prolétariennes en une action purement diplomatique; de remplacer la diplomatie du "bamba runtjing" (lance à pointe de bambou aiguisée) par une diplomatie basée sur des négociations, de remplacer le mot d'ordre "négocier sur la base de la reconnaissance complète" par celui de "la paix par le sacrifice de la souveraineté, de l'indépendance, des ressources économiques et de la population", du sacrifice de tout ce qui avait été conquis par le peuple au cours de la première période. En bref, on remplaça la lutte jusqu'au départ du dernier ennemi par une tactique de concessions afin de conclure la paix avec l'ennemi.

Quelle est au point de vue économique la base de la division en deux périodes ?

Les mesures qui visaient à rendre tous les biens de l'ennemi au peuple indonésien qui y avait droit, furent remplacées par une politique visant à restituer toutes leurs possessions aux étrangers, y compris aux sujets ennemis; la construction d'une économie indépendante destinée à assurer la prospérité de tout le peuple indonésien (ce qui est conforme aux intérêts de tous les autres peuples) fut abandonnée et on se dirigea vers une collaboration avec les capitalistes et impérialistes néerlandais qui, depuis 350 ans, opprimaient et exploitaient le peuple indonésien.

Quelle est du point de vue militaire la base de cette division en deux périodes ?

Les attaques continuelles inspirées de la tactique des partisans et de la guerre de mouvement, dans l'intention de chasser ou d'exterminer l'ennemi, furent remplacées par la tactique du "cessez le feu" et de l'évacuation des poches au milieu des territoires occupes par l'ennemi.

En bref, la tactique militaire qui permettait d'affaiblir et finalement de vaincre l'ennemi fut remplacée par une politique qui donnait à l'ennemi l'occasion de se renforcer tandis que nous nous affaiblissions.

Quelle est au point de vue diplomatique la base de cette division en deux périodes ?

Il ressort des déclarations de l'ancien premier ministre Amir Sjarifuddin devant la Haute Cour militaire qui traitait l'affaire du 3 juin 1946, que l'arrestation des dirigeants du Front populaire à Madioen était en rapport avec la politique de négociations sur le plan diplomatique. D'après la déclaration d'Amir Sjarifuddin, l'arrestation des leaders du Front populaire par le gouvernement républicain eut lieu sur la demande écrite de la délégation indonésienne auprès des Hollandais.

Cette délégation était une mission républicaine de contact qui entretenait en ce moment des rapports avec des représentants anglais et néerlandais. La requête écrite visant à l'arrestation n'émanait pas du gouvernement de la République. Elle était donc inspirée par l'étranger, les Anglais ou les Néerlandais. Il s'agit donc d'une "concession" de la République à la pression des Anglais ou des Néerlandais. Le gouvernement a donc, en réalité, procédé à l'arrestation de citoyens à la requête de l'ennemi. C'était fort regrettable pour les intéressés; ce l'était encore plus pour l'Etat indonésien dont la souveraineté n'était pas respectée.

Quelles furent les conséquences de ce cours nouveau qui remplaça la lutte par la négociation ?

Dans toute l'Indonésie, dans toute la société, dans chaque parti, chaque instance militaire, l'esprit d'initiative; de décision, d'unanimité, d'offensive a cédé la place à l'acceptation passive, la faiblesse, la division et la méfiance réciproque.

Bilan

Si nous dressons au point de vue politique, économique, militaire et social, le compte de profits et pertes des deux périodes, nous arrivons approximativement à l'image suivante

I. Politique

A. Territoire.

B. La population.

II. Économique

A. Production.

B. Communications.

III. Militaire

IV. Politique sociale

Conclusion

La souveraineté appartient, conformément à l'accord de Lingadjatti, à la couronne néerlandaise ; une douzaine d'Etats fantoches ont été créés ; presque toutes les plantations, les usines, les exploitations minières ainsi que les moyens de transport et les banques seront restituées aux étrangers; presque toutes les richesses minières se trouvent dans les territoires occupés par les Néerlandais ; l'armée néerlandaise occupe une partie du territoire indonésien ; le blocus de la République continue; la 5ème colonne s'installe dans les partis, les organisations, l'armée et l'administration. A la suite de l'accord de Renville, le gouvernement de la République ne conservera que 10% de l'autorité apparente qu'il détient encore.

II. – La Gerpolek

Définition
Le mot "gerpolek" est une combinaison des premières syllabes des mots "Gerilja", "Politik" et "Economi" (guérilla, politique et économie).

Utilité de la gerpolek
La gerpolek est l'arme du partisan dans sa lutte pour le maintien de la proclamation du 17 août 1945 et l'indépendance complète.

Le partisan
Le partisan est le jeune indonésien, le prolétaire qui reste fidèle à la proclamation du 17 août et à l'indépendance complète et est prêt à détruire toutes les forces qui s'opposent à cette proclamation et à cette indépendance complète.
Le partisan ne se laisse pas influencer par la durée de la lutte. Il remplira son devoir avec courage, persévérance et confiance même si la lutte dure aussi longtemps que sa vie. Il ne cessera la lutte que quand l'indépendance complète aura été réalisée. Le partisan ne perdra pas courage s'il doit avec ses armes primitives affronter un ennemi disposant de tout l'armement moderne. La lutte des guérillas qui se faix également sur le plan économique et politique, l'application de la "Gerpolek" le rendent heureux et il lutte sans arrêt, avec un courage imbattable, qui ne peut être brisé que par le climat rigoureux, l'ennemi ou par la mort. De même qu'Anoman était persuadé que par sa force et son intelligence il pouvait venir à bout de Dasamuka, le partisan est confiant et croit que la "Gerpolek" pourra lui assurer la victoire sur le capitalisme et l'impérialisme.

III. – Des différentes espèces de guerres

Nous pouvons, d'après les objectifs des belligérants, diviser les guerres en deux catégories. Cette division se fait sur la base d'oppositions nettes. Les deux catégories n'ont rien de commun. La division est donc absolue.

Première catégorie : la guerre d'une nation dominatrice contre un autre peuple dans le but de le dominer et de l'opprimer.

Deuxième catégorie : la guerre du peuple attaqué contre l'agresseur, ou la lutte de libération contre ses dominateurs.

Les guerres de la première catégorie sont des guerres de conquête, celles de la seconde des guerres de libération.

La plupart des guerres asiatiques, africaines et européennes à l'époque féodale avaient pour but la conquête des terres; ces guerres dont nous avons entendu parler dans les contes et les fables, étaient des guerres de conquête. Les guerres de conquête de l'époque capitaliste, nous les appelons des guerres impérialistes.

Le but d'une guerre impérialiste est :
a) La mainmise sur les matières premières, de l'industrie et les produits alimentaires du pays conquis,
b) La conquête du marché du pays vaincu en vue de le réserver aux produits industriels du pays vainqueur,
c) L'investissement des capitaux du pays vainqueur dans les plantations, les exploitations minières, les industries, les moyens de transport, les exportations commerciales, les banques et les compagnies d'assurances du pays vaincu.

Ces objectifs conduisent à enrichir et à renforcer les capitalistes du pays vainqueur et à augmenter la misère, la pauvreté et le retard culturel du pays vaincu.

Mais la misère et l'oppression feront naître dans le pays vaincu un mouvement de libération nationale qui tendra à le libérer de l'exploitation et de la domination des étrangers. Ce mouvement de libération culminera en une guerre de libération. C'est cette espèce de guerres que nous avons classée dans la deuxième catégorie.

L'époque féodale comme l'époque capitaliste ont connu de nombreuses guerres de libération.

Les guerres de libération peuvent être divisées en deux catégories :

La guerre de libération d'un peuple colonial contre ses oppresseurs pour se libérer de ses chaînes. Une telle guerre est souvent dénommée guerre de libération nationale.
La guerre de libération nationale la mieux connue est celle de l'Amérique contre les impérialistes anglais. Cette guerre a duré environ 7 ans. Mais cette guerre n'opposait pas deux peuples différents, mais des Anglo-Saxons à d'autres Anglo-Saxons.

La guerre de libération d'une classe contre une autre classe du même peuple. Cette guerre est aussi dénommée guerre civile ou guerre sociale.
Les guerres civiles peuvent être bourgeoises ou prolétariennes. L'exemple classique de la guerre civile bourgeoise est celle qui a eu lieu en France de 1789 à 1848. Dans cette guerre civile ou sociale, les bourgeois luttaient contre les féodaux et le clergé. Elle se termina par la victoire des bourgeois en 1848. Un exemple connu de guerre civile prolétarienne est la Commune de Paris pendant laquelle les ouvriers détinrent le pouvoir à Paris pendant 72 jours.
En 1917 des révolutions permanentes, d'abord bourgeoises et ensuite prolétariennes, eurent lieu en Russie. Au début les bourgeois parvinrent à chasser les féodaux; au cours de la deuxième phase, les prolétaires détruisirent par la violence les groupes féodaux, le clergé et la bourgeoisie.

On parle parfois de guerres idéologiques, mais celles-ci ne cachent que la poursuite d'avantages politiques et économiques...

IV. – La guerre en Indonésie

Analyse de la guerre menée, depuis la proclamation du 17 août 1945, contre les Japonais, les Anglais, et les Néerlandais.

Espèce, catégorie et caractère de la guerre en Indonésie.

La lutte menée par le peuple indonésien depuis la proclamation du 17 août 1945 n'est pas une guerre de conquête. Les Indonésiens n'ont jamais, au cours des combats, eu l'intention d'occuper des territoires étrangers ni d'opprimer et d'exploiter leurs habitants. Le peuple et les "Jeunesses" d'Indonésie n'avaient qu'un seul désir : libérer leur pays de la domination étrangère. C'est en vue de réaliser ce désir que la République indonésienne fut proclamée et constituée le 17 août 1945.

Il ressort de ce qui précède que la lutte des Indonésiens est une guerre de libération.

La lutte de libération des Indonésiens n'est-elle qu'une révolution nationale destinée à affranchir le pays de la domination étrangère et ne sera-t-elle que la conquête du pouvoir politique ?

La révolution nationale américaine n'eut pas d'incidence économique et se fit à une époque où il n'existait pas encore, d'industrie, où les trains modernes ne roulaient pas encore, et où l'économie était encore à un stade régional et artisanal.

C'est sans doute parce que l'Amérique se trouvait dans cet état que les Anglais purent y renoncer facilement. Ils ne laissaient pas derrière eux de fabriques, de plantations, de mines, de chemins de fer, de chantiers maritimes. Le pays qu'ils abandonnaient était habité par des Anglais et ceux-ci reprirent la souveraineté et l'autorité politique.

Les Néerlandais, par contre, qui sont propriétaires des plantations, des exploitations minières, des usines, des chemins de fer, des chantiers maritimes, n'abandonneront probablement pas si facilement la souveraineté et l'autorité politique à un peuple avec une langue, une culture et des intérêts différents, le peuple indonésien. D'autant plus que les Indonésiens ne sont généralement pas propriétaires d'entreprises, d'usines, de banques et de moyens de transport aussi importants. Aux yeux des Néerlandais, le transfert de la souveraineté et de l'autorité politique au peuple indonésien constitue une menace pour leurs propriétés et leurs concitoyens dans l'archipel. Ils craignent que la République ne mette des impôts trop lourds sur leurs entreprises ou même porte atteinte à leurs droits de propriété. Ils craignent que les travailleurs indonésiens ne se mettent en grève, ou que les Indonésiens ne s'approprient complètement leurs biens. En bref, les Néerlandais n'abandonneront pas sans lutte la souveraineté et l'autorité politique totale aux Indonésiens.

D'autre part, le transfert de la souveraineté et de l'autorité politique ne constitue pas en lui-même une victoire du prolétariat. Si le transfert de la souveraineté conduisait à faire occuper tous les postes gouvernementaux par des gens comme le Professeur Hossein Djajadiningrau, le colonel Adbul Kadir et le Sultan Hamid, tandis que la vie économique resterait dominée par les étrangers, la révolution nationale n'aurait pas modifié la situation dans laquelle les masses se trouvaient du temps des "Indes néerlandaises". En bref, la seule indépendance nationale, la seule indépendance politique n'ont pas de signification pour le prolétariat, les ouvriers, les paysans et toutes les classes non possédantes.

En Indonésie, les Néerlandais ne peuvent pas faire abandon de leurs droits politiques sans mettre en danger en même temps leurs intérêts capitalistes. Le peuple indonésien ne peut assurer sa survivance en limitant son action à l'obtention de droits politiques, sans mettre en cause la domination économique des capitalistes étrangers. Les questions économiques et politiques sont étroitement liées.

La lutte de libération du prolétariat indonésien est une lutte pour l'indépendance politique et économique sans qu'il soit possible de dissocier les objectifs politiques, économiques et sociaux. La lutte de libération indonésienne ne tend pas seulement à l'élimination politique de l'impérialisme mais également à la suppression de l'exploitation économique et à l'obtention dans la nouvelle société du droit à la vie. La révolution indonésienne n'est pas une simple révolution nationale comme le veulent certains Indonésiens qui ne visent qu'à maintenir ou à améliorer leur situation, tout en étant prêts à céder toutes les sources de richesses à des étrangers, qu'ils soient les alliés ou les ennemis de la nation. La révolution doit associer les mesures économiques et sociales à celles qui visent à réaliser l'indépendance complète. La révolution ne peut être victorieuse si elle ne dépasse pas les bornes d'une révolution nationale.

La lutte de libération du peuple indonésien doit tendre à l'obtention de garanties sociales et économiques.

Ce n'est que lorsque le prolétariat indonésien disposera, à côté de tout le pouvoir politique, de 60% du pouvoir économique que la révolution nationale aura atteint sa signification. Ce n'est qu'alors que l'existence du prolétariat indonésien sera assurée. Ce n'est qu'alors qu'il tâchera de résister activement à l'ennemi et qu'il se sacrifiera pour créer à son bénéfice et à celui des générations suivantes une société nouvelle.

Ce ne sera que quand les représentants du peuple - élus par le peuple indonésien dans des élections démocratiques, générales, directes et secrètes - auront le pouvoir politique en mains et que d'autre part 60% des plantations, usines, exploitations minières, transports et banques seront aux mains du peuple que la révolution nationale aura atteint toute sa signification et pourra assurer l'avenir du prolétariat. Mais si les laquais des capitalistes étrangers vont à nouveau gouverner, le pays - même si ces laquais sont des Indonésiens - et si 100% des entreprises modernes tombent aux mains des capitalistes comme à l'époque des "Indes néerlandaises", alors la révolution nationale sera la négation de la Proclamation et de l'indépendance nationale, et le début du retour des capitalistes et des impérialistes.

En réalité l'Indonésie indépendante a depuis le 17 août 1945, vu l'agression des Néerlandais qui ont attaqué la République indonésienne dans le but de la détruire, le droit de confisquer tous les biens des agresseurs.

La proclamation de l'indépendance du peuple indonésien, faite le 17 août 1945, n'est pas contraire au droit international qui reconnaît à chaque peuple le droit de déterminer son sort.

Le peuple indonésien a décidé le 17 août de constituer un Etat indépendant et de briser toutes les chaînes que les étrangers lui avaient imposées.

D'autre part, toujours conformément au droit international - tout peuple attaqué par un autre a le droit de se défendre par les armes et de confisquer les biens de l'agresseur. L'attaque des Néerlandais contre la République fournit donc au peuple indonésien une belle occasion de confisquer, C'est-à-dire de saisir sans indemnités, tous les biens des Néerlandais qui ne sont d'ailleurs que le produit du sol et du travail des prolétaires indonésiens pendant 350 ans.

Le partisan doit donc considérer la défense de l'indépendance complète et la confiscation de tous les biens ennemis comme une occasion unique, tombée du ciel et offerte aux Indonésiens pour qu'ils puissent accomplir une tâche élevée et effectuer un travail sacré.

Seuls les gens sans intelligence ne perçoivent pas cette occasion. Seuls des lâches et des malhonnêtes peuvent ne pas désirer accomplir une tâche qui, si elle est lourde, sera cependant fondamentalement utile à la société présente et future.

(à suivre.)