1870-71

Marx et Engels face au premier gouvernement ouvrier de l'histoire...


La Commune de 1871

K. Marx - F. Engels

Rapport de forces et conditions préalables

Analyse de l'opposition au bonapartisme


« Que la paix avec l'Autriche [en août 1866] portât dans son sein la guerre avec la France, cela Bismarck non seulement le savait, mais il le voulait [1]. En effet, cette guerre devait fournir le moyen de parfaire cet Empire prusso-allemand que la bourgeoisie lui prescrivait de réaliser. » Fr. Engels, Rôle de la violence et de l'économie dans l'instauration de l'Empire allemand moderne.

Engels à Marx

Manchester, le 10 août 1866

Cher Maure,

... La note de Bonaparte semble prouver qu'il y a une fêlure dans ses relations avec Bismarck, sinon sa revendication n'eût sans doute pas été formulée en des termes si grossiers, de façon si imprévue et juste à l'instant le plus mal choisi pour Bismarck [2]. Celui-ci se ficherait sans doute de la satisfaire, mais comment le pourrait-il désormais ? Que dirait l'armée victorieuse ? Et le parlement allemand, les chambres, et les Allemands du Sud ? Et cette vieille bourrique [Guillaume 1er] qui a un air aussi stupidement béat que mon chien Dido lorsqu'il a le ventre trop plein, et qui a déclaré qu'il ne céderait pas un pouce de territoire allemand, etc. ?

L'envoi de cette dépêche est une grosse bêtise de Bonaparte, mais les clameurs de l'opposition et probablement aussi de l'armée l'auront forcé, je pense, à précipiter les choses. Or, cela peut devenir très dangereux pour lui. Ou bien Bismarck s'arrange pour pouvoir céder, et alors il est obligé, à la première occasion, de faire la guerre à Bonaparte afin de prendre sa revanche; ou bien il n'est pas en état de céder, et alors c'est la guerre à plus brève échéance encore. Dans les deux cas, Bonaparte court le risque d'être obligé de faire la guerre malgré lui, sans la préparation diplomatique voulue, sans alliances sûres, et nettement en vue de conquêtes. Au reste, il y a déjà quelques années, Bismarck a déclaré au ministre hanovrien Platen qu'il placerait l'Allemagne sous le casque prussien, puis la conduirait contre les Français pour « la bien souder ensemble ».  [3]

Meilleures salutations à ta femme et aux filles.

Ton F. E.

Engels à Marx

Manchester, le 4 avril 1867

Cher Maure,

... Il n'y a plus le moindre doute que Bismarck soit l'allié des Russes [4]. Mais jamais ceux-ci n'ont eu à payer aussi cher l'alliance prussienne. En effet, ils ont dû lui sacrifier toute leur politique allemande traditionnelle. Si, comme de coutume, ils se figurent que cette fois encore c'est tout à fait momentané, ils se trompent sans doute lourdement. D'ores et déjà, il semble bien, en dépit des simagrées impériales, etc., que l'unité allemande s'impose comme force contraignante qui déborde la volonté particulière de Bismarck et de tous les Prussiens. C'est pourquoi les Russes sont obligés d'accélérer leur progression en Orient, car la présente conjoncture favorable ne durera certainement pas longtemps. Mais, on peut mesurer en Russie la crise financière et les difficultés du développement industriel - s'il y en a (Fr.) - au fait que, onze ans après la guerre de Crimée, il n'existe toujours pas de ligne de chemin de fer en direction d'Odessa et de la Bessarabie, ce qui équivaudrait à deux armées dans les conditions actuelles. Si tout marche au gré des Russes, on peut penser que le conflit éclatera cette année encore.

L'affaire du Luxembourg semble suivre le même cours que celles de Sarrelouis et de Landau.  [5]. Il est certain qu'en 1866 Bismarck a offert de vendre le Luxembourg à Bonaparte,  [6], mais celui-ci ne semble pas avoir manifesté assez d'empressement, espérant sans doute se voir offrir plus tard davantage à titre gracieux. Or, je sais maintenant de source sûre que l'ambassadeur prussien Bernstorff a déclaré, il y a quelques jours, au ministre plénipotentiaire de la Hanse à Londres (Geffcken) que, d'après une dépêche reçue, la Prusse ne céderait en aucun cas dans l'affaire luxembourgeoise. Il s'agit de la dépêche qui est mentionnée par l'hebdomadaire Owl et qui demande à l'Angleterre d'user de son influence à La Haye, à la suite de quoi la Hollande se serait abstenue dans l'affaire (du Luxembourg).

En fait, il se trouve que, dans la situation actuelle, Bismarck ne peut absolument pas permettre aux Français d'annexer un territoire allemand, sans que tous ses exploits et conquêtes tombent dans le ridicule. Et puis, le vieil âne de Guillaume n'a-t-il pas déclaré: « pas un seul village allemand », de sorte qu'il est personnellement engagé. Cependant, il n'est pas exclu que le marché se fasse tout de même: la Gazette de Cologne ne clame-t-elle pas hystériquement qu'on ne peut faire la guerre pour le Luxembourg et que la Prusse n'a aucun droit sur ce pays, le Luxembourg ne devant pas être considéré comme appartenant à l'Allemagne, etc. jamais elle n'a eu une attitude aussi vile.

Bismarck n'est certes pas Faust, mais il a cependant son Wagener. C'est à mourir de rire que de voir comment ce malheureux traduit à la Wagener les faits et intentions de son maître et seigneur. Dernièrement, Bismarck a utilisé une tournure métaphorique où figurait un cheval. Voulant l'imiter en ceci comme en tout, notre Wagener s'écrie à la fin de son discours: Messieurs, cessons d'enfourcher nos dadas, et montons la noble jument pur-sang: la Germanie. À l'époque de la Terreur, les Parisiens disaient: montez mademoiselle !  [7]...

Marx à Eccarius et Lessner

Instruction pour le Congrès de l'Internationale de Bruxelles en septembre 1868

Londres, le 10 septembre 1868

Chers Eccarius et Lessner,

... Les histoires de la guerre intéressent naturellement le public au plus haut point. Des déclarations ronflantes et de grands mots ne feraient pas de mal ici. La résolution  [8] qu'il faudrait adopter me semble très simple: la classe ouvrière n'est pas encore suffisamment organisée pour peser dans la balance de manière tant soit peu efficace, mais que le Congrès proteste et dénonce les fauteurs de guerre au nom de la classe ouvrière, qu'il proclame que la guerre entre la France et l'Allemagne serait une guerre civile, ruineuse pour les deux pays et l'Europe en général. Il me semble que l'on peut arriver à faire admettre à messieurs les Français et Belges la remarque selon laquelle la guerre ne peut servir que le gouvernement russe...

Si l'on aborde la question du crédit mutuel, etc., Eccarius devra déclarer simplement que les ouvriers d'Angleterre, de France et des États-Unis n'ont aucun intérêt à ces dogmes proudhoniens et qu'il faut traiter la question du crédit comme secondaire.  [9]

Marx à Engels

Londres, le 11 septembre 1867

Cher Fred,

... Au prochain Congrès de Bruxelles, je tordrai moi-même le cou à ces ânes de Proudhoniens. J'ai préparé toute l'affaire de manière diplomatique et je n'ai pas voulu paraître personnellement avant que mon livre (le Capital) ne fût publié et que notre Internationale n'eût pris racine. Dans le rapport officiel du Conseil général (où, malgré tous leurs efforts, les bavards parisiens n'ont pu empêcher notre réélection), je ne manquerai pas de les fustiger comme il faut.

Dans l'intervalle, notre Association a fait de grands progrès. Le misérable Star, qui voulait nous ignorer totalement, a déclaré dans son éditorial d'hier que nous étions plus importants que le Congrès de la Paix. À Berlin, Schulze-Delitzsch n'a pu empêcher sa « société ouvrière » d'adhérer à notre Association. Ces cochons d'Anglais des trade-unions, pour qui nous avions des positions trop avancées, courent maintenant après nous. Outre le Courrier français, la Liberté de Girardin, le Siècle, le Monde, La Gazette de France, etc. ont donné des comptes rendus de notre Congrès. Les choses marchent (Fr.). Et à la prochaine révolution - moins éloignée peut-être qu'on ne le croit - nous aurons (toi et moi) cette puissante organisation entre les mains.  [10] Compare nos résultats avec ceux que Mazzini a obtenus avec ses machinations depuis trente ans ! Et cela sans ressources financières ! Malgré les intrigues des Proudhoniens à Paris, de Mazzini en Italie, les velléités d'Odger, de Cremer, de Potter à Londres, les obstacles de Schulze-Delitzsch et des Lassaliens en Allemagne, nous pouvons nous déclarer très satisfaits...

Marx à Kugelmann

Londres, le 9 octobre 1866

Cher ami,

... J'avais de vives appréhensions pour le premier Congrès de l'Internationale à Genève. Son effet en France, en Angleterre et en Amérique a été inespéré. Je ne pouvais ni ne voulais m'y rendre, mais j'ai élaboré le programme des délégués londoniens. À dessein, je l'ai limité aux points susceptibles d'un accord immédiat et d'une action commune des travailleurs, afin de donner un aliment et une impulsion directe aux exigences de la lutte de classe et de l'organisation des travailleurs en classe.

Messieurs les Parisiens avaient la tête pleine de phrases proudhoniennes les plus creuses: ils bavardent sur la science, et ne savent rien eux-mêmes; ils dédaignent toute action révolutionnaire, surgissant directement de la lutte des classes, tout mouvement social centralisé, donc réalisable aussi par des moyens politiques (par exemple, la diminution légale de la journée de travail), sous prétexte de liberté, d'anti-gouvernementalisme ou d'individualisme anti-autoritaire. Ces messieurs qui, depuis seize ans, ont supporté et supportent tranquillement le despotisme le plus vil, prônent en fait une vulgaire économie bourgeoise, mais enjolivée d'idéalisme proudhonien.

Proudhon a fait un mal énorme. Son semblant de critique et son simulacre d'opposition aux utopistes - il n'est lui-même qu'un utopiste petit-bourgeois, alors que les utopies d'un Fourier, Owen, etc. sont l'intuition et l'expression imaginaire d'un monde nouveau - ont d'abord séduit et corrompu la jeunesse brillante (Fr.), les étudiants, puis les ouvriers, surtout parisiens qui, en qualité d'ouvriers de luxe, restent sans le savoir fortement attachés à toutes ces vieilleries  [11]. Ignorants, vaniteux, arrogants, bavards, emphatiques, ils étaient sur le point de tout gâcher, car ils étaient au Congrès en un nombre qui ne correspond absolument pas à celui de leurs adhérents. Dans le rapport, je leur taperai sur les doigts, en sous-main...

Engels à Marx

Manchester, le 11 septembre 1867

Cher Maure,

... Puisque tu es en relation avec Vermorel, ne pourrais-tu atténuer les sottises qu'il écrit sur l'Allemagne ? Il abuse vraiment lorsqu'il demande à Bonaparte de devenir libéral - au sens bourgeois - et d'entreprendre ensuite une guerre pour libérer l'Allemagne de la tyrannie de Bismarck. Même s'ils font une révolution, ces crapauds devront prendre des gants avec l'Allemagne. Mais comment peuvent-ils se figurer qu'il suffira d'un léger tournant libéral pour qu'ils puissent jouer de nouveau leur ancien rôle ? Je tiens pour très important - surtout dans le cas d'une révolution - d'habituer ces messieurs à traiter avec nous d'égal à égal.  [12] À les en croire, le bismarckisme en Allemagne est une propriété naturelle de l'Allemand, que leur intervention est appelée à faire disparaître, tandis que chez eux le bonapartisme est un pur accident, qu'un simple changement de ministère suffirait à écarter, et même à changer en son contraire...

Engels à Marx

Manchester, le 21 juillet 1869

Cher Maure,

... Monsieur Bonaparte semble perdre complètement l'esprit. Il fait gaffe sur gaffe. D'abord le message, avec un simulacre de concessions, puis ajournement soudain, maintenant ce ministère burlesque.  [13]. Il ne pouvait pas mieux s'y prendre pour faire comprendre, même au Français le plus borné, qu'il cherche à ridiculiser la France aux yeux du monde entier. C'est la meilleure méthode pour semer le désarroi parmi sa majorité, ses ministres et préfets, ses juges et officiers. Et comme tout ce beau monde ne lui est attaché que parce que le succès lui a souri et qu'il l'a grassement payé, il en sera encore plus vite lâché que ne le fut Napoléon Ier par le Sénat et le Corps législatif en 1814 et 1815. En effet, il ne faut vraiment plus grand-chose pour que ce beau monde n'ait plus aucun respect pour monsieur Louis.

Que devient le 18-Brumaire ? Je n'en ai absolument plus aucune nouvelle...

Marx à Kugelmann

Londres, le 3 mars 1869

Cher Kugelmann,

... Une évolution très intéressante se dessine en France.

Les Parisiens se remettent sérieusement à étudier leur passé révolutionnaire récent. ils se préparent ainsi à la nouvelle entreprise révolutionnaire qui se rapproche. Ce fut d'abord l'Origine de l'Empire, puis le Coup d'État de Décembre. Tout cela était complètement oublié, tout comme en Allemagne la réaction a réussi à effacer complètement le souvenir de 1848-1849.

C'est ce qui explique que les livres de Ténot sur le Coup d'État aient fait si grande sensation, à Paris comme en province. En un rien de temps, dix Éditions ont été épuisées. Puis il y eut des douzaines d'études sur cette période. C'était la rage (Fr.), une véritable spéculation pour les maisons d'édition.

Ces ouvrages émanaient de l'opposition. Ténot, par exemple, est un homme du Siècle (bien sûr, le journal bourgeois libéral, et non notre siècle). Toute la fripouille libérale et illibérale de l'opposition officielle favorise ce mouvement. La démocratie républicaine fait de même; par exemple, Delescluze, ancien bras droit de Ledru-Rollin, qui, à titre de patriarche républicain, rédige maintenant le Réveil à Paris.

Jusqu'à ce jour, tout ce qui n'est pas bonapartiste s'est grisé de ces révélations posthumes, ou plutôt de ces réminiscences.

Mais voici le revers de la médaille. D'abord, le gouvernement français lui-même a fait publier les Massacres de juin 1848 du renégat Hippolyte Castille. C'est un soufflet pour les Thiers, Falloux, Marie, Jules Favre, Jules Simon, Pelletan, etc., bref les chefs de ce qu'on appelle en France l'Union libérale, ces vieux chiens infâmes, qui cherchent à escamoter les prochaines élections.  [14]

Puis, ce fut le Parti socialiste, qui fit des « révélations » sur l'opposition et les démocrates républicains de vieille souche. Entre autres, Vermorel avec les Hommes de 1848 et l'Opposition. Vermorel est proudhonien.

Enfin, ce furent les blanquistes, avec G. Tridon: Gironde et Girondins.

C'est ainsi que l'histoire fait bouillir son chaudron de sorcière.

Quand en serons-nous là en Allemagne ?

Comme vous allez le voir, la police française fonctionne bien: J'avais l'intention d'aller rendre visite à ma fille, au début de la semaine prochaine à Paris. Samedi dernier, un agent de police est venu demander à Lafargue si M. Marx était déjà arrivé: il avait une commission à lui faire. Nous voilà prévenus.

Mes meilleures salutations à votre chère femme et au petit François.

Votre K. M.

Marx à Engels

Londres, le 14 novembre 1868

Cher Fred,

... Les fantômes hantent Paris: l'affaire Baudin rappelle sérieusement le mouvement des banquets sous Louis-Philippe.  [15] Seulement la Garde nationale fait défaut, et Bugeaud (dans la mesure où la violence intervient) est désormais prêt dès le premier jour, alors qu'en février 1848 l'armée est intervenue le dernier jour, et à un moment où il n'y avait plus de ministère, c'est-à-dire lorsqu'il n'y avait aucun gouvernement. D'ailleurs, il ne faut pas miser sur l'édification de barricades. Abstraction faite du banni Weber-Pyat, je ne vois pas comment une révolution pourrait réussir à Paris, à moins que l'armée se détache du pouvoir et le trahisse, ou qu'elle se fractionne  [16].

Engels à Marx

Manchester, le 20 novembre 1868

Cher Maure,

... Militairement parlant, les Parisiens n'ont pas la moindre chance de succès s'ils déclenchent la révolution maintenant. On ne se débarrasse pas si facilement du bonapartisme. Rien à faire sans révolte des militaires. À mon avis, il faut au moins que la garde mobile hésite entre le peuple et l'armée pour que l'on risque un coup. Il saute aux yeux que Bonaparte souhaite une telle tentative, mais les révolutionnaires seraient des ânes s'ils réalisaient ses vœux. Il y a en outre que les fusils: 1° peuvent être rendus très facilement inutilisables (enlever l'aiguille), et 2° même s'ils tombent entre les mains des insurgés, ne valent rien tant qu'on n'a pas les munitions spécifiques que l'on ne peut fabriquer soi-même, comme cela se faisait pour les cartouches d'antan. Même pourquoi devraient-ils déclencher un moment juste maintenant ? La prolongation de cet état de choses nuit chaque jour davantage à Bonaparte, et puis il n'y a pas de raison déterminée de déclencher les choses. Bonaparte lui-même se garde bien de fournir une raison, les révolutionnaires seuls pouvant en avoir besoin...

Marx à Engels

Londres, le 14 décembre 1868

Cher Fred,

Samedi soir, nous avons reçu Ténot (« Paris » et « Provinces ») et les débats du procès Baudin. Je t'envoie aujourd'hui Ténot («Paris») et Baudin. Tu auras le Ténot (« Provinces ») d'ici quelques jours. Tu pourras rapporter le tout à l'occasion, étant donné qu'à part moi personne d'autre ici ne lit ces papiers.

Dans le « Paris » de Ténot - je n'ai pas encore lu ses « Provinces» - je ne trouve pas grand-chose de neuf, hormis des détails. L'effet extraordinaire de sensation que ce livre a occasionné à Paris et même dans toute la France prouve un fait intéressant, à savoir que la génération qui a grandi sous Badinguet,  [17] ne sait absolument rien de l'histoire du régime dans lequel elle vit. Tout le monde se frotte les yeux à présent, et tombe des nues. Si l'on veut comparer le petit avec le grand, ne peut-on dire qu'à notre manière la même chose s'est produite pour nous ? En Allemagne, c'est maintenant une nouveauté que Lassalle n'est qu'un de nos satellites et qu'il n'a pas découvert la « lutte des classes ».

Je ne trouve rien de marquant dans le discours de Gambetta, qui fait maintenant figure de lion en France. Sa façon de faire évoque de manière frappante celle de Michel de Bourges. Cette médiocrité s'est également fait connaître au grand public grâce à un procès politique. Quelques mois avant la révolution de Février, ce Michel avait déclaré qu'il était revenu de ses illusions démocratiques, étant donné que la « démocratie » se transformait toujours en « démagogie». Naturellement, cela ne l'empêcha pas, après Février, de briller comme républicain de la veille (Fr.) et, nolens volens, de rendre de signalés services à Bonaparte, notamment dans l'affaire de la questure  [18]. Il était également plus ou moins en liaison avec le républicain Plon-Plon  [19].

Je me suis littéralement délecté en suivant pas à pas les débats des républicains modérés qui siègent dans l'assemblée législative du 10e arrondissement  [20] . Je ne crois pas que l'on puisse retrouver une pareille tragi-comédie dans toute l'histoire universelle, du moins dans une exécution aussi pure. Le Parlement de Francfort, et même celui de Stuttgart  [21] n'étaient rien en comparaison. Seuls les Français savent mettre en scène des Assemblées ou des parlements croupions où ne siègent que des salauds...  [22]

Engels à Marx

Manchester, le 11 février 1870

Cher Maure,

... C'est une bonne chose que Rochefort le bien nanti -ou Rushforth  [23]. comme l'appelle Lizzie fasse maintenant un séjour en prison  [24]. La petite presse marche déjà bien, mais si elle supplantait tout le reste, je ne la trouverais plus à mon goût. Toute cette espèce de gens porte encore toujours en elle ses origines du bas-empire. Lorsque Rochefort prêche l'harmonie entre bourgeois et ouvriers, c'est proprement divertissant. D'autre part, les chefs « sérieux » du mouvement sont vraiment trop sérieux. C'est véritablement étrange. La provision de cerveaux, dont le prolétariat a bénéficié des autres classes, semble depuis lors totalement tarie, et cela dans tous les pays. Il semble que les ouvriers doivent désormais faire de plus en plus les choses eux-mêmes.

Que fait l'illustre Gaudissart  [25] ? Je ne vois et n'entends absolument rien de lui. N'a-t-il pas repris ses affaires ?

Meilleures salutations.

Ton F. E.

Marx à Engels

Londres, le 18 mai 1870

Cher Fred,

... Les membres français de l'Internationale démontrent devant nos yeux au gouvernement français la différence qu'il y a entre une société politique secrète et une véritable association ouvrière. À peine a-t-il jeté en prison tous les membres des comités de Paris, Lyon, Rouen, Marseille, etc. (dont une partie s'est réfugiée en Suisse et en Belgique), que les journaux annoncent que des sections deux fois plus nombreuses les remplacent, en faisant les déclarations les plus insolentes et les plus provocantes (en prenant même soin d'indiquer leurs adresses privées)  [26]. Le gouvernement français a enfin fait ce que nous désirions depuis si longtemps, à savoir transformer la question politique: Empire ou République, en une question de vie ou de mort pour la classe ouvrière  [27] !

En somme, le plébiscite donne à l'Empire un coup fatal. Comme tant d'électeurs se sont déclarés pour l'Empire grâce à la formule constitutionnelle, Boustrapa croit pouvoir restaurer impunément l'Empire sans aucune formule, c'est-à-dire le régime de Décembre. D'après toutes les nouvelles personnelles, la société du 10 Décembre est entièrement restaurée et très active  [28].

Salut.

Ton K.M.


Notes

[1] Chaque crise profonde - guerre ou révolution - entraîne une restructuration des institutions sociales et un changement des rapports de force entre classes ou nations, qui préfigurent l'évolution future et annoncent les conflits ultérieurs. Vers la fin des hostilités entre la Prusse et l'Autriche en 1866, Marx écrivait à Engels: « Il est évident que tout ce qui centralise la bourgeoisie est favorable aux ouvriers. De toute façon, même si la paix est conclue demain, elle sera encore plus provisoire que celle de Villa-franca et de Zurich [en 1859]. Dès que l'on aura procédé, de part et d'autre, à une « réforme militaire », on recommencera à se taper dessus, comme le disait Schapper. En tout cas, d'ores et déjà, Bonaparte a essuyé une défaite, bien que la formation de royaumes militaires, à droite et à gauche, corresponde au programme de « démocratie générale » à la Plon-Plon. En Angleterre, le gouvernement a presque suscité une émeute. » (Marx à Engels, le 27 juillet 1866)

[2] Au début du mois d'août 1866 - peu avant la signature de la paix entre la Prusse et l'Autriche, à Prague - l'ambassadeur français à Berlin, Vincent Benedetti transmit à Bismarck une note définissant les revendications de la France comme prix de sa neutralité lors de la guerre austro-prussienne. Elle exigeait notamment la Bavière rhénane et la Hesse rhénane avec les places fortes de Landau et de Mayence, la ville de Sarrelouis ainsi que l'abrogation du droit de garnison des Prussiens à Luxembourg. Quoique Bismarck n'ait opposé aucun refus aux prétentions de Napoléon III avant la guerre, si celui-ci ne s'opposait pas à une alliance prusso-italienne, il repoussa ces revendications le 7 août. Sentant que le rapport de force, militaire et politique, lui était favorable, Bismarck commença à préparer la guerre franco-prussienne, tout comme son compère, Napoléon III.

[3] Le journal parisien le Monde du 8 août 1866 rapporta ce propos de Bismarck. Dans son manuscrit inachevé sur le Rôle de la violence dans l'histoire. Violence et économie, dans la formation du nouvel Empire allemand, Engels fait l'historique de tous les rapports entre la France et l'Allemagne de 1866 à 1871, et même des événements de la Commune: cf. Marx-Engels, Écrits militaires, Éditions de l'Herne, 1970, p. 532-599. Engels y mentionne, lui aussi, que Bismarck envisageait, avant 1866 même, de souder l'unité allemande grâce à une guerre extérieure (p. 566).

[4] Cette alliance remonte aux origines mêmes de la Prusse. À l'époque de Bismarck, elle reposait essentiellement sur le partage de la Pologne. Lors de l'insurrection de 1863, Bismarck fut le seul à prendre ouvertement parti contre les insurgés polonais et pour les bourreaux russes. En 1866, la Prusse « mit dans sa manche » le tsar russe pour faire la guerre contre l'Autriche, qui fut boutée hors de l'Allemagne: cf. Fr. Engels, Rôle de la Violence, etc., p. 561.

[5] Le roi de Hollande, prince souverain du Luxembourg, était tout disposé à vendre le duché à Louis-Napoléon, et les Luxembourgeois n'étaient pas opposés, semble-t-il, à leur rattachement à la France. Cependant, à la conférence de Londres de mai 1867, les représentants de la France, de l'Autriche, de la Prusse, de l'Italie, de la Belgique et du Luxembourg déclarèrent que le Duché serait neutralisé. Dès 1860, dans son article sur l'Alliance franco-russe (New York Tribune, du 13 août 1860), Marx dénonçait le projet d'annexion du Luxembourg par la France et sa transformation en « département des Forêts ».

[6] Marx, de son côté, estimait dans sa lettre du 2 avril 1867 à Engels: « L'affaire luxembourgeoise me semble arrangée entre Bismarck et Bonaparte. Pourtant il est possible, mais non probable, que le premier ne puisse ou ne veuille tenir sa parole. L'immixtion des Russes dans les affaires allemandes crève les yeux. En effet: 1º la Prusse a signé, avant toutes les autres puissances, la convention du Wurtemberg le 13 août; 2º l'attitude de Bismarck vis-à-vis des Polonais.
Marx voit en Bismarck - ses intentions et ses actes - une contradiction vivante, du fait qu'il représente deux forces, certes convergentes, mais opposées: en tant que chef du gouvernement prussien, il représente toutes les limitations de la Prusse et les intérêts dynastiques bornés, le junker prussien; en tant qu'instrument des intérêts nationaux bourgeois de l'Allemagne, il représente une force progressive, œuvrant, à sa façon certes, pour les ouvriers en centralisant l'économie et la politique allemandes. Engels compare Bismarck à Napoléon III et en fait une version bonapartiste allemande, parce qu'ils représentent tous deux l'armée. Toutefois en France, l'armée nationale n'a plus que des tâches réactionnaires et impérialistes, tandis qu'en Prusse elle a encore une tâche nationale progressive à accomplir. Or, il se trouve que les deux seules institutions démocratiques qui aient fait vraiment la force de la Prusse ont été l'obligation pour tous d'aller à l'école et à l'armée. De la sorte, les aspirations à l'unité nationale allemande pouvaient se manifester au travers de l'armée prussienne, dont les soldats se sentaient plus allemands que prussiens. Cf. Fr. Engels. la Question militaire prussienne et le Parti ouvrier allemand, in Marx-Engels, Écrits militaires, op. cit., pp. 449-490
En somme, le hobereau prussien Bismarck était tout disposé à poursuivre la politique dynastique de la Prusse, à savoir brader un territoire allemand à l'étranger pour agrandir la puissance de la Prusse; mais, après 1865, les aspirations nationales allemandes devinrent si puissantes que Bismarck dut tenir compte des intérêts plus généraux de l'Allemagne.
Les Russes sont plus actifs que jamais: ils s'efforcent d'envenimer les choses entre la France et l'Allemagne. L'Autriche est assez paralysée par ses propres problèmes. Messieurs les Anglais ont fini leur petit jeu aux États-Unis. »
Marx et Engels espéraient qu'à l'instar de la révolution française, la révolution nationale allemande - ne serait-ce que pour secouer le prussianisme - affronterait le gendarme de la réaction féodale en Europe: la Russie - cf. la Brochure d'Engels sur le Pô et le Rhin (op. cit., p. 429) - et non la France. Dans le premier cas, c'était l'hypothèse de l'unité allemande effectuée de manière directement révolutionnaire. Dans le second cas, c'était la solution prussienne de l'unification allemande. De toute façon, le résultat obtenu, l'Allemagne unifiée - même partiellement - devait entrer en opposition avec la Russie, parce que, devenue bourgeoise elle brisait ses liens avec les puissances féodales à l'intérieur et à l'extérieur. De fait, Marx ne dit pas que les Russes gâtent la soupe entre la France et la Prusse, mais entre la France et l'Allemagne.

[7] Dans cet humour féroce, Mademoiselle, c'est la guillotine.

[8] D'après les comptes rendus du Congrès de l'Internationale à Bruxelles, Eccarius manifesta un grand courage en défendant les thèses de Marx. A plusieurs reprises, il suscita l'hostilité, voire les huées. La résolution « allemande », proposée par Eccarius, fut reproduite littéralement dans les comptes rendus du Congrès et divers journaux ouvriers du continent. Dans sa lettre à Engels du 16.IX.1868, Marx se plaint néanmoins de l'attitude d'Eccarius, sur la foi d'un article du Times: « Nous sommes très mécontents d'Eccarius. Mardi prochain [à la réunion du Conseil général], il y aura un violent orage qui lui fera du bien. Les points d'accusation sont les suivants: il n'est presque pas intervenu au Congrès, mais se pose par la suite comme l'esprit dirigeant dans le Times... Enfin, il y a falsifié la résolution allemande sur la guerre. Il prétend qu'une guerre européenne serait une guerre civile, alors que la résolution allemande affirme qu'une guerre entre la France et l'Allemagne serait une guerre civile qui profiterait à la Russie. Or, il élimine complètement ce dernier point. En revanche, il fait assumer aux Allemands et aux Anglais l'ineptie belge: faire la grève contre la guerre. »
Certaines guerres, prolongeant la révolution, sont nécessaires et progressives aux yeux du marxisme, même si leur nature est bourgeoise et nationale (dans les époques et les zones où le capitalisme est encore progressif). L'unité nationale de caractère bourgeois était encore progressive pour l'Allemagne jusqu'en 1870, Marx et Engels eussent préféré, de beaucoup, qu'elle se prolonge par une guerre contre la Russie féodale, dans certaines conditions, sous certaines formes et tant que la lutte des classes modernes n'avait pas commencé en Russie (cf. note nº 37). Au reste, comme le note Marx (p. 60), tant que la bourgeoisie n'a pas réalisé l'unité allemande, le prolétariat n'est pas assez fort pour intervenir de manière décisive. Enfin, dès 1846, Engels avait critiqué l'idée de faire la révolution ouvrière au moyen d'une grève générale, la « grève expropriatrice » des anarchistes. Ce moyen n'est pas à rejeter, pour appuyer la révolution ou s'opposer à la guerre impérialiste, il faut au contraire l'utiliser à fond dans ces moments, mais il ne suffit pas à lui tout seul.

[9] Eccarius se fit le porte-parole fidèle de Marx sur ce point, appliquant la méthode constante de Marx et d'Engels: s'appuyer sur les revendications des organisations économiques et politiques des ouvriers des pays les plus avancés de l'époque (Angleterre, Amérique, Allemagne, etc.) pour répondre aux formules des mouvements socialistes de caractère petit-bourgeois, proudhonien, bakouniste, lassallien, anarchiste, qui trouvaient alors racine dans les pays peu développés (Suisse, Italie, Espagne, etc.).

[10] « L'Internationale a été fondée pour mettre à la place des sectes socialistes ou semi-socialistes l'organisation réelle de la classe ouvrière en vue de la lutte. Les Statuts provisoires ainsi que l'Adresse inaugurale le démontrent, au premier coup d'œil. Au demeurant, l'Internationale n'eût pu s'affirmer, si l'évolution historique n'avait pas déjà mis en pièces le phénomène des sectes. Le développement des sectes socialistes et celui du mouvement ouvrier réel se font toujours en sens inverse l'un de l'autre. Tant que les sectes se justifient (historiquement), la classe ouvrière n'est pas encore mûre pour une organisation historique indépendante. Mais, sitôt qu'elle est arrivée à maturité, toutes les sectes deviennent essentiellement réactionnaires. C'est ainsi que l'histoire de l'Internationale a reflété ce que l'histoire révèle partout: ce qui est périmé cherche constamment à se reconstituer sous une forme nouvelle pour se perpétuer.
Ainsi l'histoire de l'Internationale a été une lutte continuelle du Conseil général contre les sectes et les intrigues d'amateurs, qui tentèrent toujours de s'affirmer au sein de l'Internationale elle-même, en opposition au mouvement réel de la classe ouvrière. Cette lutte a été menée dans les Congrès, mais bien davantage encore dans les tractations privées du Conseil général avec chaque section particulière.
Étant donné que les Proudhoniens (mutuellistes) avaient participé à la fondation de l'Association internationale des travailleurs, ils tinrent tout naturellement la barre à Paris, durant les premières années. Plus tard, des groupes collectivistes, positivistes, etc. commencèrent à se créer en opposition aux Proudhoniens. » (Marx à F. Bolte, 23..XI. 1871).

[11] Dans sa lettre du 12 février 1870, Marx justifie cette opinion par des considérations de rapports de force déterminés par la maturité sociale du mouvement ouvrier: « Ce n'est pas par hasard que Proudhon a été le socialiste de l'époque impériale. J'en ai la conviction profonde: bien que la première impulsion doive partir de France, l'Allemagne est bien plus mûre pour un mouvement social et pour dépasser de loin les Français. Ceux-ci se trompent lourdement et se font de grandes illusions sur eux-mêmes, s'ils continuent à se prendre pour le « peuple élu ». »
Dans le Capital, Marx dit qu' « en France ni le système du crédit, ni la grande industrie ne s'étaient développés au point d'atteindre le niveau moderne. » (Éditions Sociales, livre troisième, vol. VII, p. 265).
Cependant, Marx et Engels ne sous-estiment pas les qualités intrinsèques du prolétariat français, ni la force exceptionnelle de ses traditions révolutionnaires: « L'attitude des ouvriers français est admirable. Ils sont maintenant de nouveau dans l'action, et c'est là leur élément. Dans ce domaine, ils sont maîtres. » (Engels à Marx, le 18 mai 1870).

[12] Marx ne revendique pas l'égalité entre le prolétariat de France et celui d'Allemagne, en vertu du principe de l'autonomie des partis nationaux ou de la non immixtion dans les affaires d'un autre parti, mais en vertu d'un rapport de force et, finalement, pour compenser certaines faiblesses nationales: « Ce qui est le plus nécessaire à la classe ouvrière [allemande], c'est qu'elle cesse d'agir uniquement sous la haute permission de ses supérieurs. Une race aussi bureaucratiquement éduquée doit passer par toute une phase qui lui apprendra à se tirer d'affaire toute seule. »

[13] Lors des élections du Corps législatif (mai-juin 1869), l'opposition obtint un succès important. En juillet, 116 députés de l'opposition libérale et du centre-gauche signèrent une déclaration sur la nécessité de constituer un ministère responsable et d'élargir les droits du Corps législatif. Aux séances des 5 et 8 juillet, le député Raspail dénonça les entraves bonapartistes aux libertés électorales. Dans son message du 12 juillet, Napoléon III promit d'élargir les droits du Corps législatif et de nommer des ministres issus du parlement, mais ne répondit pas aux autres revendications. Le 13 juillet, il ajourna sine die les séances du Corps législatif, et renouvela la moitié des membres du gouvernement, le 17. Comme d'habitude, il fit un pas en avant, puis recula aussitôt, mécontentant tout le monde. Il fit une concession en appelant au gouvernement des personnalités, mécontentant la grande bourgeoisie et le clergé, mais n'apaisant nullement l'opposition.

[14] L'Union libérale représentait une coalition de républicains bourgeois, d'orléanistes et d'une fraction de légitimistes. C'est sur elle que s'appuya l'ensemble de l'opposition à l'Empire, lors des élections au Corps législatif de 1863. Lors de la campagne de 1869 les tentatives pour la réorganiser échouèrent du fait des divergences survenues entre ces diverses formations depuis 1863. Les républicains bourgeois de tendance modérée (Jules Favre, Jules Simon) proposèrent en 1869 une alliance avec les monarchistes et soutinrent la candidature de l'orléaniste Jules Armand Dufaure qui ne fut pas élu. L'histoire de l'opposition bourgeoise avant la chute du bonapartisme fut pitoyable; après la chute du bonapartisme, elle fut vile et lâche vis-à-vis des Prussiens aussi bien que des ouvriers.

[15] Le 3 décembre 1851, le député Baudin avait appelé les ouvriers du faubourg Saint-Antoine à l'insurrection contre le coup d'État de Napoléon III. Il tomba sur les barricades. Les républicains manifestèrent sur sa tombe. Certains journaux ouvrirent une souscription pour lui ériger un monument, mais ils furent traînés devant les tribunaux et condamnés en 1868.
Le mouvement des banquets qui exigea une réforme électorale, fut le prélude de la révolution libérale bourgeoise de Février 1848.

[16] Marx ajoute le 18 novembre 1868: « Il ressort aussi des lettres de Lafargue que la situation est très sérieuse en France. Le gouvernement souhaite forcer les gens à descendre dans la rue pour ensuite laisser faire merveille (Fr.) aux chassepots et canons rayés. Estimes-tu qu'une bataille de rues ait une chance quelconque de succès ? Il ne semble pas que l'armée se détache du pouvoir sans qu'il y ait eu au préalable des fissures. »

[17]Surnom de Napoléon III qui s'évada de prison en 1846 sous les habits d'un maçon du nom de Badinguet.

[18] Service chargé d'ordonner les dépenses et de veiller au maintien de l'ordre et de la sécurité.

[19] Sobriquet du fils de Jérôme Bonaparte et cousin de Napoléon III, surnommé aussi le prince rouge, parce qu'il faisait mine de prendre des positions avancées.

[20] Le 2 décembre 1851, les députés du parti de l'Ordre de l'Assemblée nationale se réunirent dans le 10e arrondissement de Paris et adoptèrent à l'unanimité une résolution destituant Louis-Napoléon Bonaparte de la présidence et transférant tous les pouvoirs à l'Assemblée nationale. Cependant, les députés refusèrent l'appui du peuple. La tentative échoua évidemment, et les députés furent arrêtés. Eugène Ténot rapporte en détail ce fait dans son ouvrage Paris en décembre 1851. Étude historique sur le coup d'État, Paris, 1868, pp. 142-164.

[21] Au cours de la révolution de 1848-1849, Marx et Engels suivirent avec attention les débats du parlement de Francfort et en rendirent compte dans la Nouvelle Gazette Rhénane (vol. 1 et II, en traduction française, aux Éditions Sociales). Lorsque les grands États de l'Allemagne de 1849 retirèrent leurs députés du parlement de Francfort et que l'administration de la ville interdit aux autres députés de l'aile gauche de continuer à siéger dans cette ville, ils allèrent s'installer à Stuttgart. L'armée les dispersa le 18 juin 1849.

[22] D'où la conclusion de Marx dans sa seconde ébauche de la Guerre Civile en France: «Tel était le pouvoir d'État sous sa forme dernière et la plus prostituée, dans sa suprême et vile réalité, celui-là que la classe ouvrière parisienne devait renverser, et que seule cette classe pouvait extirper de la société. Quant au parlementarisme, il avait été tué par ses propres ouailles et par l'Empire. La seule chose que la classe ouvrière avait à faire, c'était de ne pas le ressusciter. » (Éditions Sociales, 1953, p. 260 et aussi 213).

[23] Prononcé avec l'accent anglais Rochefort donne Rushforth et signifie alors: qui fonce en avant.

[24] Le rédacteur en chef de la Marseillaise, Henri Rochefort, fut arrêté le 8 février 1870, lors d'une réunion électorale dans un quartier ouvrier de Paris. Le 22 janvier 1870, il avait été condamné à six mois de prison pour son article sur l'assassinat de Victor Noir.

[25] Sobriquet pour Sigismund Borkheim.

[26] Marx met en évidence, face à la veulerie de l'opposition bourgeoise contre l'Empire, le courage des ouvriers. Mais, dit-il, « on peut difficilement compter sur le seul héroïsme révolutionnaire » (p. 53). Lors de la préparation du plébiscite, il y eut une vague d'arrestations d'ouvriers dans tout le pays, fin avril. Ils furent accusés d'appartenir à l'Internationale et d'avoir participé à un complot contre Napoléon III mis en scène par le préfet de police de Paris.

[27] Dans ces premiers textes, Marx recherche les conditions matérielles d'ordre historique, politique et économique, dans lesquelles le changement de régime politique s'imposera comme une nécessité aux ouvriers. Marx dénie d'ores et déjà à l'opposition bourgeoise ou petite-bourgeoise la capacité de renverser le bonapartisme, et l'histoire confirmera ce verdict.

[28] Dans sa lettre du 1 février 1870, Engels écrit à Marx que le bonapartisme se sentait encore assez fort, grâce à l'armée, pour passer à l'attaque contre les ouvriers: « C'est une véritable chance que rien n'ait été déclenché lors de l'enterrement de Victor Noir, malgré les efforts de G. Flourens. La terrible désillusion des bonapartistes perce dans la rage du Pays. Ils ne pouvaient pas souhaiter mieux que de saisir en flagrant délit toute la masse révolutionnaire de Paris, en rase campagne, à l'extérieur de Paris, et même en dehors des murs fortifiés, qui n'ont que de rares points de passage. Une demi-douzaine de canons placés aux portes des murs, un régiment d'infanterie en position de tirailleurs et une brigade de cavalerie pour disloquer et poursuivre les ouvriers eussent suffi pour vaincre, massacrer et capturer en une demi-heure la foule désarmée, puisqu'on ne peut compter sur les quelques revolvers que certains ont pu avoir sur eux. Qui plus est, comme on disposait de 60 000 soldats, on pouvait même les faire entrer dans les fortifications, et une fois celles-ci occupées faire charger la foule et la canonner sur le terrain libre des Champs-Élysées et de l'avenue de Neuilly. Quelle occasion bienvenue ! 200 000 ouvriers sans armes eussent dû, en partant de la campagne extérieure, conquérir Paris occupé par 60 000 soldats. »


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