1870-71

Marx et Engels face au premier gouvernement ouvrier de l'histoire...


La Commune de 1871

K. Marx - F. Engels

Prolongements historiques et théoriques de la Commune


La question de l'État

Engels à A. Bebel

Londres, 16-18 mars 1875

[Le projet de programme de Gotha] a transformé le libre État populaire en État libre. Du point de vue grammatical, un État libre est celui qui est libre à l'égard de ses citoyens, autrement dit un État à gouvernement despotique. Il faudrait laisser tomber un tel bavardage sur l'État, surtout après la Commune qui n'était plus un État au sens propre. L'État populaire, les anarchistes nous l'ont assez jeté à la tête, bien que l'ouvrage de Marx contre Proudhon et ensuite le Manifeste disent expressément qu'avec l'instauration du régime socialiste l'État se dissout de lui-même et finit par disparaître.

L' « État » n'étant qu'une institution transitoire, dont on se sert dans la lutte durant la révolution pour réprimer de force ses adversaires, il est parfaitement absurde de parler de « libre État populaire ».

En effet, si le prolétariat a besoin de l'État, ce n'est point pour instaurer la liberté, mais pour réprimer ses adversaires, et sitôt qu'il pourra être question de liberté, l'État aura cessé d'exister en tant que tel. En conséquence, nous proposerions de mettre partout à la place du mot « État » le mot « communauté », (Gemeinwesen), excellent vieux mot allemand répondant fort bien au mot français « Commune »...

Engels à Ph. Van Patten

Londres, le 18 avril 1883

En réponse à votre lettre du 2 avril sur la position de Karl Marx vis-à-vis des anarchistes en général et de Johann Most en particulier, je serai concis et clair.

Depuis 1845, Marx et moi, nous avons pensé que l'une des conséquences finales de la future révolution prolétarienne sera l'extinction progressive des organisations politiques appelées du nom d'État. De tout temps, le but essentiel de cet organisme a été de maintenir et de garantir, par la violence armée, l'assujettissement économique de la majorité travailleuse par la stricte minorité fortunée. Avec la disparition de cette stricte minorité fortunée disparaît aussi la nécessité d'un pouvoir armé d'oppression, ou État. Mais, en même temps, nous avons toujours pensé que, pour parvenir à ce résultat et à d'autres, bien plus importants encore de la future révolution sociale, la classe ouvrière devait d'abord s'emparer du pouvoir politique de l'État, afin d'écraser grâce à lui la résistance de la classe capitaliste et de réorganiser les structures sociales. C'est ce que l'on peut lire déjà dans le Manifeste communiste de 1847, chapitre II, fin.  [1] (104)

Les anarchistes mettent les choses sens dessus dessous. Ils déclarent que la révolution prolétarienne doit commencer en abolissant l'organisation politique de l'État. Or, la seule organisation dont le prolétariat dispose après sa victoire, c'est précisément l'État. Certes, cet État doit subir des changements très considérables avant de pouvoir remplir ses nouvelles fonctions. Mais, le détruire à ce moment, ce serait détruire le seul organisme grâce auquel le prolétariat victorieux puisse précisément faire valoir la domination qu'il vient de conquérir, écraser ses adversaires capitalistes et entreprendre la révolution économique de la société, faute de quoi toute victoire devra s'achever par une nouvelle défaite et par un massacre général des ouvriers, comme ce fut le cas de la Commune de Paris.

Faut-il que je vous donne expressément l'assurance que Marx s'est opposé à cette stupidité anarchiste dès l'instant où elle lui apparut sous la forme que lui donne actuellement Bakounine ? Toute l'histoire interne de l'Association internationale des travailleurs en témoigne. Les anarchistes tentent depuis 1867 avec les procédés les plus infâmes de s'emparer de la direction de l'Internationale, et Marx fut l'obstacle principal à leur projet. Le résultat d'une lutte de cinq ans, ce fut, au Congrès de La Haye en septembre 1872, l'exclusion des anarchistes de l'Internationale, et l'homme qui fit le plus pour obtenir cette exclusion, ce fut Marx. À ce propos, notre vieil ami, F.A. Sorge de Hoboken, qui y assista en tant que délégué, peut vous fournir des détails, si vous le souhaitez...

Engels à Ed. Bernstein

Eastbourne, 17 août 1883

... Dans la lutte de classe entre prolétariat et bourgeoisie, la monarchie bonapartiste (dont Marx a défini les caractéristiques dans le 18-Brumaire, et moi-même dans la Question du logement II, etc) joue un rôle semblable à celui de la monarchie absolue dans la lutte entre forces féodales et bourgeoisie. Or, ce combat ne peut être livré jusqu'au bout sous l'ancienne monarchie absolue, mais seulement sous la monarchie constitutionnelle (Angleterre, France de 1789-1792 et 1815-1830). De même, en ce qui concerne le combat entre bourgeoisie et prolétariat, c'est sous la République qu'il est mené à son terme. Comme des conditions favorables et les traditions révolutionnaires ont contribué à ce que les Français renversent le bonapartisme et instaurent la république bourgeoise, ils possèdent déjà la forme où le combat doit être mené jusqu'à son terme. Ils ont donc un avantage sur nous qui sommes embourbés dans un mélange de semi-féodalisme et de bonapartisme, puisque nous avons à conquérir la forme où se déroulera la lutte finale. Bref, du point de vue politique, ils nous devancent de toute une étape. Une restauration monarchiste aurait pour conséquence de remettre à l'ordre du jour la lutte pour la restauration de la république bourgeoise, tandis que la poursuite de la république signifie une exacerbation croissante de la lutte de classe directe et non dissimulée. En conséquence, le premier résultat immédiat de la révolution, pour ce qui est de la forme, peut et doit être chez nous, la république bourgeoise  [2]. Mais, ce ne peut être alors qu'un bref point de passage, étant donné que nous avons la chance de ne pas avoir un parti bourgeois purement républicain. La république bourgeoise, ayant à sa tête le parti du progrès peut-être, nous servira d'abord à conquérir la grande masse des ouvriers pour le socialisme révolutionnaire. C'est ce qui se règle en un an ou deux, tous les partis de milieu encore possibles sans nous s'usant et se ruinant eux-mêmes pendant ce laps de temps. C'est alors seulement que ce sera notre tour, et avec succès. La grande erreur des Allemands, c'est de se représenter la révolution comme quelque chose qui se règle en une nuit  [3]. En fait, c'est un processus de développement des masses dans des conditions accélérées, processus s'étendant sur des années. Chacune des révolutions qui s'est faite en une nuit (1830) s'est bornée à éliminer une réaction d'emblée sans espoir ou a conduit directement au contraire de ce qu'elle s'efforçait de réaliser (cf, 1848, France).

Votre F.E.

Engels à Ed. Bernstein

Londres, le 1er janvier 1894

... En ce qui concerne votre question sur le passage de la Préface du Manifeste se référant à la Guerre civile en France  *, vous serez sans doute d'accord avec la réponse que j'en donne dans ma préface de Mars 1891.  [4] (165) Je vous en envoie un exemplaire pour le cas où vous n'en auriez pas. Il s'agit tout simplement de prouver que le prolétariat victorieux doit commencer par donner une forme nouvelle à l'ancien État et administration bureaucratiques et centralisés, avant de pouvoir utiliser l'État à ses fins. À l'inverse, depuis 1848 tous les bourgeois républicains, si violemment aient-ils attaqués cette machine, tant qu'ils étaient dans l'opposition - ont, sitôt qu'ils sont parvenus au gouvernement, repris sans aucun changement cette machine pour l'utiliser, soit contre la réaction, soit le plus souvent contre le prolétariat. Si, dans la Guerre civile en France 1871 nous avons porté au compte de la Commune des plans plus ou moins conscients, alors que ses tendances lui étaient plus ou moins inconscientes, ce n'est pas seulement parce que les circonstances le justifiaient, mais encore parce que c'est ainsi qu'il faut procéder. Les Russes ont fait preuve d'un grand bon sens, en mettant ce passage de la Guerre civile en annexe à leur traduction du Manifeste. Si le cours des choses n'avait pas été aussi rapide, on aurait pu faire davantage encore à l'époque...

Engels à Ed. Bernstein

Londres, le 14 mars 1884

Cette notion de démocratie change avec chaque demos (peuple) donné à chaque fois, et ne nous fait donc pas avancer d'un pas. Ce qu'il y avait à dire, à mon avis, c'est que le prolétariat a besoin de formes démocratiques pour s'emparer du pouvoir politique, mais comme toutes les formes politiques, elles ne sont que des moyens. Cependant, si l'on veut aujourd'hui, en Allemagne, la démocratie comme butil faut s'appuyer sur les paysans et les petits bourgeois, autrement dit des classes en voie de disparition, c'est-à-dire réactionnaires, par rapport au prolétariat, si l'on veut les maintenir artificiellement. En outre, il ne faut pas oublier que la forme conséquente de la domination bourgeoise est précisément la république démocratique, devenue trop risquée à la suite du développement déjà atteint par le prolétariat, mais qui reste une forme encore possible de la domination bourgeoise pure, comme le montrent la France et les États-Unis.

Le principe du libéralisme comme « un état de choses déjà atteint historiquement » n'est en fait qu'une inconséquence. La monarchie constitutionnelle libérale est une forme adéquate de la domination bourgeoise: 1º au début, lorsque la bourgeoisie n'a pas encore réglé complètement ses comptes avec la monarchie absolue; 2º à la fin, lorsque le prolétariat rend déjà trop risquée la république démocratique. Quoi qu'il en soit, la république démocratique restera toujours la forme ultime de la domination bourgeoise, forme dans laquelle elle crèvera. Mais, il suffit sur cette salade.

Nim me prie de te saluer. Je n'ai pas vu Tussy hier.

Ton F.E.

Engels à A. Bebel

Londres, le 6 juin 1884

Nous ne pouvons détourner les masses des partis libéraux, tant que ceux-ci n'ont pas eu l'occasion de se ridiculiser dans la pratique, en arrivant au pouvoir et en démontrant qu'ils sont des incapables. Nous sommes toujours, comme en 1848, l'opposition de l'avenir et nous devons donc avoir au gouvernement le plus extrême des partis actuels avant que nous puissions devenir vis-à-vis de lui l'opposition actuelle. La stagnation politique c'est-à-dire la lutte sans effet ni but des partis officiels telle qu'elle se pratique à l'heure actuelle - ne peut pas nous servir à la longue, comme le ferait un combat progressif de ces partis tendant au fur et à mesure à un glissement vers la gauche. C'est ce qui se produit en France, où la lutte politique se déroule comme toujours sous forme classique. Les gouvernements qui se succèdent sont de plus en plus orientés à gauche; le ministère Clemenceau est déjà en vue, et ce ne sera pas le ministère de la bourgeoisie extrême. À chaque glissement à gauche, des concessions tombent en partage aux ouvriers (voir la dernière grève de Decazeville où, pour la première fois, la soldatesque n'est pas intervenue). Ce qui importe avant tout, c'est que le champ soit de plus en plus net pour la bataille décisive et la position des partis claire et pure. Dans cette évolution lente, mais irrésistible de la république française, je tiens pour inévitable ce résultat final: opposition entre les bourgeois radicaux jouant aux socialistes et les ouvriers vraiment révolutionnaires. Ce sera l'un des événements les plus importants, et j'espère qu'il ne sera pas interrompu. Je me réjouis de ce que nos gens ne soient pas encore assez forts à Paris (et ils le sont d'autant plus en province) pour se laisser aller à des putschs, par la force du verbe révolutionnaire.

Évidemment, dans la confuse Allemagne, l'évolution ne se poursuit pas d'une manière aussi classiquement pure qu'en France. Elle a trop de retard pour cela, nous n'arrivons à ce stade que quand les autres l'ont déjà dépassé. Mais, en dépit de la mesquinerie de nos partis officiels, la vie politique, quelle qu'elle soit, nous est bien plus favorable que l'actuel désert politique où ne joue que le faisceau des intrigues de politique extérieure...

Londres, le 11 décembre 1884

... Pour ce qui est de la démocratie pure et de son rôle à l'avenir, je ne partage pas ton opinion. Il est évident qu'en Allemagne, elle jouera un rôle bien plus insignifiant que dans les pays de développement industriel plus ancien. Mais, cela n'empêche pas qu'elle acquerra, au moment de la révolution, une importance momentanée en tant que parti bourgeois extrême: c'est ce qui s'est déjà passé en 1849 à Francfort, du fait qu'elle représentait la dernière bouée de sauvetage de toute l'économie bourgeoise et même féodale. À ce moment, toute la masse des réactionnaires se range derrière lui et le renforce: tout ce qui est réactionnaire se donne alors des allures démocratiques. De mars à septembre 1848, toute la masse féodale et bureaucratique renforça ainsi les libéraux, afin de mater les masses révolutionnaires et, le coup réussi, les libéraux furent éconduits à coups de pied, comme il fallait s'y attendre. C'est ainsi qu'en France, de mai 1848 aux élections de Bonaparte en décembre, ce fut le parti républicain pur du National, le parti le plus faible de tous, qui régna du simple fait qu'il avait derrière lui toute la masse organisée de la réaction.

C'est ce qui s'est passé à chaque révolution: le parti le plus bénin qui puisse encore régner, arrive au pouvoir, simplement parce que le vaincu voit en lui la dernière chance de salut. Or, on ne peut pas s'attendre à ce qu'au moment de la crise, nous ayions derrière nous la majorité des électeurs, c'est-à-dire de la nation. Toute la classe bourgeoise et les vestiges des classes féodales possédantes, une grande partie de la petite-bourgeoisie et de la population des campagnes se rangeront alors derrière le parti bourgeois extrême qui se donnera des allures révolutionnaires extrémistes, et je tiens pour très possible qu'il soit représenté dans le gouvernement provisoire, voire qu'il en forme un moment la majorité. La minorité social-démocrate du gouvernement parisien de Février a montré comment il ne fallait pas agir lorsqu'on est en majorité. Cependant, pour l'heure, c'est une question encore académique.

Néanmoins, les événements peuvent se dérouler tout autrement en Allemagne, et ce sont pour des raisons militaires. Dans l'état actuel des choses, l'impulsion, si elle vient de l'extérieur, ne peut venir que de Russie; mais si elle vient de l'Allemagne elle-même, la révolution ne peut alors partir que de l'armée. Un peuple sans armes contre une armée moderne est, du point de vue militaire, une grandeur purement évanescente. Dans ce cas, nos réservistes de 20 à 25 ans, qui ne votent pas mais qui sont exercés dans le maniement des armes, entreraient en action, et la démocratie pure pourrait être sauvée. Mais, présentement, cette question est également académique, bien que je sois obligé de l'envisager, étant pour ainsi dire le représentant du Grand Quartier général du Parti. En tout cas, notre seul ennemi, le jour de la crise et le lendemain, ce sera l'ensemble de la réaction groupée autour de la démocratie pure, et cela, me semble-t-il, ne doit pas être perdu de vue...

Marx à F. Domela Nieuwenhuis

Londres, le 22 février 1881

À propos du prochain Congrès de Zurich, la question que vous me posez [sur les mesures législatives à prendre en vue d'assurer la victoire du socialisme en cas d'arrivée au pouvoir des socialistes] me semble des plus maladroites. Ce qu'il faut faire immédiatement à un moment bien déterminé de l'avenir dépend naturellement tout à fait des circonstances historiques dans lesquelles il faut agir. Votre question se pose au pays des nuages et représente donc pratiquement un problème fantasmagorique, auquel on ne peut répondre qu'en faisant la critique de la question elle-même. Nous ne pouvons résoudre une équation que si elle inclut déjà dans ses données les éléments de sa solution.

Au demeurant, l'embarras dans lequel se trouve un gouvernement subitement formé à la suite d'une victoire populaire n'a rien de spécifiquement « socialiste ». Au contraire. Les politiciens bourgeois victorieux se sentent aussitôt gênés par leur « victoire », quant aux socialistes, ils peuvent au moins intervenir sans se gêner et, vous pouvez être sûr d'une chose: un gouvernement socialiste n'arriverait jamais au pouvoir si les conditions n'étaient pas développées au point qu'il puisse avant toute chose prendre les mesures nécessaires à intimider la masse des bourgeois de sorte qu'il conquiert ce dont il a le plus besoin: du temps pour une action durable.

Vous me renverrez peut-être à la Commune de Paris. Mais, abstraction faite de ce qu'il s'agissait d'un simple soulèvement d'une ville dans des conditions exceptionnelles, la majorité de la Commune n'était pas socialiste, et ne pouvait pas l'être.  [5] Avec une faible dose de bon sens, elle aurait pu néanmoins obtenir avec Versailles un compromis utile à toute la masse du peuple, seule chose qu'il était possible d'atteindre à ce moment-là. En mettant simplement la main sur la Banque de France, elle aurait pu effrayer les Versaillais et mettre fin à leurs fanfaronnades.

Les revendications générales de la bourgeoisie française avant 1789 étaient à peu près établies - mutatis mutandis - comme le sont de nos jours toutes les mesures à prendre uniformément par le prolétariat dans tous les pays à production capitaliste, Mais, la façon dont les revendications de la bourgeoisie française ont été appliquées, un quelconque Français du XVIIIe siècle en avait-il la moindre idée a priori ? L'anticipation doctrinaire et nécessairement fantasmagorique du programme d'action d'une révolution future ne ferait que dévoyer la lutte présente. Le rêve de la ruine tout à fait imminente du régime enflammait les Chrétiens primitifs dans leur lutte contre l'Empire romain et leur donnait la certitude de vaincre. La compréhension scientifique de la dissolution inéluctable et toujours plus grave sous nos yeux de l'ordre social dominant et les masses poussées à coups de fouet à la passion révolutionnaire par les vieux simulacres de gouvernements, en même temps que par le prodigieux développement positif de moyens de production, tout cela suffit à garantir qu'au moment où éclatera une véritable révolution prolétarienne, nous aurons également les conditions de leur modus operandi immédiat, qui ne s'avérera certainement pas idyllique.

Je suis convaincu que la conjoncture de crise n'existe pas encore pour une nouvelle Association internationale des travailleurs. En conséquence, je considère que tous les congrès ouvriers ou socialistes - pour autant qu'ils ne se préoccupent pas des conditions données immédiates de telle ou telle nation - ne sont pas seulement inutiles, mais encore nuisibles. Ils se perdront toujours en fumée, en rabâchant mille fois des généralités banales.

Amicalement

votre dévoué Karl Marx

Engels à J. Mesa

Londres, le 24 mars 1891

Mon cher Mesa,

Nous avons été très heureux d'apprendre, par votre lettre du 2 courant, la publication imminente de votre traduction espagnole de la Misère de la Philosophie de Marx. Il va sans dire que nous nous associons avec empressement à cette oeuvre qui ne manquera pas de produire un effet des plus favorables sur le développement du socialisme en Espagne.

La théorie proudhonienne, démolie dans ses bases par le livre de Marx, a certainement été balayée de la surface depuis la chute de la Commune de Paris. Mais, elle forme toujours le grand arsenal dans lequel les bourgeois radicaux pseudo-socialistes d'Europe occidentale puisent les formules propres à endormir les ouvriers. Or, comme les ouvriers de ces mêmes pays ont hérité, de leurs devanciers, de semblables phrases proudhoniennes, il arrive que, chez beaucoup d'entre eux, la phraséologie des radicaux trouve encore un écho. C'est le cas en France, où les seuls proudhoniens qu'il y ait encore, sont les bourgeois radicaux soi-disant socialistes. Et si je ne m'abuse, vous en avez aussi, dans vos Cortès et dans votre presse, de ces républicains qui se prétendent socialistes, parce qu'ils voient dans les idées proudhoniennes un moyen plausible tout trouvé d'opposer au vrai socialisme, expression rationnelle et concise des aspirations du prolétariat, un socialisme bourgeois et de faux aloi.

Salut fraternel

Fr. Engels

Engels à N.F. Danielson

Londres, le 17 octobre 1893

... Si l'Europe occidentale avait été pour une telle révolution (socialiste) entre 1860-1870, si un tel bouleversement social avait été entrepris à ce moment en Angleterre, France, etc., alors c'eût été aux Russes de montrer ce qu'ils auraient pu faire de leurs communautés (agraires),  [6] qui étaient encore plus ou moins intactes. Or, l'Occident resta immobile. Aucune révolution de ce genre n'ayant été entreprise, le capitalisme s'y développa au contraire à un rythme accéléré. Ainsi donc, comme il était manifestement impossible de hausser les communautés à une forme de production dont elles étaient séparées par une série de stades historiques, il ne leur reste plus qu'à se développer de manière capitaliste, ce qui me semble-t-il, est leur seule évolution possible...

Engels à Lafargue

[Reproduite dans le Socialiste, le 24 novembre 1900]

« Ah, mais nous avons la république en France », nous diront les ex-radicaux, « chez nous, c'est autre chose. Nous pouvons utiliser le gouvernement pour des mesures socialistes ! »  [7]

La république, vis-à-vis du prolétariat, ne diffère de la monarchie qu'en ceci qu'elle est la forme politique toute faite pour la domination future du prolétariat. Vous avez sur nous l'avantage de l'avoir là; nous autres, nous devrons perdre vingt-quatre heures pour la faire.

Mais la république, comme toute autre forme de gouvernement, est déterminée par ce qu'elle contient; tant qu'elle est la forme de la démocratie bourgeoise, elle nous est tout aussi hostile que n'importe quelle monarchie (sauf les formes de cette hostilité). C'est donc une illusion toute gratuite que de la prendre pour une forme socialiste par son essence; que de lui confier, tant qu'elle est dominée par la bourgeoisie, des missions socialistes. Nous pourrons lui arracher des concessions, mais jamais la charger de l'exécution de notre besogne à nous. Encore si nous pouvions la contrôler par une minorité assez forte pour qu'elle pût se changer en majorité d'un jour à l'autre...

Londres, le 3 avril 1895

Liebknecht vient de me jouer un vilain tour.  * Il a pris de mon introduction aux articles de Marx sur la France de 1848-1850 tout ce qui a pu lui servir pour soutenir la tactique, à tout prix paisible et anti-violente, qu'il lui plaît de prêcher depuis quelque temps, surtout en ce moment où on prépare des lois coercitives à Berlin. Mais cette tactique, je ne la prêche que pour l'Allemagne d'aujourd'hui et encore sous bonne réserve. Pour la France, la Belgique, l'Italie, l'Autriche, cette tactique ne saurait être suivie dans son ensemble, et pour l'Allemagne elle pourra devenir inapplicable demain...

F. E.

Engels à Richard Fischer

Londres, le 8 mars 1895

Cher Fischer,

J'ai tenu compte autant qu'il était possible de vos préoccupations, bien que, avec la meilleure volonté, je ne comprenne pas pourquoi vos réticences commencent à la moitié.  * Je ne peux tout de même pas admettre que vous ayiez l'intention de prescrire, de tout votre corps et de toute votre âme, la légalité absolue, la légalité en toutes circonstances, la légalité même vis-à-vis de ceux qui frisent la légalité, bref la politique qui consiste à tendre la joue gauche à celui qui vous a frappé la joue droite. Dans le Vorwärts, toutefois, certains prêchent parfois la révolution, avec la même énergie que d'autres la repoussent, comme cela se faisait autrefois et se fera peut-être encore à l'avenir. Mais, je ne peux considérer cela comme une position compétente.

J'estime que vous n'avez rien à gagner si vous prêchez le renoncement absolu à l'intervention violente. Personne ne vous croira, et aucun parti d'aucun pays ne va aussi loin dans le renoncement au droit de recourir à la résistance armée, à l'illégalité.  [8]

Qui plus est, je dois tenir compte des étrangers - Français, Anglais, Suisses, Autrichiens, Italiens, etc. - qui lisent ce que j'écris: je ne peux me compromettre aussi complètement à leurs yeux.

J'ai donc accepté vos modifications avec les exceptions suivantes- 1º Épreuves, chez les masses, il est dit: « elles doivent avoir compris pourquoi elles interviennent »; 2º Le passage suivant: « barrer toute la phrase de: «le déclenchement sans préparation de l'attaque », votre proposition contenant une inexactitude flagrante: le mot d'ordre « déclenchement de l'attaque » est utilisé par les Français, Italiens, etc. à tout propos, mais ce n'est pas tellement sérieux; 3º Épreuve: « Sur la révolution (Umsturz) sociale-démocrate qui vit actuellement en s'en tenant à la loi », vous voulez enlever « actuellement », autrement dit transformer une tactique valable momentanément et toute relative, en une tactique permanente et absolue. (168) Cela je ne peux pas le faire, sans me discréditer à tout jamais. J'évite donc la formule de l'opposition, et je dis: « Sur la révolution sociale-démocrate, à qui il convient si bien en ce moment précisément de s'en tenir à la loi».

Je ne comprends absolument pas pourquoi vous trouvez dangereuse ma remarque sur l'attitude de Bismarck en 1866, lorsqu'il viola la Constitution. Il s'agit d'un argument lumineux, comme aucun autre ne le serait. Mais, je veux cependant vous faire ce plaisir.

Mais, je ne peux absolument pas continuer de la sorte. J'ai fait mon possible pour vous épargner des désagréments dans le débat. Mais vous feriez mieux de préserver le point de vue selon lequel l'obligation de respecter la légalité est de caractère juridique, et non moral, comme Bogoulavski vous l'a si bien montré dans le temps, et qu'elle cesse complètement lorsque les détenteurs du pouvoir violent la législation. Mais vous avez eu la faiblesse - ou du moins certains d'entre vous -de ne pas contrer comme il fallait les prétentions de l'adversaire: reconnaître l'obligation légale du point de vue moral, c'est-à-dire obligatoire dans toutes les circonstances, au lieu de dire: vous avez le pouvoir et vous faites les lois, si nous les violons, vous pouvez nous traiter selon ces lois, cela nous devons le supporter, et c'est tout; nous n'avons pas d'autre devoir, vous n'avez pas d'autre droit, C'est ce qu'ont fait les catholiques sous les lois de Mai, les vieux luthériens à Meissen, le soldat mennonite qui figure dans tous les journaux, et vous ne devez pas désavouer cette position. Les projets anti-séditieux sont de toute façon voués à la ruine: ce genre de choses ne peut même pas se formuler et, moins encore, se réaliser, lorsque ces gens sont au pouvoir, ils répriment et sévissent de toute façon contre vous d'une manière ou d'une autre.

Mais si vous voulez expliquer aux gens du gouvernement que vous n'attendez que parce que vous n'êtes pas encore assez forts pour vous débrouiller tout seuls et parce que l'armée n'est pas encore complètement sapée, mais alors, mes braves, pourquoi ces vantardises quotidiennes dans la presse sur les progrès et succès gigantesques du Parti ? Tout aussi bien que nous ces gens savent que nous avançons puissamment vers la victoire, que nous serons irrésistibles dans quelques années, et c'est pour cela qu'ils veulent passer à l'attaque maintenant, mais hélas pour eux, ils ne savent pas comment s'y prendre. Nos discours ne peuvent rien changer à cela: ils le savent aussi bien que nous et ils savent tout autant que, si nous avons le pouvoir, nous l'utiliserons comme cela nous servira à nous, et non à eux.

En conséquence, si la question est débattue au Comité central, pensez un peu à ceci: préservez le droit de résistance aussi bien que Bogouslavski nous l'a préservé; de vieux révolutionnaires -français, italiens, espagnols, hongrois, anglais - figurent parmi ceux qui vous entendent, et que -sait-on jamais combien rapidement - le temps peut revenir où les choses deviennent sérieuses avec l'élimination de la légalité, qui fut réalisée autrefois à Wyden. Regardez donc les Autrichiens qui aussi ouvertement que possible menacent de la violence, si le suffrage universel n'est pas bientôt instauré. Pensez à vos propres illégalités sous le régime des lois anti-socialistes auquel on voudrait vous soumettre de nouveau. Légalité aussi longtemps que cela nous arrange, mais pas de légalité à tout prix, même en paroles !

Ton F. E.


Notes

[1] Dans sa première ébauche de l'Adresse sur la guerre civile, Marx écrit à ce propos: « Sur la base existante de son organisation militaire, Paris édifia une fédération politique, selon un plan très simple. Elle consistait en une association de toute la Garde nationale, unie en toutes ses parties par les délégués de chaque compagnie, désignant à leur tour les délégués de bataillons, qui, à leur tour, désignaient des délégués généraux, les généraux de légion - chacun d'eux devant représenter un arrondissement et coopérer avec les délégués des 19 autres arrondissements. Ces 20 délégués, élus à la majorité par les bataillons de la Garde nationale, composaient le Comité central, qui, le 18 mars, prit l'initiative de la plus grande révolution de notre siècle... » (cf. Éd. Soc., p. 209).
La forme prise dès le début par la Commune confirme ainsi les idées de Marx et d'Engels sur la dictature du prolétariat, dont l'État est une superstructure de force, violence concentrée de la classe au pouvoir: « La révolution tout court - c'est-à-dire le renversement du pouvoir existant et la désagrégation des anciens rapports sociaux - est un acte politique. Le socialisme ne peut se réaliser sans cette révolution. Il lui faut cet acte politique dans la mesure où il a besoin de détruire et de dissoudre. Mais le socialisme repousse l'enveloppe politique là où commence son activité organisatrice, là où il poursuit son but à lui, là où il est lui-même. » (Marx, le 10 août 1844, in Écrits militaires, p. 175-176). La Commune représentant tout cela, n'est donc plus un État au sens propre, cf. Engels à Bebel, 16-18 mars 1875.

[2] La domination économique de la bourgeoisie se complète par une domination politique, qui étend le règne de la bourgeoisie à toute la nation et à toutes les activités. Les superstructures de l'État bourgeois ont un caractère à la fois historique et économique: « La violence (c'est-à-dire le pouvoir étatique) est elle aussi une puissance économique », écrit Engels à Schmidt, le 27 octobre 1890.
La bourgeoisie n'est pleinement développée qu'à partir du moment où elle ne domine pas seulement la production sociale, mais a écarté du pouvoir les classes féodales ou a cessé de partager le pouvoir avec elles, autrement dit lorsqu'elle a instauré la République. Mais le mot de République prête à confusion. De nos jours, la bourgeoisie anglaise domine parfaitement avec la monarchie constitutionnelle et gouverne sans partage. Mais tant que l'État bourgeois n'a pas atteint son plein épanouissement, Marx et Engels admettaient que le prolétariat puisse utiliser l'État faiblement développé de la bourgeoisie, « le mouvement républicain ne peut se développer sans transcroître en mouvement de la classe ouvrière » (cf. supra, p. 104). Autrement dit, il était possible d'aménager l'État bourgeois peu développé, en le modifiant dans le sens des intérêts ouvriers, en dictature du prolétariat. C'est dire qu'il était possible de prendre pacifiquement le pouvoir. Cette hypothèse historique ne s'est pas vérifiée, et partout, il faut maintenant commencer à briser par la violence l'appareil d'État bourgeois, comme l'a enseigné la Commune. Lénine en explique les raisons: « la dictature révolutionnaire du prolétariat, c'est la violence exercée contre la bourgeoisie; et cette violence est nécessitée surtout, comme Marx et Engels l'ont expliqué maintes fois et de la façon la plus explicite (notamment dans la Guerre civile en France et dans la préface de cet ouvrage), par l'existence du militarisme et de la bureaucratie. Or, ce sont justement ces institutions, justement en Angleterre et en Amérique, qui, justement dans les années 70, époque à laquelle Marx fit sa remarque, n'existaient pas. Maintenant, elles existent et en Angleterre et en Amérique. Cf. la Révolution prolétarienne et le renégat Kautsky, in V. Lénine, la Commune de Paris, p. 100. En effet, dans un discours tenu après le Congrès de La Haye en Septembre 1872, Marx avait fait la remarque qu'il était possible de prendre le pouvoir pacifiquement en Hollande, Angleterre, etc.
La lutte contre le fascisme a été faussée, en Italie et en Allemagne, par l'idée qu'il fallait défendre la démocratie bourgeoise, en s'alliant avec les sociaux-démocrates (qui avaient pourtant assassiné Rosa Luxembourg et Liebknecht) ainsi que les démocrates et républicains bourgeois ou petits-bourgeois, qui furent en réalité les complices - conscients ou inconscients - du fascisme: sur une base aussi erronée, la lutte des communistes fut impuissante à empêcher l'avènement des régimes fascistes. Pour la définition de la stratégie de lutte efficace contre le fascisme, cf. Communisme et fascisme, Éditions « Programme communiste », 1970, p. 35-158. La préface à ce choix de textes des années 20 est erronée, car elle cite pêle-mêle des déclarations et actes de la droite du centre et de la gauche du parti communiste allemand, dont elle exagère l'incohérence, tandis qu'elle présente l'attitude du parti communiste italien comme infiniment plus cohérente en ne citant que des textes de la Gauche. Cette introduction dénigre ainsi systématiquement les camarades et les ouvriers allemands, qui luttèrent les armes à la main et furent soumis a une forte pression idéologique extérieure (Zinoviev, Radek, Staline, etc.) qui changea sans arrêt la direction du parti communiste allemand, en même temps que sa politique et sa stratégie: cf. Trotsky, l'Internationale communiste après Lénine, Paris, P.U.F. 1969, 2 vol.

[3] Cf. la traduction française in la Guerre civile en France. 1871, op. cit., p. 291-302.

[4]Cf. plus haut à la « Préface de 1872 au Manifeste Communiste » où Marx et Engels affirment que l'une des leçons essentielles de la Commune a été qu'on ne peut utiliser l'appareil d'État bourgeois: il faut le briser et créer un État prolétarien pour faire des transformations socialistes. Cela exclut la participation de communistes marxistes à un gouvernement bourgeois. Engels le dit expressément, et ce dans deux hypothèses: 1º en cas de victoire de la démocratie dans la révolution: « Après la victoire commune, on pourrait nous offrir quelques sièges au gouvernement - mais TOUJOURS en minorité. Cela est le plus grand danger. Après Février 1848, les démocrates socialistes français (« Réforme », Ledru-Rollin, L. Blanc, Flocon, etc.) ont commis la faute d'accepter de pareils sièges. Minorité au gouvernement des républicains purs (« National », Marrast, Bastide, Marie), ils ont partagé volontairement la responsabilité de toutes les infamies votées et commises par la majorité, de toutes les trahisons de la classe ouvrière à l'intérieur. Et pendant que tout cela se passait, la classe ouvrière était paralysée par la présence au gouvernement de ces messieurs, qui prétendaient l'y représenter. » Engels, à F. Turati, le 26 janvier 1894 ;
2º En cas de victoire électorale des seuls socialistes: « Avant tout, je n'ai pas dit que « le parti socialiste obtiendra la majorité et prendra ensuite le pouvoir ». J'ai dit expressément, au contraire, qu'il y a dix probabilités contre une que ceux qui sont au pouvoir utiliseront auparavant la force contre nous; cela nous ramènerait du terrain de la majorité sur celui de la révolution. » Fr. Engels, à G. Bosio, le 6 février 1892.

[4] Marx estimait que la Commune était fort éloignée d'introduire le socialisme en France. En fait, elle inaugurait une longue phase de dictature du prolétariat et de luttes de classes farouches: telle était aussi la conception de Lénine pour lequel la révolution russe était le premier acte de la révolution mondiale, contrairement à Staline qui y vit le moyen de construire, dans un seul pays, le socialisme, au sens économique et social. Dans sa première ébauche de la Guerre civile en France, Marx écrit: « La Commune ne supprime pas les luttes de classes, par lesquelles la classe ouvrière s'efforce d'abolir toutes les classes et, par suite, toute domination de classe.... mais elle crée l'ambiance rationnelle dans laquelle cette lutte de classe peut passer par ses différentes phases de la façon la plus rationnelle et la plus humaine. Elle peut être le point de départ de réactions violentes et, de révolutions tout aussi violentes » (op. cit., pp. 215-216).

[5] Marx fait allusion à l'intrusion d'éléments douteux et de traîtres dans le Comité central de la Garde nationale parisienne, qui comprenait des blanquistes, des néo-jacobins, des proudhoniens, etc. La composition disparate de ce Conseil fut à l'origine d'hésitations, de mollesse et de diverses erreurs (par exemple: ne pas attaquer Versailles, au moment où la réaction ne s'y était pas encore organisée, etc.). Marx attribue ici ces erreurs à la doctrine proudhonienne de l'abstention en matière politique: on notera que Tolain, proudhonien de droite, ne craignit pas de siéger dans l'Assemblée versaillaise. La Commune, élue le 26 mars, fut encore plus disparate, et prit encore moins d'initiatives, cf. notes nos 104 et 105.

[6] Dans une lettre du 8 mars 1881 à Véra Zassoulitch, Marx expliquait que le passage par le capitalisme n'était une fatalité que pour les pays d'Europe occidentale. Les autres pays - et notamment la Russie - eussent pu, en théorie, sauter la phase capitaliste pour arriver directement au socialisme, si la révolution socialiste s'était réalisée en Europe occidentale, de sorte qu'elle aurait apporté son aide technique, fraternelle aux pays non encore développés, Cf. l'article Marx et la Russie et Lettres de Marx à Véra Zassoulitch, in l'Homme et la Société, nº 5, pp. 149-180.
L'échec de la Commune aura donc eu pour conséquence de forcer la Russie à passer par l'enfer capitaliste; les communautés rurales, au lieu de pouvoir se transformer en unités de production socialistes, étant condamnées à prendre des formes plus ou moins capitalistes d'oppression de la masse paysanne russe.

[7] Vers la fin de 1893, les députés marxistes de la Chambre française se trouvèrent subitement débordés par l'arrivée du groupe Millerand-Jaurès, transfuges du groupe radical. Les millerandistes (qui furent pour la participation au gouvernement bourgeois et furent durement fustigés par Engels et Lénine) eurent la majorité absolue dans le groupe socialiste et prirent la tête du seul quotidien « socialiste ». Outre les 12 marxistes, le groupe socialiste comptait aussi 3 ou 4 allemanistes, 2 broussistes et 4 ou 6 blanquistes contre environ 30 millerandistes. Cf. la lettre de Fr. Engels à Sorge, 30 décembre 1893, in Correspondance Fr. Engels, K. Marx et divers, publiée par F.-A. Sorge, Éditions Costes, 2 vol., 1950, tome Il, pp. 307-311. Comme on le voit, l'idée de la participation de socialistes ou de communistes à un gouvernement bourgeois est étrangère à Marx aussi bien qu'à Engels et à Lénine; elle contredit l'enseignement fondamental de la Commune: briser la machine d'État bourgeoise comme première mesure de la révolution socialiste.

* À propos de la Préface d'Engels (1895), à Luttes de classes en France.

* Engels fait allusion à sa Préface du 3 mars 1895, cf. les Luttes de classes en France, le 18-Brumaire de Louis Bonaparte, Paris, Éd. Soc., 1948, pp. 21-38.

[8] Même au temps où le prolétariat pouvait prendre le pouvoir pacifiquement, il devait utiliser la violence pour transformer l'économie capitaliste en économie socialiste (cf. les mesures despotiques du Manifeste communiste de 1848). Mais il se trouve que les violences exercées par l'État sont légales et, de ce fait, considérées comme justes. Même si le grand nombre est de cet avis, le marxisme estime que l'État est toujours violence concentrée, et la justice violence légalisée. Même la démocratie n'est pas le but du communisme, puisqu'elle signifie que la minorité s'incline devant la majorité, dont le gouvernement s'appuie sur la force: cf. Marx-Engels, Écrits militaires, p. 127, Un parti étant un premier pas vers le gouvernement, forme concentrée de la violence, ne peut donc se taxer de parti de la paix et de la non-violence sans nier sa raison d'être. Fidèle disciple de Marx-Engels, Lénine considérait le communisme comme l'abolition des classes et de l'État, et donc la fin de la démocratie, cf Lénine, l'État et la révolution, chap. 6: « Engels et la suppression de la démocratie ».


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