1862-95

Source : Édition Sociales, 1971.

marx

K. Marx - F. Engels

Lettres à L. Kugelmann

Lettre de Marx - 15 janvier 1866

Londres, le 15 janvier 1866.

1 Modena Villas, Maitland Park, Haverstock Hill.

Cher ami,

Tous mes vœux pour la nouvelle année et mes sincères remerciements pour votre cordiale lettre.

Excusez la brièveté de ces lignes : je suis actuellement surchargé de besogne. La prochaine fois j'écrirai plus longuement.

Je vous joins deux cartes [1] et vous communiquerai dans ma prochaine lettre les questions qui doivent être traitées au Congrès public de Genève à la fIn mai [2].

Notre Association a fait de grands progrès. Elle possède de trois organes officiels, un à Londres, The Workman's Advocate, un autre à Bruxelles, La Tribune du peuple et un de la section française de Suisse : Journal de l'Association internationale des Travailleurs, section de la Suisse romande (Genève). Enfin un journal de la section suisse-allemande : Der Vorbote paraîtra dans quelques jours sous la direction de J. Ph. Becker (adresse : 6, rue du Môle, Genève, au cas où vous voudriez lui fournir quelque correspondance politique ou sociale).

Nous avons réussi à entraîner dans le mouvement la seule organisation ouvrière vraiment importante, les trade-unions anglaises, qui, naguère, s'occupaient exclusivement du problème des salaires. Avec leur appui, la société anglaise que nous avons fondée pour obtenir l'universal suffrage [suffrage universel][3] (le Comité central est composé pour la moitié de membres - ouvriers - de notre Comité central), a organisé, il y a quelques semaines , un meeting monstre, où seuls des travailleurs ont pris la parole. Vous pouvez juger de l'effet produit quand vous saurez que dans deux numéros successifs le Times est revenu sur ce meeting dans son éditorial.

Pour ce qui est de mon ouvrage, je suis occupé à le mettre au net douze heures par jour. Je pense porter moi-même le manuscrit du premier tome à Hambourg au mois de mars, et vous voir à cette occasion. Les cabrioles du successeur de Justus von Möser [4] m'ont beaucoup amusé. Quelle pitié pour un homme de talent que de chercher et de trouver son plaisir dans des bagatelles pareilles.

Quant à Bürgers [5], il est certainement de bonne foi, mais il est faible : il y a beaucoup plus d'un an qu'il déclarait, dans une réunion publique à Cologne (on a pu la lire dans les journaux de cette ville), que Schulze-Delitzch[6] avait définitivement « résolu » la question sociale et que si lui, Bürgers, s'était fourvoyé dans le dédale communiste, c'était uniquement par amitié pour moi. Après de semblables déclarations publiques, pouvais-je le considérer autrement que comme un renégat ?

Fidèlement vôtre,

K. Marx

Notes

[1] Dans sa lettre du 20 décembre 1865 Kugelmann avait sollicité deux cartes d'adhérent à l'Internationale pour lui-même et pour Theodor H. Menke. Il avait joint 2 thalers à sa lettre.

[2] Le premier Congrès de l'Internationale devait se tenir en mai 1866 à Genève en vertu de la décision prise à Londres en septembre 1865. Par la suite, le Conseil Général demanda aux sections si elles étaient d'accord pour ajourner le Congrès de quelques mois. Toutes la sections se déclarèrent d'accord à l'exception de la section parisienne. Le Congrès eut lieu à Genève du 3 au 8 septembre 1866.

[3] Suffrage universel. Le résultat de cette propagande fut d'obtenir au moins le Household Suffrage (1867), c'est-à-dire le droit de vote pour tous les ménages possédant un domicile, qu'ils fussent propriétaires ou locataires. Cette loi - qui ne s'appliquait ni à l'Écosse ni à l'Irlande - eut pour effet de doubler le nombre des électeurs. Toutefois les familles qui ne payaient pas un minimum d'impôts étaient exclues du vote. Au total un Anglais sur trois fut admis à voter.

[4] Marx désigne évidemment Miquel, qui était devenu en 1865 bourgmestre d'Osnabrück et membre de la Diète provinciale. Möser avait occupé à Osnabrück des situations analogues.

[5] Ancien membre de la Ligue des Communistes condamné à six ans de forteresse en 1852. Il adhéra par la suite au parti  progiressiste, puis au parti national-libéral.

[6] Economiste et homme politique. Il voyait dans la fondation des coopératives, dont il fut l'initiateur, une sorte de panacée.


Texte surligné en jaune : en français dans le texte.

Texte surligné en bleu : en anglais dans le texte.