1843-50

"On remarquera que, dans tous ces écrits, et notamment dans ce dernier, je ne me qualifie jamais de social-démocrate, mais de communiste... Pour Marx, comme pour moi, il est donc absolument impossible d'employer une expression aussi élastique pour désigner notre conception propre.." F. Engels, 1894.

Une publication effectuée en collaboration avec la bibliothèque de sciences sociales de l'Université de Québec.


Le parti de classe

K. Marx - F. Engels

Préparation de la révolution (1847-1848)

On remarquera que, dans tous ces écrits, et notamment dans ce dernier, je ne me qualifie jamais de social-démocrate, mais de communiste... Pour Marx, comme pour moi, il est donc absolument impossible d'employer une expression aussi élastique pour désigner notre conception propre.

Il en va autrement aujourd'hui, et ce mot peut passer à la rigueur, bien qu'il ne corresponde pas davantage aujourd'hui à un parti dont le programme économique n'est pas seulement socialiste en général, mais directement communiste, c'est-à-dire un parti dont le but final est la suppression de tout État et, par conséquent, de la démocratie.

Engels, préface de 1894 à Internationales aus dem Volksstaat, 1871-1875.

Discours sur le parti chartiste, l'Allemagne et la Pologne


Nous venons de recevoir les informations suivantes sur le contenu des discours tenus à Londres par MM. Marx, Engels et Tedesco (de Liège)  [1]. Nous reproduirons plus tard le discours de ce dernier, tenu en français. Karl Marx dit :

L’union et la fraternité des nations est un mot d'ordre que l'on trouve dans la bouche de tous les partis, et notamment des libre-échangistes bourgeois. De fait, il y a une certaine fraternité entre les classes bourgeoises de toutes les nations. C'est la fraternisation des oppresseurs contre les opprimés, des exploiteurs contre les exploités. De même que la classe des bourgeois d'un pays fraternise et s'unit contre les prolétaires d'un même pays, malgré la concurrence et la rivalité existant entre les membres individuels de la bourgeoisie, de même les bourgeois de tous les pays fraternisent et s'unissent contre les prolétaires de tous les pays, malgré leurs luttes mutuelles et leur concurrence sur le marché mondial.

Pour que les peuples puissent véritablement s'unir, il faut que leur intérêt soit commun. Pour que leur intérêt puisse être commun, il faut abolir les rapports de propriété actuels, qui déterminent l'exploitation des peuples entre eux. Or, seule la classe ouvrière a intérêt à éliminer les conditions de propriété actuelles, de même qu'elle seule en a les moyens.

La victoire du prolétariat sur la bourgeoisie sera en même temps la victoire sur les conflits des nations et des économies qui, de nos jours, poussent chaque peuple contre l'autre. La victoire du prolétariat sera donc le signal de la libération de tous les peuples opprimés.

La Pologne d'ancien régime est certes ruinée, et nous sommes les derniers à vouloir la restaurer. Mais il n'y a pas que la vieille Pologne qui soit ruinée, la vieille Allemagne, la vieille Angleterre et toute la vieille société le sont aussi. Mais la ruine de la vieille société n'est pas une perte pour nous, qui n'avons rien à perdre dans la vieille société, comme c'est également le cas pour la grande majorité de la population. Au contraire, nous avons tout à gagner dans la ruine de la vieille société qui conditionne la formation d'une société ne reposant plus sur des oppositions de classes.

De tous les pays, l'Angleterre est celui où l'antagonisme entre prolétariat et bourgeoisie est le plus développé. La victoire des prolétaires anglais sur la bourgeoisie anglaise sera décisive pour la victoire de tous les opprimés sur leurs oppresseurs. C'est pourquoi la Pologne n'est pas à émanciper en Pologne, mais en Angleterre. C'est pourquoi vous, les chartistes, vous n'avez pas à formuler de vœux pieux pour la libération des nations : renversez vos propres ennemis à l'intérieur, et vous pourrez avoir la fière conscience d'avoir défait toute la vieille société [2].


Notes

[1] Cf. Deutsche Brüsseler Zeitung, 9 décembre 1847. Ce journal avait déjà, la semaine précédente, rapporté un compte rendu succinct des discours de Marx et Engels à la Fête des nations organisée pour commémorer le soulèvement polonais de 1830. Nous ne reproduisons pas le discours d'Engels, tenu au même meeting. On en trouvera le texte français dans Marx-Engels, Écrits militaires, p. 148-149.
Les textes qui suivent rendent compte des interventions de parti de Marx-Engels dans des meetings ou débats publics. Ils valent certes par leur effet de propagande à l'extérieur et leur effort d'organisation des éléments révolutionnaires, mais plus encore par leur contenu qui annonce et prépare la révolution de 1848-1849. Les Écrits militaires, qui ont recueilli les textes sur la préparation de la révolution de 1848, ont groupé, de manière logique, les écrits dans lesquels Marx-Engels ont élaboré pour l'heure de l'affrontement physique, la théorie et la stratégie de lutte du prolétariat européen. C'est, en effet, dans le domaine militaire que les analyses marxistes se font les plus concrètes et les plus tranchantes. Quoi qu'il en soit, nous ne reproduisons pas ici ce schéma d'ensemble de la prévision révolutionnaire qui rend compte pourtant de l'une des tâches fondamentales du parti — la prévision et la préparation de la révolution à venir, qui justifient le rôle dirigeant du parti dans la classe prolétarienne.
Les quelques textes que nous avons recueillis pour cette période témoignent essentiellement des efforts d'organisation à l'échelle internationale. Dans ce recueil, nous avons encore écarté des textes, pourtant fondamentaux, notamment ceux qui ont trait à la préparation révolutionnaire dans tous les sens du terme, pour l'Allemagne. Un exemple en est l'article de Marx contre Heizen, dont le passage suivant montre comment les mots d'ordre de la future révolution sont préparés par les polémiques : « Les ouvriers savent que l'abolition des rapports de propriété bourgeois ne peut être réalisée en conservant les conditions féodales. Ils savent que, par le mouvement révolutionnaire de la bourgeoisie contre les états féodaux et la monarchie absolue, leur propre mouvement ne peut être qu'accéléré. Ils savent que la lutte pour leur propre cause contre la bourgeoisie ne peut commencer qu'à partir du jour où la bourgeoisie a triomphé. Néanmoins, ils ne partagent pas les illusions bourgeoises de Monsieur Heinzen. Ils peuvent et doivent se résigner à accepter la révolution bourgeoise comme condition de la révolution ouvrière, mais ils ne peuvent la considérer, ne fût-ce qu'un instant, comme leur but final. » (Marx, « La Critique moralisante et la morale critisante », 1847.) Ce thème sera encore au centre des débats intérieurs de la Ligue communiste tout au long de la période brûlante de 1849, et la scission finale se fera sur cette question.
Le contenu de l'ouvrage en allemand de Herwig Förder, Marx et Engels à la veille de la révolutionL'élaboration, des directives politiques pour les communistes allemands (1846-1848), Akademie-Verlag. Berlin. 1960 témoigne des activités suivantes de Marx-Engels pour la période en question.
1. Fondation du Comité de correspondance communiste à Bruxelles et les premières controverses sur les questions de politique de la classe ouvrière (1846) : le début de la lutte contre le « socialisme vrai » ; les divergences avec le communisme utopique de Weitling ; la circulaire contre Kriege (11-5-1846) ; l'écho des séances du Comité de Bruxelles du printemps 1846 dans le Westphälischer Dampfboot ; les directives politiques aux communistes de Rhénanie (été 1846) ; les premières répercussions du Comité de correspondance sur l'évolution des communes parisiennes et londoniennes de la Ligue des justes (été 1846).
2. Le tournant de 1846-1847transition et départ : de la Ligue des justes à la Ligue des communistes (novembre 1846 à Juin 1847) ; l'Anti-Proudhon (Misère de la philosophie) ; la mise en lumière par Engels du caractère réactionnaire du « socialisme vrai » (printemps 1847) ; la convocation de la Diète unie en Prusse et la « brochure sur la Constitution » d'Engels (février-avril 1847).
3. Les questions politiques de la révolution allemande en marche au travers des polémiques de presse de l'été et de l'automne 1847 : la Deutsche Brüsseler Zeitung et les premières contributions du cercle du Comité de correspondance communiste (mars- Juillet 1847) ; une contribution de ce comité à la Kommunistische Zeitschrift de Londres (août 1847) ; un essai d'Engels sur la signification du protectionnisme et du libre-échange pour le développement bourgeois de l'Allemagne (juin 1847) ; un article de Marx contre la démagogie « gouvernementale socialiste » du Rheinischer Beobachter (septembre 1847) ; une déformation « socialiste vraie » de la ligne politique de Marx-Engels par Moses Hess ; le renforcement de l'influence du Comité de correspondance communiste de Bruxelles sur la ligne politique du Westphälischer Beobachter.
4. Le Manifeste du parti communiste : contribution à l'histoire de sa genèse ; un programme pour la démocratie et le socialisme à la veille de la révolution démocratique-bourgeoise en Allemagne.

[2] Les mots d'ordre que Marx assigne dans son discours aux révolutionnaires internationalistes rassemblés à la Fête des nations impliquent une connaissance précise des mécanismes qui relient les phénomènes d'oppression des classes à ceux de l'oppression des nations, bref, une vision achevée de l'impérialisme, sans laquelle le marxisme ne serait pas une théorie générale.
C'est à tort que l'on a attribué à Lénine, comme une nouveauté (inconnue ou méconnue du marxisme antérieur), l'élaboration de la théorie de l'impérialisme : le simple fait que Lénine l'ait exposée dans « un essai de vulgarisation » démontre qu'il n'a fait que reprendre sur ce point comme ailleurs la théorie classique du marxisme.
Si le marxisme, comme théorie, est né en Allemagne, c'est — comme le répètent inlassablement Marx-Engels parce que ce pays, de par ses conditions économiques, politiques et sociales, ainsi que ses rapports avec le marché mondial et les autres pays, était celui qui suggérait le plus clairement et pleinement tous les éléments de la théorie générale du prolétariat. Or, l'Allemagne des années 1840 était un amas de toutes les formes de société et de productions successives de l'histoire, du fait qu'aucune révolution n'y avait balayé de la scène sociale les vestiges de classes et de modes de production du passé. À toutes les couches et classes qui se superposaient ainsi l'une à l'autre pour opprimer les masses laborieuses venaient s'ajouter les facteurs d'oppression nationaux, l'Allemagne étant soumise à l'hégémonie commerciale anglaise, à l'occupation étrangère, à la division nationale, à l'influence russe, française, tandis qu'elle-même, par l'intermédiaire de la Prusse et de l'Autriche, opprimait la Pologne.
Le marxisme n'est que la transcription par Marx-Engels des conditions historiques et sociales réelles de la vivante lutte de classe, là où elles étaient les plus saisissables, donc à la fois les plus tranchantes et les plus universelles.


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