1843-50

"On remarquera que, dans tous ces écrits, et notamment dans ce dernier, je ne me qualifie jamais de social-démocrate, mais de communiste... Pour Marx, comme pour moi, il est donc absolument impossible d'employer une expression aussi élastique pour désigner notre conception propre.." F. Engels, 1894.

Une publication effectuée en collaboration avec la bibliothèque de sciences sociales de l'Université de Québec.


Le parti de classe

K. Marx - F. Engels

Le parti dans la révolution (1848-1850)

Interventions dans les associations ouvrières


Protestation de la Société démocratique de Cologne contre l'incorporation de la Posnanie dans la Confédération allemande

La Société démocratique de Cologne a déposé la protestation suivante auprès de l'Assemblée nationale [1] :

Considérant

  1. que l'Allemagne engagée dans la lutte pour la liberté ne doit pas opprimer d'autres nationalités, mais les soutenir dans leurs efforts pour obtenir leur liberté et leur indépendance ;
  2. que l'émancipation de la Pologne est une question vitale pour l'Allemagne ;
  3. que les trois despotes [russe, autrichien, et prussien] viennent une nouvelle fois de dépouiller les Polonais de leur liberté et de leur indépendance nationale ;
  4. que depuis 1792 tous les attentats contre la Pologne et tous les partages de celle-ci par la réaction ont toujours été dirigés contre la liberté de toute l'Europe, et d'autre part, qu'à chaque fois qu'un peuple s'est émancipé, il a réclamé la restauration de la Pologne ;
  5. que le Comité des Cinquante lui-même a rejeté avec indignation toute participation au crime perpétré contre la Pologne au nom du peuple allemand, et a exprimé clairement qu'il était du devoir de ce dernier d'œuvrer à la restauration d'une Pologne indépendante ;
  6. que le roi de Prusse lui-même, sous la pression de l’opinion publique, avait solennellement promis, après la révolution de mars, de réorganiser la Pologne ;
  7. qu'en dépit de tout cela l'Assemblée nationale de Francfort — au reste issue d'élections indirectes —a décidé, dans sa séance du 27 juillet, d'incorporer les trois quarts du Grand-Duché de Posnanie à l'Empire allemand (qui n'existe même pas encore) et, ce faisant, s'est rendue coupable du même crime contre la liberté que le Congrès de Vienne et la Diète allemande ;
  8. que néanmoins la partie saine du peuple allemand ne veut, ni ne peut, avoir la moindre participation au démantèlement de la nationalité polonaise au profit de la réaction et dans l'intérêt d'un certain nombre de bureaucrates, propriétaires fonciers et trafiquants prussiens,

La Société démocratique de Cologne déclare dans sa séance de ce jour : qu'elle proteste solennellement contre la décision prise par l'Assemblée nationale allemande le 27 juillet en ce qui concerne le Grand-Duché de Posnanie et, face à l'Allemagne, la Pologne et toute l'Europe, lance une mise en garde énergique contre cette annexion effectuée à l'avantage du parti réactionnaire de Prusse, de Russie et d'Autriche [2].

La Société démocratique
En son nom : le Comité

Assemblée populaire à Worringen

Cologne.18 septembre 1848  [3].

Un grand meeting populaire s'est tenu hier près de Worringen. Cinq ou six grands chalands fluviaux avaient descendu le Rhin depuis Cologne, chacun étant chargé de quelques centaines de personnes et portant à l'avant un drapeau rouge. Des délégations plus ou moins nombreuses étaient venues de Neuss, Dusseldorf, Crefeld, Hitdorf, Frechdorf et Rheindorf. Le meeting tenu sur un pré au bord du Rhin comptait au moins six à huit mille hommes.

Karl Schapper de Cologne fut nommé président, Friedrich Engels de Cologne, secrétaire. Sur proposition du président, l'assemblée se déclara, par toutes les voix moins une en faveur de la République, et plus précisément pour la République rouge, démocratique-sociale.

Sur proposition de Ernst Dronke de Cologne, l'assemblée de Worringen, adopta à l'unanimité l'adresse qui fut déjà adoptée mercredi dernier sur la place des Francs de Cologne — à savoir que l'Assemblée nationale de Berlin était sommée de ne pas céder à la force des baïonnettes en cas de dissolution.

Sur proposition de Joseph Moll de Cologne, l'assemblée populaire reconnut le Comité de sécurité élu par l'assemblée publique de Cologne et, à la demande d'un membre du meeting, lui porta un triple vivat.

Sur proposition de Friedrich Engels de Cologne l'adresse suivante fut adoptée  à l'unanimité :

À l'Assemblée nationale allemande à Francfort,

Les citoyens de l'Empire allemand rassemblés ici déclarent par la présente qu'ils prendront parti pour l'Allemagne avec leurs biens et leur sang si, par les actes illégaux du gouvernement prussien contre les décisions de l'Assemblée nationale et le pouvoir central, un conflit devait surgir entre la Prusse et l'Allemagne.

Worringen, le 17 septembre 1848.

Sur proposition de Schulte de Hitdorf, il fut décidé que La Gazette de Cologne  [4] ne représentait pas les intérêts de la Rhénanie.

Prirent la parole ensuite : M. Wolff de Cologne, F. Lassalle de Dusseldorf, Esser de Neuss, Weyll, Wachter, Becker et Reichhelm de Cologne, Wallraf de Frechen, Muller, membre de l'Union ouvrière de Worringen, Leven de Rheindorf, Imandt de Crefeld. Pour clore la réunion, on donna la parole à Henry Brisbane de New York, le rédacteur bien connu du journal démocrate-social New York Tribune.

Au cours de la réunion, on apprit de source sûre que les autorités avaient l'intention « de faire revenir, une fois de plus, à Cologne le 27° bataillon mardi prochain en même temps que les autres bataillons du régiment, d'inciter la troupe à créer des conflits avec la population afin de proclamer à cette occasion l'état de siège dans la ville, de désarmer la garde civile, bref de nous traiter purement et simplement comme on l'a fait à Mayence ».

Au cas où cette nouvelle se confirmerait et où on en viendrait à un conflit, les habitants présents des environs de Cologne ont garanti qu'ils se porteraient à notre aide. En fait, les habitants de Worringen attendent simplement un signal pour surgir.

Cela à l'intention de l'ex-commandant de la garde civile. M. Wittgenstein.


Notes

[1] Cf. La Nouvelle Gazette rhénane, 13 août 1848. Texte élaboré par Marx.

[2] En général, il ne faut jamais changer ou adapter le programme lorsqu'il est mis en échec, ne serait-ce que pour juger de la situation issue de la défaite et se rendre compte du nouveau rapport de forces.
Étant le reflet d'un état social, le programme est une force physique. Il peut disparaître de la scène politique, voire s'évanouir de la conscience des membres actuels du parti révolutionnaire, sans cesser d'exister comme tâche dans les rapports sociaux des classes, comme l'oxygène se trouve dans l'eau aussi bien que dans le feu, selon l'image de Marx.

[3] Compte rendu reproduit par La Nouvelle Gazette rhénane, 19 septembre 1848.
Marx et Engels ont clairement énoncé, en théorie, la tactique  à suivre dans les phases successives de la révolution double en Allemagne. Mais on manque cruellement de données sur leurs activités correspondantes, et notamment pour ce qui nous concerne sur les mesures d'organisation et le travail pratique accompagnant le passage de la lutte pour l'instauration d'une « République une et indivisible (sous la direction de la bourgeoisie ou du parti prolétarien prenant en charge cette tâche encore progressive) à celle pour une « République rouge » simplement revendiquée dans le dernier numéro de La Nouvelle. Gazette rhénane.
Devant la trahison rapide de la bourgeoisie et la défaillance du parti démocratique en Allemagne, le parti prolétarien — dans l'état où il était, avec les moyens dont il disposait, et avec la conscience générale qu'il en avait dans la réalité — tenta de prendre la direction de la lutte politique, en mettant en avant sa revendication de République rouge, pourvue de l'étiquette « démocratique-sociale ». En effet, un acte de volonté ne pouvait changer ni les conditions arriérées de l'Allemagne avec ses innombrables classes précapitalistes et petites-bourgeoises, ni la nécessité de suivre les phases précédant les conditions de sa dictature unique et entière. Selon l'expression d'Engels, « la révolution de 1848 a fait exécuter, en somme, les tâches de la bourgeoisie par des combattants prolétariens sous l'enseigne du prolétariat » (préface polonaise du Manifeste). Encore le prolétariat fut-il battu.
Un exposé systématique de la tactique du parti dans la révolution européenne de 1848-1850 a été publié dans « La Question militaire. Phase de la constitution du prolétariat en classe, donc en parti, en Allemagne », chap. IV, Il Programma comunista, Milan (le premier chapitre y fut publié dans le n° 23, de décembre 1963). Toute cette série paraîtra en français in Fil du temps de 1973, n° 11, consacré à la question militaire.
On notera que toute l'assemblée de Worringen est animée et dirigée par des membres de la commune de Cologne de la Ligue des communistes : Schapper, Dronke, Moll, Engels, etc.

[4] Ce journal, porte-parole de la bourgeoisie libérale, s'était distingué davantage par ses attaques contre la révolutionnaire Nouvelle Gazette rhénane que contre le gouvernement absolutiste de Prusse.
En ce qui concerne la défaillance du parti démocratique au cours des événements décisifs de mars, cf. Le Parti démocratique, 2-6-1848, trad. fr. : Marx-Engels, La Nouvelle Gazette rhénane, I, : Éd. sociales, p. 44-46 ; cf. également Programme du parti  radical-démocrate et de la gauche à Francfort, p. 65-70.


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