1843-50

"On remarquera que, dans tous ces écrits, et notamment dans ce dernier, je ne me qualifie jamais de social-démocrate, mais de communiste... Pour Marx, comme pour moi, il est donc absolument impossible d'employer une expression aussi élastique pour désigner notre conception propre.." F. Engels, 1894.

Une publication effectuée en collaboration avec la bibliothèque de sciences sociales de l'Université de Québec.


Le parti de classe

K. Marx - F. Engels

Vers la guerre et la Commune

Coordination de l'activité syndicale


Comme je vous en informais dans ma dernière lettre [1], j'ai estimé qu'il était de mon devoir de communiquer le contenu de votre lettre sur la grève des cigariers au Conseil général dans sa séance d'hier [2]. En même temps, j'ai demandé au Conseil de bien vouloir faire parvenir à nos membres d'Anvers [3] toute l'aide et le soutien possibles.

Ma proposition a trouvé un soutien chaleureux, notamment chez le citoyen Cohn, président des cigariers de Londres. Il avait juste auparavant communiqué au Conseil que, pour soutenir la grève, les cigariers de son syndicat avaient approuvé un prêt de 150 livres sterling ? soit environ 3 750 francs ? à vos frères d'Anvers ; que l'association des cigariers belges qui travaillent ici a accordé 20 livres sterling ; un autre syndicat d'ici ainsi que les cigariers de Liverpool sont prêts à vous consentir des avances pour soutenir la grève, etc. Là-dessus, le Conseil a décidé à l'unanimité :

  1. de faire rédiger aussitôt un appel à tous les syndicats anglais de Londres et de la province, de le faire imprimer et de l'envoyer à toutes les associations, afin de réclamer qu'elles soutiennent les grévistes d'Anvers ;
  2. d'envoyer des délégations du Conseil à tous les grands syndicats centralisés de Londres avec lesquels il est en relation, afin de les gagner à la même cause.

Comme nous avons appris du citoyen Cohn que vous avez déjà entrepris les démarches nécessaires pour éviter que les fabricants anversois n'embauchent des cigariers hollandais pour contrecarrer de semblables tentatives en Angleterre aussi, nous nous sommes bornés à faire paraître dans notre journal allemand ? le Volksstaat de Leipzig ? un entrefilet dans lequel nous informons les cigariers allemands de la grève que vous avez déclenchée en soulignant qu'ils ont le devoir d'empêcher tout enrôlement d'ouvriers pour briser la grève d'Anvers et, si possible, qu'ils mettent à votre disposition des fonds de soutien. Il paraîtra la semaine prochaine ; nous avons, en outre, attiré l'attention du rédacteur (W. Liebknecht) sur votre grève et lui avons demandé de se préoccuper de votre cause.

Il est difficile de préjuger des résultats de ces diverses démarches. Si les syndicats anglais nous consentent des prêts, il faudra quelques semaines pour accomplir les formalités indispensables. On peut supposer que les syndicats allemands ne pourront pas rassembler des fonds et la guerre a sans doute vidé les caisses.

Je vous prie de bien vouloir me tenir au courant de l'évolution de la grève des cigariers, afin que je puisse, le cas échéant, agir dans les délais les plus rapides, sans perte de temps. Est-il vrai que les 300 cigariers de Bruxelles font également grève, comme le dit le citoyen Cohn ? Le Conseil n'en a pas été informé, et si cela était vrai, les Bruxellois auraient bien tort. En effet, comment pouvons-nous entreprendre quoi que ce soit si l'on ne nous informe pas ?

Depuis un certain temps, le Conseil n'a plus reçu les exemplaires du Werker. Le Conseil général doit recevoir deux exemplaires de chaque journal : le premier pour sa bibliothèque, où nous avons entrepris d'établir une collection complète de tous les journaux ouvriers, afin de faciliter la rédaction future de l'histoire du mouvement prolétarien de tous les pays ; le second pour le secrétaire du pays dans lequel paraît le journal. Il serait vraiment dommage que nous ne recevions plus le Werker que nous avons lu attentivement à chaque fois.

Les 150 livres sterling ont dû partir aujourd'hui. Si vous ne les avez pas reçues vingt-quatre heures après cette lettre, écrivez immédiatement au citoyen Cohn, dont vous avez l'adresse.

Je considérerai qu'il est de mon devoir de faire tout ce qu'il est possible pour les ouvriers d'Anvers que j'ai l'honneur de représenter au Conseil [4].


Les cigariers anversois prétendent qu'à l'époque ils ont envoyé 3 000 francs pour soutenir la grande grève des cigariers allemands [5]. La grève dure toujours à Anvers et Bruxelles, et si ce que l'on me dit de ces 3 000 francs est exact, il serait bougrement de votre devoir en Allemagne de payer votre dette. Je te prie de te renseigner à ce sujet, et lorsque tu auras appris quelque chose, tu feras bien d'écrire quelque chose à ce sujet dans le Volksstaat.


J'ai reçu normalement vos deux lettres du 1er mai et 1er août, dans lesquelles j'apprends que les cigariers d'Anvers n'étaient pas rattachés à l'Internationale, et ne le sont même pas aujourd'hui [6]. Je suis très étonné de ce qu'on ne m'en ait pas informé dès le début de la grève, car tout ce que nous avons fait pour eux ici ? et cela n'a pas été une petite chose puisque nous leur avons tout de même procuré quelque 15 000 francs ?, nous l'avons fait dans la croyance que nous le faisions pour des membres de l'Internationale. Or, voilà que l'on nous apprend que non seulement ils n'étaient pas rattachés à l'Internationale, mais que même aujourd'hui ils ne se sont pas affiliés à elle, après tout ce que nous avons fait pour eux ! C'est tout de même un peu fort, et en ce qui me concerne j'ai décidé de ne plus rien faire pour des gens qui manquent à ce point de reconnaissance. Ces messieurs appellent-ils solidarité le fait qu'ils empochent l'argent des ouvriers d'Angleterre et d'ailleurs que leur procure l'Internationale et, après l'avoir empoché, n'adhèrent même pas à notre association pour démontrer par là qu'ils sont prêts à leur tour à agir solidairement avec les autres ?

Cela ne correspond pas à notre conception, et ce n'est pas le devoir de l'Internationale d'œuvrer pour des gens de cette sorte. Quiconque est disposé à recevoir le soutien de notre association doit être prêt aussi à contribuer pour sa part à ses charges, et le moins que vous puissiez faire pour le démontrer, c'est que vous adhériez à l'Internationale. Des gens qui demandent à cor et à cri de l'argent à l'Internationale, et refusent en même temps de reconnaître notre cause, méritent d'être exploités par les bourgeois, puisqu'ils rejettent le seul moyen de salut possible contre l'exploitation capitaliste : l'union et l'organisation des ouvriers de toute l'Europe.

Depuis que l'Internationale existe, il n'y a pas eu un seul cas du même genre : il demeurait réservé aux cigariers d'Anvers de mendier le secours de l'Internationale et, après l'avoir obtenu, de nous faire dire : merci, Messieurs, vous pouvez vous retirer, nous n'avons plus besoin de vous, la porte est là !

J'espère que je vous juge trop durement, et que vous vous serez affiliés avant ce jour ; mais si vous ne le faites pas immédiatement vous devrez reconnaître que votre comportement est d'une grande bassesse, et tant que je n'aurai pas reçu la nouvelle de votre affiliation, je m'opposerai à ce que l'on vous envoie encore un seul centime. Nous pouvons utiliser notre argent avec une utilité bien plus grande pour des hommes qui sont des nôtres.

Vous me demandez si les cigariers de Londres sont affiliés ? Mais oui, et cela va de soi, depuis la création de l'Internationale. Leur président - le citoyen Cohn - les représente au Conseil général. J'ai discuté avec lui de la lettre qu'il doit écrire à votre demande aux Anversois pour leur affiliation. Je me demande cependant quel effet peut avoir une lettre là où 15 000 francs n'ont eu aucun résultat ?

Le Werker continue de nous arriver très irrégulièrement, et en un seul exemplaire seulement. Étant donné que très peu d'ouvriers comprennent le flamand ici, il sera difficile de vous trouver des abonnements en Angleterre ; j'ai cependant prié les membres du Conseil de faire la propagande pour votre journal.


Notes

[1] La correspondance antérieure a été perdue.

[2] Cf. Engels à Philippe Coenen, 5 avril 1871.
La liaison entre parti et syndicat forme une sphère d'activité fondamentale ; elle est abordée dans Marx-Engels, Le Syndicalisme (notamment dans le volume I, p. 57-170, à propos de l'activité syndicale de Marx-Engels au sein de la 1re Internationale). Nous ne l'évoquons ici que pour mémoire. Cette activité syndicale représente, mieux que la propagande et le prosélytisme, le moyen efficace pour évoluer sur le terrain solide de la lutte de classe du prolétariat. C'est le moyen le plus sûr de réaliser la jonction nécessaire avec la classe ouvrière, en opposition à la bourgeoisie et autres couches sociales.
C'est en plein paroxysme de la lutte pour la Commune, notons-le, que le Conseil général de l'A. I. T. et Marx-Engels trouvèrent nécessaire de consacrer leurs quelques forces à cette question qui va bien au-delà du beefsteak.

[3] La suite du courrier montrera que les Anversois n'étaient pas ? hélas ? membres de l'A. I. T.

[4] Dans sa lettre à Liebknecht, Engels écrivait : « Cette grève est précisément de la plus haute importance pour l'Internationale en Belgique... Si les cigariers allemands avaient les moyens d'avancer des fonds aux Anversois, il faudrait s'en occuper. Le manifeste d'Elberfeld est arrivé hier au Conseil général, et a été aussitôt retransmis. Je l'ai lu. » Le 26 mars 1871, les membres de l'Association générale des ouvriers allemands d'Elberfeld avaient adopté une adresse en faveur de la Commune de Paris. Elle fut aussitôt envoyée à Paris, mais craignant que l'exemplaire ne soit intercepté par la police, ils décidèrent d'en envoyer un second au Conseil général, afin que celui-ci le transmette aux représentants de la Commune. En ce qui concerne le mouvement de solidarité des ouvriers allemands, par-delà le front militaire, pour le mouvement ouvrier français en général et la Commune en particulier, cf. Die I. Internationale in Deutschland (1864?1872). Dokumente und Materialien, Dietz Verlag, 1964.

[5] Cf. Engels à Wilhelm Liebknecht, 4 mai 1871.

[6] Cf. Engels à Philippe Coenen, 4 août 1871.
Dans cette lettre, Engels évoque la question de la conquête des ouvriers par le parti ou, en l'occurrence, l'Internationale.


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