1843-50

"On remarquera que, dans tous ces écrits, et notamment dans ce dernier, je ne me qualifie jamais de social-démocrate, mais de communiste... Pour Marx, comme pour moi, il est donc absolument impossible d'employer une expression aussi élastique pour désigner notre conception propre.." F. Engels, 1894.

Une publication effectuée en collaboration avec la bibliothèque de sciences sociales de l'Université de Québec.


Le parti de classe

K. Marx - F. Engels

Questions d'organisation

Luttes de tendances et dissolution de l'Internationale


Congrès de l'A.I.T. tenu à La Haye (2 au 7-9-1872)

Discussions préparatoires à propos du congrès et des pleins pouvoirs du Conseil général

Le citoyen Marx dit alors qu'il ne fait pas de doute que la question d'organisation serait le principal sujet à soumettre aux débats du congrès. Les luttes qui avaient eu lieu ont suffisamment mis cela en évidence [1].

Dans la discussion de celle-ci, il serait bon de diviser le sujet en sections concernant ou bien le Conseil général, ou bien les conseils fédéraux. La proposition de Bakounine transformerait purement et simplement le Conseil général en un bureau de statistique. Or, pour cela, il n'est pas nécessaire d'avoir un Conseil général. Les journaux pourraient donner toutes les informations qu'ils sont susceptibles de rassembler, et il faut rappeler que l'on n'avait pas encore collecté de statistiques, bien que le Conseil général ait attiré régulièrement l'attention des diverses sections sur la nécessité d'entreprendre des mesures à cet effet.

La proposition du conseil fédéral belge est logique : il faut supprimer le Conseil général, dès lors qu'on lui a déjà enlevé toute utilité. On a affirmé que les conseils fédéraux pouvaient accomplir toutes les tâches indispensables et qu'ils avaient été et seraient établis dans tous les pays, afin de prendre en main toute l'administration. En Espagne, La Emancipacion disait dans sa critique de ce projet que cela signifierait la mort de l'Association : s'ils étaient conséquents, il faudrait supprimer les conseils fédéraux eux-mêmes. Malgré cela, il ne s'opposerait pas à la proposition, comme autre solution ou expérience [2]. Quoi qu'il en soit, il est assuré que cela ne ferait que démontrer l'absolue nécessité du rétablissement du Conseil général dans ses fonctions. Si la politique du renforcement des pouvoirs du Conseil général devait être rejetée, il serait disposé à s'incliner, mais il n'accepterait en aucun cas la proposition de Bakounine, à savoir maintenir le Conseil général tout en le réduisant à néant.

Vérifications des mandats de délégués

Marx répond que cela ne regarde personne de savoir qui les sections choisissent [comme délégué au Congrès] [3]. D'ailleurs, il est tout à l'honneur de Barry de ne pas être un des prétendus chefs des travailleurs anglais, car tous sont plus ou moins vendus à la bourgeoisie et au gouvernement. On a attaqué Barry uniquement parce qu'il ne voulait pas se faire l'instrument de Hales.

À propos des sociétés persécutées par les gouvernements

Marx fait valoir que si l'Alliance a été admise, c'est parce qu'on ignorait au début son caractère secret [4]. L'on savait, évidemment, qu'elle s'était reconstituée, mais en face de la déclaration officielle de dissolution du 6 août 1871, la conférence ne pouvait qu'adopter la résolution quel l'on sait. Lui-même ne s'oppose pas aux sociétés secrètes en tant que telles, car il a appartenu à des sociétés de ce genre, mais il en a aux sociétés secrètes qui sont hostiles et nuisibles à l'A.I.T. Le conseil fédéral romand protesta vivement contre l'admission de la section en question, et c'est la raison pour laquelle le Conseil général la rejeta, conformément aux statuts. À Bruxelles, la situation était différente : la section française avait écrit au Conseil général que des membres du conseil fédéral belge lui avaient fait savoir que son admission à la fédération belge l'exposerait à la police belge. Le Conseil général n'avait donc pu faire autrement que de reconnaître et d'admettre séparément la section française de Bruxelles, et il a fallu agir de la même façon pour la deuxième section française qui s'y est formée.

Discussion sur la section double des États-Unis

Marx déclare que la section 2 n'a pas d'existence aux yeux du congrès, puisque, en sa qualité de section indépendante, elle n'est pas entrée en contact avec le Conseil général [5].

Sorge déclare qu'il n'aurait posé la question de confiance soulevée par Dereure que pour la section 2, car on montrera alors les immenses torts que ces éléments causent à la classe ouvrière et au mouvement des travailleurs en Amérique.

Frankel est tout à fait opposé à l'admission de la section 2 et rappelle les précédents de la Commune, où des sections particulières ont aussi mené une campagne contre le Conseil fédéral par des affiches et divers autres moyens. Il est favorable à la centralisation, contre la prétendue autonomie et l'anarchie. On ne peut plus tolérer la rébellion contre toutes les résolutions; la discipline doit être maintenue.

Marx fait savoir que West (le délégué mandaté par la section 2) désire voir renvoyer au lendemain la question concernant la section 2, et que le comité accepte cette proposition. Il rappelle l'affaire de l'Alliance et déclare qu'il avait proposé l'exclusion de l'Alliance et non pas des délégués espagnols.

Marx propose, au nom du comité de vérification des pouvoirs, l'annulation du mandat de W. West, parce que, d'une part, il est membre d'une section suspendue, que, d'autre part, il a été membre du Congrès de Philadelphie, et que, enfin, il est membre du conseil de Prince Street. Le mandat de W. West est signé par Victoria Woodhull qui, depuis des années, intrigue pour la présidence (elle est présidente des spirites, prêche l'amour libre, a une activité bancaire, etc.). La section 2, créée par V. Woodhull, était formée, au début, presque exclusivement de bourgeois, menait surtout des campagnes pour le suffrage féminin et publia le fameux appel aux citoyens américains de langue anglaise, dans lequel elle accusait l'A.I.T. de nombreux crimes, et qui provoqua la formation de nombreuses sections dans le pays. Il y était question entre autres, de liberté individuelle, de liberté sociale (amour libre), de règles d'habillement, de suffrage féminin, de langue universelle et de bien d'autres choses. Le 28 octobre, ils ont déclaré que l'émancipation de la classe ouvrière par elle-même signifiait que l'émancipation de la classe ouvrière ne peut s'accomplir contre la volonté des travailleurs. Ils estiment que la question du suffrage féminin doit avoir priorité sur la question du travail, et ne veulent pas reconnaître à l'A.I.T. son caractère d'organisation ouvrière.

La section 1 protesta contre cette manière d'agir de la section 2, et exigea qu'au moins les deux tiers des membres des sections fussent des travailleurs salariés, car, aux États-Unis, tout mouvement ouvrier est exploité et perverti par la bourgeoisie [6]. La section 2 protesta contre l'exigence des deux tiers de travailleurs salariés en demandant dédaigneusement si c'était un crime de n'être pas un esclave salarié, mais un homme libre. Les deux parties en appelèrent à la décision du Conseil général. Les 5 et 12 mars, le Conseil fit connaître sa décision de suspendre la section 2. C'est pourquoi le mandat de West ne peut pas être reconnu. Quoiqu'elle ait fait appel au Conseil général, la section 2 et ses adhérents refusèrent la décision. West était aussi membre du Congrès de Philadelphie et du conseil de Prince Street, qui refusèrent de reconnaître le Conseil général et restèrent en contact avec la fédération jurassienne qui, à en croire les journaux, leur conseillait de ne pas payer leur cotisation pour mettre le Conseil général à sec.

Sorge répond à West qu'il a la tâche facile, et raconte ensuite comment la section 2 a été admise à la suite de fausses indications (West avait notamment déclaré que la section 2 se composait surtout de travailleurs salariés, comme lui-même). Il ajoute que, d'autre part, on connaissait suffisamment les exigences des ennemis de la section 2, que le Conseil général avait simplement recommandé et non décrété la régie des deux tiers, que Mme Woodhull poursuit des intérêts personnels dans l'Association, ce que West lui-même lui avait dit. Personne n'a jamais mis en question leur droit d'avoir toutes sortes d'opinions sur des questions telles que, par exemple, le féminisme, la religion, ou n'importe quoi, mais seulement le droit de les faire endosser à l'Association internationale des travailleurs.

La section 2 et ses membres ont impudemment exposé toutes leurs dissensions devant le grand public; ils n'ont pas payé leur cotisation pour cette année, ils ont été heureux de recevoir la communication de la fédération jurassienne et du conseil fédéraliste universel de Londres.

Ils se sont livrés à des intrigues et à des manœuvres déloyales, et ont réclamé au Conseil général la direction suprême de l'A.I.T. en Amérique, et ont encore le front d'interpréter comme leur étant favorables les décisions contraires du Conseil général.

Interventions sur les pouvoirs du Conseil général

Sauva dit que Sorge a soutenu faussement que les Français aux États-Unis veulent un accroissement des pouvoirs du Conseil général, alors qu'ils sont favorables au maintien du Conseil [7]. Son mandat veut que le Conseil général n'ait le droit de suspendre des sections ou des fédérations que dans les cas déterminés par le congrès, à l'exclusion de tout autre.

Marx déclare : « Nous ne demandons pas ces pouvoirs pour nous, mais pour le nouveau Conseil général; nous préférons abolir le Conseil général plutôt que de le voir réduit au rôle de boîte à lettres, comme le désire Brismée. Dans ce cas, la direction de l'Association tomberait entre les mains des journalistes, c'est-à-dire de gens qui ne sont pas des ouvriers. Je m'étonne que la fédération jurassienne, ces amateurs d'abstractions, ait pu appuyer la section 2 qui voulait faire de l'Association un instrument pour soutenir une politique de bourgeois. Il est incroyable que la mention de sections policières fasse sourire : on devrait savoir que de telles sections ont été créées en France, en Autriche et dans d'autres pays [8]. C'est l'Autriche qui a amené le Conseil général à ne pas reconnaître toute section qui n'aurait pas été fondée par des délégués du Conseil général ou par des organisations locales. Vésinier et ses camarades, récemment expulsés du groupe des réfugiés français, sont évidemment partisans de la fédération jurassienne. Le conseil fédéral belge a été accusé devant le Conseil général tout aussi vivement que n'importe quel autre de despotisme et d'abus divers, et cela par des ouvriers belges; il y a des lettres à ce propos. Des gaillards tels que Vésinier, Landeck et consorts peuvent, par exemple, former tout d'abord un conseil fédéral, et ensuite une fédération; des agents de Bismarck peuvent en faire autant. C'est pourquoi le Conseil général doit avoir le droit de dissoudre ou de suspendre un conseil fédéral ou une fédération [9].

« Vient ensuite l'appel aux sections, qui peut souvent constituer le bon moyen de décider, par la voix populaire, si un conseil fédéral exprime encore la volonté du peuple. En Autriche, des braillards, des ultra-radicaux et des provocateurs formèrent des sections destinées à compromettre l'A.I.T. En France, le chef de la police forma une section. Pourtant, l'Association se porte mieux là où elle est interdite, car les persécutions ont toujours cet effet-là.
« Le Conseil général pourrait certes suspendre toute une fédération, en suspendant ses sections l'une après l'autre. Mais en cas de suspension d'une fédération ou d'un conseil fédéral, le Conseil général s'expose immédiatement à une motion de censure ou à un blâme, de sorte qu'il n'exercera son droit de suspension qu'en cas de nécessité absolue. Même si nous reconnaissons et accordons au Conseil général les droits d'un roi nègre ou du tsar de Russie, sa puissance devient nulle dès qu'il cesse de représenter la majorité de l'A.I.T. Le Conseil général n'a ni armée ni budget, il ne dispose que d'une autorité morale, et il sera toujours impuissant s'il ne s'appuie pas sur l'adhésion de toute l'Association. »

Intervention de F. Engels sur le transfert du siège du Conseil général à New York

Engels, Marx et d'autres membres du Conseil général sortant proposent que le siège du Conseil soit transféré à New York pour l'année 1872-1873 [10], et qu'il soit formé par les membres du conseil fédéral américain, dont les noms suivent : Kavanagh, Saint-Clair, Cetti, Levièle, Bolte et Carl, qui auront le droit d'élever le nombre des membres du Conseil jusqu'à quinze.

Engels prend la parole pour défendre la motion demandant le transfert du Conseil général à New York. Le Conseil a toujours eu son siège à Londres, parce que c'était le seul endroit où il pouvait vraiment être international et où les papiers et documents se trouvaient en parfaite sécurité. Leur sécurité sera au moins aussi grande à New York qu'à Londres; en aucun autre lieu d'Europe ils n'auront une telle sécurité, pas même à Genève ou à Bruxelles, comme certains événements l'ont prouvé. À Londres, les querelles de clans ont atteint une telle acuité que le siège devra être transféré ailleurs.

 

En outre, les accusations et les attaques contre le Conseil général sont devenues si violentes et si continuelles que la plupart des membres actuels en sont fatigués et sont décidés à ne plus siéger au Conseil. C'est, par exemple, certain dans le cas de Karl Marx et dans son propre cas. Du reste, l'ancien Conseil général n'était pas toujours unanime, tous ses membres peuvent en témoigner. Depuis huit ans, le Conseil général siège au même endroit, il serait bon de le transférer ailleurs pour remédier à une certaine ankylose. Pour des raisons analogues, Marx avait demandé en 1870 déjà le transfert du Conseil général à Bruxelles, mais toutes les fédérations s'étaient prononcées pour le maintien du Conseil à Londres.

Où faut-il transférer le Conseil général ? À Bruxelles ? Les Belges eux-mêmes affirment que c'est impossible, car il n'y aurait pas de sécurité pour eux. À Genève ? Les Genevois s'y opposent énergiquement, en partie pour les mêmes raisons que les Bruxellois, et ils rappellent l'affaire de la saisie des documents d'Outine.

Il ne reste que New York. Là-bas, les papiers seront en sûreté, et il y aura une organisation puissante et fidèle. Le parti y est plus véritablement international que partout ailleurs. Que l'on regarde, par exemple, le conseil fédéral de New York, composé d'Irlandais, de Français, d'Allemands, d'Italiens, de Suédois, et qui comptera bientôt aussi des Américains de naissance. L'objection selon laquelle New York est trop éloignée est sans valeur, car ce sera un avantage certain pour les fédérations européennes qui se défendent jalousement contre toute ingérence du Conseil général dans les affaires intérieures; la distance rendra ces ingérences plus difficiles et l'on évitera que des fédérations particulières acquièrent une trop grande influence au sein du Conseil général. Le Conseil général a d'ailleurs le droit, peut-être même le devoir, de déléguer des pouvoirs en Europe, pour des affaires et des régions déterminées, ce qu'il a toujours fait jusqu'à présent [11].

Discussion sur l'Alliance

Splingard demande des détails et désire savoir comment Marx s'est procuré les documents, car cela n'a pu se faire par des moyens honnêtes. Engels avait apporté des preuves, mais Marx s'est contenté de formuler des assertions [12]. Si Bakounine a failli à sa promesse de traduire l'œuvre de Marx, c'est parce qu'on lui a conseillé d'agir ainsi. L'Alliance existait à Genève et en Espagne avant l'A.I.T. : « À Genève, vous l'avez reconnue. Prouvez donc qu'elle existe encore, non par des statuts, des lettres ou d'autres choses semblables, mais par des procès-verbaux et des comptes rendus de séances. »

Marx (grossièrement interrompu par Splingard) déclare que Splingard s'est comporté en avocat, mais non en juge. Il affirme faussement, ou plutôt de façon incorrecte, que Marx n'a pas présenté de preuves, tout en sachant très bien qu'il avait remis presque toutes ses preuves à Engels. Le conseil fédéral espagnol a également fourni des preuves. Lui, Marx, en a apporté d'autres de Russie, mais il ne peut évidemment pas révéler le nom de l'expéditeur. D'ailleurs, les autres membres de la commission lui ont donné leur parole d'honneur de ne rien divulguer sur ces délibérations. Lui a son opinion sur la question. Splingard peut bien en avoir une autre. Les documents n'ont pas été obtenus par des moyens malhonnêtes, ils ont été envoyés spontanément...

Le congrès passe ensuite au vote par appel nominal sur les propositions de la commission d'enquête. L'expulsion de Michel Bakounine est décidée par 29 voix contre 7 et avec 8 abstentions. Par 25 voix contre 16 et avec 10 abstentions, le congrès décide d'expulser James Guillaume de l'A.I.T. Par 16 voix contre 10 abstentions, le congrès refuse l'expulsion d'Adhemar Schwitzguebel [13].

À la demande d'Engels, le congrès décide, à une grande, majorité, de renvoyer le vote sur le troisième point des propositions de la commission, concernant les autres expulsions (Malon, Bousquet et Louis Marchand pour manœuvres visant à la désorganisation de l'A.I.T.), mais d'adopter les autres propositions de la commission : entre autres, le quatrième point (que les citoyens Morago, Farga Pellicer, Marselau, Joukovsky et Alerini n'appartiennent plus à l'Alliance, le congrès étant donc prié de retirer les accusations pesant sur eux)...

À la demande du président, le congrès décide de charger le nouveau Conseil général de terminer tous les travaux inachevés. Le président affirme avoir perdu la voix (il parle d'une voix rauque), mais non sa confiance en la cause : « J'ai perdu ma voix, mais non pas ma foi », et à minuit et demie, il déclare clos le V° Congrès général de l'Association internationale des travailleurs en s'écriant : « Vive le travail ! »

Pleins pouvoirs du Conseil général de New York pour Karl Marx [14]

Karl Marx, habitant le n° 1, Maitland Park Road, N. W., Londres, Angleterre, reçoit pouvoir par la présente, et est chargé de rassembler tout bien quel qu'il soit de l'ancien Conseil général de l'A.I.T., et de le tenir à la disposition du Conseil général.

Tous les anciens membres et employés de l'ancien Conseil général de l'A.I.T. de Londres ou d'ailleurs sont priés et chargés de respecter cette demande et de remettre audit Karl Marx tous les livres, papiers, etc., bref tout ce qui a appartenu et appartient à l'ancien Conseil général de Londres.

New York, 30-12-1872

Par ordre et au nom du Conseil général

Le secrétaire général : F. A. SORGE

Mandat du Conseil général de New York pour Friedrich Engels

Conseil général de l'Association internationale des travailleurs

Mandat

Friedrich Engels, habitant 122, Regent's Park Road, Londres, est nommé provisoirement représentant du Conseil général de l'A.I.T. pour l'Italie. Il a le pouvoir et est chargé d'agir au nom du Conseil général et conformément aux instructions qu'il recevra de temps à autre.

New York, 5-1-1873

Par ordre et au nom du Conseil général

Instructions pour le représentant du Conseil général pour l'Italie, Friedrich Engels, Londres

  1. Le représentant du Conseil général pour l'Italie aide de toutes ses forces l'organisation de l'Internationale dans ce pays conformément aux statuts généraux et règlements administratifs et aux instructions du Conseil général;
  2. Il veille au maintien du caractère ouvrier du mouvement en Italie;
  3. Dans les cas d'urgence, il décide provisoirement dans les questions litigieuses sur le plan de l'organisation et de l'administration de notre association en Italie sous réserve d'un appel au Conseil général, auquel il doit immédiatement faire son compte rendu;
  4. De même, il peut suspendre un membre ou une quelconque organisation en Italie jusqu'à l'arrivée de la décision du Conseil général qu'il informe aussitôt des mesures prises en y ajoutant les pièces justificatives. Cependant, il ne saurait suspendre un plénipotentiaire directement nommé par le Conseil général, sans avoir demandé et reçu au préalable des instructions spéciales à ce sujet de la part du Conseil général;
  5. Il a le droit de donner des mandats provisoires à court terme à des personnes en Italie, dont les pouvoirs ne peuvent jamais excéder ceux des plénipotentiaires nommés directement par le Conseil général, et il va de soi que tous les mandats et pouvoirs doivent être soumis pour ratification définitive au Conseil général, celui-ci pouvant à tout moment les annuler ou les révoquer;
  6. Il veille à l'encaissement régulier des cotisations et à leur transfert au Conseil général;
  7. Il tient au courant le Conseil général en l'informant régulièrement des faits, et lui envoie un rapport détaillé tous les mois.

New York, le 5-1-1873

Sur ordre et au nom du Conseil général


Notes

[1] Cf. le protocole de séance du Conseil général du 11-6-1872, Werke, 18, p. 684-685.
Dans la séance du 28 août 1872 du sous-comité du Conseil général, on relève : « Marx [pour assurer l'unité du Conseil général] fait la proposition qu'aucun membre du Conseil général n'ait le droit d'accuser un autre au Congrès international des travailleurs, jusqu'à la discussion sur l'élection des membres du [nouveau] Conseil général. Accepté à l'unanimité. » (Cf. Documents of the First International, V, p. 319.)
L'acte le plus important du Congrès de La Haye fut la ratification de l’article 7a élaboré par Marx-Engels et adopté par la conférence de septembre 1871 tenue à Londres. La modification ou plutôt la précision apportée par cet article aux statuts primitifs porte sur la nécessité du parti politique de classe, ainsi que sur la conquête du pouvoir politique.
Cette question fait la liaison entre la Conférence de Londres et le Congrès de La Haye, dont elle domina tous les débats, comme en témoigne le compte rendu des séances (6 septembre) où s'opposent alliancistes et « marxistes » . Ainsi, au nom des premiers, Guillaume y affirmait que les manifestes du Conseil général ne représentaient que « les points de vue particuliers du parti social-démocrate allemand, mais non pas ceux d'autres pays », et que ceux qui veulent la conquête du pouvoir politique de l'État veulent « devenir des bourgeois à leur tour » « Nous refusons la prise du pouvoir politique de l'État, nous exigeons, au contraire, la destruction totale de l'État en tant qu'expression du pouvoir politique. » À quoi Longuet, défendant le point de vue du Conseil général, répondit : « La Commune est tombée, faute d'organisation, d'organisation politique. Que deviendrait le collectivisme de Guillaume sans une certaine organisation des forces ? Pour la lutte économique, les travailleurs doivent s'organiser en un parti politique, sinon il ne restera plus rien de l'Internationale, et Guillaume, dont le maître est Bakounine, ne peut appartenir à l'A.I.T. s'il a de telles conceptions. » (Ibid., p. 360-361.)

[2] À ce propos, Marx écrivit (en français) à De Paepe le 29 mai 1872 : « J'ai lu le compte rendu sur le congrès belge dans L'Internationale. Comment se fait-il que, parmi les délégués, les Flamands font défaut ? Généralement parlant, d'après les renseignements reçus ici par les Français de la part de leurs compatriotes, il ne paraît pas que l'Internationale ait fait beaucoup de chemin en Belgique depuis les événements de la Commune. Pour ma part, je serais prêt à accepter (avec des modifications de détail) le plan de Hins (sur la suppression du Conseil général), non parce que je le crois bon, mais parce qu'il vaut toujours mieux faire certaines expériences que se bercer d'illusions.
« C'est très caractéristique de la tactique de l'Alliance : en Espagne, où elle est fortement organisée, quoiqu'elle ait perdu l'appui du conseil fédéral espagnol, elle a attaqué au conseil de Barcelone tout élément d'organisation, conseil fédéral, etc., aussi bien que Conseil général. En Belgique, où il faut compter avec les ‘préjuges’, on a proposé la suppression du Conseil général tout en transférant aux conseils fédéraux ses attributions (qu'on combattait à Barcelone et en les exagérant même).
« J'attends avec impatience le prochain congrès. Ce sera le terme de mon esclavage. Après cela, je redeviendrai homme libre; je n'accepterai plus de fonction administrative, soit pour le Conseil général, soit pour le conseil fédéral anglais. » (Cf. L'Actualité de l’histoire, n° 25 Paris, 1958, p 13.)
Dans sa lettre à Liebknecht du 27 août 1872, Engels précise les raisons pour lesquelles il estime qu'il a mieux à faire que d'être à la tête de l'Internationale, étant donné que le travail théorique est prioritaire, ce qui n'est pas une attitude de circonstance, mais bien une position fondamentale du marxisme, pour lequel la théorie, les principes ont la primauté sur 1 organisation et l'action, lorsque le choix se pose en ces termes. Certes, Marx-Engels resteront encore quelque temps à la direction de l'International, afin de la préserver des mains adverses et d’organiser le repli pour sauver tout ce qui peut l'être pour la prochaine Internationale : « Les Belges ont préparé une révision des statuts. Hins a déposé un projet tendant à l'abolition du Conseil général. En ce qui me concerne, cela m'irait parfaitement. Dans l'état de choses actuel, Marx et moi nous n'y retournerons certainement pas. C'est à peine s'il nous reste maintenant du temps pour travailler, et cela doit cesser. »

[3] Cf. séance du 3 septembre 1872 du Congrès de La Haye (cf. La I° Internationale, recueil de documents, I. U. E. I., t. II, p. 336; et Werke, 18, p. 685).
Marx défendit Maltman Barry, membre de la fédération britannique, dont les délégués réformistes anglais avaient contesté la régularité du mandat parce que Barry, disaient-ils, n'était pas le chef reconnu des ouvriers anglais. Ce différend reflète l’opposition entre la direction anglaise des syndicats d'aristocrates ouvriers et les représentants ouvriers anglais qui tendaient à rendre le mouvement indépendant des influences bourgeoises.
Le Congrès de La Haye adopta la décision suivante à propos des syndicats :
« III. Résolutions relatives aux rapports internationaux des sociétés de résistance
« Le nouveau Conseil général est chargé de la mission spéciale de constituer les unions internationales de métiers. Dans ce but, il doit, dans le courant du mois qui suivra ce congrès, rédiger une circulaire qu'il fera traduire et imprimer dans toutes les langues, et qu'il enverra à toutes les sociétés ouvrières, affiliées ou non à l'Internationale, dont il aura les adresses. Dans cette circulaire, il invitera chaque société ouvrière à faire l'union internationale de son métier respectif.
« Chaque société ouvrière sera invitée à fixer elle-même ses conditions pour faire partie de l'union internationale de son métier.
« Le Conseil général est chargé de réunir les conditions fixées par les sociétés qui auraient accepté l'idée de l'union internationale, et de rédiger un projet général qui sera soumis à l'acceptation provisoire de toutes les sociétés qui voudront faire partie des unions internationales de métiers. Le prochain congrès consacrera le pacte définitif des unions internationales. » (Ibid., p. 375.)
Dans sa lettre à Paul Lafargue du 21 mars 1872, Marx avait noté l'importance du Conseil général dans le mouvement syndical : « Le seul syndicat véritablement international en Europe est celui des cigariers. Mais celui-ci reste tout à fait extérieur au mouvement prolétarien et fait appel au Conseil général uniquement pour ses intérêts professionnels. »

[4] Cf. séance du 3 septembre 1872, ibid.
Marx répète une fois de plus qu'il n'est pas opposé par principe aux organisations secrètes. D'ailleurs, il ressort de toute la conception marxiste du parti que le caractère public et légal du mouvement ne constitue pas une règle préjudicielle à l'organisation. En l'occurrence, Marx répond au délégué belge Brismée qui s'opposait à la formation de branches particulières d'émigrés français, notamment à Bruxelles, branches ne faisant pas partie de la fédération locale. À la Conférence de Londres, cette question avait été déjà réglée (cf. les résolutions X et XI relatives à la France et aux pays où l'organisation régulière de l'Internationale est entravée par les gouvernements).
Du point de vue des principes, rien ne s'oppose à ce que de nos jours, les partis prolétariens se constituent, d'une part, en formation publique, d’autre part, en formation paramilitaire secrète pour défendre le prolétariat contre les agressions légales et illégales des organisations adverses, et pour se préparer concrètement à la conquête du pouvoir.

[5] Cf. séance du 4 septembre 1872, ibid., p. 342.
Le lecteur se reportera utilement au compte rendu (en allemand et en anglais) des débats du Congrès de La Haye : The First International, Minutes of the Hague Congress of 1872 with related documents, Edited and translated by Hans Gerth, The University of  Wisconsin Press, Madison, 1958.
Les éditions du Progrès de Moscou viennent de publier sur le même congrès les procès-verbaux de Le Moussu suivis de textes en annexe : Le Congrès de La Haye de la I° Internationale, 2-7 septembre 1872, procès-verbaux et documents, 1972.

[6] Sorge, l'ancien membre de la Ligue des communistes et correspondant de Marx-Engels, intervint ensuite pour préciser certains points de la position à adopter aux États-Unis étant donné la situation sociale de ce pays : « On a besoin des Irlandais en Amérique, mais on ne peut pas les gagner avant d'avoir complètement rompu avec la section 2 et les free lovers [partisans de l'amour libre].
« En Amérique, la classe ouvrière se compose d'abord d'Irlandais, puis d'Allemands, ensuite de nègres, les Américains ne viennent qu'en quatrième lieu : jouez franc jeu, laissez-nous le champ libre pour que nous puissions faire quelque chose de bien de l'Internationale en Amérique ! » (Ibid., p. 344.)
À propos de F. A. Sorge, cf. Correspondance Engels-Marx et divers, publiée par F. A. Sorge, éd. Costes, et notamment la préface de Bracke (A. M. Desrousseaux), vol. I, p. 5-16.
Sorge, assurant la direction du Conseil général après son transfert à New York, resta en correspondance étroite avec Marx-Engels. On peut se reporter à la Correspondance mentionnée ci-dessus pour toutes les interventions de Marx-Engels auprès du Conseil général new-yorkais par le truchement de Sorge et Bolte.

[7] Cf. séance du 6 septembre 1872, ibid., p. 354.

[8] Avant l’intervention de Marx, Lafargue avait expliqué : « Dans les pays où l'A.I.T. est interdite, les sections sont souvent formée d'espions et d'agents au service de la police. »

[9] Dans sa lettre à Lafargue du 21 mars 1872, Marx affirmait « Le zèle brûlant des agents provocateurs se manifeste dans la création de sections, dont le radicalisme est sans pareil. »
Le Conseil général s'efforçait de démasquer les agents et mouchards, et de les dénoncer publiquement, comme en témoigne la résolution suivante :
Attendu que le Conseil général possède la preuve irréfutable que Gustave Durand de Paris    ouvrier orfèvre, ex-délégué des ouvriers orfèvres au comité de la Chambre fédérale des sociétés ouvrières de Paris, ex-chef de bataillon de la Garde nationale, ex-caissier-chef du ministère des Finances sous la Commune, actuellement réfugié à Londres   s'est mis au service de la police française pour moucharder le Conseil général de l'Association internationale des travailleurs, de même qu'il a servi et sert encore d'indicateur de police contre les anciens Communards réfugiés à Londres, et qu’il a touché la somme de 725 francs pour ses basses besognes;
Gustave Durand est stigmatisé comme traître et exclu de l'Association internationale des travailleurs.
Toutes les sections de l'Association internationale des travailleurs doivent être informées de cette décision.
Londres, le 9 octobre 1871.
Au nom du Conseil général :
Karl Marx
secrétaire pour l'Allemagne

[10] Le congrès prit les résolutions suivantes en ce qui concerne les pouvoirs du Conseil général : «Les articles 2 et 6 ont été remplacés par les articles suivants :
« Art. 2. Le Conseil général est tenu d'exécuter les résolutions des congrès et de veiller dans chaque pays à la stricte observation des principes, des statuts et règlements généraux de l'Internationale.
Art. 6. Le Conseil général a également le droit de suspendre des branches sections, conseils ou comités fédéraux et fédérations de l'Internationale, jusqu'au prochain congrès.
« Cependant, vis-à-vis des sections appartenant à une fédération, il n'exercera ce droit qu'après avoir consulté préalablement le conseil fédéral respectif.
« Dans le cas de dissolution d'un conseil fédéral, le Conseil général devra demander en même temps aux sections de la fédération d'élire un nouveau conseil fédéral dans les trente jours au plus.
« Dans le cas de suspension de toute une fédération, le Conseil général devra immédiatement en aviser toutes les fédérations. Si la majorité des fédérations le demande, le Conseil général devra convoquer une conférence extraordinaire composée d'un délégué par nationalité, qui se réunira un mois après, et qui statuera définitivement sur le différend. Néanmoins, il est bien entendu que les pays où l'Internationale est prohibée exerceront les mêmes droits que les fédérations régulières. » (Cf. I° Internationale, recueil de documents, t. II, p 374.) Suivent, article par article, les votes pour, contre, et les abstentions, ainsi que les noms de ceux qui se sont prononcés à chaque fois, ce qui dénote la division et la fracture du congrès.
Dans le passage suivant, extrait de l'article d'Engels intitulé « Les Mandats impératifs au Congrès de La Haye », La Emancipacion, 13-10-1872, Engels relève une contradiction du mécanisme démocratique celui des votes liés aux mandats impératifs, qui se répand à la suite de la trahison des électeurs par leurs délégués. Ce mécanisme exprime directement la fraction au sein du parti :
« Des députés ont si souvent trahi la confiance de leurs électeurs ces derniers temps au Parlement que les vieux mandats impératifs du Moyen Âge, abolis par la révolution de 1789, reviennent à la mode. Nous ne voulons pas engager ici une discussion de principe sur ces mandats. Nous nous contenterons purement et simplement de faire remarquer que si tous les organismes électoraux donnaient à leurs délégués des mandats impératifs sur tous les points de l'ordre du jour, l'assemblée des délégués et leurs débats deviendraient superflus. Il suffirait d'envoyer les mandats à un quelconque bureau central qui soumettrait le tout au décompte des voix et proclamerait le résultat du vote. Cela reviendrait beaucoup moins cher.
« Ce qui nous semble important, c'est le processus par lequel les mandats impératifs ont joué un rôle exceptionnel au Congrès de La Haye par les entraves qu'ils ont fait subir même à leurs détenteurs... » (Cf. séance du 6-9-1872, ibid., p. 355-356.)

[11] Les débats et les résultats de cette proposition furent les suivants : « Serraillier demande que la motion d'Engels et de Marx soit divisée en trois questions : Premièrement : le Conseil doit-il être transféré ? Deuxièmement : où ? Troisièmement : élection de ses membres.
« Vilmot désire voir la motion divisée seulement en deux parties, mais la motion Serraillier est adoptée.
« La première question   le siège du Conseil général doit-il être transféré ?   est tranchée par l’affirmative avec 26 voix contre 23. Le vote sur la question de savoir où transférer le Conseil donne 31 voix pour New York, 14 pour Londres, 1 pour Barcelone et 11 abstentions...
« La proposition initiale d'élire Kavanagh, Saint-Clair, Cetti, Laurrell, Levièle, Bertrand, Bolte et Carl au Conseil général, avec mission de porter le nombre des membres du Conseil à quinze est adoptée par 19 voix contre 4 et 19 abstentions. La validité de ce vote est violemment contestée, parce que cette motion n'a pas réuni la majorité des votants; des motions de tous ordres sont déposées (Dupont et Serraillier demandent l'insertion du nom de Pillon) jusqu'à ce que Marx suggère une nouvelle délibération sur le dernier vote. La proposition est acceptée. Selon une suggestion de Lafargue, le congrès décide alors délire douze membres du nouveau Conseil général, qui pourront porter leur nombre à quinze, et de suspendre la séance pendant quinze minutes pour passer ensuite au vote...
« Par le vote qui intervient alors sont élus au Conseil général pour l'année 1872-1873, avec les pleins pouvoirs pour porter leur nombre à quinze : S. Kavanagh, E. P. Saint-Clair, Fornaccieri Laurrell, Levièle, David, Dereure, Carl, Bolte, Bertrand, Ward et Speyer. » (Ibid., p. 357, 361-362.)

[12] Cf. la séance du 7 septembre 1872, ibid., p. 366-367.

[13] Plus tard, Marx apportera une précision intéressante sur ce point. Au Congrès de La Haye, il n'a pas demandé l'expulsion de Guillaume et Schwitzguebel. C'est la commission d’enquête qui l'a demandée. « Ce que j'ai demandé au congrès, c'est l'exclusion de l'Alliance et la désignation d'une commission d'enquête à cet effet.» (Volksstaat, 26-10-1872.)

[14] Nous reproduisons ci-dessus les mandats et instructions pour Marx-Engels relatifs aux charges qu'ils eurent à remplir après le transfert du Conseil général à New York. Cf. Werke, 18, p. 689-691.


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