1843-50

"On remarquera que, dans tous ces écrits, et notamment dans ce dernier, je ne me qualifie jamais de social-démocrate, mais de communiste... Pour Marx, comme pour moi, il est donc absolument impossible d'employer une expression aussi élastique pour désigner notre conception propre.." F. Engels, 1894.

Une publication effectuée en collaboration avec la bibliothèque de sciences sociales de l'Université de Québec.


Le parti de classe

K. Marx - F. Engels

Le parti face à l'évolution du monde


Situation politique de l'Europe

(L'affaire orientale est un peu longue [1], il me faut entrer dans un tas de détails, vu les bêtises absurdes que la presse française, y compris Le Cri, a répandues sur ce sujet, sous l'influence russo-patriotique.) [2]

Au mois de mars 1879, Disraeli envoya quatre vaisseaux cuirassés dans le Bosphore ; leur seule présence suffit pour arrêter la marche triomphale des Russes sur Constantinople, et pour déchirer le traité de San Stefano. La paix de Berlin régla, pour quelque temps, la situation en Orient [3]. Bismarck réussit à établir un accord entre le gouvernement russe et le gouvernement autrichien. L'Autriche dominerait en sous-main la Serbie ; tandis que la Bulgarie et la Roumélie seraient abandonnées à l'influence prépondérante de la Russie. Cela laissait deviner que si plus tard Bismarck permettait aux Russes de prendre Constantinople, il réservait à l'Autriche Salonique et la Macédoine.

Mais, en outre, on donna la Bosnie à l'Autriche, comme, en 1794, la Russie avait abandonné, pour la reprendre en 1814, la plus grande partie de la Pologne proprement dite aux Prussiens et aux Autrichiens. La Bosnie était la cause d'une saignée perpétuelle pour l'Autriche, une pomme de discorde entre la Hongrie et l'Autriche occidentale, et surtout la preuve pour la Turquie que les Autrichiens, ainsi que les Russes [4], lui préparaient le sort de la Pologne. Désormais la Turquie ne pouvait avoir confiance en l'Autriche : victoire importante de la politique du gouvernement russe.

La Serbie avait des tendances slavophiles, partant russophiles, mais depuis son émancipation elle puise tous ses moyens de développement bourgeois en Autriche. Les jeunes gens vont étudier dans les universités autrichiennes ; le système bureaucratique, le code, la procédure des tribunaux, les écoles, tout a été copié des modèles autrichiens. C'était naturel. Mais la Russie devait empêcher cette imitation en Bulgarie ; elle ne voulait pas tirer les marrons du feu pour l'Autriche. Donc la Bulgarie fut organisée en satrapie russe. L'administration, les officiers et les sous-officiers, le personnel, tout le système enfin furent russes : le Battemberg qui lui fut octroyé était cousin d'Alexandre III.

La domination, d'abord directe; puis indirecte du gouvernement russe suffit pour étouffer en moins de quatre ans toutes les sympathies bulgares pour la Russie ; elles avaient pourtant été grandes et enthousiastes. La population regimbait de plus en plus contre l'insolence des « libérateurs » ; et même le Battemberg, homme sans idées politiques, d'un caractère mou et qui ne demandait pas mieux que de servir le tsar, mais qui réclamait des égards, devint de plus en plus indocile.

Pendant ce temps, les choses marchaient en Russie. Le gouvernement, à force de sévérités, réussit à disperser et à désorganiser les nihilistes pour quelque temps. Mais cela n'était pas suffisant, il lui fallait un appui dans l'opinion publique. Il lui fallait détourner les esprits de la contemplation des misères sociales et politiques toujours croissantes de l'intérieur ; enfin il lui fallait un peu de fantasmagorie patriotique [5]. Sous Napoléon III, la rive gauche du Rhin avait servi à détourner vers l'extérieur les passions révolutionnaires ; de même le gouvernement russe montra au peuple inquiet et remuant la conquête de Constantinople , la « délivrance » des Slaves opprimés par les Turcs et leur réunion en une grande fédération sous la présidence de la Russie. Mais il ne suffisait pas d'évoquer cette fantasmagorie, il fallait faire quelque chose pour la réaliser.

Les circonstances étaient favorables. L'annexion de l'Alsace-Lorraine avait semé entre la France et l'Allemagne des ferments de discorde, qui semblaient devoir neutraliser ces deux puissances. L'Autriche, à elle seule, ne pouvait lutter contre la Russie, puisque son arme offensive la plus efficace, l'appel aux Polonais, serait toujours retenue dans le fourreau de la Prusse. Et l'occupation   le vol   de la Bosnie était une Alsace entre l'Autriche et la Turquie [6]. L'Italie était au plus offrant, c'est-à-dire à la Russie, qui lui offrait le Trentin et l'Istrie, avec la Dalmatie et Tripoli [7]. Et l'Angleterre ? Le pacifique russophile Gladstone avait écouté les paroles tentantes de la Russie : il avait occupé l'Égypte, en pleine paix, ce qui assurait non seulement à l'Angleterre une querelle perpétuelle avec la France, mais bien plus : l'impossibilité d'une alliance des Turcs avec les Anglais, qui venaient de les spolier en s'appropriant un fief turc, l'Égypte. En outre, les préparatifs russes en Asie étaient assez avancés pour donner aux Anglais bien de la besogne aux Indes en cas de guerre. Jamais autant de chances ne s'étaient présentées aux Russes : leur diplomatie triomphait sur toute la ligne.

La rébellion des Bulgares contre le despotisme russe fournit l'occasion d'entrer en campagne. À l'été 1885, on fit miroiter devant les yeux des Bulgares et des Rouméliotes [8] la possibilité de cette union promise par la paix de San Stefano et détruite par le traité de Berlin. On leur dit que s'ils se jetaient de nouveau dans les bras de la Russie libératrice, le gouvernement russe remplirait sa mission en accomplissant cette union ; mais que pour cela les Bulgares devaient commencer par chasser le Battemberg. Celui-ci fut prévenu à temps ; contre son habitude, il agit avec promptitude et énergie : il accomplit, mais pour lui [9], cette union que la Russie voulait faire contre lui. Dès ce moment, guerre implacable entre lui et le tsar.

Cette guerre fut menée d'abord sournoisement et indirectement. On réédita, pour les petits États des Balkans, la belle doctrine de Louis Bonaparte, suivant laquelle; quand un peuple jusque-là épars, disons l'Italie ou l'Allemagne, se réunit et se constitue en nation, les autres États, disons la France, ont droit à des compensations territoriales. La Serbie avala l'amorce, et déclara la guerre aux Bulgares ; la Russie remporta ce triomphe que cette guerre, déclenchée dans son intérêt, se fit aux yeux du monde sous les auspices de l'Autriche, qui n'osa l'empêcher de peur de voir le parti russe arriver au pouvoir en Serbie. De son côté, la Russie désorganisa l'armée bulgare en rappelant tous les officiers russes, c'est-à-dire tout l'état-major et tous les officiers supérieurs, y compris les chefs de bataillon de l'armée bulgare.

Mais, contre toute attente, les Bulgares, sans officiers russes et à deux contre trois, battent les Serbes à plate couture et conquièrent le respect et l'admiration de l'Europe étonnée. Ces victoires ont deux causes. D'abord Alexandre de Battemberg, bien que faible comme homme politique, est bon soldat ; il fit la guerre telle qu'il l'avait apprise à l'école prussienne, tandis que les Serbes suivaient la stratégie et la tactique de leurs modèles autrichiens. Ce fut donc une deuxième édition de la campagne de 1866 en Bohême. Et puis les Serbes avaient vécu depuis soixante ans sous ce régime bureaucratique autrichien qui, sans leur donner une puissante bourgeoisie et une paysannerie indépendante (les paysans ont déjà tous des hypothèques), avait ruiné et désorganisé les restes du collectivisme gentilice qui avait été leur force dans leurs luttes contre les Turcs : ce qui explique leur bravoure supérieure.

Donc, nouvel échec pour la Russie ; c'était à recommencer. Le chauvinisme slavophile, chauffé comme contrepoids de l'élément révolutionnaire, grandissait de jour en jour et devenait déjà menaçant pour le gouvernement. Le tsar se rend en Crimée, et les journaux russes annoncent qu'il fera quelque chose de grand ; il cherche à attirer dans ses filets le sultan pour l'engager à une alliance en lui montrant ses anciens alliés   l'Autriche et l'Angleterre   le trahissant et le spoliant, et la France à la remorque et à la merci de la Russie. Mais le sultan fait la sourde oreille et les énormes armements de la Russie occidentale et méridionale restent, pour le moment, sans emploi.

Le tsar revient de Crimée (juin dernier). Mais en attendant, la marée chauvine monte et le gouvernement, incapable de réprimer ce mouvement envahissant, est de plus en plus entraîné par lui ; si bien qu'il faut permettre au maire de Moscou de parler hautement, dans son allocution au tsar, de la conquête de Constantinople. La presse, sous l'influence et la protection des généraux, dit ouvertement qu'elle attend du tsar une action énergique contre l'Autriche et l'Allemagne, qui l'entravent, et le gouvernement n'a pas le courage de lui imposer silence. Le chauvinisme slavophile est plus puissant que le tsar, il faut qu'il cède de peur d'une révolution, les slavophiles s'allieraient aux constitutionnels, aux nihilistes, enfin à tous les mécontents [10].

La détresse financière complique la situation. Personne ne veut prêter à ce gouvernement qui, de 1870 à 1875, a emprunté 1 milliard 750 000 francs à Londres et qui menace la paix européenne. Il y a deux ou trois ans, Bismarck lui facilita, en Allemagne, un emprunt de 375 millions de francs, mais il est mangé depuis longtemps, et sans la signature de Bismarck, les Allemands ne donneront pas un sou. Cependant cette signature ne s'obtient plus sans des conditions humiliantes. La fabrique des assignats de l'intérieur en a trop produit, le rouble argent vaut 4 F, et le rouble papier 2,20 F. Les armements coûtent un argent fou.

Enfin, il faut agir. Un succès du côté de Constantinople ou la révolution   l'ambassadeur russe, Giers, alla trouver Bismarck, et lui exposa la situation, qu'il comprit fort bien. Il aurait bien voulu, par égard pour l'Autriche, retenir le gouvernement du tsar, dont l'instabilité l'inquiète. Mais la révolution en Russie signifie la chute du régime bismarckien. Sans la Russie   la grande armée de réserve de la réaction   la domination des hobereaux en Prusse ne durerait pas un jour. La révolution en Russie changerait immédiatement la situation en Allemagne ; elle détruirait d'un coup cette foi aveugle en la toute-puissance de Bismarck, qui lui assure le concours des classes régnantes ; elle mûrirait la révolution en Allemagne.

Bismarck, sachant fort bien que l'existence du tsarisme est la base de tout son système, se rendit en toute hâte à Vienne, pour informer ses amis que, en présence d'un tel danger, il n'est plus temps de s'arrêter aux questions d'amour-propre ; qu'il faut permettre au tsar quelque semblant de triomphe, et que, dans leur intérêt bien entendu, l'Autriche et l'Allemagne doivent s'incliner devant la Russie. D'ailleurs, si messieurs les Autrichiens insistent pour se mêler des affaires de Bulgarie, il s'en lavera les mains : ils verront ce qui arrivera. Kalnoky cède, Alexandre Battemberg est sacrifié, et Bismarck court porter en personne la nouvelle à Giers.

Par malheur, les Bulgares déployèrent une capacité politique et une énergie inattendues et intolérables chez une nation slave « délivrée par la sainte Russie ». Le Battemberg fut arrêté nuitamment, mais les Bulgares arrêtent les conspirateurs, nomment un gouvernement capable, énergique et incorruptible, qualités parfaitement intolérables chez une nation à peine émancipée ; ils rappellent le Battemberg ; celui-ci étale toute sa mollesse et prend la fuite. Mais les Bulgares sont incorrigibles. Avec ou sans Battemberg, ils résistent aux ordres souverains du tsar et obligent l'héroïque Kaulbars à se rendre ridicule devant toute l'Europe.

Imaginez la fureur du tsar. Après avoir courbé Bismarck, brisé la résistance autrichienne, se voir arrêté par ce petit peuple qui date d'hier, qui doit à lui ou à son père son « indépendance », et qui ne veut pas comprendre que cette indépendance ne signifie qu'obéissance aveugle aux ordres du « libérateur ». Les Grecs et les Serbes ont été (pas mal [11]) ingrats, mais les Bulgares dépassent la limite ! Prendre leur indépendance au sérieux ! Quel crime !

Pour se sauver de la révolution, le pauvre tsar est obligé de faire un nouveau pas en avant. Mais chaque pas devient plus dangereux ; car il ne se fait qu'au risque d'une guerre européenne, ce que la diplomatie russe a toujours cherché à éviter. Il est certain que s'il y a intervention directe du gouvernement russe en Bulgarie et qu'elle amène des complications ultérieures, il arrivera un moment où l'hostilité des intérêts russes et autrichiens éclatera ouvertement. Il sera alors impossible de localiser la guerre, elle deviendra générale. Étant donné l'honnêteté des fripons qui gouvernent l'Europe, il est impossible de prévoir comment se grouperont les deux camps. Bismarck est capable de se ranger du côté des Russes contre l'Autriche, s'il ne peut retarder autrement la révolution en Russie. Mais il est plus probable que si la guerre éclate entre la Russie et l'Autriche, l'Allemagne viendra au secours de cette dernière pour empêcher son complet écrasement.

En attendant le printemps, car avant avril les Russes ne pourront s'engager dans une grande campagne d'hiver sur le Danube, le tsar travaille à attirer les Turcs dans ses filets, et la trahison de l'Autriche et de l'Angleterre envers la Turquie lui facilite la tâche. Son but est d'occuper les Dardanelles et de transformer ainsi la mer Noire en lac russe, d'en faire un abri inabordable pour l'organisation de flottes puissantes qui en sortiraient pour dominer ce que Napoléon appelait un « lac français »   la Méditerranée. Mais il n'y est pas encore parvenu, bien que ses partisans de Sofia aient trahi sa secrète pensée.

Voilà la situation. Afin d'échapper à une révolution en Russie, il faut au tsar Constantinople ; Bismarck hésite, il voudrait le moyen d'éviter l'une et l'autre éventualité.

Et la France ?

Les Français patriotes, qui depuis seize ans rêvent de revanche, croient qu'il n'y a rien de plus naturel que de saisir l'occasion qui peut-être s'offrira. Mais, pour notre parti, la question n'est pas aussi simple ; elle ne l'est pas même [12] pour messieurs les chauvins. Une guerre de revanche, faite avec l'alliance et sous l'égide de la Russie, pourrait amener une révolution ou une contre-révolution en France.

Au cas où une révolution porterait les socialistes au pouvoir, l'alliance russe croulerait. D'abord les Russes feraient immédiatement la paix avec Bismarck pour se ruer avec les Allemands sur la France révolutionnaire. Ensuite, la France ne porterait pas les socialistes au pouvoir en vue d'empêcher par une guerre une révolution en Russie. Mais cette éventualité n'est guère probable.

La contre-révolution monarchique l'est davantage. Le tsar désire la restauration des Orléans, ses amis intimes, le seul gouvernement qui lui offre les conditions d'une bonne et solide alliance. Une fois la guerre commencée, on fera bon usage des officiers monarchistes pour la préparer. À la moindre défaite partielle   et il y en aura  , on criera que c'est la faute de la République, que pour avoir des victoires et obtenir la coopération sans arrière-pensée de la Russie, il faut un gouvernement stable, monarchique, Philippe VII enfin. Les généraux monarchistes agiront mollement afin de pouvoir mettre leur manque de succès sur le compte du gouvernement républicain   et vlan, voici la monarchie rétablie. Philippe VII restauré, ces rois et empereurs s'entendront immédiatement et, au lieu de s'entredévorer, ils se partageront l'Europe en avalant les petits États. La République française tuée, on tiendra un nouveau Congrès de Vienne où, peut-être, on prendra les péchés républicains et socialistes de la France comme prétexte pour lui refuser l'Alsace-Lorraine en totalité ou en partie ; et les princes se moqueront des républicains assez naïfs pour avoir cru à la possibilité d'une alliance sincère entre le tsarisme et l'anarchie [13].

Du reste, est-il vrai que le général Boulanger dit à qui veut l'écouter : « Il faut une guerre pour empêcher la révolution sociale » ? Si c'est vrai, que cela serve d'avis au parti socialiste. Ce bon Boulanger a des allures fanfaronnes que l'on peut pardonner à un militaire, mais qui donnent une mince idée de son esprit politique. Ce n'est pas lui qui sauverait la République. Entre les socialistes et les Orléans, il est possible qu'il s'arrange avec ces derniers, s'ils lui assurent l'alliance russe. Dans tous les cas, les républicains bourgeois de France sont dans la même situation que le tsar : ils voient se dresser devant eux le spectre de la révolution sociale et ils ne connaissent qu'un moyen de salut : la guerre.

En France, en Russie et en Allemagne, les événements tournent si bien à notre profit que, pour le moment, nous ne pouvons désirer que la continuation du statu quo. Si la révolution éclatait en Russie, elle créerait un ensemble de conditions des plus favorables. Une guerre générale, au contraire, nous rejetterait dans le domaine de l'imprévu (et des événements incalculables). La révolution en Russie et en France serait retardée ; notre parti subirait le sort de la Commune de 1871. Sans doute, les événements finiront par tourner en notre faveur ; mais quelle perte de temps, quels sacrifices, quels nouveaux obstacles à surmonter !

La force qui, en Europe, pousse à une guerre est grande. Le système militaire prussien, adopté partout, demande douze à seize ans pour son développement complet ; après ce laps de temps, les cadres de réserve sont remplis d'hommes rompus au maniement des armes. Ces douze à seize ans sont partout écoulés ; partout on a douze à seize classes annuelles qui ont passé par l'armée. On est donc prêt partout, et les Allemands n'ont pas d'avantage spécial de ce côté. C'est dire que cette guerre qui nous menace jetterait dix millions de soldats sur le champ de bataille [14]. Et puis le vieux Guillaume va probablement mourir [15]. Bismarck verra sa situation plus ou moins ébranlée et peut-être poussera-t-il à la guerre comme moyen de se maintenir [16]. En effet, la Bourse croit partout à la guerre, dès que le vieux [l'empereur d'Allemagne] fermera les yeux.

Si guerre il y a, elle ne se fera que dans le but d'empêcher la révolution [17] : en Russie, pour prévenir l'action commune de tous les mécontents, slavophiles, constitutionnels, nihilistes, paysans ; en Allemagne, pour maintenir Bismarck ; en France, pour refouler le mouvement victorieux des socialistes et pour rétablir la monarchie.

Entre socialistes français et socialistes allemands, il n'existe pas de question alsacienne. Les socialistes allemands ne savent que trop que les annexions de 1871, contre lesquelles ils ont toujours protesté, ont été le point d'appui de la politique réactionnaire de Bismarck, tant à l'intérieur qu'à l'extérieur. Les socialistes des deux pays sont également intéressés au maintien de la paix ; c'est eux qui paieraient les frais de la guerre.


Notes

[1] Cette lettre d'Engels à Lafargue fut reprise et présentée sous forme d'article sous le titre ci-dessus dans Le Socialiste, organe du parti ouvrier, le 6 novembre 1886.
De manière fondamentale, Engels y décrit le rapport des forces impérialistes dans le monde qui s'acheminait vers la Première Guerre mondiale. II se fonde sur toute l’analyse historique, politique et diplomatique des puissances officielles, développée tout au long de sa vie par Marx et constituant une véritable théorie de l’impérialisme si l'on sait la rattacher aux chapitres du Capital sur l'accumulation primitive. De fait, le parti œuvre au sein d'un champ de forces bien déterminées, nullement neutres si l'on a en vue la tâche fondamentale de la conquête du pouvoir. Cet article fut repris à la fois en Amérique dans Der Sozialist et le Sozial-demokrat ainsi que dans la Revista Sociala roumaine en décembre 1886.

[2] Ce premier paragraphe se trouve seulement dans la lettre d'Engels à Lafargue.

[3] Le traité de San Stefano mit fin à la guerre russo-turque de 1877-78 et donna de tels avantages à la Russie dans les Balkans que l'Angleterre et l'Autriche-Hongrie protestèrent, appuyées secrètement par l'Allemagne. Une pression diplomatique et des menaces militaires forcèrent la Russie à réviser ce traité au Congrès de Berlin (13 juin au 13 juillet 1878) à son détriment.
Par exemple, le territoire attribué à la Bulgarie autonome fut réduit de plus de la moitié. La province méridionale devint la province autonome de Rumélie orientale qui demeura sous l'influence de la Turquie. Le territoire du Monténégro fut aussi considérablement réduit. Cependant la partie de la Bessarabie enlevée à la Russie en 1856 et reprise par elle à San Stefano lui resta ; de même, l'annexion de la Bosnie et de la Herzegovine par l'Autriche-Hongrie fut sanctionnée par la paix de Berlin. La veille du Congrès, l'Angleterre s'était emparée de Chypre. Engels a donc connu, dans ses grandes lignes, le dernier alignement des forces impérialistes avant la première grande guerre mondiale.

[4] Dans sa lettre à Lafargue, Engels avait écrit « pas moins que les Russes » à la place de « ainsi que les Russes ».

[5] Dans la lettre d'Engels, il y a « chauvine » à la place de « patriotique »

[6] En parlant de la politique orientale, Engels fournit en même temps son appréciation sur la politique française qu'il développera notamment dans son article intitulé Le Socialisme en Allemagne, cf. infra.

[7] Au cours de la guerre italienne de 1859, Engels avait déjà expliqué de quelle manière la Russie trempait dans les affaires de la péninsule appenine, cf. à ce propos les articles d'Engels sur Le Pô et le Rhin et La Savoie,  Nice et le Rhin, in MARX-ENGELS, Écrits militaires, p. 332-429 ; à propos de la Russie, cf. 427-428 (où Engels trace un historique de l'action russe en Italie).

[8] Dans sa lettre à Lafargue, Engels avait écrit : « Les Bulgares du Nord et du Sud » au lieu des « Bulgares et Rouméliotes ».

[9] Dans sa lettre à Lafargue, Engels avait été plus précis. Au lieu de « mais pour lui », il avait écrit « à lui et pour lui ».

[10] Engels, plus bref, achève la phrase par ces mots : « Celui-ci cède, ou bien   révolution par les slavophiles. »

[11] « Pas mal » ne se trouve que dans le texte de lettre d'Engels à Lafargue.

[12] « Même » a été remplacé par « davantage » dans le texte imprimé.

[13] Dans le texte imprimé, Lafargue a remplacé « anarchie » par « République ».

[14] Cette phrase manque dans la lettre d'Engels, mais elle correspond à sa pensée, et on la trouve développée, par exemple, dans MARX-ENGELS, Écrits militaires, p. 611 (F. Engels, Ce qui attend l'Europe, 15 janvier 1888).

[15] Dans sa lettre, Engels poursuivait : « Alors il y aura quelque changement de système. »

[16] À la place de cette phrase, Engels avait écrit : « Pour les autres, ce sera une nouvelle tentation d'attaquer l'Allemagne qu'on croira moins forte au moment d'un changement de politique intérieure. »

[17] Tout le monde a pratiquement oublié depuis l'horrible carnage impérialiste de 1939-1945 que le prolétariat ne doit pas simplement lutter contre la guerre à cause de son horreur et des souffrances qu'elle inflige à l’humanité, sous peine de se condamner à l'impuissance.
Le « général » Engels ne cesse, en effet, de souligner, tout au long de ses études militaires, le caractère de classe nécessaire des guerres et de la violence. La présente lettre en est encore un exemple frappant : toute guerre moderne, même si elle est conduite entre États constitués des classes dominantes, a un caractère de classe contre le prolétariat. La classe ouvrière, force décisive de la production et de la vie modernes, est toujours au centre des questions cruciales de paix ou de guerre. Mais pour le voir, il faut se placer d'un point de vue de classe. Lénine l'a fait magistralement en 1914 en, déclarant le conflit en cours impérialiste, c'est-à-dire dirigé en premier contre la classe ouvrière internationale qui tend au socialisme.


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