1868-94

«Dans tous ces écrits, je ne me qualifie jamais de social-démocrate, mais de communiste. Pour Marx, comme pour moi, il est absolument impossible d'employer une expression aussi élastique pour désigner notre conception propre. »
Fr. Engels - Préface à la brochure du Volksstaat de 1871-1875.

Une publication effectuée en collaboration avec la bibliothèque de sciences sociales de l'Université de Québec.


La social-démocratie allemande

K. Marx - F. Engels

2
Sous le régime de la loi anti-socialiste


Petits-bourgeois socialistes de droite et de gauche

Marx à F.-A. Sorge, 19 septembre 1879.

Nos points de litige avec Most n'ont absolument rien de commun avec ceux de ces messieurs de Zürich , du trio formé par le Dr. Höchberg, Bernstein (son secrétaire) et C.A. Schramm. Nous n'en voulons pas à Most parce que sa Freiheit est trop révolutionnaire, nous lui reprochons de ne pas avoir de CONTENU révolutionnaire et de ne faire que de la phraséologie révolutionnaire. Nous ne lui reprochons pas non plus de critiquer les chefs du parti en Allemagne, mais : premièrement de chercher le scandale public au lieu de communiquer aux gens ce qu'il pense par écrit, c’est-à-dire par lettre missive; deuxièmement, utiliser cela uniquement comme prétexte pour faire l'important à son tour et mettre en circulation les plans idiots de conjuration secrète de messieurs Weber junior et Kaufmann. Ces gaillards, avant son arrivée se sentaient appelés à prendre en main la direction suprême du « mouvement ouvrier universel » et, partout où ils l'ont pu, ils ont effectivement ourdi les manœuvres les plus variées pour réaliser leur « douce et folle » entreprise. Le brave John Most - un homme d'une vanité tout à fait enfantine - croit en fait que les événements du monde ont subi un revirement gigantesque parce que lui-même n'est plus en Allemagne, mais sévit à Londres. Ce gaillard n'est pas sans talent, mais il le tue par sa manie de remplir des pages et des pages. En outre, il est absolument sans esprit de suite (en Fr.). A chaque fois que change le vent, il court dans une autre direction, tantôt par-ci, tantôt par-là, comme une girouette.

De plus, il se pourrait bien effectivement que Engels et moi nous soyions obligés de lancer une « déclaration publique » contre ceux de Leipzig et leurs alliés de Zürich .

Les choses prennent le cours suivant. Bebel nous a écrit que l'on voulait fonder un organe du parti à Zürich , et demandait nos noms pour collaborer. Hirsch était désigné comme rédacteur présumable. Là dessus nous avons accepté, et j'écrivis directement à Hirsch [1] (alors à Paris, d'où il vient d'être expulsé pour la seconde fois), afin qu'il en prenne la direction, car il était le seul à nous offrir l'assurance que la ligne du parti serait strictement maintenue et que seraient tenus à l'écart toute cette bande de docteur et d'étudiants et cette racaille de socialistes de la chaire qui s'affichent dans le Zukunft, etc. et commencent à s'insinuer déjà dans le Vorwärts. Or il se révéla que Hirsch avait découvert un nid de guêpes à Zürich . Les 5 hommes, le Dr Höchberg (cousin de Sonnemann, radoteur sentimental qui, avec son argent, s'est acheté sa place dans le parti), le petit juif Bernstein, son secrétaire, C.A. Schramm, philistin, même s'il est bien intentionné, et l'émissaire de Leipzig, Viereck, aussi une vieille barbe philistine, fils naturel de l'Empereur d'Allemagne) et le marchand Singer de Berlin (petit bourgeois pansu : il m'a rendu visite il y a quelques mois), ces cinq hommes se constituèrent - avec la haute autorisation de Leipzig - en comité constituant et nommèrent un comité de surveillance de la rédaction et de l'administration du journal à Zürich , c’est-à-dire le trio Höchberg, Bernstein, C.A. Schramm, qui devait décider en première instance, il y avait au - dessus d'eux Bebel, Liebknecht et quelques autres de la direction du parti allemand. Or donc Hirsch demanda premièrement d'où venait l'argent; Liebknecht répondit : du parti + de Dr Höchberg; Hirsch retira la fleur de rhétorique et réduisit le tout fort justement à « Höchberg ». Deuxièmement, Hirsch ne voulait pas se soumettre au comité trifolié Höchberg - Bernstein, C.A. Schramm et il y était d'autant plus autorisé que dans la réponse à sa lettre où il lui demandait simplement ces renseignements, Bernstein le tançait bureaucratiquement et traitait sa Laterne - est-ce merveilleux de l'entendre ? - d'ultra-révolutionnaire, etc. Après un échange de lettres assez longue, où Liebknecht ne joua pas un rôle brillant, Hirsch se retira; Engels écrivit à Bebel que nous nous retirions également, comme nous avions refusé notre collaboration dès le début à la Zukunft (Höchberg) et à la Neue Gesellschaft (Wiede). Ces gaillards, théoriquement nuls et pratiquement inutilisables, veulent abâtardir le socialisme (qu'ils veulent arranger à leur goût d'après des recettes universitaires) et surtout émasculer le parti social-démocrate, ils veulent éclairer les ouvriers de leurs lumières ou, comme ils le disent, leur apporter des « éléments de culture » avec leur demi-savoir confus et enfin ils cherchent à rendre le parti respectable aux yeux du philistin. Ce sont de misérables radoteurs contre-révolutionnaires. Or donc, l'organe hebdomadaire apparaît à présent (ou doit paraître) à Zürich, sous le contrôle et la surveillance suprême de ceux de Leipzig (Vollmar en est le rédacteur).

Dans l'intervalle, Höchberg est venu ici pour nous appâter  [2]. Il n'y trouva que le seul Engels, qui lui fit comprendre quel abîme profond il y avait entre nous et lui, en faisant la critique du Jahrbuch publié par Höchberg (sous le pseudonyme de Dr L. Richter). Regarde donc le misérable bousillage qu'est l'article signé 3, c’est-à-dire la triade Höchberg-Bernstein-C.A. Schramm. Mais le brave John Most lui aussi figure dans un article reptilien sur le libraire Schäffle. Jamais on a publié quelque chose d'aussi blâmable pour le parti. Bismarck a fait le plus grand bien - non pour lui, mais pour nous - en permettant à ces gaillards, au milieu du silence qu'il imposa à l'Allemagne, à se faire clairement entendre. Höchberg tomba littéralement des nues quand Engels lui dit ses quatre vérités. il n'était lui, qu'un homme de progrès « pacifique » et n'attendait, en réalité, l'émancipation prolétarienne que des « bourgeois cultivés », c’est-à-dire de ses semblables. Liebknecht ne lui avait-il pas dit qu'au fond nous étions tous d'accord là dessus ? Tous en Allemagne - c’est-à-dire tous les chefs - partageaient cet avis, etc.

En fait, Liebknecht après avoir fait une gaffe énorme en transigeant avec les Lassalléens, a ouvert toutes grandes les portes à la demi-humanité et a ainsi préparé malgré lui dans le parti une démoralisation qui ne put être évitée que grâce à la loi anti-socialiste.

Si l' « hebdomadaire » - l'organe du parti - devait néanmoins procéder comme on a commencé de le faire dans le Jahrbuch de Höchberg, nous serions obligés d'intervenir publiquement contre une telle dépravation du parti et, de la théorie ! Engels a rédigé une lettre circulaire à Bebel etc. (naturellement uniquement pour la circulation privée parmi les chefs du parti allemand). Il y explique notre position sans ménagement. Ces messieurs sont donc déjà prévenus et ils nous connaissent aussi suffisamment pour savoir qu'il s'agit ici de plier ou de rompre ! S'ils veulent se compromettre., tant pis ! Nous ne leur permettront en aucun cas de nous compromettre. On peut voir à quel point le parlementarisme les a déjà rendus bourriques dans le fait, entre autres, qu'ils ont imputé à Hirsch un crime - devine lequel ? Dans la Laterne, il avait quelque peu malmené cette chiffe de Kayser, en raison de son discours éhonté sur la législation douanière de Bismarck. Mais, dit-on à présent, le parti, c’est-à-dire la poignée de représentants du parti avait chargé Kayser de parler de la sorte ! La honte est d'autant plus grande pour ces gaillards ! Mais cela même n'est qu'une échappatoire misérable. Effectivement ils furent assez niais pour permettre à Kayser de parler pour lui et au nom de ses mandants, mais il parla au nom du parti. Quoi qu'il en soit, ils sont déjà si atteints de crétinisme parlementaire qu'ils croient être au-dessus de toute critique et foudroyent quiconque les critique comme s'il commettait un crime de lèse-majesté !


Notes

[1] Cette lettre n'a pas été retrouvée, les papiers de Hirsch ayant été confisqués par la police française lors de son arrestation et de son expulsion.

[2] Engels écrit à ce propos dans sa lettre à J.-Ph. Becker du 15-09-1879 : « Par bonheur Höchberg a soudain atterri chez moi avant - hier. J'en ai profité pour lui dire ses quatre vérités. Au fond, ce pauvre jeune homme est brave, mais affreusement naïf; il est tombé des nues lorsque je lui ai expliqué que nous ne pensions pas le moins du monde laisser tomber le drapeau prolétarien que nous brandissons depuis près de quarante ans, et que l'idée ne nous effleurait même pas de faire chorus avec les rêveries de réconciliation de tous les petits bourgeois que nous combattons également depuis près de quarante ans. Bref, il sait enfin à quoi s'en tenir avec nous et pourquoi nous ne pouvons marcher avec lui et ses semblables, quoique ceux de Leipzig puissent dire et faire. « Nous adresserons également à Bebel une déclaration catégorique sur notre point de vue face à ces nouveaux alliés du parti allemand, et nous verrons alors ce qu'ils feront. Si l'organe du parti prend position pour cet article bourgeois, alors nous ferons une déclaration publique en sens opposé. Cependant ils ne permettront sans doute pas que les choses aillent jusque-là. »


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