1868-94

«Dans tous ces écrits, je ne me qualifie jamais de social-démocrate, mais de communiste. Pour Marx, comme pour moi, il est absolument impossible d'employer une expression aussi élastique pour désigner notre conception propre. »
Fr. Engels - Préface à la brochure du Volksstaat de 1871-1875.

Une publication effectuée en collaboration avec la bibliothèque de sciences sociales de l'Université de Québec.


La social-démocratie allemande

K. Marx - F. Engels

2
Sous le régime de la loi anti-socialiste


Création de l'organe ilégal : « Der SozialDemokrat »

Engels à A. Bebel, 4 août 1879.

Depuis ma dernière lettre du 25 juillet (que vous avez reçue, j'espère, car je l'ai envoyée en recommandé [1]), Hirsch nous a communiqué sa correspondance avec Bernstein et Liebknecht à propos du nouveau journal (le Sozialdemokrat [2]). D'après celle - ci, les choses se présentent encore bien plus mal que nous étions en droit de l'admettre après votre lettre.

Hirsch avait parfaitement raison de demander quelles étaient les dispositions prises et quels étaient les gens qui, soit comme fondateurs, soit comme dirigeants, tiendraient les rênes du journal. Mais il n'obtint d'autre réponse de Liebknecht que celle-ci: « le parti plus Höchberg » et l'assurance renouvelée que tout était en ordre. Ainsi donc, nous devions admettre que le journal était fondé par Höchberg et que les « nous », auxquels selon E. Bernstein étaient confiés « la mise en oeuvre et la surveillance » étaient une fois de plus Höchberg et son secrétaire Bernstein.

[Il est clair que dans ces conditions C. Hirsch ne pourra se charger de la direction, à moins qu'il n'obtienne des garanties tout à fait précises pour son indépendance vis-à-vis de celui qui le surveillera et qui a fondé le journal. Je doute fortement que des garanties suffisantes puissent être obtenues, et je suis à peu près certain que les négociations avec C. Hirsch n'aboutiront pas. En effet, même si elles réussissaient, il est certain que la position de Hirsch ne serait pas tenable à la longue face aux deux surveillants, dont l'un a fondé le journal sans être social-démocrate, mais social-philanthrope, et l'autre (Liebknecht) reconnaît qu'il « voudrait diriger le journal lui-même ».]

Que tout se passe effectivement ainsi, c'est ce qui ressort aussi de la seconde lettre de Bernstein qui vient d'arriver tout à l'heure.

Il ne vous aura donc pas échappé que les erreurs contre lesquelles nous vous avons mis en garde dans ma dernière lettre, font désormais par la force même des choses partie intégrante du journal. Höchberg a montré lui-même que sur le plan théorique, c'était un esprit extrêmement confus et que, dans la pratique, il était mû par une impulsion irrésistible vers la fraternisation avec tous et avec chacun, pourvu qu'il fasse semblant non simplement d'être socialiste, mais même simplement social. Il a fourni ses preuves dans la Zukunft, où il a discrédité et ridiculisé le parti, sur le plan théorique aussi bien que pratique.

Le parti a besoin avant tout d'un organe politique. Or dans le meilleur des cas, Höchberg est un homme parfaitement apolitique-même pas social-démocrate, mais social-philanthrope. Et de fait, selon la lettre de Bernstein, le journal ne doit pas être politique, mais de vague principe socialiste, c'est dire qu'entre de telles mains il sera nécessairement fait de rêveries sociales, une continuation de la Zukunft. Un tel journal ne représenterait le parti que si celui-ci voulait s'abaisser à être la queue de Höchberg et de ses amis les socialistes de la chaire. Si les dirigeants du parti voulaient ainsi placer le prolétariat sous la direction de Höchberg et ses vasouillards amis, les ouvriers l'accepteraient difficilement : la scission et la désorganisation seraient inévitables - et Most et ses braillards remporteraient leur plus grand triomphe.

Dans ces conditions (que nous ignorions complètement lorsque j'ai écrit ma dernière lettre), nous pensons que Hirsch a tout à fait raison de vouloir ne rien avoir à faire avec cela. Il en va de même pour Marx et moi. Notre acceptation de collaborer valait pour un véritable organe du parti, et ne pouvait s'appliquer qu'à lui, non pour un organe privé de Monsieur Höchberg déguisé en organe du parti. Nous n'y collaborerons à. aucun prix. [Nous resterons en correspondance avec C. Hirsch, et nous verrons ce qui sera faisable au cas où il accepterait tout de même la direction. Dans les circonstances présentes, c'est le seul parmi tous les rédacteurs possibles en qui nous pouvons avoir confiance.] En conséquence, Marx et moi nous vous prions expressément de bien vouloir veiller à ce que nous ne soyions pas cités comme collaborateurs de cette feuille.

K. Marx et Fr. Engels


Notes

[1] Cette lettre n'a pas été retrouvée.

[2] Après l'interdiction de l'organe central du parti social-démocrate , le Vorwärts, le parti mit en oeuvre la publication d'un journal illégal, le Sozialdemokrat. En été 1879, Karl Höchberg, Eduard Bernstein et Carl August Schramm et d'autres forces opportunistes tentèrent de mettre la main sur la direction de ce journal. De juillet à septembre 1879, il y eut un important échange de correspondance entre Leipzig (A. Bebel, W. Liebknecht et L. Viereck), Paris (Carl Hirsch, que Marx-Engels eussent voulu voir à la tête du journal), Zürich (Bernstein, Höchberg et Schramm) et Londres (Marx-Engels) sur la question d'un organe central de la social-démocratie, à l'abri de la loi anti-socialiste. Bien qu'ils ne parvinrent pas à imposer leur candidat à la direction du journal, Marx-Engels purent néanmoins, par leurs critiques d'abord, et leurs conseils et leur collaboration ensuite (à partir de 1881), mettre le journal dans la bonne voie révolutionnaire.


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