1868-94

«Dans tous ces écrits, je ne me qualifie jamais de social-démocrate, mais de communiste. Pour Marx, comme pour moi, il est absolument impossible d'employer une expression aussi élastique pour désigner notre conception propre. »
Fr. Engels - Préface à la brochure du Volksstaat de 1871-1875.

Une publication effectuée en collaboration avec la bibliothèque de sciences sociales de l'Université de Québec.


La social-démocratie allemande

K. Marx - F. Engels

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Violence et question paysanne


La question paysanne en France et en Allemagne

Die Neue Zeit, n° 10, 1894-1895, vol. 1°.

L'exemple des coopératives agricoles démontrerait, même aux derniers petits paysans parcellaires encore réticents et certainement aussi à maints grands paysans, combien est avantageuse la grande exploitation coopérative [1].

Sur ce terrain, il nous est possible en conséquence de faire entrevoir une perspective au moins aussi brillante aux prolétaires de l'agriculture qu'à ceux de l'industrie. Et ce n'est donc qu'une question de temps - et même de temps très court - que de conquérir les ouvriers agricoles de la Prusse orientale. Or quand nous aurons gagné les journaliers agricoles de l'Est de l'Elbe, le vent tournera complètement dans toute l'Allemagne. En effet, le principal fondement du régime des hobereaux prussiens et, partant, de l'hégémonie, spécifique de la Prusse en Allemagne, c'est le demi - servage des ouvriers agricoles de la Prusse orientale. Ce sont les hobereaux de l'Est de l'Elbe qui, de plus en plus obérés de dettes, tombés dans la misère et devenus des parasites vivants aux dépens de l'État ou de particuliers, s'accrochent désespérément au pouvoir; ce sont eux qui ont engendré et perpétué le caractère spécifiquement prussien de la bureaucratie et du corps d'officiers de l'armée en Allemagne; leur morgue, leur superbe et leur esprit borné ont suscité à l'intérieur cette haine contre l'Empire germano-prussien existant même si l'on est bien obligé d'admettre que c'est là pour l'heure la seule forme possible de l'unité allemande, tandis qu'ils ont empêché, en dépit de victoires aussi brillantes, de forcer le respect à l'étranger pour l'Allemagne.

Le pouvoir de ces hobereaux vient de ce qu'ils disposent de la propriété du sol dans tout le territoire englobant les sept provinces de la vieille Prusse - soit près d'un tiers de tout l'Empire. Or cette propriété de la terre entraîne avec elle le pouvoir politique et social, car elle porte non seulement sur le sol, mais encore sur les industries les plus importantes de ce territoire, grâce aux fabriques de sucre, de betteraves et d'eau-de-vie. Ni les grands propriétaires du reste de l'Allemagne, ni les grands industriels ne jouissent d'une condition aussi favorable, car ni les uns ni les autres ne disposent d'un royaume aussi compact, mais ils sont dispersés sur de vastes espaces et disputent l'hégémonie politique et sociale aux éléments sociaux qui les entourent.

Or, la prépondérance politique des hobereaux prussiens dans l'État perd de plus en plus sa base économique. L'endettement et l'appauvrissement ne cessent d'augmenter malgré toute l'aide de l'État - depuis Frédéric I° celle-ci fait partie intégrante de tout budget ordinaire de cette bande de hobereaux. Ce n'est que le, demi - servage, sanctionné par la législation et la coutume, qui permet l'exploitation sans borne des ouvriers agricoles et permet à la classe des hobereaux de ne pas sombrer irrémédiablement.

Semez les mots d'ordre de la social-démocratie parmi ces ouvriers, insufflez-leur le courage et donnez-leur la cohésion pour leur permettre de défendre leurs droits, et c'en est fait, de la souveraineté des hobereaux !

Le grand pouvoir réactionnaire de la Prusse en Allemagne n'est rien d'autre que ce que l'élément barbare et expansionniste du tsarisme russe représente pour toute l'Europe. Or cette politique paysanne le ferait tomber dans le néant et ce qui ne serait plus qu'une vessie dégonflée. Dès lors les « régiments de fer » de l'armée prussienne passeront à la social-démocratie, ce qui entraîne un glissement du pouvoir, qui est décisif pour la révolution.

C'est ce qui explique que la conquête du prolétariat agricole de la Prusse à l'est de l'Elbe a une importance bien plus grande que celle des petits paysans de l'Ouest on des paysans moyens du Sud. Notre champ de bataille décisif se trouve dans cette Prusse de l'est de l'Elbe, et c'est pourquoi, et le gouvernement et les hobereaux essayeront à tout prix de nous en fermer l'accès.

Et si, comme la menace en existe, le gouvernement met en œuvre de nouvelles mesures de force pour empêcher que notre parti ne se développe, ce serait essentiellement pour préserver le prolétariat agricole de la Prusse de l'est de l'Elbe de l'influence de notre propagande. De cela nous devons nous moquer, et le conquérir malgré tout !


Notes

[1] Le lecteur trouvera le texte complet de la critique du programme agraire dans Friedrich Engels, La Question agraire en France et en Allemagne, Éditions Sociales, 1956, 30 p.


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