1848-49

Marx et Engels journalistes au coeur de la révolution...

Une publication effectuée en collaboration avec la bibliothèque de sciences sociales de l'Université de Québec.


La Nouvelle Gazette Rhénane

K. Marx

Procès contre Gottschalk et ses compagnons

n° 175, 22 décembre 1848


Cologne, 21 décembre.

Ce matin le procès intenté à Gottschalk, Anneke et Esser s'est ouvert devant les Assises convoquées ici en session extraordinaire.

Traités comme de vulgaires criminels, les accusés furent amenés sous bonne escorte de la nouvelle maison d'arrêt au tribunal où était cantonnée une force armée considérable.

Nos lecteurs savent que le jury, tel qu'il est organisé maintenant, ne nous offre rien moins qu'une garantie. Le cens accorde à une classe déterminée le privilège de voir les jurés sortir de son sein. L'établissement de la liste des jurés confère au gouvernement le monopole de choisir dans la classe privilégiée les individus qui lui plaisent. M. le Président du gouvernement établit en effet une liste comprenant un nombre déterminé d'individus pris dans la liste des jurés de tout le district ; les magistrats représentant le gouvernement épurent cette liste jusqu'à ce qu'il reste trente-six noms - si notre mémoire ne nous trompe pas. Au moment où le jury est vraiment constitué, il appartient finalement au ministère public d'épurer pour la troisième fois la dernière liste, fruit du privilège de classe et d'une double distillation gouvernementale, et de la réduire à la douzaine de noms nécessaire.

C'est un vrai miracle si cette façon de constituer le jury ne soumet pas au pouvoir discrétionnaire de leurs ennemis les plus acharnés les accusés qui se sont opposés directement à la classe privilégiée et à la force publique en place.

La conscience des jurés, nous répondra-t-on, demande-t-on une meilleure garantie que leur conscience ? Mais mon Dieu, la conscience est liée au savoir et au mode d'existence d'un homme.

Un républicain a une tout autre conscience qu'un royaliste, un possédant que celui qui n'a rien, un penseur que celui qui ne pense pas; un homme qui, pour être juré, n'a d'autre conscience que le cens, a la conscience du cens.

La « conscience » des privilégiés est justement une conscience privilégiée.

Si donc le jury, tel qu'il est constitué actuellement, nous semble une institution destinée à maintenir les privilèges de quelques-uns et non pas une institution destinée à garantir les droits de tous, si notamment dans le cas qui nous occupe le ministère public a fait l'usage le plus étendu de la disposition l'autorisant à éliminer de la dernière douzaine les noms qui lui déplaisent - nous ne doutons cependant pas un instant de l'acquittement des accusés. Ce qui nous l'assure, c'est l'acte d'accusation [1]. On croit lire un plaidoyer ironique, écrit par Gottschalk et des compagnons.

Résumons donc cet acte d'accusation qui ne trouve d'équivalent que dans l'acte d'accusation de Mellinet et de ses compagnons. (Procès de Risquons-Tout à Anvers [2]).

Il existe à Cologne une Union Ouvrière. Gottschalk était président, Anneke et Esser membres du comité de cette Union. L'acte d'accusation nous apprend que l'Union ouvrière

« avait un organe particulier rédigé par Gottschalk, l'Arbeiterzeitung [3] et que quiconque n'avait pas l'occasion d'assister en personne aux séances pouvait, à la lecture de ce journal, en déceler les tendances dangereuses, flattant le prolétariat, visant à établir le communisme et à renverser le régime existant. »

On pouvait donc déceler des tendances mais non des faits illicites, la preuve : Jusqu'à l'arrestation de Gottschalk, etc., le Parquet n'a lancé aucune accusation contre l'Arbeiterzeitung et après l'arrestation de Gottschalk, elle ne fut condamnée qu'une fois - au cours du procès monstre où elle fut accusée par le Parquet de Cologne d'offense au Parquet de Cologne.

« L'Arbeiterzeitung elle-même, avoue l'acte d'accusation, dans les comptes rendus qu'elle en a donnés (des débats de l'Union ouvrière, des séances du Comité et de ses filiales) semble ne pas s'être efforcée de dissimuler quoi que ce soit. »

On ne pouvait donc pas plus engager de poursuites judiciaires contre l'Union ouvrière à cause de ses débats que contre l'Arbeiterzeitung à cause de ses « comptes rendus ».

On ne reproche à l'Union ouvrière que ce qu'on reproche à l'Arbeiterzeitung - la tendance mal en cour de cette Union. Les procès de tendances, les procès contre les tendances qui sont restées de simples tendances sont-ils une des conquêtes de mars ? Jusqu'à présent nos lois de septembre [4] n'ont pas encore été édictées. Gottschalk et ses compagnons n'ont d'ailleurs nullement été arrêtés et mis en état d'accusation à cause de comptes rendus illicites de l'Arbeiterzeitung ou de débats illicites de l'Union ouvrière. L'acte d'accusation n'en fait pas mystère : ce n'est pas l'activité de l'Union ouvrière qui a mis la justice en branle - que l'on écoute :

« Du 14 au 17 juin de cette année s'est réuni à Francfort un congrès des délégués d'une quantité d'Associations démocratiques nées en Allemagne [5]. Gottschalk et Anneke y représentaient l'Union ouvrière de Cologne. On sait que ce congrès se prononça publiquement pour la république démocratique et les autorités d'ici s'attendaient à ce que ce mouvement suscitât un écho lorsqu'une assemblée générale de l'Union ouvrière fut annoncée pour le dimanche 25 juin au Gurzenich. »

Les autorités locales s'attendaient à ce que le mouvement de Francfort suscitât un écho. Mais quel mouvement avait donc eu lieu à Francfort ? Le congrès démocratique [6] s'était déclaré publiquement en faveur de la tendance, mal en cour, de la république démocratique. On attendait donc un « écho » de cette « tendance » et on voulait entrer en lutte contre cet écho.

On sait que le congrès démocratique a siégé à Francfort et que le comité central nomme pour exécuter ses décisions, a siégé à Berlin sans être inquiété par les gouvernements.

Donc, malgré la tendance mal en cour, les gouvernements allemands devaient reconnaître la légalité du congrès de Francfort et de l'organisation du parti démocratique, décidée par lui.

Mais les autorités de Cologne « attendaient bel et bien » un écho du mouvement de Francfort. Elles attendaient une occasion de prendre Gottschalk et ses compagnons en flagrant délit d'illégalité. Pour provoquer cette occasion, la direction de la police détacha les commissaires de police Lutter et Hunnemann pour aller le 25 juin à l'assemblée générale de l'Union ouvrière au Gurzenich et les « chargea particulièrement d'en observer les incidents ». À la même assemblée générale se trouvait par hasard « le relieur Johann Maltheser » qui, et l'acte d'accusation le regrette avec un soupir, « serait un témoin capital s'il n'avait été à la solde de la police », c'est-à-dire, en d'autres termes, s'il n'était un espion stipendié de la police. Finalement, le « référendaire von Groote » s'y trouva aussi, probablement par pur fanatisme patriotique, et il donna du discours d'Anneke à l'assemblée générale le compte-rendu « le plus détaillé » puisqu'il le rédigea à la séance même.

On le voit : les autorités de Cologne s'attendaient le 25 juin à ce que Gottschalk et ses compagnons commettent un délit. Toutes les dispositions policières étaient prises pour constater le délit éventuel. Mais quand les autorités « attendent », elles ne veulent pas attendre pour rien.

« Des rapports » des commissaires de police détachés pour constater un délit attendu, et de ceux de leurs acolytes, il ressort que

« les autorités publiques trouvèrent un prétexte, le 2 juillet, pour proposer une enquête contre Gottschalk et Anneke au sujet des discours provocateurs entendus (ce qui signifie, attendus) à cette réunion publique. Le 3 juillet ils furent arrêtés et leurs papiers furent confisqués.
Le 5 juillet, après avoir entendu plusieurs témoins et réuni des informations plus précises, l'enquête fut étendue à l'ensemble de l'activité antérieure du président de l'Union ouvrière et dirigée ainsi contre les autres membres de cette Union, notamment contre le tonnelier Esser, etc. Les résultats de l'enquête contre les accusés se rapportent en partie à leurs discours à l'Union ouvrière, et en partie à leurs papiers et aux publications qu'ils ont diffusées. »

Ce que l'enquête a réellement donné - nous le prouverons demain à l'aide de l'acte d'accusation - c'est que le mouvement attendu le 25 se limita à un mouvement des autorités - cet écho du mouvement de Francfort - et que Gottschalk et ses compagnons durent expier, par une sévère détention préventive de six mois, l'attente déçue des autorités. Rien de plus dangereux que de décevoir l'attente des autorités publiques espérant gagner une médaille au service de la patrie. Personne n'aime être déçu dans ses attentes, l'autorité publique encore moins que quiconque.

Si la manière dont le délit du 25 juin a été mis en scène nous montre, que l'autorité publique est le seul auteur de ce drame policier, les documents de l'enquête nous donnent l'occasion d'admirer l'astucieuse habileté avec laquelle elle a fait durer le prologue six mois.

Nous citons littéralement d'après Le procès politique de tendance contre Gottschalk et ses compagnons, par M. F. Anneke (Éditions de la Neue Kölnische Zeitung) :

« Après s'être prolongée environ cinq à six semaines, l'instruction fut déclarée close par le juge d'instruction Leuthaus qui avait remplacé M. Geiger, nommé directeur de la police. Après lecture des documents, le procureur général Hecker déposa de nouvelles conclusions qui furent acceptées par le juge d'instruction. Une quinzaine de jours plus tard l'enquête préalable fut conclue pour la deuxième fois. Après que M. Hecker eut examiné encore une fois à loisir les documents, il déposa encore une série de nouvelles conclusions. Le juge d'instruction ne voulut pas les accepter, pas plus que la Chambre du Conseil. M. Hecker en appela à la Chambre des mises en accusation et cette instance décida d'accepter quelques-unes des conclusions, mais en revanche d'en écarter d'autres. Parmi ces dernières se trouvait par exemple la conclusion établie sur la base d'une simple liste de noms de personnes de toutes les parties de l'Allemagne - liste trouvée dans le portefeuille d'Anneke - et suivant laquelle l'enquête devait être étendue à l'ensemble de ces personnes, soit à trente ou quarante personnes environ.
Après avoir réussi avec autant de bonheur à faire durer l'enquête, et comme, décemment, on ne pouvait pas la pro­longer plus longtemps, la Chambre du Conseil décida, le 28 septembre, l'envoi des documents à la Chambre des mises en accusation. Le 10 octobre celle-ci admit l'accusation et le 28 octobre, le Procureur général signa l'acte d'accusation.
La session trimestrielle du tribunal ayant commencé le 9 octobre, il était heureusement trop tard pour que le tribunal se saisisse de ce procès.
Une session extraordinaire avait été prévue après le 27 novembre. Il fallait essayer de l'éviter. Les documents de l'enquête préalable furent en effet remis au ministère de la justice avec la proposition de renvoyer le procès devant une autre Cour. Le ministre de la justice ne trouva cependant pas de motif suffisant et vers novembre les accusés Gottschalk, Anneke et Esser furent enfin traduits devant les Assises de Cologne qui se sont réunies en session extraordinaire le 21 décembre. »

Pendant ce long prologue le premier juge d'instruction Geiger avait été nommé directeur de la police et le procureur Hecker procureur général. Comme M. Hecker en sa dernière qualité a été déplacé de Cologne à Elberfeld peu de temps avant la session extraordinaire, il ne sera pas présent lors de la comparution des accusés devant le jury.


n° 176, 23 décembre 1848

Cologne, 22 décembre.

Quel était le jour où eut lieu au Gurzenich l'Assemblée générale appelée à constater un délit «attendu » ? C'était le 25 juin. Le 25 juin fut le jour de la défaite définitive des insurgés de juin à Paris. Quel jour l'autorité publique formula-t-elle une accusation contre Gottschalk et ses compagnons ? Le 2 juillet, c'est-à-dire au moment où la bourgeoisie prussienne et son allié d'alors, le gouvernement, pensèrent dans leur orgueil assoiffé de vengeance que le moment était venu d'en finir avec leurs adversaires politi­ques. Le 3 juillet Gottschalk et ses compagnons furent arrêtés. Le 4 juillet l'actuel ministère contre-révolutionnaire fit son entrée dans le ministère Hansemann en la personne de Ladenberg. Le même jour la droite de l'Assemblée ententiste de Berlin risqua un coup d'État en annulant à la même séance, sans autre forme de procès, une résolution prise à la majorité concernant la Pologne et ce, après qu'une partie de la gauche se fût dispersée.

Ces dates sont éloquentes. Nous pourrions fournir la preuve testimoniale qu'une « certaine» personne déclara le 3 juillet : « L'arrestation de Gottschalk et de ses compagnons a fait sur le public une impression favorable ». Mais il suffit de renvoyer aux numéros de la Kölnische Zeitung, de la Deutsche Zeitung [7] et de la Karlsruher Zeitung [8] correspondant à ces dates pour se convaincre que ce fut non l'« écho » de l'imaginaire « mouvement de Francfort » mais au contraire celui du « mouvement de Cavaignac » qui se répercuta au cours de ces journées des milliers de fois en Allemagne, et entre autres à Cologne.

Nos lecteurs s'en souviennent. Le 25 juin, les autorités de Cologne « attendaient » un écho du « mouvement de Francfort » à l'occasion de l'assemblée générale de l'Union ouvrière au Gurzenich. Ils se rappellent que l'enquête contre Gottschalk et ses compagnons trouva son point de départ non dans un délit réel de Gottschalk, etc. avant le 25 juin, mais uniquement dans l'attente des autorités, espérant qu'un délit tangible aurait finalement lieu le 25 juin.

L'attente du 25 juin est déçue, et soudain, le 25 juin 1848 se transforme en année 1848. On impute à crime aux accusés le mouvement de l'année 1848. Gottschalk, Anneke, Esser sont accusés :

« d'avoir au cours de l'année 1848 (que l'on imagine l'extensibilité de cette expression) organisé à Cologne un complot afin de transformer et de renverser le gouvernement concerné et de provoquer une guerre civile en incitant les citoyens à s'armer les uns contre les autres ou du moins (que l'on fasse bien attention) d'avoir par des discours dans des assemblées publiques par des publications ou des affiches, poussé à des attentats ou à des buts semblables. »

Il est donc question : d'avoir organisé un complot « ou du moins » de n'avoir « organisé » aucun complot. Mais pourtant en vue d'attentats dans des buts semblables. C'est-à-dire d'attentats ou sinon de choses du même ordre ! Quel style magnifique que le style juridique !

Voilà donc ce qu'on lit dans le jugement de renvoi de la Chambre des mises en accusation.

Dans la conclusion même de la Chambre des mises en accusation on laisse tomber le complot et « en conséquence » Gottschalk, Anneke et Esser sont accusés :

« d'avoir, au cours de l'année 1848, au moyen de discours dans des assemblées publiques et de publications, directement incité leurs concitoyens à une transformation par la violence de la Constitution de l'État, à un soulèvement armé d'une partie des citoyens contre l'autre, sans que ces incitations aient cependant rencontré de succès - délit contre l'article 102 en liaison avec les articles 87 et 91 du Code pénal. »

Et pourquoi au cours de l'année 1848, les autorités ne sont-elles pas intervenues avant le 2 juillet ?

Pour que ces messieurs puissent au demeurant parler d'« une transformation par la violence de la Constitution de l'État », il leur fallait avant tout fournir la preuve qu'il existait une Constitution de l'État. La Couronne a prouvé le contraire en envoyant au diable l'Assemblée des ententistes. Si les ententistes avaient été plus puissants que la Couronne, ils auraient peut-être fait la démonstration en sens inverse.

Quant à l'incitation « à un soulèvement armé contre la puissance royale et à l'armement d'une partie des citoyens contre l'autre », l'acte d'accusation en donne la preuve à l'aide :

  1. des discours des accusés au cours de l'année 1848;
  2. d'écrits non publiés,
  3. et de publications.

1er additif. Les discours offrent à l'acte d'accusation le corpus delicti suivant :

À la séance du 29 mai, Esser trouve dans la « république » le « remède aux maux des travailleurs ». Incitation au soulèvement armé contre la puissance royale ! Gottschalk déclare que « les réactionnaires amèneront la république ». Quelques ouvriers se plaignent de n'avoir pas le « minimum vital ». Gottschalk leur répond : « Vous devez apprendre à vous unir, à distinguer vos amis de vos ennemis camouflés, à devenir capables de mettre vos propres affaires en ordre ! »

Incitation patente au soulèvement armé contre la puissance royale et à l'armement d'une partie des citoyens contre l'autre !

L'acte d'accusation résume ces preuves dans les termes suivants :

« Les témoins entendus au sujet de ces réunions antérieures, qu'ils soient membres ou non de l'Union, s'expriment dans l'ensemble en termes louangeurs sur Gottschalk et Anneke, surtout sur le premier, disant qu'il avait toujours mis en garde contre des excès et cherché à calmer les masses plutôt qu'à les exciter. En même temps, il est vrai, Gottschalk donnait la République comme premier objectif auquel visaient ses efforts, objectif qu'il fallait atteindre non grâce à une émeute, mais seulement en gagnant la majorité du peuple à l'opinion qu'il n'y avait pas de salut en dehors de la République. En entreprenant ainsi, comme on le voit clairement, de saper peu à peu les bases du régime existant, il avait, on le comprend, souvent assez à faire pour retenir l'impatience de la masse inculte. »

C'est justement parce que les accusés calmaient les masses au lieu de les exciter qu'ils montraient clairement leur tendance maligne à saper peu à peu les bases du régime existant, c'est-à-dire à faire légalement de la liberté de la presse et du droit d'association un usage mal vu des autorités. Et c'est cela que l'acte d'accusation appelle :

« Incitation au soulèvement armé contre la puissance royale et armement d'une partie des citoyens contre l'autre !!! »

Enfin arrive l'assemblée générale du 25 juin « attendue » par les autorités. « Il y a sur elle », dit l'acte d'accusation, « des témoignages circonstanciés ». Et que donnent ces témoignages circonstanciés ? - Que Gottschalk fit un rapport sur les événements de Francfort, que l'on discuta sur la fusion des trois Associations démocratiques de Cologne, que Gottschalk fit le « discours final » qui retint particulièrement l'attention de Maltheser et du référendaire von Groote et qui se termina par le « trait » suivant : « Persévérer réclame plus de courage que distribuer des coups. Il faut attendre jusqu'à ce que la réaction fasse une démarche qui entraîne la proclamation de la république. » Incitation patente au soulèvement armé contre la puissance royale et à l'armement d'une partie des citoyens contre l'autre !!!

Quant à Anneke, on ne trouve dans l'acte d'accusation

« que son intervention énergique pour la fusion des trois Associations (les trois associations démocratiques de Cologne), appelant, lui aussi, lors de la discussion sur cette fusion, les assistants citoyens républicains ».

Un discours en faveur de la « fusion des trois associations démocratiques de Cologne » est visiblement « l'incitation à armer une partie des citoyens contre l'autre ».

Et appeler les assistants : « Citoyens républicains ! » Messieurs Maltheser et von Groote ont pu se sentir froissés de cette appellation. Mais le général von Drigalski ne s'appelle-t-il pas lui-même et n'appelle-t-il par les citoyens de Dusseldorf « Citoyens communistes » ?

Si l'on considère purement et simplement ce qu'a rapporté le 25 juin cette assemblée générale « attendue », on comprend que l'autorité publique ait dû chercher refuge dans le cours de l'année 1848, ce qu'elle fait d'ailleurs en s'instruisant sur le mouvement de cette année grâce à la confiscation de lettres et de publications, par exemple de trois numéros de l'Arbeiterzeitung, que l'on pouvait acheter dans toutes les rues, à quatre sous pièce.

Mais à l'aide des lettres, elle se convainct du « fanatisme politique » qui règne en l'an 1848 en Allemagne. Ce qui lui paraît particulièrement « fanatique» c'est une lettre du professeur Karl Henkel de Marbourg à Gottschalk. Pour le punir, elle dénonce cette lettre au gouvernement de la Hesse élective et éprouve la satisfaction de voir le professeur soumis à une enquête.

Mais en conclusion, il ressort des lettres et publications qu'en l'an 1848 toute sorte de fanatisme se déploya dans les têtes et sur le papier et qu'il se produisit des événements ressemblant à un soulèvement armé contre la puissance royale et à l'armement d'une partie des citoyens contre l'autre comme un œuf ressemble à un autre œuf.

Et alors que l'autorité publique en est toujours à découvrir l'« écho » de cet étonnant mouvement en confisquant les publications et les lettres des accusés, Gottschalk et ses compagnons s'occupent de tout ce fatras !


Notes

Texte surligné : en français dans le texte.

[1] L'acte d'accusation figure dans la brochure éditée par M. F. Anneke : « Der Politische Tendenz-Prozess gegen Gottschalk, Anneke und Esser... »

[2] Cf. Nos 45, 47 et 49 des 15, 17 et 19 juillet 1848 de la Nouvelle Gazette rhénane.

[3] L'« Union Ouvrière de Cologne » fut fondée le 13 avril par Gottschalk, membre de la Communauté de Cologne de la Ligue des Communistes. L'Union, qui à la mi-avril comptait environ 300 membres, en atteignait 5.000 en mai, pour l'essentiel des ouvriers et des artisans. À la tête de l'Union il y avait un président et un comité composé de représentants de diverses professions. L'Union avait un organe, la Zeitung des Arbeiter-Vereins zu Köln et, à partir du 26 octobre 1848, elle eut le journal Freiheit, Brüderlichkeit, Arbeit. L'Union Ouvrière de Cologne avait une série de filiales dans la ville. Après l'arrestation de Gottschalk, Moll fut élu président le 6 juillet, fonction qu'il conserva jusqu'aux événements de septembre qui l'obligèrent à émigrer, car il était menacé d'une arrestation. Le 16 octobre 1848, à la demande générale, Marx prit provisoirement la présidence. Schapper lui succéda le 28 février; il conserva ses fonctions jusqu'à la fin de mai 1849. La plupart des dirigeant de l'Union Ouvrière (Gottschalk, Anneke, Schapper, Moll, Leissner, Jansen, Rösner, Nothjung, Bedorf) étaient membres de la Ligue des Communistes.
Au début de son existence, l'Union Ouvrière était sous l'influence de Gottschalk qui - dans l'esprit des socialistes « vrais » - ignorait les tâches historiques du prolétariat dans la révolution démocratique bourgeoise, poursuivait la tactique sectaire du boycott des élections aux assemblées nationales prussiennes et allemandes, et se prononçait contre le soutien aux candidats démocrates lors des élections. La phraséologie gauchiste de Gottschalk allait de pair avec des formes de lutte modérées - remettre des pétitions au gouvernement et aux autorités publiques au nom des travailleurs, se cantonner à des formes de lutte « légales », soutenir une série de revendications de travailleurs arriérés ayant les préjugés des membres des corporations, etc. Cette politique sectaire de Gottschalk se heurta dès le début à la résistance de nombreux membres de l'Union qui soutenaient la tactique de Marx et Engels. Sous leur influence il se produisit à la fin de juin 1848 un retournement dans l'activité de l'Union Ouvrière de Cologne. Durant l'automne de 1848 un vaste travail d'agitation se développa et les paysans des environs y participèrent. Les membres de l'Union organisèrent dans les environs de la ville des Unions ouvrières et des Associations démocratiques; ils diffusaient une littérature révolutionnaire, et en particulier les « Forderungen der Kommunistischen Partei in Deutschland ». L'Union entretenait d'étroites relations avec les autres Unions ouvrières de Rhénanie et de Westphalie.
Au cours de l'hiver 1848-1849 Gottschalk et ses partisans menèrent une guerre sans merci dans le but de scinder en deux l'Union Ouvrière de Cologne. Dans l'Arbeiterzeitung journal qu'ils publiaient depuis janvier 1849, ils se livrèrent à de violentes attaques et de perfides calomnies contre Marx et la rédaction de la Nouvelle Gazette rhénane. Mais ce travail fractionnel ne fut pas soutenu par la majorité des membres de l'Union. Dans le but de renforcer l'Union, Marx, Schapper et d'autres la réorganisèrent en janvier et en février 1849. Le 25 février, de nouveaux statuts furent adoptés; la tâche essentielle qu'ils fixaient à l'Union était « la formation politique, sociale et scientifique de ses membres en leur procurant des livres, des journaux et des tracts, en organisant des conférences et des discussions ». En avril le comité de l'Union Ouvrière décida de discuter au cours des séances de l'Union, l'exposé de Marx : Travail salarié et capital, publié dans la Nouvelle Gazette rhénane.
L'expérience politique acquise par les travailleurs au cours de la révolution et la déception causée par la politique hésitante des démocrates petits bourgeois permirent à Marx et à Engels, au printemps de 1849, de préparer dans la pratique la création d'un parti prolétarien. Marx et ses partisans rompirent les liens organiques qui les reliaient à la démocratie petite-bourgeoise, sans refuser toutefois d'agir en commun contre les attaques de la contre-révolution. Le 16 avril 1848 l'Union Ouvrière de Cologne décida de sortir de l'Union des Associations démocratiques d'Allemagne et de s'affilier à l'Union des Unions ouvrières allemandes de Leipzig. Le 6 mai 1849 un congrès des Unions ouvrières eut lieu en Rhénanie et en Westphalie.
La situation d'alors en Allemagne, (renforcement de la contre-révolution et aggravation des représailles policières qui en découlait) empêcha cependant l'Union Ouvrière de Cologne de réussir à réunir et à organiser les masses ouvrières. Quand la Nouvelle Gazette rhénane fut contrainte de suspendre sa parution et que Marx, Schapper et autres dirigeants de l'Union Ouvrière de Cologne eurent été obligés de partir, l'Union perdit de plus en plus son caractère politique et se transforma peu à peu en une quelconque association pour la formation des ouvriers.

[4] La Zeitung der Arbeiler-Vereine zu Köln parut d'avril à juillet 1848 avec Gottschalk pour rédacteur en chef, puis jusqu'en octobre 1848 sous la direction de Moll et de Schapper. Pendant cette période 40 numéros parurent. Le journal rendait compte de l'activité de l'Union ouvrière de Cologne et d'autres Unions ouvrières de la Province rhénane.
Le 24 octobre 1848 une procédure judiciaire fut engagée contre A. Brocker-Evererts, le propriétaire de l'imprimerie où le journal était imprimé. On lui reprochait d'avoir publié dans le N° 12 du journal l'article : « L'arrestation du docteur Gottschalk et d'Anneke » et dans le N° 13 l'article : « Arrestations à Cologne » - articles soi-disant offensants pour l'honneur des gendarmes et du procureur Zweiffel. Le tribunal condamna l'imprimeur à un mois de prison et, au cas où le journal recommencerait à paraître, à une forte amende. À partir du 26 octobre l'Union ouvrière de Cologne publia son journal sous le titre : Freiheit, Brüderlichkeit, Arbeit.

[5] À la suite de l'attentat organisé par Fieschi contre le roi Louis-Philippe le 28 juillet 1835, on imputa le crime à tout le parti républicain et le ministère de Broglie voulut frapper non seulement les actes mais les idées : Thiers fit voter les lois de septembre sur le jury, la Cour d'Assises et la presse pour faciliter la répression de toute propagande. En particulier la loi punissait de prison et de lourdes amendes « l'offense au roi » (pour tuer la caricature) et l'attaque contre « le principe ou la forme du gouvernement ». Le nom même de républicain fut proscrit et les républicains s'intitulèrent démocrates ou radicaux.

[6] Le premier congrès démocratique siégea du 14 au 17 juin 1848 à Francfort-sur-le-Main. Des délégués de 89 organisations démocratiques et ouvrières venant de 66 villes d'Allemagne y participaient. Sur l'initiative des délégués ouvriers le congrès déclara que la république démocratique était le seul régime valable pour le peuple allemand. On y décida la convocation de toutes les Associations démocratiques, la création de comités d'arrondissements et d'un comité central dont le siège serait à Berlin. Fröbel, Rau, Kriege, Bairhoffer, Schutte et Anneke en furent élus membres. Vu la faiblesse et l'instabilité de la direction petite-bourgeoise, le mouvement démocratique allemand resta, malgré cette décision, dispersé et inorganisé. Le travail en commun fut laissé à l'initiative personnelle des directions des Unions dans les villes et les arrondissements.

[7] La Deutsche Zeitung, appelée aussi le journal de Gervinus, était un journal libéral qui défendait la monarchie constitutionnelle et l'unification de l'Allemagne sous la direction de la Prusse. Elle parut de 1847 jusqu'à fin septembre 1848 sous la direction de l'historien Gervinus à Heidelberg, puis jusqu'en 1850 à Francfort-sur-le-Main.

[8] La Karlsruher Zeitung était un quotidien, organe du gouvernement du Bade, paraissant depuis 1757 à Karlsruhe.


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